Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°92 (10 avril 2008)

Bonsoir à toutes et à tous,

Les soubresauts de l'économie mondiale prennent à présent
une tournure qui casse définitivement les discours
optimistes des dévots du système. Ils en ont noirci du
papier et consommé de la salive à la radio et à la
télévision pour nous convaincre que la crise ne touchait que
l'économie virtuelle, que la croissance repartirait après un
palier d'ajustement et quelques mesures cosmétiques de
transparence au sein de la finance. Terminé. Ils n'ont plus
qu'à remballer leurs savantissimes discours mensongers et à
en appeler à l'aide des États pour sauver le système
bancaire et financier. Aide des États ? Plutôt " aide " bien
involontaire des classes populaires aux capitalistes sous
forme de diverses ponctions sur les budgets essentiels pour
elles et sous forme de sacrifice de leurs revenus et même de
leurs biens vitaux (logement, nourriture, santé).

Nous n'en sommes encore qu'aux prémisses d'une crise qui se
développe de multiples façons et trouve une expression
diversifiée sur le terrain des luttes. Citons-en quelques-
unes , dures et longues pour certaines : grève des 2 400
mineurs de Budrik en Pologne depuis le 13 décembre dernier,
grèves actuellement à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, grève
chez Dacia (groupe Renault) en Roumanie, grève de plusieurs
semaines aux ateliers des Chemins de Fer Fédéraux en Suisse
dans le Tessin, grève de 17 000 travailleurs chez Nike au
sud du Vietnam.

L'ouragan de l'inflation sur des produits de première
nécessité montre déjà ses effets destructeurs et
mobilisateurs en de multiples points de la planète. Grèves,
manifestations et émeutes en Égypte, en Côte d'Ivoire, au
Cameroun, au Burkina Faso, en Haïti... Il n'existe pas
encore d'association internationale des travailleurs pour
coordonner toutes ces luttes et leur donner toute leur
efficacité. Mais les damnés de la terre montrent déjà quelle
force extraordinaire de changement ils peuvent constituer.
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Sois jeune et rajeunis la société !
Une femme désemparée
Aborigènes
Russell Banks
Sophistes
Thierry Pécou
In situ
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SOIS JEUNE ET RAJEUNIS LA SOCIÉTÉ !
Par son ampleur et sa ténacité, le mouvement actuel des
lycéens en région parisienne et dans quelques villes de
province a toutes les chances de continuer au-delà des
vacances scolaires des différentes zones. Tout comme lors du
mouvement des lycéens du technique en novembre et début
décembre 2007, le gouvernement sort de nouveau son arsenal
répressif.

Voici un extrait éloquent d'un communiqué des organisations
syndicales CGT Éducation, SUD Éducation , SNES FSU et de la
FCPE du Val de Marne :
" Les lycéens sont régulièrement chargés par la police qui
n'hésite pas à faire usage de flash-balls.
Ainsi, ce mercredi 9 avril au lycée Darius Milhaud, une
élève mineure a été hospitalisée après avoir reçu un tir de
flash-ball dans le ventre. Depuis lundi, le lycée est le
théâtre d'interventions policières répétées. Chaque jour,
des élèves mineurs sont placés en garde à vue et mis en
examen (pour " coups et blessures ", " outrage et rébellion "
...) sur la base des seules accusations policières,
démenties par des témoignages. Certains des lycéens arrêtés
tentaient même au contraire de calmer la situation. L'un
d'entre eux a reçu des coups par les policiers sur le dos et
sur la tête alors qu'il était au sol. Ses parents vont
d'ailleurs porter plainte. Un autre lycéen a été placé en
garde à vue sans que ses parents n'aient été informés.
D'autres encore ont été arrêtés à plusieurs centaines de
mètres du lycée, devant une école primaire. Tous ces mineurs
ont été soumis à un prélèvement d'empreintes génétiques... "

Ce mouvement soude entre eux des jeunes, des professeurs et
des parents d'élèves pour obtenir l'annulation des
suppressions de postes d'enseignants (11 200 programmées),
l'annulation des bacs pro en trois ans (au lieu de quatre)
et le maintien des BEP.

Le gouvernement et le patronat incarnent la régression
sociale et en particulier un mépris abyssal de l'éducation
et de la culture. Les jeunes en mouvement incarnent les
intérêts de tous les jeunes et de tous les enfants :
recevoir une éducation de qualité, accéder dans de bonnes
conditions aux différents domaines de la culture.


