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Journal de notre bord

Lettre n°104 (le 29 mars 2009)

Bonsoir à toutes et à tous,

Chaque jour apporte son lot d'événements révoltants.
Licenciements massifs, bonus copieux pour les chefs
d'entreprises. La rage des salariés est en pleine
croissance. D'ici quelques mois il y a tout lieu de penser
qu'elle prendra des formes infiniment moins limitées et
mesurées qu'aujourd'hui. Pour révoltants qu'ils soient, ces
faits douloureux et scandaleux peuvent avoir une utilité,
celle de nous convaincre que les gouvernants des grandes
puissances, les chefs de grandes entreprises et les gros
actionnaires constituent une oligarchie, une société
restreinte à irresponsabilité illimitée. Ils conduisent
toute la société à sa perte.

La réunion du G 20 qui commence jeudi prochain aura le
mérite d'étaler au grand jour l'incapacité des chefs d'État
à maîtriser leur système. On sait bien qu'ils n'en ont
aucunement la volonté qui nécessiterait de contraindre
toutes les bourgeoisies à faire de gros sacrifices mais de
toute façon ils n'en ont pas les moyens. Ils feront croire
le contraire par du blabla moraliste, par un déluge de
discours sur la " régulation " et le " contrôle " des
circuits financiers ; mais l'écran de fumée de leurs
" résolutions " se dissipera très vite.

Reprenons l'image du Titanic qui a ses limites mais
caractérise bien la société capitaliste mondiale dans
laquelle nous sommes tous embarqués. Sans revenir sur les
avaries antérieures qui ont toujours été payées par les
soutiers du monde entier, nous avons percuté un iceberg en
septembre dernier avec l'effondrement de Wall Street. Les
capitaines et le staff dirigeant touchent des primes
indécentes. Les gros actionnaires continuent à faire la
bringue en première classe. En cas de naufrage, ils savent
que les canaux de sauvetage leur sont réservés vers les
paradis fiscaux et les enclaves pour riches protégés par des
hommes armés.

Nous, les soutiers et les serveurs de ces gens-là, nous
avons déjà commencé à nous battre pour nos salaires, notre
pouvoir d'achat et nos emplois. Nous sommes fondés à envahir
le pont de première classe et d'y prendre ce qui nous est
nécessaire. Mais cela ne suffira pas.

Nous devrons prendre le contrôle des banques, des compagnies
d'assurance et des grandes entreprises privées et étatiques.
Nous ne pourrons pas nous contenter d'un droit de regard sur
les comptabilités qui sont devenues en grande partie opaques
aux capitalistes eux-mêmes. Contrôler est le maître mot, et
ce ne sera pas seulement constater les dégâts. Ce sera
décider de tout au travers d'instances démocratiques : des
rémunérations, des prix, de ce qu'on produit ou non et dans
quelles conditions de travail. A cette condition et quelques
autres mises en oeuvre par les travailleurs eux-mêmes, il est
possible d'éradiquer le chômage, il est possible que tout le
monde ait des moyens d'existence décents.
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Hiroshima est partout
Nouvelles d'un monde qui s'efface
Le Syrien vous salue bien
Une saxophoniste
À découvrir
In situ
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HIROSHIMA EST PARTOUT
Quelques faits récents ont remis en lumière pour les
oublieux que nous vivions toujours à l'âge nucléaire, c'est-
à-dire celui d'une menace toujours possible d'apocalypse
faisant disparaître en tout ou en partie l'espèce humaine.

Outre la conquête de l'exploitation du Congo et
l'intensification de l'exploitation de l'uranium au Niger,
le groupe Areva envisage froidement la construction d'une
centrale nucléaire dans ce pays où sévit une extrême misère.
L'Afrique sur laquelle les industriels déversent une grande
partie de leurs déchets toxiques aura donc " droit " aussi à
un futur Tchernobyl potentiel.

