Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°101 (le 9 janvier 2009)

Bonsoir à toutes et à tous,

" Gaza est sur le point de devenir le premier territoire à
être intentionnellement réduit à un état de misère abjecte. "
Ce propos a été tenu il y a près d'un an par Karen Koning
Abu Zayd, commissaire général de l'agence pour les réfugiés
de l'ONU. L'offensive guerrière israélienne lancée le 27
décembre dernier amène à ajouter qu'il s'agit maintenant en
plus d'un territoire expérimental pour des massacres. Dans
les conditions d'éclatement de la crise économique à
l'échelle mondiale, les dirigeants impérialistes peuvent
ainsi observer et tester ce que cela donne un traitement de
choc contre une population sans travail, sans ressources,
sans espace et sans espoir.

Dans ce territoire de Gaza, tout être humain pouvant être
considéré comme " un terroriste " et tout bâtiment comme une
" cache d'armes ", l'armée israélienne ne se gène pas pour
tirer sur tout ce qui bouge comme des ambulances ou un
convoi humanitaire, et pour bombarder une école ou des
habitations.

Le peuple palestinien n'a connu que l'état de guerre et des
massacres à répétition depuis soixante ans, soit trois
générations, que ce soit en Jordanie (Septembre Noir), au
Liban (Sabra et Chatila), en Cisjordanie (Jénine) et à Gaza
actuellement. Cette nouvelle guerre qui entraîne à nouveau
d'infinies souffrances ne mettra pas à genoux le peuple
palestinien. Aucun peuple n'a jamais accepté d'être humilié
quotidiennement, traité en esclave, massacré quand il
s'obstine à se battre pour ses droits essentiels. Cette
donnée fondamentale ne peut pas être modifiée par le fait
que divers dirigeants nationalistes qui n'ont jamais été à
la hauteur des aspirations et du courage des Palestiniens se
sont trouvés à leur tête, gâchant leurs chances de succès,
bradant leurs intérêts, pratiquant la corruption ou les
acculant dans l'impasse de l'intégrisme religieux. Cette
donnée fondamentale nous impose de manifester sans réserve
notre solidarité avec le peuple palestinien.

Dans le même temps où l'oppression des Palestiniens s'est
poursuivie, la population israélienne n'aura connu que des
dirigeants va-t-en guerre, affairistes, larbins des
puissances impérialistes dans la région, ce qui la condamne
à vivre en mercenaires apeurés et haïs, alors que la plupart
des Israéliens aspiraient et aspirent toujours comme
n'importe quel peuple à vivre en paix et non dans un camp
retranché où la misère n'est d'ailleurs pas absente.

Comment sortir de ce piège infernal ? On entend et on lit un
peu partout que la " communauté internationale "
n'intervient pas assez fermement pour arrêter cette guerre
ou qu'elle devrait prendre des mesures et des initiatives.
Mais c'est quoi au juste cette " communauté internationale " ?
Le nom flatteur dont on affuble l'ONU qui multiplie les
résolutions dont les dirigeants israéliens ne tiennent pas
compte, sans que cela ne chagrine ceux qui les ont adoptées ?

Si les mots pouvaient reprendre un sens, " communauté
internationale " ne signifierait pas l'agrégat hypocrite
d'une série d'États prétendant défendre dans le monde la
paix et les droits de l'homme alors qu'ils s'en fichent et
mènent des guerres et en soutiennent d'autres en douce sans
arrêt. Une communauté internationale digne de ce nom sera
l'association internationale d'hommes et de femmes de toutes
origines et de toutes nationalités, pour imposer et faire
vivre définitivement les valeurs, les idées et les formes
d'organisation sociale garantissant un monde de paix et de
justice.