UNE FEMME DÉSEMPARÉE
Ce n'est pas sans étonnement qu'on a pu lire dans quelques
critiques cinématographiques que " Les larmes de madame Wang "
de Liu Bingjian avait des aspects drôles ou relevant d'une
comédie. Même en donnant à la notion d'humour noir une
grande extension, il est difficile de souscrire à une telle
appréciation. Cette chronique centrée sur une jeune femme
dans la Chine actuelle mérite d'être vue mais pas comme un
agréable divertissement. Elle est révélatrice de relations
humaines cyniques et consternantes.

A Pékin la jeune madame Wang tente de faire bouillir la
marmite en vendant à la sauvette des CD et des DVD pornos à
l'insu des flics. Son mari passe ses jours et ses soirées à
jouer au ma-jong pour de l'argent. Mme Wang, remarquablement
interprétée par Liao Qin, va devoir quitter Pékin et tenter
sa chance dans sa ville natale lorsque son mari est mis en
prison. Elle se retrouve en plus avec sur les bras la petite
fille abandonnée par sa voisine. Son amant qui tient un
commerce de pompes funèbres lui propose de monnayer ses
talents de pleureuse lors des cérémonies traditionnelles
accompagnant les incinérations.

Derrière un visage dur et âpre au gain pour s'en sortir elle
et son mari, Wang est une femme désemparée dans un
environnement brutal et mercantile.


ABORIGÈNES
L'écrivain suédois Sven Lindqvist a accompli un voyage en
Australie qui n'a rien de touristique. Tout en mêlant ses
souvenirs d'enfance, ses rêves et ses impressions face à la
fascinante nature australienne, il a mené une enquête
vivante et très documentée sur le sort qui a été réservé aux
Aborigènes depuis l'arrivée des colons européens jusqu'à
l'époque actuelle. " Terra Nullius " (éd. les arènes, janvier
2007, http://www.arenes.fr/ ) est le titre de son livre.
Les colons et leurs successeurs ont en effet considéré
l'Australie comme une terre (terra) où il n'y a personne
(nullius) et dont ils pouvaient s'emparer sans complexe en se
débarrassant des Aborigènes qui y vivaient sans lésiner sur
la barbarie et la perversité des moyens : tueries,
déplacements de populations, points d'eaux asséchés, lieux
pollués par des explosions atomiques, emprisonnements dans
des conditions infectes, assujettissement à des travaux
d'esclaves, enfants métis systématiquement arrachés à leurs
familles... A notre connaissance, aucun livre traduit en
français n'avait encore réuni autant de faits significatifs
et accablants sur la question.

L'auteur s'en prend aussi utilement, mais parfois de façon
un peu sommaire et expéditive, à certains travaux d'auteurs
comme Charles Darwin, Sigmund Freud ou au fondateur de
l'anthropologie Lewis H. Morgan qui ont pu légitimer le
racisme virulent ou le mépris à l'égard des Aborigènes. Il
donne aussi un aperçu de leur art et parlent de celles et de
ceux qui le font vivre aujourd'hui.

Depuis la parution de ce livre, en février dernier, le
nouveau Premier ministre australien, le travailliste Kevin
Rudd a déclaré lors d'une cérémonie officielle en présence
d'Aborigènes : " Pour la douleur et les souffrances subies
par ces générations volées, leurs descendants et leurs
familles, nous disons : pardon! ". Mais son gouvernement
n'envisage aucun dédommagement financier à aucun niveau pour
l'instant. Le combat des Aborigènes pour être respecté de
tout le monde et pour obtenir des conditions de vie décentes
est loin d'être terminé.


RUSSELL BANKS
Le thème du dernier livre de l'américain Russell Banks,
" La Réserve " (éd. Actes Sud) est très différent de ceux de
ses autres romans. Il faut saluer la capacité de renouvellement
de son inspiration. Nous sommes en 1936 dans une région
située au nord de New York, les Adirondacks. Quelques
familles d'hommes d'affaires et d'intellectuels fortunés y
ont élu domicile de longue date pour leurs loisirs, pour
savourer dans un confort luxueux les beautés de la nature, à
l'intérieur de leur réserve pour riches se connaissant bien.
La grande dépression qui a suivi la crise de 1929 a obligé
les habitants de la région a devenir des serviteurs
saisonniers dans " la Réserve ".

