Journal de notre bordLettre n°105 (le 5 mai 2009)Bonsoir à toutes et à tous, Quoi de neuf aujourd'hui ? Comme chaque jour, en gros 3 000 chômeurs de plus rien qu'en France. Et à l'échelle planétaire combien de centaines de milliers de chômeurs en plus et de famille dans le désarroi ? Nul ne le sait ou ne le dit. Mais dans tous les pays, on licencie à tour de bras. En Espagne des travailleurs licenciés ont proposé sur internet de vendre un de leurs reins pour tenter de sauver leur famille de la misère. A défaut de pouvoir vendre sa force de travail, on vend sa peau. On la perd aussi en tentant sur des embarcations de fortune ou à travers des zones désertiques d'atteindre les pays " riches ". L'état de chômeur dans la société actuelle entraîne une sorte de mort sociale : on se sent inutile, méprisé, " assisté ", plongé dans des difficultés insurmontables pour faire face à ses responsabilités familiales. Même sans comprendre tous les mécanismes de la crise du capitalisme, tout le monde a conscience que la machine à détruire les emplois, les secteurs de la santé, de la protection sociale, de l'éducation et de la culture a sensiblement accéléré son rythme mais ne tourne pas encore à plein régime comme on peut s'y attendre dans les mois et les années qui viennent. Très logiquement des colères sociales et des solidarités émergent et se multiplient. Ce début de bouillonnement redonne espoir et confiance à une partie des salariés. Mais les convergences ne sont pas encore au rendez-vous. Les grandes centrales syndicales ne les souhaitent pas. De plus elles n'ont rien à dire ou à proposer aux chômeurs qui ne font pas partie de leur clientèle. Inutile de s'en plaindre car tout cela est dans leur nature profonde depuis des décennies. Elles sont les principaux gestionnaires du mécontentement des salariés, gestionnaires prudents, soucieux de leur crédibilité auprès de celles et ceux qui leur permettent d'être " des partenaires sociaux incontournables ". Il n'est pas mauvais que le gouvernement les traite avec un minimum de mépris de façade car cela accroît leur côte et leur permettra, à un autre stade de la crise sociale en cours, d'être en capacité de contrecarrer les mouvements et formes d'organisation menaçant la propriété et le pouvoir des capitalistes. Avec quel succès ? La question est ouverte. Elle inclut nécessairement la question du chômage pour toutes celles et tous ceux qui veulent en finir avec la société capitaliste. Le chômage est un allié puissant pour le gouvernement et le patronat car il démoralise massivement. Par sa pression permanente, il entame l'efficacité des luttes revendicatives partielles. Il est à terme catastrophique de considérer les millions de chômeurs comme des invalides de la lutte sociale en ne s'adressant pas à eux. Il serait d'ailleurs réaliste pour tous les salariés qui ont encore un emploi fixe de se battre bien sûr pour leurs revendications, tout en se considérant comme de futurs chômeurs ou de futurs travailleurs précaires. Une suppression d'emplois beaucoup plus massive qu'actuellement entre dans les exigences du capital en crise. Des luttes locales ou des journées d'action ne pourront contrecarrer cela. Il ne s'agit pas évidemment de se démoraliser par avance mais d'anticiper ce processus en créant des liens de solidarité solides dès maintenant entre chômeurs actuels et très probables futurs chômeurs ou précaires, se battant ensemble pour répartir le travail entre tous et pour éradiquer complètement le chômage. Ce qui supposera en définitive une prise de contrôle des grands rouages de l'économie par les peuples. Une révolution ? Oui, et au combien nécessaire. ______________________________________ Des idées, des analyses De la Corée au Mexique Tokyo Sonata L'évolution, rien ne l'arrête Effacer l'humour ? Aux quatre coins du monde ______________________________________ DES IDÉES, DES ANALYSES Loin des hyperboles inquiètes et racoleuses sur les risques d'une " révolution en France " (voir Le Figaro et aussi de Villepin, l'inventeur du CPE) ou d'une " insurrection française " (voir Le Nouvel observateur), le dossier du Monde diplomatique de mai consacré aux révolutions suscitera une lecture attentive et peut-être des réflexions et des débats. Il s'ouvre par un article fortement argumenté de Serge Halimi au titre sans ambiguïté " Éloge des révolutions " ; ce qui nous change de la déploration et du ronron d'autrefois dans ce mensuel s'en tenant à la dénonciation des " méfaits du néolibéralisme ". A lire, éventuellement crayon ou surligneur en mains selon votre goût, le numéro 40 de Carré rouge qui propose des textes dénués de conformisme sur la grève à la gare Saint- Lazare en décembre dernier, la révolte des jeunes en Grèce, la grève générale en Guadeloupe et des analyses et débats sur la