Journal de notre bordLettre n°91 (10 mars 2008)Bonsoir à toutes et à tous, Le temps d'un week-end, la vie nous entraîne parfois dans une sarabande d'impressions et d'émotions qui nous bousculent de tous les côtés. Vous rencontrez à nouveau un couple d'amoureux. Vous êtes enchantés. Vous vous dites que les routines et les conformismes sont secoués par l'amour quand il surgit et perdure ainsi. La force de l'amitié offre aussi de bonnes bases pour ébranler ce qui fait stagner et reculer les relations sociales. Inversement l'amitié nous vide de notre énergie quand elle se ternit ou s'évanouit. La fidélité aux idéaux de jeunesse se conforte, s'étiole ou s'évapore. Ce sont les hauts et les bas des combats collectifs qui se jouent aussi à ce niveau. Le dimanche est pluvieux mais ce n'est pas triste car vous venez d'apercevoir des magnolias en fleurs. Vous n'avez pas envie de subir une soirée électorale de plus qui est du reste déjà bien entamée. Vous allumez tout de même votre téléviseur. Finalement vous êtes bien contents que la droite ait pris çà et là quelques bonnes baffes plus que méritées. Simultanément l'idée ne vous lâche pas que les salariés qui ont été licenciés au cours des dernières semaines auront été légitimement peu intéressés par les résultats électoraux. Du coup vous éprouvez plus d'amertume que de satisfaction. Vous rêvez d'une démocratie réelle qui change la vie parce que tout le monde y participe tous les jours et dans tous les domaines. En fin de soirée vous apprenez qu'un couple d'amis vient d'avoir un enfant. Il est bien portant, bonne taille, bon poids, bonne bouille. Vous êtes enchantés par l'arrivée d'un être nouveau, un enfant aimé, avec sa sensibilité et son inventivité. C'est une belle chance. Dans le monde actuel des millions d'enfants sont perdants dès le premier jour. D'après la Banque mondiale 2,8 milliards d'êtres humains sur six milliards survivent avec l'équivalent de deux dollars par jour ou moins. Mais nous informe la presse économique, le nombre des milliardaires ne cesse d'augmenter année après année. Écoeurant. Insupportable. Vous éprouvez une formidable envie de changer le monde à tous les niveaux locaux et globaux, sans désemparer. Ce n'était pas un week-end reposant mais sans aucun doute positif. _______________________________________ Ingratitudes L'équilibre du monde Le stade Dubaï du capitalisme Du beau piano La boîte à musique Courez-y In situ _______________________________________ INGRATITUDES Poutine est un ingrat. Il n'a pas encore envoyé un message de félicitations au chef de l'État français pour le succès de la réélection de son éphémère ancien ministre Alain Juppé à Bordeaux. Bush est un ingrat. Il n'a pas encore envoyé de félicitations à ce même chef d'État qui a décidé de renforcer les effectifs militaires français au Tadjikistan et en Afghanistan afin de mieux tenir son rang dans cette région aux côtés de son allié étatsunien. À défaut de participer à la guerre en Irak, Sarkozy veut jouer un rôle majeur dans le bourbier de l'Afghanistan. La junte sanglante au pouvoir en Birmanie pourrait aussi faire un effort pour remercier le groupe français Total de rester dans ce pays pour en piller les richesses et exploiter les travailleurs selon les normes locales, qui sont celles de l'esclavage ! L'ÉQUILIBRE DU MONDE Encore un exemple du caractère indispensable de la littérature pour comprendre le monde et les gens qui le composent : " L'Équilibre du monde " de Rohinton Mistry, un roman paru en traduction française il y a dix ans et qui est disponible à présent en collection de poche (Le Livre de Poche, 880 pages). L'auteur est né à Bombay en 1952 et vit à Toronto depuis 1975. L'épaisseur du livre peut effrayer et ce serait bien dommage. Il offre un formidable accès à la compréhension de l'Inde contemporaine au travers de la vie de cinq personnages principaux vivant dans une banlieue de Bombay à l'époque où Indira Gandhi exerçait le pouvoir d'une main féroce. L'histoire