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Journal de notre bord

Lettre n°90 (10 février 2008)

Bonsoir à toutes et à tous,

Un seul mot d'ordre : " Du chiffre ! " Faire du chiffre,
être performant, compétitif, être l'entrepreneur de soi-
même, nous est présenté comme le but ultime de l'existence.
Le régime social actuel qui règne sur le monde s'est emparé
frénétiquement de nos corps, de nos cerveaux, de nos
relations avec les autres et avec nous-mêmes. Cela commence
très tôt. A l'école maternelle on évalue et on réévalue les
bambins. A l'émission de France 2, " Envoyé spécial ", un
reportage a montré comment à New York des mères de famille
très riches s'hystérisaient pour que leur enfant de deux ou
trois ans réalise les meilleures performances aux tests pour
être acceptés dans les écoles haut de gamme, celles où on
apprend à lire et écrire à quatre ans, où on leur apprend
deux langues, puis trois, puis quatre, et puis les maths et
les sciences. Et bientôt sans doute, comment devenir à dix
ans un trader plus efficaces que les vieux traders épuisés
de trente ans et des poussières comme Jérôme Kerviel de la
Société Générale qui, à force de s'abrutir sur l'écran de
leur ordinateur, confondent le jour et la nuit, le signe
plus avec le signe moins (4,9 milliards d'euros). Les
petits enfants des milliardaires sont donc déjà programmés
pour Harvard et pour les plus hautes fonctions au service du
système. D'autres enfants cherchent de quoi vivre dans les
décharges des métropoles du Tiers monde. C'est beau
l'enfance à notre époque.

A Tours ces derniers mois, trois policiers ne réussissaient
pas à réaliser les scores de PV, d'arrestations ou
d'expulsions de sans papiers qu'on exigeait d'eux.
Ils n'arrivaient pas à faire du chiffre en suffisance.
Ils vivaient mal les pressions de leur hiérarchie. Ils se
sont suicidés. Trop faibles, pas fiables, encore trop humains
pour ce job, circulez, y-a rien à voir.

A Amiens trois policiers de la Brigade anti-criminalité
(BAC) ont tenu des propos racistes et antisémites et fait le
salut nazi dans un pub. Ces émules d'Hitler partisans du
" pouvoir blanc " étaient " bien notés " et fréquemment
félicités par leur hiérarchie. Eux, ils n'avaient aucune
difficulté à faire du chiffre, à être de bons stakhanovistes
de la répression.

Citons à présent les objectifs fixés au personnel cet
automne par la direction d'une usine de province tout à fait
banale dans son fonctionnement : " réduire de 5% l'ensemble
des coûts par an, réduire le taux de panne de 10% par an,
réduire de 10% les délais de livraison... " Ces chiffres
transmis par un ami sont terrifiants si on veut bien
imaginer la casse en terme de santé qu'ils impliquent pour
toutes les catégories de travailleurs concernés.  Partout en
fait, dans les usines, les transports, les administrations
et les grandes surfaces commerciales, de plus en plus de
salariés ne tiennent plus ou ne vont plus supporter le
rythme, l'intensité de la charge de travail, le mépris et le
chantage au licenciement. Stress, cancers, dépressions,
accidents cardio-vasculaires, épuisement. Trop faibles, pas
fiables, à expédier au chômage, à l'hôpital ou au cimetière.

Ainsi va la course éperdue du Capital qui nous mène de plus
en plus vite au grand fiasco, le désastre écologique, la
dégringolade économique, peut-être à terme des politiques
protectionnistes virulentes et quelques guerres
supplémentaires pour paralyser ou briser les millions de
dominés qui risquent fort de comprendre clairement les
enjeux et de se révolter.

Comme passagers d'un nouveau genre de Titanic qu'est
l'économie mondiale, nous ne pouvons plus nier que depuis la
crise des " subprime " les premiers icebergs sont en vue. Le
G7 se réunit et exhibe son impuissance. Sommes-nous toujours
prêts à être les soutiers et ensuite les naufragés de ce
vaisseau fantôme, de cette machine en folie ?
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La France en guerre
Pour les prochaines
Ceux du fond de la classe
Oiseau moqueur
Les riches reprennent confiance
Schumann
In situ
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LA FRANCE EN GUERRE
L'État français est en guerre. Il l'était déjà en
Afghanistan et en Côte d'Ivoire. Il l'est bel et bien une
fois de plus au Tchad où il protège et a mis en place à son
gré une série de régimes infâmes depuis plus de 25 ans.
Comme le sous-sol du Tchad recèle du pétrole et des
minerais, la France, le pays des droits de... piller les
richesses de ses anciennes colonies et de quelques autres
pays comme la Birmanie, se doit d'autant plus de s'accrocher
au terrain !

L'armée française et les services secrets français
soutiennent une série de régimes dictatoriaux en Afrique de
longue date, sans jamais soulever de vagues d'indignation.
En particulier les responsabilités des gouvernants français
de droite et de gauche dans le génocide au Rwanda.