nature de la crise mondiale par Alain Bihr, Louis Gill et François Chesnais. Ajoutons que le site électronique de Carré rouge a repris du tonus et que divers textes dont un sur la lutte dans les universités méritent d'aller y cliquer (www.carre-rouge.org). DE LA CORÉE AU MEXIQUE La littérature coréenne contemporaine est d'une grande richesse. Depuis des années les lecteurs francophones ont eu l'occasion de découvrir des auteurs tels que Yi Munyol (Notre héros défiguré, éd Actes Sud), Cho Sehui (Le Nain, éd Actes Sud) ou Hwang Sok-yong (Les Terres étrangères, Le Vieux Jardin, L'Invité, éd Zulma). Nous ne citons que quelques auteurs et quelques titres significatifs des préoccupations historiques et sociales des écrivains de Corée du Sud qui ont parfois payé très cher leur liberté d'expression. La lucidité et la détermination courageuse d'un Hwang Sok-yong sont à cet égard impressionnantes et captent aujourd'hui l'intérêt de nombreux jeunes sud-coréens (voir l'article et l'interview réalisés par Philippe Pons dans " Le Monde " daté du 25 avril dernier). Parmi la jeune génération d'écrivains, il semble que l'intérêt pour l'histoire tourmentée de la Corée et pour les luttes sociales reste intense. " Fleur noire ", le roman de Kim Young-ha, né en 1968, en témoigne (éd Picquier poche, janvier 2009, 494 pages). L'auteur a structuré son récit à partir d'un épisode historique : l'émigration en 1905 vers le Mexique de 1 033 Coréens de toutes les conditions sociales, nobles de sang royal, paysans, soldats, matelots, chamans et même un prêtre défroqué et un voleur à la tire. Ces hommes et ces femmes qui laissent un pays en décadence dominé par le jeune impérialisme japonais ont été en réalité vendus par l'intermédiaire de marchands européens à des propriétaires d'haciendas dans la presqu'île du Yucatan. " Nous avons débarqué dans un pays qui n'avait rien à voir avec nos rêves " dit l'un d'eux (page 365). Ils espéraient avoir suffisamment économisé pour retourner au bout de quatre ans dans leur pays. Ils vivent un cauchemar dans les plantations de sisal tenues en mains par des propriétaires et des intendants fanatiquement catholiques et d'une cruauté sans bornes. Diverses formes d'adaptation de cette main d'oeuvre coréenne au contexte mexicain en ce début du XXe siècle vont s'exprimer : certains se mettent en ménage avec des femmes mayas, quelques-uns se vendent aux propriétaires comme surveillants ou traducteurs, bon nombre organisent aussi des grèves, des rébellions et vont participer plus ou moins fortuitement à la révolution contre la dictature de Diaz dont les leaders les plus connus sont Pancho Villa et Emiliano Zapata. " Fleur noire " est un roman qui emporte le lecteur dans cette aventure authentique très documentée qui dépasse l'imagination. Kim Young-ha a cru nécessaire par moment d'ajouter des commentaires historiques pour bien situer le contexte. Cela nuit un peu à la qualité littéraire de son roman mais le lecteur qui ne connaît pas par le menu l'histoire de la Corée et du Mexique entre 1900 et 1920 ne s'en plaindra pas. TOKYO SONATA Décidément les films de qualité en prise avec les grandes questions humaines de notre époque sont nombreux qu'ils viennent d'Algérie, d'Israël, du Brésil, de Turquie ou même de France avec " Welcome ". À environ 10 000 km de Paris, c'est-à-dire au Japon, le réalisateur de films fantastiques ou d'horreur, Kiyoshi Kurosawa, vient de changer de registre de façon symptomatique. " Tokyo Sonata " (1h59) est une très belle chronique sociale de notre temps. Il analyse l'impact du licenciement d'un homme, cadre commercial dans une grande entreprise, sur son comportement et sur celui des membres de sa famille. Écrasé par la honte de ce qu'il lui arrive, il cache son état à sa femme et à ses deux fils et part chaque matin avec son attaché-case à la recherche d'un emploi y compris comme nettoyeur ou à la soupe populaire où il retrouve un collègue comme lui en costume cravate ! La perturbation de la perte d'emploi du père sur le fonctionnement routinier de la " cellule familiale " est abordée tout en nuances, comme un drame intime et collectif mais aussi comme un effondrement des faux semblants offrant à qui en a la force la possibilité de se découvrir et de s'émanciper. La séquence finale est d'une émotion retenue digne du grand réalisateur japonais Yasujiro Ozu. L'ÉVOLUTION, RIEN NE L'ARRÊTE Les publications pour célébrer le 200e anniversaire de la naissance du grand naturaliste Charles Darwin et le 150e anniversaire de la publication de son " Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l'existence dans la nature " sont nombreuses et particulièrement bienvenues. La pression des obscurantismes religieux et de diverses approches irrationnelles transcendantales et finalistes fait qu'il est encore