Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°89 (14 janvier 2008)

Bonsoir à toutes et à tous,

Nous vous adressons nos meilleurs voeux pour l'année 2008
tout en sachant qu'ils auraient peut-être plus de
consistance si nous vous les adressions d'emblée pour
l'année 2009 ou même 2010. L'année qui vient de démarrer
dans un certain type de calendrier ne laisse rien présager
de bon quant à la suite. Récession, inflation, guerres,
surexploitation des travailleurs, catastrophe écologique,
l'humanité est mise à rude épreuve par les forces du
capital.

Il nous faut d'autant plus cultiver cette subjectivité
rebelle dont parle le philosophe allemand Oskar Negt dans
certains de ses écrits (lire le recueil de textes intitulé
" L'espace public oppositionnel " paru chez Payot en 2007).
Dans cette perspective, il faut nous souhaiter avant tout
des moments de joie de vivre légers ou intenses. Car c'est
précisément cette joie de vivre rare et fugitive que tous
les dispositifs sociaux et politiques concourent à
amoindrir, à tuer dans l'oeuf chez chacun d'entre nous avec
une efficacité indéniable. Les tuyaux de l'information sont
remplis de nouvelles tristes, consternantes, épouvantables
ou d'anecdotes dérisoires ou stupides. La vie quotidienne
est parsemée de tracas et de plaintes incessantes.

Sans tourner le dos à tout cela, il faut bien tenter de se
tenir à distance prudente de ce déluge incessant et si
possible y faire face avec énergie. À la fois avec une
inquiétude lucide et raisonnée et avec une certaine dose de
joie de vivre. Combinaison difficile mais féconde que l'on
voit particulièrement à l'oeuvre dans les mouvements sociaux
d'une certaine ampleur ou d'une certaine profondeur.
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Le petit père des " people "
Du neuf dans l'internationalisme
Rue Santa Fe
It's a Free World
La visite de la fanfare
Spontanéité allemande
Gaïa et Prométhée
Années noires
Bach aérien
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LE PETIT PÈRE DES " PEOPLE "
Le secrétaire du Parti socialiste, François Hollande,
déplore que le comportement de Sarkozy ternisse "l'image de
la France". Ségolène Royal se plaint de sa désinvolture. La
fille de Le Pen vient de s'insurger contre sa façon de
porter atteinte au respect que doit inspirer la " fonction
présidentielle ". Or si le flambeur, Nick Berluskozy,
parvient grâce à ses pitreries, tête-à-queue et
fanfaronnades grotesques à ternir et ridiculiser
définitivement " l'image de la France " et " la fonction
présidentielle ", nous ne pourrons que nous en réjouir ;
même si le plus gros restera à faire contre les méfaits de
son gouvernement.

Pourquoi Hollande, Royal, Bayrou, Marine Le Pen et quelques
autres prennent-ils  un air pincé pour s'indigner du
comportement du pétulant petit père des " people " ? Parce
que Sarkozy ne leur a laissé que ce genre d'os à ronger. Au
Front National, il a chipé l'essentiel des thèmes et du
programme. Il ne s'est pas contenté de prendre à Le Pen
l'expression " identité nationale " que le leader d'extrême
droite avait inventée, il en a fait un ministère spécial, en
fait une terrifiante machine répressive soumise à des
impératifs de rendement contre les familles d'immigrés. Son
admiration pour Poutine et Bush, sa complaisance à l'égard
de régimes réactionnaires et sanglants comme ceux du Golfe
et sa dévotion au Vatican s'inscrivent dans une cohérence
d'ensemble : vénération du fric et de l'obscurantisme
religieux, hypocrisie moraliste, écrasement des plus
faibles.

Sarkozy ne s'est pas contenté d'appliquer des mesures
antisociales en France et de déployer une diplomatie
qu'aucun dirigeant du Parti socialiste ne songe à critiquer
sur le fond, il a embauché pour compléter utilement sa force
de frappe politique et idéologique une série de cadres
socialistes ou assimilés qu'on ne pourrait qualifier de
transfuges que si le Parti socialiste avait réellement une
autre politique que celle de l'UMP. Le travailliste Tony
Blair ne s'y est pas trompé. Très logiquement, il vient
d'approuver chaleureusement la politique de Sarkozy, tout en
précisant qu'il serait membre du Parti socialiste s'il était
français.

Si d'aventure le très catholique Tony Blair voulait devenir
français, le ministère des horreurs nationalistes tenu par
Brice Hortefeux n'y verrait aucun inconvénient. C'est
l'identité des pauvres que la police contrôle, pas celle des
riches et des amis des riches. Mais avant de songer à
devenir un citoyen français, Tony Blair attendra sûrement
que le régime fiscal français devienne plus avantageux que
le régime britannique.