L'armée française est en train d'installer une base aux
Émirats Arabes Unis dans le Golfe, ce qui permettra à la
France de participer aux premières loges à la prochaine
guerre dans cette région pour défendre les intérêts de Total
et de quelques autres groupes du même acabit qui ont de
grosses marchandises, style armements sophistiqués ou
centrales nucléaires à vendre aux dictatures dans le coin.

Tout ce déploiement guerrier en Afrique et au Moyen Orient
s'appelle en langage clair et net de l'impérialisme. Cela
s'attaque directement aux intérêts des peuples concernés.
Cela est également ruineux et se paye sur le dos des classes
populaires d'ici.


POUR LES PROCHAINES
En mai 68 on a lancé plus d'idées que de pavés ou de
cocktail Molotov. Les pavés ont été enlevés, remplacés par
du macadam, mais les idées sont toujours là, prêtes à nous
embarquer sur les ailes de la révolution.

Des nantis et des avachis vont nous asséner que ce genre de
printemps d'espoir et de liberté n'est plus possible. Mais
il en est d'autres, comme Denis Langlois, qui estiment que
" Le Grand Soir peut encore se lever de bon matin ". Il nous
propose donc un florilège de " Slogans pour les prochaines
révolutions " (éd du Seuil, février 2008), drôles,
poétiques, parfois un peu faciles, souvent heureusement
actualisés, et de toute façon parfaitement calibrés, comme
un bon pavé de 68 lancé vigoureusement dans la bonne
direction.

Certains slogans méritent que les futurs contestataires s'en
emparent car ils contiennent cette part de  réalisme et de
rêve nécessaire pour les prochaines révolutions : " Méfions-
nous des avant-gardes éclairées. Il y a des pannes de
courant ", " Métro, boulot, Windows, dodo", " S'il t'arrive
de confondre le rouge et le rose, achète-toi une bonne paire
de lunettes ", " Appartenez-vous ! ", " Luttons avec
émulation contre l'esprit de compétition ", " Finis les
inventaires. De l'invention ! ", " L'usage immodéré de la
révolte est excellent pour la santé "...

Ces slogans comme tous les autres ont fière allure dans la
typographie singulière qui les habille et que nous ne
pouvons évidemment pas reproduire ici.


CEUX DU FOND DE LA CLASSE
" Ceux du fond de la classe ", ce sont bien sûr les
" mauvais élèves ", " ceux qui ne s'intéressent à rien ",
"les chahuteurs ", " les cas difficiles ", ceux qui
s'ennuient à mourir sur les bancs de l'école quand ils ne
perturbent pas le bon déroulement des leçons. Eva Blumenfeld
qui fut institutrice de 1956 à 1994, a eu un attachement
particulier pour ces enfants qui avaient des difficultés
dans la vie, dans leur famille et donc forcément à l'école.
Elle raconte ses souvenirs dans un livre intitulé " Ceux du
fond de la classe " sous la Cinquième République (1956-1997)
(éd L'Harmattan, novembre 2007, 294 pages).

Eva raconte en phrases courtes et précises, sans recherche
d'effets littéraires, ce que fut sa vie d'institutrice mais
aussi de militante syndicale et politique, au PCF d'abord
par tradition familiale puis à l'O.C.I, groupe trotskyste
qu'elle finira par quitter sans regrets. Nous sommes au coeur
des animosités, des mesquineries et aussi des chaleureuses
solidarités liées au militantisme comme au métier
d'enseignant.

Eva ne cache rien des difficultés qu'elle a rencontrées avec
certains élèves, parents, collègues, directeurs,
inspecteurs, syndicalistes, militants... Elle en a surmonté
certaines, seule ou avec d'autres. Elle a ressenti
l'amertume de l'échec et aussi la joie d'aider des enfants à
progresser sur tous les plans. Quand on a à coeur ce métier
d'institutrice (ou d'instituteur), il tient à la fois du
bricolage et de l'artisanat d'art. Cette chronique est
nourrie d'une foule de portraits brefs et saisissants
d'élèves qui ne laisseront aucun lecteur indifférent.

Cette chronique sans prétention est aussi au passage un
document vivant sur l'évolution de la société française, ses
crises politiques et sociales (la guerre d'Algérie, Mai 68,
la gauche au gouvernement, etc.). Ce n'est pas un livre
neutre ni nostalgique. Eva a de belles convictions et de
justes indignations. Elle a par exemple la dent dure et
juste avec toutes les directives pédagogiques et manoeuvres
administratives en tout genre qu'elle a pu observer de près
au cours de sa carrière.

Il faut maintenant préciser que nous sommes plusieurs à
connaître  personnellement Eva, sinon, comme disent les
enfants, " ce serait de la triche ". Son livre est à son
image : simple, direct, lucide et généreux.