nécessaire en 2009 de mettre en lumière vigoureusement la validité et la fécondité de la théorie de l'évolution. Le " dessein crétin " des tenants du " créationnisme " en particulier aux États-Unis est de faire valoir à part égale leurs élucubrations avec cette théorie scientifique, voire bien sûr d'éliminer dans l'enseignement la théorie de l'évolution. Le dossier spécial de " Pour la Science " d'avril-juin vous procurera des heures de lecture passionnante. Il s'intitule excellemment : " L'évolution, rien ne l'arrête ! " ( son contenu est accessible sur www.dossierpourlascience.fr). Ce dossier regroupe les contributions de spécialistes de Darwin, de l'évolution du vivant et de l'évolution de l'homme, notamment Jean Claude Ameisen, Patrick Tort, Hervé Le Guyader, Pascal Picq ou Jean-Jacques Kupiec. Il est remarquablement illustré en particulier par des schémas qui aident par exemple à la compréhension de la filiation des idées en biologie évolutive ou à celle de différents mécanismes génétiques. Ce dossier se présente en quatre grandes parties : 1) les héritages de Darwin avec les innovations depuis ses travaux mais aussi les dérives que cette théorie a inspiré (le " darwinisme social " prétendant qu'il est normal et inéluctable dans la société humaine que les plus " forts " dominent les plus " faibles "). 2) Les gènes en action. 3) L'importance du milieu et enfin 4) L'évolution et nous (les Homo sapiens) où il est question en particulier de l'empathie. Un article montre aussi que les vestiges évolutifs que nous avons hérités de nos ancêtres poissons et têtards nous prédisposent aux hernies, au hoquet et à d'autres affections car les fluides du corps humain ne fonctionnent pas de façon optimale. Un coup de canif de plus dans la conception scientiste d'un progrès continu dans l'organisation du vivant. Ce dossier n'est pas à consommer sans réfléchir car le propre de la recherche scientifique est d'avancer en émettant des hypothèses qui nécessitent d'être validées par des découvertes ultérieures. De ce point de vue la théorie de Darwin et de Wallace de l'évolution aura fonctionné comme un cadre conceptuel durablement valide et non comme une camisole intellectuelle. EFFACER L'HUMOUR ? Nous vous en avions déjà parlé mais il faut malheureusement y revenir et réagir vite pour sauver les films de Pierre Etaix qui se détériorent au fil des années et que personne n'a le droit de voir ! Pour ceux qui ont eu la chance de les découvrir il y a fort longtemps, cela constitue de beaux souvenirs mais qui ont à présent un goût d'amertume. Nous relayons donc l'appel suivant adressé à ceux qui n'ont pas encore signé la pétition : " A quatre-vingts ans, Pierre Etaix, clown, dessinateur et cinéaste ne peut plus montrer ses films !! Ses cinq longs métrages (dont quatre co-écrits avec Jean-Claude Carrière) sont aujourd'hui totalement invisibles, victimes d'un imbroglio juridique scandaleux qui prive les auteurs de leurs droits et interdit toute diffusion (même gratuite) de leurs films. Alors, si comme moi, vous souhaitez comprendre les raisons de ce rapt culturel et signer la pétition pour la ressortie des films de Pierre Etaix, visitez ce lien: http://sites.google.com/site/petitionetaix/ N'hésitez pas à faire suivre ce mail à tous vos contacts et amis avant le 10 mai 2009, date de remise de la pétition à Madame Christine Albanel, Ministre de la Culture et de la Communication. Par avance, merci de votre aide. " AUX QUATRE COINS DU MONDE Une amie nous a adressé un document musical et humain que nous nous faisons un plaisir de vous faire partager. Elle nous le présente ainsi : "Cliquez sur le lien ci-dessous, et vous allez assister à quelque chose d'aussi impressionnant sur le plan technique, que merveilleux sur le plan du chant proprement dit. Il s'agit d'un groupe de gens, TOUS PURS AMATEURS qui ne connaîtront certainement jamais le succès dans le monde de requins qu'est le show bizz aujourd'hui, mais qui ont un talent fou ! Ils ne se connaissent pas puisque vous verrez en bas de l'écran s'inscrire la partie du monde dans laquelle ils chantent AVEC LES AUTRES ! C'est là qu'intervient la performance technique : un groupe de techniciens bénévoles ont accepté de se prêter au jeu, et se sont occupés de filmer et prendre le son. À l'arrivée, une merveille musicale, technique, et un symbole tellement fort sur tout ce que peut apporter la musique aux gens du monde entier, qui sont capables l'espace d'un instant de parler la même langue, ressentir les mêmes émotions... DU TRÈS TRÈS BEAU qui nous permet de garder quelques espoirs sur le genre humain... " http://vimeo.com/moogaloop.swf?clip_id=2539741 Bien fraternellement à toutes et à tous, Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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