Autre fait troublant pour le moins. Deux sous-marins
nucléaires, l'un français, l'autre britannique, se sont
heurtés il y a quelques semaines. La raison ? Un succès des
progrès technologiques : ils étaient totalement silencieux
et indétectables l'un par l'autre. Cet " incident " n'a en
fait provoqué aucun tollé, aucune manifestation
d'indignation car on nous a déjà habitué au pire. Version
alternative qui n'est pas plus rassurante, nous avons la
candeur de penser que les hommes de pouvoir et en
particulier les chefs militaires ne sont pas aussi dangereux
qu'ils le sont effectivement.

L'autre fait concerne les populations et les militaires
français qui ont été exposés aux radiations provoquées par
les essais nucléaires au Sahara et en Polynésie. Armés de
leur " secret défense " et de leur mauvaise foi, les
gouvernants français auront nié la dangerosité de ces
" essais ", pendant un demi-siècle.

L'édition en français du livre du philosophe Günther Anders
mort en 1992, " Hiroshima est partout " (éd Seuil, octobre
2008) bien que tardive, garde une actualité et une portée
qui va au-delà du danger des techniques de destruction
massive des humains et de ce qui vit autour. Anders était un
polémiste implacable et pénétrant qui s'était engagé à fond
dans le mouvement antiatomique et aussi contre la guerre du
Vietnam aux côtés de Bertrand Russell et Jean-Paul Sartre.

" Hiroshima est partout " qu'il a préfacé longuement en 1982
reprend un ensemble de textes impressionnants et
captivants. On y trouvera son journal écrit lors de son
voyage au Japon en 1958, ses rencontres, ses argumentations
sur place et ses réflexions.

Un autre volet  essentiel est constitué par la
correspondance très émouvante d'Anders avec le pilote de
l'avion ayant lâché la bombe sur Hiroshima, Claude Eatherly.
Fortement affecté par sa part de responsabilité, le major
Eatherly refusa d'être considéré comme un héros
contrairement à ses collègues. Il connut des phases de
dépression. Une sorte d'affaire Dreyfus du XXe siècle pour
reprendre l'expression d'Anders s'est ensuite enclenchée.
Pour se débarrasser d'un témoin gênant et connu, une méthode
consiste à le faire passer pour fou. Eatherly fut interné
dans une clinique psychiatrique militaire dans le secteur
des malades dangereux. C'est là que Günther Anders lui a
adressé ses lettres remarquables. Il lui a apporté un
soutien inlassable. Au travers de leurs échanges
épistolaires, les deux hommes devinrent amis, en lutte
courageusement pour la même cause.


NOUVELLES D'UN MONDE QUI S'EFFACE
Certains pays à l'histoire tourmentée ont la particularité
d'avoir engendré bon nombre de grands écrivains. C'est le
cas de l'Afrique du Sud avec entre autres J. M. Coetzee,
Karel Schoeman, André Brink, Breyten Breytenbach et Nadine
Gordimer. Plaçant son regard aigu au plus intime des
relations humaines, Nadine Gordimer qui a combattu
l'apartheid aura été une sismographe originale de son pays
depuis la parution de son premier roman en 1958, " Un monde
d'étrangers ".

De cette " Africaine blanche ", " sans Dieu, ni dogme ",
comme elle s'est définie elle-même un jour, un recueil de
nouvelles vient de paraître, " Beethoven avait un seizième
de sang noir " (éd Grasset, 225 pages). C'est le titre de la
première nouvelle qui pointe la situation actuelle où les
luttes contre l'apartheid sont déjà oubliées et où il est
plutôt bien porté dans certains milieux de se découvrir un
lointain ancêtre noir.

Nadine Gordimer qui a aujourd'hui 85 ans porte un regard
lucide et ironique sur un monde qui disparaît. Elle se plaît
à se lancer dans de multiples expériences d'écriture. Dans
" Rêver des morts ", elle imagine la rencontre d'amis
disparus, l'intellectuel palestinien Edward Saïd,
l'intellectuelle juive new-yorkaise Susan Sontag et le
journaliste britannique Anthony Sampson. Dans d'autres
nouvelles, elle scrute les traces d'existences et de couples
qui se sont faits et défaits entre l'Europe et l'Afrique du
Sud.