OISEAU MOQUEUR
" Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur " de Harper Lee (éd.
Livre de Poche, 448 pages) est un beau roman d'une tonalité
originale. Comme son prénom manquant ne l'indique pas,
Harper Lee est une femme, née en Alabama en 1926. Elle n'a
publié que ce roman en 1960 à une époque extrêmement tendue
dans le Sud des États-Unis où les Noirs et à leurs côtés les
étudiants blancs progressistes se mobilisaient pour abolir
la ségrégation.

Ce roman situé dans une petite ville du Sud ne donne pas
l'impression dans ses premiers chapitres d'avoir un rapport
avec cette situation. L'histoire se passe dans les années
trente marquées par la crise de 1929. Ces années
correspondent à l'enfance de l'auteure.

Atticus est un avocat blanc de cinquante ans qui a perdu sa
femme et élève ses deux enfants avec l'aide d'une nourrice
noire. Il a un principe humaniste inébranlable. Il estime
qu'il faut toujours tenter de se mettre à la place des
autres quoi qu'ils disent ou qu'ils fassent. Sa fille
cadette, Stout, a six ans et c'est elle qui raconte les
événements à sa façon. C'est une teigneuse attachante, une
curieuse de tout, pleine de vie et d'imagination comme son
frère Jem qui a cinq ans de plus qu'elle.

Le lecteur se doute bien que cette chronique charmante et
parsemée d'épisodes intrigants ne restera pas dans ce
registre bien longtemps. Un jour, leur père, homme
attentionné sur l'essentiel avec ses enfants et d'une
honnêteté à toutes épreuves, est nommé avocat d'office pour
défendre un Noir accusé faussement d'avoir violé une jeune
femme blanche.

Dans un tel contexte, comment faire face à l'injustice ?
Comment se tenir droit face à l'hostilité sournoise de toute
une ville ?

Un livre à lire et à faire connaître largement.


LES RICHES REPRENNENT CONFIANCE
" Les riches reprennent confiance " est une réplique dans la
pièce de théâtre du même nom de Louis-Charles Sirjacq qui se
joue actuellement au Théâtre de Poche Montparnasse à Paris.
Il se situe à quelques pas de cette tour stupidement haute
qui en plus regorge d'amiante à ce qu'on a pu lire dans la
presse.

Ca tombe bien puisque dans ce petit théâtre, c'est le
cynisme, la bêtise et la mégalomanie des affairistes qui
sont croqués à belles dents. Tous les " acteurs " de
l'entreprise apparaissent sur la scène dans une histoire
financière d'une actualité plus que jamais brûlante : les
patrons, la secrétaire sans illusions, les bourgeoises
actionnaires cherchant un sens à leur vie, la femme de
ménage africaine et les ouvrières flouées.

Le personnage principal, Bruno Sobin, joué superbement par
Jacques Frantz, rachète des entreprises et licencie à tour
de bras. On pense évidemment à Bernard Tapie quant aux
origines populaires du type qui " s'est enrichi par lui-
même, à la force du poignet ", en brisant la vie d'un nombre
non négligeable de salariés. Dans le style tueur à froid,
gardant le sourire et un langage châtié en toutes
circonstances, il y a le bras droit de Sobin, joué par
Thomas Le Douarec. Il est élégant sur le plan vestimentaire
et sordide sans limites sur tous les autres plans. Il fait
furieusement penser aux Lagardère, Pinault, Arnault,
Bouygues et autres Bolloré.

La pièce est divertissante, efficacement mise en scène et
très bien jouée, en finesse, sans aucune exagération
boulevardière.


SCHUMANN
La semaine dernière en complément d'un quotidien du soir
pour lequel nous n'avons aucune envie de faire de la
publicité se trouvait un CD Deutsche Grammophon exceptionnel
qu'il est au demeurant possible de commander à ce journal
("Le Monde ") pour une somme raisonnable. Le compositeur
romantique Schumann était à l'honneur avec deux de ses chefs-
d'oeuvre, son concerto pour piano et son concerto pour
violoncelle. Sachant que la pianiste est Martha Argerich et
le violoncelliste Mstislav Rostropovich, il n'est pas
nécessaire de nous lancer dans de longs développements sur
la qualité des interprètes. Ils expriment à merveille le
grand lyrisme lumineux de Schumann. Aucune folie dans ces
oeuvres bien que ce compositeur ait terriblement souffert de
cette maladie et en soit mort. Cette musique là n'est que
poésie aux couleurs variés et aux développements amples et
modernes pour son époque.


IN SITU
Nous allons mettre incessamment en ligne un article sur la
façon somme toute risible dont Claude Anet, un journaliste
du " Petit Parisien " hostile à la Révolution russe de 1917
a couvert l'événement et comment 90 ans plus tard des
journalistes du " Monde " et du " Figaro " ont à leur tour
maltraité cette révolution et ses acteurs.

Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder

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