se déploie entre 1975 et 1984 avec un retour au moment de l'indépendance sur la partition sanglante entre l'Inde et le Pakistan. Même si l'un des personnages pense qu'il doit bien exister une sorte d'équilibre dans la vie entre les espoirs et les désespoirs, cette fresque humaine révèle avant tout les déséquilibres terrifiants entre le monde des riches et celui des pauvres, entre celui des castes privilégiées et celui des " intouchables ". On touche au fond de l'horreur de certaines conditions sociales et de certaines répressions, ce que ne démentent pas nombre de faits concernant l'Inde actuelle. On apprend ici beaucoup sur les rapports sociaux de ce pays, rapports d'exploitation, de dépendance et d'entraide touchante et même magnifique parfois. Tout n'est pas constamment guerre ou mépris entre les hommes et les femmes, les gens de castes ou de religions différentes. Ce roman montre amplement ce qu'est le courage et la générosité de certains êtres humains dans les conditions les plus sordides. LE STADE DUBAÏ DU CAPITALISME " Le stade Dubaï du capitalisme " de l'américain Mike Davis est un petit livre percutant de 90 pages qui mérite d'être lu par tout le monde (éd. Les Prairies ordinaires, janvier 2008). Le sociologue critique Mike Davis n'en est pas à son coup d'essai. Nous avons eu l'occasion sur notre site de recommander la lecture de " City of quartz " sur Los Angeles et " Le Pire des Mondes Possibles " sur les immenses bidonvilles de la planète (réédition Découverte/poche). Son mérite est de prendre à bras le corps toutes les dimensions économiques, politiques et symboliques des phénomènes urbains. Dubaï, ville portuaire sur le bord du Golfe persique, est un concentré superlatif de toutes les aberrations inhérentes au capitalisme actuel. Cet émirat est le paradis des multinationales et des milliardaires du monde entier : placements financiers sans impôts, investissements immobiliers pharaoniques, consommation touristique débridée (palaces les plus fastueux, pistes de ski, îles artificielles, produits de luxe en tout genre, prostitution, technicité et service haut de gamme dans tous les domaines). Dubaï, tout en étant considéré par Washington comme un partenaire dans sa " croisade contre le terrorisme " est aussi une " zone de blanchiment d'argent et refuge haut de gamme " pour les islamistes radicaux. Mike Davis, de même que François Cusset dans son texte de teneur plus philosophique font voler en éclats le mythe du partenariat naturel et obligé entre capitalisme et démocratie. La " réussite " de Dubaï tient au fait que l'émir-PDG El Maktoum dirige sa propriété d'une main de fer et offre les conditions d'une exploitation sans limites des travailleurs venus pour la plupart d'Asie. Tourisme et affaires prospèrent grâce à l'absence de droits démocratiques et à la répression des mouvements de grève. Comme illustration, voici une dépêche récente qui complète le tableau de Dubaï donné par Mike Davis et François Cusset : " Un tribunal de Dubaï a condamné 45 ouvriers asiatiques à six mois de prison et à l'expulsion du pays pour incitation présumée à une grève qui avait donné lieu à des actes de vandalisme en octobre dernier, rapporte lundi la presse locale. Les 45 ouvriers du bâtiment, dont les nationalités ne sont pas précisées, faisaient partie de quelque 4 000 ouvriers ayant participé à la grève. Ils réclamaient en particulier des augmentations de salaires, jugées illégales car non prévues dans leurs contrats de travail. Les grévistes avaient alors bloqué la principale artère menant à la zone franche de Jebel Ali (sud-ouest de Dubaï) avant de jeter des pierres contre des voitures, dont 18 au moins avaient été sérieusement endommagées. Le gouvernement avait renoncé à les expulser et s'était contenté de traduire en justice les auteurs de violences. Devant le tribunal, les 45 ouvriers ont reconnu avoir participé à la grève mais ont nié avoir incité les autres à attaquer des voitures des forces de l'ordre, selon