Journal de notre bordLettre n°97 (24 septembre 2008)Bonsoir à toutes et à tous, Sans trop nous en rendre compte car nous sommes absorbés par nos soucis quotidiens, nous venons de vivre une dizaine de jours historiques. Dix jours qui ébranlèrent Wall Street et précipitèrent sa chute. La dégringolade de la première place financière mondiale, ce n'est pas rien. L'onde de choc a frappé le capital étasunien et par voie de conséquence le capital mondial, cette sphère dans laquelle nous vivons (mal) et nous travaillons (trop), quand on n'est pas au chômage ou à l'hôpital. L'onde de choc n'en est qu'à son début et risque d'être d'une brutalité extrême dans les mois et années à venir. L'économie chinoise commence à s'essouffler et les pays de la zone euro sont déjà en récession. L'État fédéral américain devient une méga-machine à éponger les pertes des banques et compagnies d'assurances et à les " socialiser ", c'est-à-dire à les faire payer à la société entière. C'est une formidable compagnie d'assurance pour tous les banquiers et assureurs que cet État fédéral qui prend en charge leurs " actifs " qualifiés par eux-mêmes de pourris ou toxiques. Pour ce faire, il a déjà engagé des sommes qui dépassent le montant du Produit Intérieur Brut du Canada. Mais aussitôt des financiers de par le monde se demandent, suspicieux, si cette compagnie d'assurance fédérale américaine sera fiable, si elle va pouvoir couvrir tous les risques en cours et à venir. Pour ces gens-là, la dette d'un État permet d'excellents placements à condition qu'ils soient sécurisés et qu'ils leur rapportent plus que d'autres placements. Or tous les hommes d'affaires ont tendance à penser que la qualité de la dette américaine va se dégrader. Les flots de capitaux en provenance d'Asie, du Golfe persique, de l'Union européenne ou de Russie pour se placer aux USA peuvent s'amenuiser ou prendre d'autres destinations. En plus la bourgeoisie américaine risque d'affronter un tsunami social aux États-Unis, si son État ne redistribue pas du pouvoir d'achat aux millions d'Américains en défaut de paiement et appauvris. Faute de clients solvables, la myriade de banques liées à l'immobilier ainsi que les entreprises industrielles et commerciales américaines qui doivent absolument caser leurs marchandises à des millions de consommateurs américains risquent de faire faillite. Mais les dirigeants de l'État et du big business ne s'orientent pas volontiers dans cette direction. Ils envisagent plutôt ultérieurement, pour sauver leurs profits, de procéder à de grosses ponctions dans les caisses de retraites et la couverture santé qui n'est déjà pas épaisse. Rien qu'aux États-Unis, le chiffre officiel du nombre de sans-emploi a bondi à 9,4 millions de personnes. Les saisies de maisons et d'appartements se poursuivent à un rythme accéléré. 2,5 millions de gens ont été expulsés de leur logement. Les vagues de licenciements déferlent par dizaines de milliers par mois, pas seulement dans le secteur bancaire. Que les expulsés et les licenciés qui sont souvent les mêmes tissent déjà des liens entre eux et ne se laissent pas faire, c'est la plus grande menace qui plane sur le petit monde des affaires. C'est aussi un grand espoir. Car ce sont les centaines de millions de gens honnêtes, modestes ou pauvres de par le monde, luttant pour leur emploi, leur pouvoir d'achat, leur environnement, qui peuvent stopper le gâchis et la danse infernale des gros possédants qui accaparent les fruits de leur travail et les ressources naturelles. Les capitalistes sont le problème, nous sommes la solution. ______________________________ Vive le Capital ! La crise (mal)traitée par les médias Voilà le Dalton Ludique et fantastique Ne pas s'imiter soi-même Woody Guthrie ______________________________ VIVE LE CAPITAL ! On est évidemment troublé d'apprendre qu'en une journée sur les différentes bourses mondiales des milliards de dollars ou d'euros en actions puissent disparaître comme par enchantement. Des masses d'argent semblent se multiplier d'elles-mêmes pendant des années et tout à coup mourir sans qu'on comprenne comment ni pourquoi. Certains économistes prétendent assez stupidement qu'il faut à ces masses d'argent un carburant particulier pour qu'elles vivent, la confiance ! La fameuse confiance immesurable sur laquelle reposerait tout l'édifice du crédit. Tout se jouerait selon eux au sentiment, au feeling, comme à la roulette. Essayons d'y voir plus clair grâce au Capital. Le Capital est très accessible, nous voulons parler de celui de Karl Marx qu'on peut trouver à un prix raisonnable en collection de poche (folio). Et que nous dit le camarade Marx au livre III de son ouvrage ? " Dans le capital productif d'intérêt, le système atteint la forme extrême de son aliénation et de son fétichisme. " Il cogne fort sur ce préjugé, ce fantasme, cette aberration que cette " chose ", l'argent, pourrait en soi créer quelque chose. L'"argent qui se multiplie. C'est la formule primitive et générale du capital, condensée