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Journal de notre bord

Lettre n°96 (27 août 2008)

Lettre n°96 (27 août 2008)

Bonsoir à toutes et à tous,

La " Mondialisation heureuse " que nous avait promis Alain
Minc en 1997 déploie tous ses charmes : récession se
généralisant, guerre en Afghanistan, en Irak, en Géorgie,
en Palestine, au Soudan, au Tchad, en Somalie, progression
de la misère et des bidonvilles, foisonnement des mafias,
progression des déserts et du réchauffement des océans...

Les banquiers et les hommes d'État sont tout de même dans
une situation embarrassante depuis l'éclatement de la crise
financière l'an dernier qui s'intensifie, se propage,
commence à produire des craquements dans certaines économies
et à tirer sur les jointures des grandes puissances. Ce qui
s'exprime par des tensions diplomatiques ou des guerres à
propos du contrôle des sources et voies d'acheminement du
pétrole et du gaz ; et pourquoi pas demain du blé, de la
viande ou du soja ? Personne ne veut être perdant et en
rabattre de sa puissance et de sa richesse. Mais tout le
monde peut l'être car tous les États et tous les financiers
se tiennent par la barbichette. Faire bande à part pour ne
pas sombrer, c'est prendre le risque du protectionnisme, de
mesures de boycott en retour et finalement d'une déconnexion
catastrophique du marché mondial et des profits qu'il permet
encore. Situation hors de contrôle comme l'avoue certains
porte-parole lucides du capitalisme.

Dans ce contexte la marionnette irresponsable qui fait
office de chef d'État à la tête de la Géorgie a mis le doigt
dans l'engrenage d'une situation inextricable. Saakachvili,
ex-avocat à New York est un fidèle serviteur des États-Unis,
ce qui l'a amené à envoyer 2 000 soldats géorgiens en Irak.
Il est largement détesté par la population géorgienne qui
l'a montré dans de grandes manifestations. Il a cru pouvoir
forcer la main à tout le monde par une offensive militaire
en Ossétie du Sud. Il avait son petit Irak à lui à portée
d'artillerie pour y introduire sa démocratie à lui en
commençant par un bombardement. Somme toute, il n'a fait que
copier le comportement de gangster de Bush. En face, il
était évident que le gang de Poutine allait riposter avec la
même brutalité, sans complexe, d'autant plus qu'il avait eu
la bride sur le cou de la part de la communauté
internationale des impérialistes pour massacrer et opprimer
le peuple tchétchène en toute impunité.

Même stupidité et même irresponsabilité obligées en
Afghanistan où le corps expéditionnaire français va
continuer à s'enliser avec les autres puisque son rôle
consiste à soutenir le pouvoir corrompu de Karzaï,
intimement lié au groupe pétrolier Unocal et au trafic de
drogue. En plus, non seulement les soldats occidentaux ne
font strictement rien qui puisse améliorer le sort de la
population afghane mais ils se livrent à quelques
bombardements sur elle, comme par mégarde.

Le droit des peuples, la démocratie dans tout cela ?
Piétinés, bafoués par Bush, Poutine, Sarkozy, Merkel,
Hu Jinbao... on ne va pas tous les citer. Leur terreur commune
est que les peuples s'occupent eux-mêmes de leurs droits et
fassent vivre une authentique démocratie.
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Un siècle russe et un peu plus
Montaigne à Pékin
L'art en danger
Gros sabots
Un cinéaste au travail
Des Chinoises aux USA
Schubert
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UN SIÈCLE RUSSE ET UN PEU PLUS
Nous vous avions promis dans la dernière lettre du 30 août
de revenir sur le dossier " Manière de voir " du Monde
diplomatique consacré à la Russie de Lénine à Poutine et
l'actualité nous y incite encore plus. Le texte de Moshé
Lewin qui ouvre ce dossier date de 1997. Il est précieux car
il nous libère des grilles interprétatives schématiques,
unilatérales, en ce qui concerne l'histoire de la Russie
depuis le XVIIIe siècle jusqu'à nos jours. Il montre bien
que la Russie est un pays dont l'évolution complexe ne peut
pas se comprendre en soi, sans faire entrer en ligne de
compte le jeu de miroirs (et le jeu de dupes) avec
l'Occident.

Dans une contribution en 2005 Carine Clément et Denis
Paillard faisaient voler en éclats un certain nombre de
stéréotypes sur la société russe (" Dix éclairages sur une
société ").