Certaines histoires étranges relèvent explicitement de
l'humour de Franz Kafka, par exemple lorsqu'un ver solitaire
raconte sa vie très concrètement ou lorsque l'auteure n'est
plus seule dans son bureau en train d'écrire puisqu'un
cafard a élu domicile derrière la vitre de son écran.


LE SYRIEN VOUS SALUE BIEN
Drôle d'oiseau ce Lucien de Samosate, né en Syrie au bord de
l'Euphrate vers 120 après J-C et disparu un peu après 180.
Rabelais, Montaigne et Voltaire appréciaient beaucoup cet
enseignant en rhétorique d'origine populaire, ce sophiste
d'un nouveau genre ayant roulé sa bosse de la Gaule à la
Grèce en passant par l'Italie pour finir sa carrière comme
fonctionnaire en Égypte. Il se moquait en grec (et du
meilleur) de toutes les écoles philosophiques avec une
drôlerie imperturbable, souvent avec une mauvaise foi
enjouée pour ajouter du piment à la sauce, et à une occasion
avec une méchanceté bizarre (" Sur la mort de Pérégrinos ").
Au passage on apprend que pour lui les Chrétiens sont des
pauvres bougres illuminés, très dévoués, mais qui se font
manipuler facilement par des charlatans.

Il a aussi écrit quelques dialogues lestes et un récit
franchement paillard. Un auteur fantaisiste pas très
acceptable scolairement donc. Les traductions françaises ont
d'ailleurs souvent été intermittentes et incomplètes
contrairement aux traductions en anglais.

Les éditions des Belles Lettres ont pris le taureau par les
cornes en proposant une édition bilingue en poche des écrits
les plus fameux de Lucien avec de très bonnes introductions
et dans une nouvelle traduction agréable à lire par Anne-
Marie Ozanam. Du coup on aurait aimé une couverture et un
titre moins rébarbatifs pour le premier tome " Portraits de
philosophes " car il est ici plutôt question de caricatures,
moqueries, peau de bananes en tous genres au détriment des
chefs des sectes philosophiques en concurrence prétendant
tous détenir la vérité et être supérieurs au commun des
mortels. Dans " Vies de philosophes à vendre ", Lucien
organise carrément leur vente aux enchères devant Zeus qui
leur demande de présenter leur camelote métaphysique les uns
après les autres.

Le propos de Lucien n'est pas dépassé contre les sectes bien
sûr et lorsqu'il fait dire à Lycinos s'adressant à
Hermotimos adepte des Stoïciens : " Tu n'as pas encore
compris, je crois, que la vertu réside dans l'action, c'est-
à-dire dans la pratique de la justice, de la sagesse et du
courage. "

À l'occasion Lucien n'hésite pas à faire dialoguer un pauvre
savetier avec son coq qui prétend avoir été Pythagore dans
une vie antérieure (et même Aspasie). Il dissuade
efficacement son maître d'envier les riches (" Le rêve ou le
coq ").

Un autre tome d'oeuvres de Lucien vient également d'être
publiés par les Belles Lettres sous le titre " Voyages
extraordinaires ". C'est une autre facette du talent et de
l'imagination amusante et délirante de Lucien comme
précurseur incontestable d'un genre, celui de la science-
fiction. Il est d'ailleurs plus que probable que ces "
voyages " de Lucien ont donné une sacrée impulsion à
l'imagination et à l'audace critique de Cyrano de Bergerac
pour écrire ses Histoires des Etats et Empires de la Lune
puis du Soleil, et à Jonathan Swift pour rédiger ses Voyages
de Gulliver.