le quotidien en langue anglaise 7Days. De tels mouvements sociaux sont rares aux Émirats arabes unis, où, comme dans les autres monarchies pétrolières du Golfe, le droit de grève et de manifester sont interdits. " (belga/7sur7) DU BEAU PIANO La pianiste Perrine Mansuy propose un album en trio, " Mandragore & Noyau de Pêche " (CD Ajmiséries http://www.allumesdujazz.com) avec deux musiciens inventifs, Eric Surmenian à la contrebasse et Joe Quitzke à la batterie. La musique est chantante et voyageuse, sans affectation virtuose. On perçoit l'influence assumée de grands aînés comme Bill Evans ou Keith Jarret, avec peut- être parfois un zest d'Ahmad Jamal ou d'Alain Jean-Marie. Le répertoire est varié : Lennie Tristano, Ricky Lee Jones, Carla Bley et huit compositions originales de la pianiste. BOÎTE À MUSIQUE Jean-François Zygel a de plus en plus de succès comme passeur faisant connaître de façon vivante la musique classique à un large public. Espérons que la pression médiatique ne nuira pas dans l'avenir à la qualité de ses interventions qui est indiscutable. Zygel combine avec bonheur les qualités d'un très bon pianiste, celles d'un grand connaisseur de la musique dans ses formes, ses techniques et son histoire et celle d'un humoriste qui met le sourire aux lèvres de toute l'assistance sans démagogie. Ajoutons qu'il est entouré d'amis musiciens, jeunes pour la plupart qui illustrent parfaitement son propos. Chaque dimanche à 18h, on peut apprécier son émission " le cabaret classique " sur France-Musique. Parmi les différentes séances filmées animées par Jean- François Zygel, il faut recommander tout particulièrement " La boîte à musique ", un coffret de trois DVD longue durée à un prix raisonnable. Chaque séance est centrée sur un sujet particulier : le piano, l'opéra, la danse, la nature et la musique de chambre. Les novices comme les mélomanes ne peuvent être que séduits. http://www.radiofrance.fr/francemusique/em/cabaret_classique/ COUREZ-Y Une amie parisienne nous recommande le dernier spectacle drôle et explosif de Marianne Sergent qu'elle connaît bien et de longue date : " Il faut courir voir Marianne Sergent ! Lorsqu'on peut courir bien sûr !! J'adore ses spectacles !". Son spectacle a lieu tous les lundis et mardis à 21 h au Café de la Gare, 41 rue du Temple (M° Hôtel de Ville ou Rambuteau) en mars et avril. Il s'intitule : " Dits et Interdits ou trente ans de carrière sans passer chez Drucker ". Une belle carrière en somme... Amis parisiens, gardez la forme et courez aussi entendre les " Brèves de Tchekhov ", cinq nouvelles du grand écrivain russe interprétées et mises en scène par Paulina Enriquez qui nous les présente ainsi : " Chaque nouvelle dure une quinzaine de minutes... En quinze minutes on vit une vie. En quinze minutes, le récit vous saisit et vous emporte comme une bourrasque. C'est la question, l'aventure unique de chaque personnage qui vous happe. Vous oubliez votre verre posé devant vous, vous retenez votre respiration, vous voulez tellement savoir ce qu'il va se passer... " Cela se joue le jeudi 13 mars, ou sinon le jeudi 10 avril, à 20 h précises au " Café de Paris ", un café théâtre situé au 158 rue Oberkampf (Métro Ménilmontant), tarif 8 euros. Si vous souhaitez bénéficier du tarif réduit à 5 euros, vous pouvez effectuer une réservation en écrivant à paulina.enriquez@freesbee.fr ou en passant par http://www.billetreduc.com. Si vous dînez sur place en prenant la formule à 18 euros, l'entrée du spectacle est gratuite. IN SITU Depuis la dernière lettre quatre textes ont été mis en ligne sur notre site : deux sur la Révolution russe de 1917 et deux apportant de nouvelles informations sur Oaxaca en particulier et le Mexique en général. L'ensemble des notes sur Oaxaca peuvent être consultées sur le site : http://www.sudeducation.org/rubrique224.html. Bien fraternellement à toutes et à tous, Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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