Gilles Perrault en 1997 polémiquait très efficacement contre
les falsifications du " Livre noir du communisme ". En 2003,
Pierre Lepape consacrait une étude à l'écrivain Varlam
Chalamov qui a vécu au goulag pendant vingt ans et écrit les
terribles récits de la Kolyma. À connaître, de même que les
romans et témoignages de Victor Serge car encore
dernièrement les médias nous ont mensongèrement présenté feu
Soljenitsyne, mystique et nostalgique du tsarisme, comme le
premier écrivain ayant écrit sur le goulag stalinien !

Les autres textes sont d'inégal intérêt mais méritent tous
la lecture y compris comme révélateur des candeurs et des
oublis symptomatiques de certains auteurs. Relevons par
exemple que Roger Martelli dans un article paru en octobre
2006 a oublié l'existence des conseils ouvriers en Hongrie
en 1956, à moins qu'il n'en ait jamais entendu parler.


MONTAIGNE À PÉKIN
Que les Jeux Olympiques soient une affaire de gloriole et
d'argent ne date ni d'hier ni d'avant-hier. Mais pas
seulement si l'on se donne la peine d'être attentif.
Montaigne en parle dans ses " Essais " : " Notre vie, disait
Pythagore, ressemble à la grande et populeuse assemblée des
Jeux Olympiques ; les uns y exercent le corps pour en
acquérir la gloire des Jeux ; d'autres y portent des
marchandises à vendre pour le gain ; il en est, et qui ne
sont pas les pires, lesquels n'y cherchent autre fruit que
de regarder comment et pourquoi chaque chose se fait et être
spectateur de la vie des autres hommes pour en juger et
régler la leur. "

Par la fenêtre de l'écran télévisé, le spectacle était assez
riche d'enseignements pour avoir envie de " régler sa vie "
autrement que certains intervenants aux JO. Acquérir des
muscles aussi protubérants ? Non, merci. Quitter le stade
sur une civière avec une grande souffrance physique et
morale, un tendon en compote ? Sans façon. Hurler dans un
micro à s'en rompre les cordes vocales parce qu'un Français
va recevoir un morceau de métal rond et plat dont on ne peut
faire aucun usage et qui n'est même pas beau ? Se réjouir
des victoires de la France, du pays des droits de l'homme...
d'État à expulser brutalement les hommes, les femmes et les
enfants sans papiers, du droit de l'homme d'État à faire la
guerre là où les intérêts d'une minorité privilégiée le
commande ? Non, pas envie de faire partie de ce pays-là. Pas
envie d'être accro à la xénophobie, forme de barbarie
insupportable, même à très petite dose.

Comme les JO de Pékin ont été trop souvent le prétexte pour
les médias à dénigrer la Chine et les Chinois pris comme un
tout indifférencié, il semble nécessaire de saluer les
interventions chinoises les plus marquantes : celles des
habitants de Pékin expulsés qui ont manifesté avec courage
et véhémence comme ils ont pu, celles des ouvriers et
ouvrières qui ont planté, nettoyé, construit sans que les
caméras ne s'intéressent à eux, et enfin celles des gens de
Pékin qui ont poursuivi leurs parties de dames et leurs
séances de tai-chi-chuan, leurs promenades en amoureux ou
avec leur enfant, comme si de rien n'était. Montaigne aurait
sans doute apprécié ce spectacle de la vie qui était en
dehors des piscines et des stades.


L'ART EN DANGER
L'art depuis une vingtaine d'années est confronté à une
menace plus lourde que dans les décennies antérieures, celle
d'être dévoré par le marché de l'art, et plus précisément
par la vacuité des marchands d'art et de leurs riches
clients. Vacuité, goût du sordide, du tape à l'oeil et du gag
douteux sous couvert d'expression sans concessions des
tendances de " notre époque ". L'art, le design et la mode
ont partie liée et mènent ensemble une sarabande effrénée.

La question n'est pas simple. L'inventivité et la sincérité
de certains artistes persistent encore, cohabitant avec des
productions de bluffeurs. Il arrive à des artistes de
devenir des faiseurs sous la pression du succès ou de la
perte d'imagination mais l'inverse, un bluffeur devenant
artiste, ne s'est pas encore vu. Pour aborder la complexité
d'une situation tendue et intrigante, voici deux exemples,
celui d'une exposition et celui d'un roman.

L'exposition " China Gold " à la Fondation Dina Verny-Musée
Maillol de Paris (jusqu'au 13 octobre,
http://www.museemaillol.com/) présente les peintures,
photomontages et sculptures d'artistes chinois actuels.
Si un certain nombre d'entre eux et d'entre elles ont dû
vivre en exil plusieurs années après la répression de la
manifestation de Tienanmen en juin 1989, la plupart se sont
installés depuis à Pékin. Ironie féroce et angoisse
prédominent dans cet ensemble varié et d'un grand intérêt.
Des moyens subtils ou violents sont mobilisés pour tirer
dans les coins ou à bout portant sur les hypocrisies et
désastres additionnés du capitalisme et du maoïsme. La
crainte est que cette éruption artistique en phase avec
l'état explosif de la société chinoise soit banalisée et
dévoyée par l'engouement des grandes galeries et des riches
collectionneurs.