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Questions de fond
L'allumeur des rêves berbères
Orgueil et préjugés
Follement baroque
À la découverte de Charles Mingus
Picasso et ses maîtres
In situ
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QUESTIONS DE FOND
Le dernier numéro de la revue Carré rouge (n°39) prend à
bras le corps quelques questions de fond d'actualité sur la
crise économique et écologique, l'état de la société
chinoise et les luttes sociales en Russie. A ces questions
s'ajoute un article sur le livre de Naomi Klein, " la
stratégie du Choc " et trois textes débattant d'un article
sur Marx de Jean-Marie Vincent qui a été reproduit. Ces
textes critiques qui n'épuisent en rien les problèmes
soulevés par Jean-Marie Vincent sont à la fois une
invitation à lire et à relire Marx mais aussi à découvrir
d'autres analyses de Jean-Marie Vincent.

Pour se procurer ce numéro mais aussi pour découvrir
d'autres articles, nos lecteurs sont invités à visiter le
site www.carre-rouge.org.


L'ALLUMEUR DE RÊVES BERBÈRES
Mohand Fellag est né en Kabylie. Il est plus connu
simplement sous le nom de Fellag, comme humoriste et homme
de théâtre. Il fait un one-man-show sur quelques scènes pour
le plus grand plaisir du public quelle que soit son origine
française ou maghrébine. Il ne flatte pas les préjugés, il
les combat efficacement, sans méchanceté.

On retrouve ces qualités dans son roman qui vient d'être
réédité en poche, " L'allumeur de rêves berbères " (éd J'ai
lu, 222 pages). C'est pourtant une histoire terrible et très
réaliste qu'il nous raconte. Au début des années 90 à Alger,
Zakaria qui fut un plumitif au service du régime se retrouve
en disgrâce et qui plus est menacé de mort par des lettres
anonymes d'islamistes ; ou supposés tels car la terreur qui
s'installe sur le pays rend tout opaque. Terré chez lui et
muni d'un stock de boissons alcoolisées, Zakaria cauchemarde
et tente d'écrire un roman. Sur cette trame infernale,
Fellag parvient à certains moments à nous faire rire sur le
grotesque de la situation et notamment l'état lamentable des
conditions de vie du peuple. Après avoir refermé ce roman,
on n'est pas prés d'oublier deux belles figures de femmes
généreuses liées entre elles, Rose, une vieille
obstétricienne juive, et la jeune Malika, prostituée de son
état.


ORGUEIL ET PRÉJUGÉS
Cette rubrique s'adresse à celles et à ceux qui estiment que
leur éducation sentimentale et sociale ne s'est pas terminée
au début de leur âge adulte et qu'elle va se poursuivre
toute leur vie, grâce en particulier à quelques romans
d'exception. Tel me semble être le cas des romans de Jane
Austen (1775-1817). L'un d'eux " Orgueil et préjugés " vient
d'être réédité sous une jolie forme reliée tout en étant peu
dispendieuse (éd 10/18). Le roman est encadré par deux
textes qui le mettent en valeur, une préface de Virginia
Woolf et une note biographique de Jacques Roubaud.

Les milieux étriqués où évoluent les personnages de Jane
Austen sont ceux de la bourgeoisie et de l'aristocratie
anglaises de son temps. Ils sont mis sur la sellette avec
une verve ironique savoureuse. La romancière a l'art du
dialogue galopant, de la réflexion introspective comme de la
petite notation assassine ou émouvante. Les questions de
mariages tiennent une place stratégique qui est loin d'avoir
disparue de nos jours comme tout un chacun peut l'observer
dans son entourage proche ou lointain. L'économie des
revenus et des statuts se mêle à celle des sentiments. Rien
n'est stable et rien n'est simple. Telle situation sociale
peut s'avérer moins brillante qu'il n'y paraissait.
L'attachement ou la répulsion entre un jeune homme et une
jeune fille peut se modifier ou s'inverser par le jeu
combiné des pressions sociales et des exigences
personnelles.

Jane Austen prisait au plus haut point la force de caractère
qui conduit un homme ou une femme à se déterminer librement
dans ses choix. C'est dire combien son oeuvre n'a rien de
désuet.