dans un raccourci vide de sens. " Le capital productif d'intérêt qui est au coeur de la crise actuelle serait mystérieusement source de son propre accroissement " sans l'intervention des actes de production et de circulation ". Que ce capital puisse s'écrouler en poussière ne devrait pas nous étonner. Une fois que l'on a bien repéré que le capital productif d'intérêt est un capital fictif, il est très tentant de se dire qu'il faudrait s'en passer puisque toutes sortes de spéculations désastreuses en résultent. Pourquoi ne pas garder que les " bons capitaux " productifs de marchandises ou d'un service ? Sauf que ce satané système capitaliste ne se laisse pas découper en tranches. Dans ce jeu de l'oie particulier, tout doit passer par la case argent : les salaires, les marchandises, les profits... Un capitalisme sans banques et sans système de crédit n'a pas de sens, ce serait lui couper les veines. Donc un capitalisme sans spéculations et sans corruption est aussi un conte bleu pour les enfants à la crèche ; et encore certains feraient des objections de fond. Tous ceux qui font un distinguo entre d'une part le capitalisme industriel et commercial, cette économie réelle supposée d'une vertu sans pareille, polluant toute la planète et exploitant hommes, femmes et enfants sur tous les continents, et d'autre part le capitalisme financier, carrément méchant, délirant et responsable de tous les maux, ne comprennent pas la nature du système global de relations sociales et économiques dans lequel nous sommes plongés. Cette distinction est aussi à la base du fond de commerce idéologique de l'ancien responsable de la Banque mondiale et prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz. La reproduction du capital forme un tout qu'on ne peut segmenter pour le confort de son esprit ou pour sauver la perspective illusoire d'un capitalisme à visage humain. LA CRISE (MAL)TRAITÉE PAR LES MÉDIAS La crise financière varie considérablement en importance selon les médias. A la télévision française, par peur d'ennuyer et d'affoler le public sur un tel sujet, on traite la question rapidement, par-dessus la jambe, avec parfois un sourire narquois. On n'explique rien mais on fait grand cas des déclarations de Sarkozy à l'ONU. À la radio, c'est déjà un peu plus consistant en explications. Le tableau est plus réaliste donc plus inquiétant. Mais certains commentateurs ont répété en boucle que la situation des banques françaises était saine, pour ne pas dire excellente. Dormez en paix, petits épargnants. Arrivé au niveau des quotidiens, la crise s'aggrave sérieusement, en particulier dans la presse économique qui se retrouve en défaut d'optimisme après en avoir largement abusé. La crise devient carrément catastrophique lorsque le lecteur accoste les rives de la presse anglo-saxonne qui a le nez au plus près des réalités de la City londonienne et de Wall Street. " A slump for all ", une dégringolade pour tout le monde, titrait le " New York Times " dès le 30 août. Le 22 mars dernier, " The Economist " faisait sa une avec un mur de Wall Street dangereusement lézardé et un dossier de dix pages qui sentait déjà la panique. Quant au numéro de Business Week de cette semaine, il se demande avec angoisse en couverture si le système est déjà sauvé après tant de catastrophes et de mesures centrales. Il prévoit un resserrement du crédit à l'échelle mondiale, donc un ralentissement si ce n'est une dépression de l'économie globale. La lecture de cette presse le confirme. Les capitalistes ont peur et n'ont pas confiance dans leur système, ce en quoi ils sont réalistes. VOILA LE DALTON Nous n'écrirons rien contre la ministre de l'économie du royaume de France car ce serait tirer sur une chaise à porteurs où se prélasse une vieille marquise répétant d'un air mutin en agitant mollement son éventail : " Le pic de la crise est dépassé. Le pire est derrière nous. " Parlons plutôt du petit Joe Dalton, le cowboy monté sur ressorts qui est son employeur. On aura remarqué qu'il a sélectionné dans son équipe des gens qu'il fait passer plus souvent qu'à leur tour pour des demeurés à la Averell Dalton. Ça lui permet de zigzaguer dans tous les sens pour trancher sur n'importe quel dossier avec un air excédé : " Ah lala. Faut vraiment que je m'occupe de tout, du fichier Edvige, de la taxe pique-nique, des pirates dans le Golfe..." Très logiquement des journalistes lui ont demandé ce qu'il pensait de la crise au moment où quelques gros morceaux de Wall Street venaient de s'écrouler. Et là, surprise, Joe Dalton a eu un blanc, une grosse fatigue qui ne prévient pas. Il a bredouillé qu'il manquait de sommeil et que ce n'est pas le genre de sujet qu'on traite à la légère. Il est resté en panne de blabla pendant plusieurs jours. L'inspiration, disons plutôt la respiration lui est revenue après avoir rencontré au week-end dernier les durs de durs du Nouveau Monde, les gros calibres de la finance mondiale, Paulson du département du Trésor, Bernanke de la Federal Reserve (la banque centrale des USA) et le chef ahuri des néocons (néoconservateurs) qui espère faire la guerre à l'Iran, à la Syrie et à la Corée du Nord avant la fin de son mandat à la Maison Blanche. Essayons d'imaginer ce qu'ils ont pu lui donner comme conseils : " Joe, débrouille-toi avec ton petit pays minable coincé par les critères de Maastricht qui t'empêchent d'aggraver le déficit de l'État à loisir comme nous. En plus, t'as pas la maîtrise de l'euro alors que nous on peut jouer avec le dollar. Mais bon, inspire-toi de ce qu'on vient de faire. Nationalise les banques défaillantes. Si tu veux privatiser la Banque postale pour qu'elle connaisse un jour le sort de Lehman Brothers, on s'en fiche. Tu te débrouilleras avec les postiers et les usagers français. " Imaginons sa réaction : " Glops, nationaliser la Société générale, le Crédit Agricole, Axa et Daxia ? Faut que je demande conseil à DSK, Jospin, Tapie, Clavier, Gluksman et Élisabeth Tessier qui est en communication avec Mitterrand !". Là-dessus l'écrivassier qui lui rédige ses discours lui a préparé un truc pour l'ONU complètement grotesque, qui fait même ricaner l'éditorialiste de " La Tribune " de ce mercredi, sur le thème du " capitalisme régulier et régulé ". Lula, cet ancien métallurgiste qui a mis tout son talent au service des grosses fripouilles qui s'enrichissent sur le dos du peuple brésilien et ravage l'écologie de ce pays, a brodé sur le même thème et s'est écrié, pathétique, " aimez- vous les uns les autres ". Même l'envoyé spécial de France 3, Christian Mallard, en était gêné. Depuis notre Joe Dalton national réclame une réunion du G8, qui ne décidera rien comme d'habitude mais la cantine y est acceptable. Il a repris sa rengaine démago éculée contre les patrons voyous. Il va nous les pendre haut et court et leur faire rendre gorge aux vilains spéculateurs. On commence par qui en France, Bouygues, Bolloré, Lagardère, Arnault, Pinault ou Alain Minc ? Damned, ce sont des amis du Président ! LUDIQUE ET FANTASTIQUE Les nouvelles de l'écrivain argentin Julio Cortázar viennent d'être rééditées. On en découvrira quelques unes dans le recueil " Tous les feux le feu " (éd L'imaginaire/Gallimard, 189 pages). Les huit nouvelles sont très différentes, touchantes et insolites et en plus, quelle belle écriture ! La première, " L'autoroute du Sud ", part d'une situation assez banale, un embouteillage monstre à la sortie de Paris, pour dériver progressivement vers les confins du fantastique, ce que Cortázar affectionnait particulièrement. On espère que Che Guevara a pu lire celle intitulée " Réunion " et où il joue un rôle car elle ne manque pas d'humour. Ce recueil est accompagné d'un CD avec deux extraits d'émissions de France Culture. Dans le premier l'écrivain donne de sa belle voix quelques clefs précieuses éclairant son oeuvre originale. Opposé au régime de Perón, il avait quitté l'Argentine en 1951 pour vivre en exil à Paris où il eut l'occasion de rencontrer de nombreux Latino-Américains. Il est décédé d'une leucémie en 1984. Le deuxième extrait est la lecture pleine de finesse d'une des nouvelles par l'acteur André Dussolier. NE PAS S'IMITER SOI-MÊME Les fidèles lecteurs de cette lettre ont déjà entendu parler et évidemment écouté, vu notre enthousiasme, des CD de la pianiste d'origine argentine Martha Argerich. Il se trouve qu'un DVD vient de sortir offrant un beau portrait de cette artiste incroyable d'énergie, de générosité fantasque et d'émotion dans ses interprétations de Chopin, Beethoven, Liszt, Ravel ou Piazzolla (DVD medici arts, Evening Talks, film de Georges Gachot). Sa ligne de conduite est qu'il ne faut jamais " s'imiter soi-même ". Elle aborde à chaque fois une oeuvre comme une personne que l'on connaît mais qui est nécessairement nouvelle puisqu'on vient à nouveau de la rencontrer dans des circonstances différentes. La répétition du concerto de piano de Schumann est un régal. Martha Argerich arrive complètement patraque. Il y a des petits désaccords d'interprétation et des problèmes de calage du tempo avec le chef d'orchestre. Il y a tout un jeu de coups d'oeil vraiment savoureux entre la pianiste, le chef et le premier violon. WOODY GUTHRIE Pour une somme modique on peut se procurer désormais un coffret de cinq CD (Recordings Arts) du chanteur et guitariste américain Woody Guthrie (1912-1967). Il a raconté sa vie aventureuse et difficile dans " En route pour la gloire " (éd Albin Michel). Tout son répertoire de chansons poétiques, ironiques et engagées à gauche et du côté des travailleurs en lutte a été repris ensuite par des chanteurs comme Pete Seeger et ont influencé Bob Dylan et Joan Baez. Dommage que ce coffret soit dépourvu d'indications sur ces chansons, leur auteur et les dates d'enregistrement. Il semble que sur certaines plages, Woody soit accompagné par son talentueux ami Cisco Huston. Bien fraternellement à toutes et à tous, Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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