Pour entrer dans l'univers des déchirements qui affectent la
sphère artistique contemporaine, la lecture du roman de Siri
Hustvedt s'impose, " Tout ce que j'aimais " (éd. Actes-Sud,
réédité en poche Babel ou J'ai lu). Un des personnages
principaux, Bill est un artiste d'une sincérité exigeante
qui crée des installations dans un loft de Manhattan. A
l'origine l'installation est un mode d'expression qui a été
créée par des artistes des années soixante-dix pour échapper
à l'emprise des galeries, des musées et des critiques d'art
patentés, leur capacité à faire et défaire les réputations
et les côtes artistiques. Ce roman dont la lecture est
éprouvante est fortement chargé d'émotions, amours, amitiés,
deuils, dérive énigmatique d'un être cher, manipulations
générées par une société en décomposition. Un beau roman où
l'art est inséparable de la vie.


GROS SABOTS
Sans attendre monts et merveilles du numéro du Magazine
Littéraire consacré à " L'humour cette insoutenable légèreté
des lettres ", nous nous retrouvons en dessous de ce qu'on
pouvait raisonnablement espérer. D'abord la couverture où
l'on voit Charlot à terre en patins à roulettes. Aux
dernières nouvelles Charlie Chaplin était un acteur et un
cinéaste génial mais quel rapport avec la littérature ?
Passons vite. Le moins bon est à venir. Juste avant le
dossier sur l'humour, nous tombons sur un ensemble de photos
plus ou moins médiocres et désolantes censées être des
variations sur l'imaginaire du livre de Marcel Proust
" A l'ombre des jeunes filles en fleurs ". Depuis que la
Laitière de Vermeer a servi à la promotion d'une marque de
yaourt, tout est permis dans le grotesque sous prétexte de
dépoussiérer ou de décloisonner la culture. Infortuné Marcel
Proust, créateur d'une oeuvre extraordinaire qui n'a en
aucune façon besoin d'être illustrée ni par des photos, ni
par des films ou des bandes dessinées ; comme si
l'imagination du lecteur de " À la Recherche du temps perdu "
pouvait rester en panne faute d'illustrations.

On aborde donc le dossier humour de mauvaise humeur. Mais
tout va ensuite changer. Pour expliquer de quoi il retourne
philosophiquement avec l'humour, le Magazine Littéraire a eu
l'idée tout à fait désopilante d'interroger, non point hélas
des rigolos comme Baudrillard ou Deleuze qui ont cassé leur
pipe, mais le léger, le pétillant, le pimpant, le
délicatement corrosif, Alain Finkielkraut ! Une photo de
notre grand imprécateur national en moralisateur renfrogné
dans son domicile parisien cossu s'imposait. Et c'est ce
qu'il y a de plus involontairement humoristique dans ce
dossier. Du reste cet homme plein de ressentiment contre "
l'époque actuelle " ne dit pas que des bêtises mais les
constats qu'il invoque sont destinés à alimenter son credo
élitiste, à pester contre Mai 68 qui a provoqué la décadence
de l'institution scolaire et la ruine de l'autorité
professorale et parentale. J'en vois qui rient au fond de la
classe et le professeur Finkielkraut va les mettre au piquet
vite fait.

Signalons l'absence dans ce dossier sur l'humour d'écrivains
de langue allemande comme Kafka, Robert Walser, Arno Schmidt
ou Thomas Bernard. Pas trace du finlandais Arto Paasilinna
ni du franco-égyptien Albert Cossery. On ne peut pas
aisément citer " un bon mot " de ces auteurs-là, il faut les
lire.

On trouvera malgré tout des articles présentant des
humoristes de haute volée mais rarement en termes judicieux
et jubilatoires. Tout ce dossier est lourdement lesté par la
volonté absurde de vouloir définir l'humour, lequel a glissé
entre les doigts des rédacteurs pour leur faire des pieds de
nez.


UN CINÉASTE AU TRAVAIL
Peut-on tenir rigueur à un cinéaste juif new-yorkais, athée,
passionné de jazz, psychanalysé plutôt deux fois qu'une et
bourré de talents, d'adorer les actrices intelligentes et
jolies qu'il a toujours su magnifiquement mettre en scène à
l'écran ? On n'instruira pas ici le procès en machisme du
citoyen Allan Stewart Königsberg, plus connu sous le nom de
Woody Allen. D'autant plus qu'il a su également mettre en
valeur des acteurs intelligents et pas forcément beaux, à
commencer par lui-même.