FOLLEMENT BAROQUE
" Il Sant' Alessio " (le Saint Alexis) de Stefano Landi est
un drame musical sacré datant de 1632 dont le livret est
difficile à avaler. Pensez donc : au Ve siècle de cette ère,
le jour de ses noces le jeune romain Alessio décide de
quitter sa femme, son père et sa mère pour partir en quête
de Dieu. Il y a plus sympa comme comportement, d'autant plus
que cet Alessio revient clandestinement déguisé en mendiant
dans la maison familiale où il assiste de sa soupente au
désespoir de tous ceux qui le chérissaient. Comme argument
de propagande en faveur de la foi catholique, cela se révèle
plus que moyen. Sauf qu'il s'agit d'une oeuvre baroque qui a
beaucoup de séduction.

Pour relancer l'église de Rome salement affaiblie et
concurrencée par le mouvement de la Réforme de Luther,
Calvin et quelques autres, les papes et leur staff avaient
déclenché un vaste contre-feu politique, idéologique et
militaire, la Contre-Réforme qui, sur le plan culturel, fut
une opération de séduction des fidèles mobilisant de grands
artistes dans tous les genres, peinture, sculpture,
architecture, musique... Le Bernin fut le grand maître d'oeuvre
du baroque à Rome avec son style en courbes et contre-
courbes.

Dans l'oeuvre de Stefano Landi, il y a une bonne dose de
roublardise pour nous attirer car le parcours dramatique du
saint et de sa famille est pimenté par des scènes burlesques
de deux serviteurs masqués et par l'intervention somme toute
pleine de bon sens du Diable pour convaincre Alessio de
retourner vers sa femme qui l'adore.

Comme certains sont peut-être encore dubitatifs, il est
temps de sortir les jokers décisifs. Cette oeuvre de Landi a
été enregistrée en direct à Caen (deux DVD Virgin Classics
avec un texte excellent de Dominique Fernandez) par le chef
d'orchestre et claveciniste William Christie, les musiciens
des Arts Florissants et une très belle distribution de
jeunes chanteurs dont le magnifique et émouvant contre-ténor
Philippe Jaroussky. Tout le caractère enchanteur de la
représentation tient beaucoup à la mise en scène de Benjamin
Lazar très heureusement inspiré par la peinture européenne
du XVIIe siècle, notamment Rembrandt, La Tour, Murillo, Le
Caravage, et par la gestuelle du théâtre japonais, le
kabuki.


À LA DECOUVERTE DE CHARLES MINGUS
Charles Mingus (1922-1979), compositeur, contrebassiste et
pianiste, fut un des grands musiciens du vingtième siècle.
Il fut aussi un homme constamment en colère, en particulier
contre les racistes comme l'atteste sa composition
sarcastique " Fables of Faubus " dont le titre est dirigé
contre un sénateur raciste de l'Arkansas.

Mingus a rêvé une musique qui aurait été la synthèse en
mouvement perpétuel des jazz classiques et avant-gardistes
et de la musique classique contemporaine. Certaines de ses
compositions ont magnifiquement concrétisé ce rêve comme "
Meditations " lors du concert enregistré à l'université
Cornell dans l'État de New York le 18 mars 1964 (double CD
Blue Note). Il y avait du beau monde ce jour-là sur la
scène. Eric Dolphy à la flûte, à la clarinette basse et au
saxophone alto défrichait des sons et des lignes mélodiques
inconnues. Johnny Coles à la trompette et Clifford Jordan au
saxophone ténor déployaient un lyrisme sans faille. Le
pianiste Jaki Byard qui a toujours été d'une grande
inventivité était en état de grâce pour la plus grande
satisfaction de Mingus particulièrement inspiré et joyeux ce
jour-là. Les bandes de ce concert exceptionnel de 1964, peut-
être le plus réussi de Mingus, ont été découvertes par
hasard en 2007. Cet événement procure le même genre de
plaisir intense aux amateurs de jazz que la découverte d'une
nouvelle grotte ornée de peintures d'une facture inconnue
aux paléontologues.

S'il y avait un autre CD de Charles Mingus à conseiller à
qui voudrait le découvrir, nous porterions notre choix sur
" Mingus Ah Um " (CD Columbia) qui offre une large palette
sonore à plusieurs égards. Enregistré en 1959, cet ensemble
de morceaux est d'une modernité ébouriffante alors même
qu'elle investit avec ardeur les sources du jazz, le
blues,le gospel, Jelly Roll Morton, Lester Young, le be-bop
et Duke Ellington, la référence suprême pour Mingus.