Le vilain petit canard qui va pénétrer fortuitement dans
cette communauté est le peintre et graveur Jordan Groves,
un artiste reconnu mais dont les opinions de gauche, voire
communistes, sont éminemment suspectes dans ce milieu-là.
C'est par son biais que les échos du nazisme et de la
Révolution espagnole atteignent les rivages d'un lac
paisible des Adirondacks.

Les événements européens vont entrer en résonance avec les
névroses, secrets inavouables, et pulsions qui agitent le
milieu fermé de " la Réserve ". Russell Banks mène
l'intrigue avec son énergie coutumière, ne laissant aucun
répit au lecteur. Son écriture a quelque chose d'à la fois
physique et poétique pour traduire les sensations grisantes
provoquées par la rencontre des personnages, un vol en
hydravion ou par la nature environnante.


SOPHISTES
Dans les pays riches, les professions de conseillers se sont
multipliées : conseiller en communication, conseiller
financier ou business coach, conseiller pour organiser
l'emploi du temps et aider les riches clients à faire les
bons choix dans tous les domaines ou life coach.

Comment se débrouillaient les riches citoyens grecs du Ve
siècle avant Jésus-Christ dans les cités démocratiques ? Ils
avaient les " sophistes ". Ces gens-là avaient tout de même
une autre stature que nos conseillers ou penseurs de
plateaux télévisés. Une mauvaise réputation de gens capables
de démontrer tout et son contraire est resté attachée à leur
nom en dépit de nombreux commentaires favorables depuis
Hegel jusqu'à nos jours, estimant que les plus importants
d'entre eux comme Protagoras ont jeté les bases d'un
rationalisme humaniste.

Pour faire la connaissance de ces penseurs itinérants qui
vendaient leur savoir à de jeunes citoyens voulant se
perfectionner dans l'art oratoire ou gagner en sagesse, le
livre de Theodor Gomperz  " Les Sophistes " (éd. Manucius,
150 pages, mars 2008) est une bonne introduction. Cet auteur
était un savant en philologie et en histoire de la
philosophie qui s'est lié d'amitié avec le jeune Sigmund
Freud. La présente étude extraite de son grand ouvrage,
" Les Penseurs de la Grèce ", n'avait pas été rééditée depuis
un siècle.

D'autres livres plus récents comme celui de Jacqueline de
Romilly ou plus savants comme ceux d'Eugène Dupréel, Mario
Untersteiner ou W. K. C. Guthrie existent sur les Sophistes.
Mais celui de Gomperz a un charme particulier car il
s'empare des problèmes philosophiques avec chaleur en se
permettant des allusions à Goethe, Diderot ou Shakespeare ;
et en plus il maîtrise les matériaux de l'érudition dans un
style souple et élégant.


THIERRY PÉCOU
A 43 ans le compositeur Thierry Pécou a déjà accompli une
oeuvre féconde. A partir d'un texte de Laurent Gaudé sur la
tragédie de trois femmes algériennes au travers de deux
guerres, il vient de créer son premier opéra, " Les
Sacrifiées ". Ses nombreux voyages l'ont ouvert sur de
multiples cultures, musiques, mythologies et problèmes
sociaux. Ses oeuvres ne sont pas éclectiques pour autant.
Il ne s'enferme dans aucun style ni aucune formule.

" Outre-Mémoire " pour piano, flûte, clarinette et
violoncelle a été créé dans le cadre d'une installation d'un
autre artiste d'origine antillaise Jean-François Boclé sur
le thème de la Traite des esclaves noirs (Ensemble Zellig et
Alexandre Tharaud, piano, CD aeon Harmonia Mundi, 2004).

La dernière oeuvre enregistrée de Thierry Pécou est un très
beau concerto pour piano interprété par Alexandre Tharaud et
l'ensemble orchestral de Paris dirigé par Andrea Quinn :
" L'oiseau innumérable " (CD harmonia mundi). Une musique
éclatante, inventive et accessible qui s'inscrit dans
l'héritage de Maurice Ravel. Le programme est complété par
des pièces pour piano seul dont certaines inspirées par des
chants d'oiseaux.


IN SITU
Nous allons bientôt mettre en ligne un entretien avec
Emmanuel Terray effectué pour la revue-site A l'encontre
[http://www.alencontre.org/]. Cet entretien a pour titre
" Délocalisation sur place, libre circulation et droits des
migrants ". Il est suivi d'une réflexion sur les
" politiques mémorielles ". Étant donné l'intérêt des
questions abordées par Emmanuel Terray, nous avons pensé
utile de faire figurer cet entretien sur notre site.


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder 
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