L'importance de son travail et la variété de son parcours
éclatent dans la série d'entretiens qu'il a eus avec Eric
Lax de 1971, l'année où il réalisa " Bananas ", à 2007,
celle où il a tourné " Le Rêve de Cassandre " (" Entretiens
avec Woody Allen, éd. Plon, mai 2008, 440 pages). Les
échanges sont axés sur le métier de cinéaste, de dramaturge,
d'acteur et d'écrivain car Woody Allen est devenu tout cela
à la fois, sans oublier son violon d'Ingres qui est de jouer
de la clarinette dans le style de La Nouvelle-Orléans.
Toutes les activités propres à l'art cinématographique sont
passées en revue avec passion : l'écriture, le casting, le
tournage, la mise en scène, les décors, les problèmes
d'ombres et de lumières, d'adéquation des musiques aux
images, le choix de la couleur ou du noir et blanc...

Réaliser un film consiste aussi en permanence à s'accommoder
de la malchance, à déjouer ou à bafouer les contraintes
financières, celle du budget, celle des musiques qu'on
aimerait mettre mais qui coûtent trop cher, celle du public
qui boude un film, d'un producteur inquiet des recettes d'un
film, etc. Les propos tenus sont émaillés de remarques très
drôles. Mais en artiste mettant la barre très haut et ne
voulant pas s'enfermer dans un rôle d'amuseur, il déteste ce
qu'il appelle à un moment " la dictature du rire ".

De ces entretiens se dégage le portrait d'un homme
extrêmement sympathique par sa lucidité sur lui-même et ses
oeuvres, son absence d'animosité même à l'égard de gens qui
lui ont mis des bâtons dans les roues, son estime ou son
admiration pour toutes celles et tous ceux qui avant lui et
avec lui font du cinéma une forme d'art et une forme de vie.


DES CHINOISES AUX USA
Deux films de Wayne Wang, réalisateur né à Hongkong et
vivant aux Etats-Unis, nous avaient laissés un très bon
souvenir : " Smoke " et " Brooklyn Boogie " avec Harvey
Keitel et quelques comparses décalés comme Lou Reed, Jim
Jarmush ou Madonna. Les scénarios étaient écrits par le
romancier Paul Auster. C'est à voir en DVD si on les a ratés
à l'écran.

Wayne Wang nous propose à nouveau un diptyque de deux films
relativement courts que l'on a tout intérêt à voir l'un à la
suite de l'autre : " Un millier d'années de bonnes prières "
(1 h 23) et " La Princesse du Nebraska " (1 h 17). Avec des
moyens modestes, il touche juste dans un registre différent,
celui des blessures intimes de deux jeunes Chinoises vivant
aux États-Unis. Dans le premier film un vieil homme qui a
cru dans le régime de Mao dans ses premières années rejoint
sa fille Yilan qui s'est fait une bonne situation à Sioux
City dans le Nebraska où elle vit dans un quartier
résidentiel paisible. Mais elle n'est pas heureuse. Tête à
tête silencieux, difficultés à se comprendre entre un père
et une fille dont les codes sont différents et dont le
parcours de chacun est ignoré par l'autre.

Le deuxième film, très rythmé, se passe à San Francisco où
une jeune femme venant de Pékin ne sait plus quoi faire ni
où aller. Elle est enceinte, désemparée, ne connaissant pour
s'orienter dans la vie que le pouvoir de l'argent et la
fascination qu'exerce sur elle son téléphone mobile.


SCHUBERT
Le quatuor à cordes Parisii existe depuis 1981. Il a proposé
des interprétations de grande tenue d'oeuvres connues comme
les quatuors de Beethoven, Debussy ou Ravel mais aussi
d'oeuvres contemporaines notamment de Pierre Boulez et de
Gilbert Amy.

Cette formation vient de se confronter à deux chefs-d'oeuvre
de Franz Schubert, le quatuor à cordes en ré mineur " La
Jeune fille et la Mort " et celui en la mineur " Rosamunde ".
Ce sont de très belles interprétations mettant en valeur
toutes les dimensions de ces oeuvres, mouvements caressants ;
zébrures violentes et presque cauchemardesques, mélodies
tendres d'inspiration populaire, ruptures nombreuses et
inattendues du climat émotionnel. L'agencement de tous ces
éléments est d'une modernité étonnante.

Ce qui est rassurant avec ces oeuvres touchantes et
dramatiques sans pathos, c'est qu'on ne les entendra jamais
en fond sonore dans les grandes surfaces.


Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder 

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