UNE SAXOPHONISTE
Dans le monde du jazz, les femmes s'emparent de plus en plus
d'instruments qui par la pesanteur de divers préjugés
semblaient réservés aux hommes. Géraldine Laurent joue donc
du saxophone alto. Elle a sorti un premier album en 2006
" Time Out Trio " (CD Dreyfus Jazz) avec Yoni Zelnik à la basse
et Laurent Bataille à la batterie. Cette formule de trio
sans piano inaugurée par Sonny Rollins dans les années
cinquante du siècle dernier met le soliste à découvert. Il
faut avoir les moyens de sa liberté ce qui est le cas de
Géraldine Laurent qui revisite les thèmes aventureux
d'Ornette Coleman, Wayne Shorter, Denny Zeitlin ou Charles
Mingus. Elle s'en empare très personnellement avec une
aisance technique dénuée de maniérisme.

" Je recherche de plus en plus ces moments de bonheur où je
lâche prise et où je me surprends à jouer au-delà de ce que
je sais. Ce qui m'importe, c'est le chant, la danse et la
transe. " Pour l'avoir entendue en direct avec le pianiste
Laurent De Wilde, nous pouvons à la fois confirmer ses
propos et dire qu'elle est une musicienne en pleine
ascension artistique.

Géraldine Laurent a enregistré l'an dernier " Just Jazz "
avec Aldo Romano et Henri Texier. Pour se faire une idée "
live " de son talent en 9 minutes et quelques secondes, il
suffit de faire un clic sur
http://www.dailymotion.com/video/x7d4wc_geraldine-laurent-time-out-trio_music.


À DÉCOUVRIR
Une amie nous invite vivement à découvrir " le premier roman
en créole écrit par une non créolophone de souche ! ". Il
s'agit de " Mama Mondésir " (éditions du Cygne, 404 pages,
www.editionsducygne.com) de Monique Raikovic. " Son roman
écrit moitié en créole et moitié en français est très
original. De nombreuses notes de bas de page sont des
traductions de mots et d'expressions créoles. "

L'éditeur précise le sens de ce roman qui s'insère dans une
chaude actualité : " L'auteure s'est appliquée à pénétrer
les pensées, les sentiments de Léonce Mondésir,
Guadeloupéenne, intégrée professionnellement (infirmière
surveillante de nuit) et socialement en apparence, mais qui
se sent continuellement contrainte de se dédoubler pour être
au diapason de son environnement parisien. Consciente de
l'importance des mots et du langage - outil à la fois de
négation, de soumission, d'assimilation de l'autre, mais
aussi de résistance et de libération -, Monique Raikovic a
appris la langue créole pour saisir la vérité de son
héroïne. Mama Mondésir est donc le PREMIER roman, écrit par
une non créolophone de souche, dont l'héroïne soliloque en
créole et s'efforce d'introduire celui-ci dans ses
conversations en fwansé gramatikal. D'où la nécessaire et
heureuse rencontre entre l'auteure de ce " roman créole " et
Hector Poullet, chantre de la créolité guadeloupéenne,
lequel a préfacé l'ouvrage. Un roman sorti le 26 février
2009 ! Un récit qui participe de la compréhension de
certains des mouvements sociaux de ce début de l'année 2009
en Guadeloupe et en Martinique. "

Une autre amie nous a conseillé de suivre de près
l'évolution des luttes à la Réunion en se rendant en
particulier sur le site http://cospareunion.blogspot.com/.

Dans un autre registre, un ami nous a donné fortement envie
d'aller voir au Musée d'art et d'histoire du judaïsme à
Paris l'exposition " Futur antérieur, L'avant-garde et le
livre yiddish 1914-1939 " qui dure jusqu'au 17 mai 2009.  Le
dossier de presse précise dans ses premières lignes de quoi
il s'agit : " À travers 210 oeuvres de Lissitzky, Chagall,
Tchaïkov, Ryback et d'artistes remarquables mais moins
connus comme Sarah Shor ou Mark Epstein, l'exposition Futur
antérieur témoigne de la naissance, en Russie et en Pologne,
d'une avant-garde artistique juive dans le contexte de la
révolution russe, de l'émergence des idées d'autonomie
culturelle et de la renaissance de la langue yiddish. Le
livre illustré va en être le fil conducteur. "


IN SITU
Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne un point
de vue qui mérite votre attention sur le film de Clint
Eastwood, " Gran Torino ".


Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder
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  mèl : Culture.Revolution@free.fr 
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