Coup de chapeau enfin à la revue Jazz magazine qui dans sa
livraison de janvier publie sur ce musicien décédé il y a
trente ans un dossier de 22 pages bien documenté et donnant
une bonne idée des dimensions artistiques et humaines de
Mingus.


PICASSO ET SES MAÎTRES
Notre amie Nadine nous parle de l'exposition Picasso au
Grand Palais à Paris qui est prévue jusqu'au 2 février 2009
et qu'elle a beaucoup aimée :

"  Pour ceux qui n'ont pas pris de réservations ou qui
hésitent à faire la queue pendant deux heures, des visites
de nuit sont organisées... Cette exposition connaît une
affluence exceptionnelle. Affluence tout à fait méritée car
l'exposition  est d'une qualité en elle-même tout à fait
exceptionnelle non seulement pour le nombre  d'oeuvres qui
nous sont données à voir mais aussi pour l'intelligence de
leur présentation.  Les salles de l'exposition suivent
chacune un thème, les oeuvres de Picasso encadrant celles de
ses " maîtres " (Rembrandt, Renoir, Manet, Le Gréco, Goya,
Zurbaran, Velasquez,  Poussin, Cézanne, le douanier
Rousseau, Courbet, Ingres, Van Gogh, Delacroix, Gauguin...
la liste est incomplète !)

On y découvre un Picasso, pas inconnu bien entendu, mais qui
échappe aux traditionnelles analyses qui font regarder son
oeuvre comme une succession de styles, de périodes, période
bleue, période rose, période cubiste, etc. Or Picasso est bien
plus que cela.

Dans le numéro 374 de " Connaissance des Arts ", Anne
Baldassari , directrice du musée national Picasso et co-
commissaire de l'exposition du Grand Palais, nous livre sa
propre analyse dans l'article intitulé " La peinture de la
peinture ". En voici quelques extraits : " Le XXème siècle
est au coeur d'un processus de transmission entre art ancien,
art moderne et art contemporain. Sans conteste, Picasso fait
partie des grands " passeurs ". Le sujet de l'exposition est
bien d'observer la manière dont il s'est considéré lui-même
comme partie prenante de cette chaîne de filiation et de
transmission qui fonde l'histoire de la peinture [...] On ne
peut comprendre [...] l'oeuvre toute entière sans ce tressage
d'influences et le processus de reviviscence de l'art du
passé qui la traverse. Les changements stylistiques
permanents que Picasso opère reposent en grande partie sur
son désir de liberté, sa hantise de s'enfermer dans un
style, de se " copier lui-même ". Il a besoin en permanence
d'un champ ouvert et celui-ci est habité par les peintres
anciens, modernes, mais aussi contemporains [...]. Picasso n'a
jamais été partisan de la tabula rasa. [...] Sa démarche a
toujours été de prendre en charge la peinture toute entière,
dans toutes ses conséquences. Il transcrit, déconstruit,
construit, subvertit : sa démarche est celle d'un
révolutionnaire ".


IN SITU
Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne un texte
sur la façon dont les médias télévisés en particulier ont
couvert les manifestations des jeunes en Grèce et un autre
sur le livre du sociologue Christian de Montlibert, " Les
agents de l'économie ".


*********
L'année qui vient s'annonce difficile mais nous ne
renoncerons pas à mener toutes les luttes qui s'imposent et
en particulier celle, permanente, pour nous emparer des
créations culturelles les plus diverses,  les plus belles,
les plus touchantes, les plus vivifiantes. Nous en aurons un
besoin vital. Car si nous devons prendre soin de notre santé
selon la formule rituelle en ce début d'année, nous pouvons
aussi préserver et développer notre intelligence et notre
sensibilité. Ce qui nous conduit à vous dire en toute
sincérité :

Bonne et heureuse année à toutes et à tous !

Samuel Holder 
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  Pour recevoir ou ne plus recevoir
    cette lettre, écrivez-nous:

  mèl : Culture.Revolution@free.fr 
 http://culture.revolution.free.fr/
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