DU NEUF DANS L'INTERNATIONALISME
La revue Carré rouge a cessé de paraître sous forme de revue
sur papier mais continue à exister sous forme électronique.
Deux numéros sont déjà sortis en prise avec l'actualité
politique, sociale et économique. Nos lecteurs intéressés
peuvent nous envoyer leur adresse électronique afin de
recevoir " la lettre de Carré rouge " dès sa parution. Ce
changement de support a permis au collectif de Carré rouge
de s'associer au collectif suisse de " La Brèche " pour
publier une revue trimestrielle dont le premier numéro est
sorti en décembre.

Cette revue est nourrie par des textes venant de différents
pays. Les analyses proposées appellent le débat mais se
signalent par le sérieux de leurs argumentations et leur
richesse factuelle. Le dossier de ce premier numéro est
consacré à l'écologie. Une analyse développe le lien intime
qui s'est établi historiquement entre l'essor du capitalisme
et l'utilisation des énergies fossiles. Ce dossier fournit
de nombreuses données scientifiques sur l'état de la Terre
et sur les dégâts environnementaux et sociaux que provoquent
les agrocarburants.

Pour s'abonner pour un an au trimestriel " La Brèche-Carré
rouge ", il suffit d'envoyer un chèque de 22 euros à l'ordre
de " les Amis de Carré Rouge ", à Carré Rouge, B.P 125,
75463 Paris Cedex 10.


RUE SANTA FE
De la militante chilienne Carmen Castillo, on connaissait
son témoignage terrible, "Un jour d'Octobre à Santiago"
(éditions Stock, 1980). Elle fut la compagne de Miguel
Enriquez, dirigeant MIR (Movimiento de Izquierda
Revolucionaria - Mouvement de la Gauche révolutionnaire) tué
par la police de Pinochet le 5 octobre 1974 dans un faubourg
populaire de Santiago du Chili, rue Santa Fe.

Elle reprend dans ce film une enquête où s'entremêlent des
aspects de l'histoire du Chili de la création du MIR en 1965
jusqu'à nos jours, l'histoire de ses camarades de lutte et
sa propre histoire personnelle. Il faut aller voir ce film
pour réfléchir à toutes les conséquences qui ont suivi le
coup d'État de Pinochet et des dirigeants impérialistes
américains en 1973, comment de simples habitants ou
militants ont tenu pendant la dictature. Il est aussi
nécessaire de réfléchir de façon à la fois critique et
constructive aux modalités du militantisme des années
soixante-dix et quatre-vingts. Carmen Castillo exprime la
difficulté de se libérer d'un passé pesant, marqué par des
tortures et des exécutions, marqué par de grandes erreurs
politiques de choix et d'appréciation, sans renier ce qui
fit la noblesse et la valeur d'un engagement. Des jeunes
s'engageant dans la lutte aujourd'hui au Chili et ailleurs
sont en mesure de comprendre un tel passé sans s'en
encombrer, grâce entre autres à ce film.


IT'S A FREE WORLD
Les deux jeunes femmes qui sont les protagonistes
principales du film de Ken Loach, "It's a Free World", sont
infiniment moins sympathiques que celles que nous avions pu
voir dans "De l'autre côté " de Fatih Akin ou dans
" La graine et le mulet " d'Abdellalif Kechiche. Comme quoi
la notion de génération ne définit en rien les comportements
individuels. Ce qui leur est commun est une énergie, une
volonté de ne pas baisser les bras. Rien de plus, car au
bout du compte elles ne sont pas dans le même camp même si
elles sont de la même époque et de la même génération.

Angie se fait licencier après avoir réagi comme il se doit
au harcèlement d'un supérieur hiérarchique. La jeune femme
qui a un mari déprimé par sa situation de chômeur et un
enfant à élever va tenter de " s'en sortir " avec une amie
en créant sa propre entreprise de recrutement d'ouvriers à
tout faire, des immigrés des pays de l'Est ou de plus loin
encore. D'exploitées elles deviennent exploiteuses. Nous
sommes dans les bas-fonds de l'exploitation capitaliste
mondiale où y compris d'anciens salariés peuvent tenter
d'être un rouage face à des plus déshérités qu'eux. Comme
toujours depuis les origines de ce système, toutes les
règles morales ou sociales sautent dès que la valeur
d'échange mène la danse pour se transformer en profit.

Angie est possédée par une compulsion pathétique à mettre en
mouvement son corps et son cerveau pour faire du fric,
évacuer le stress en boîte ou se payer un jeune polonais
qu'elle exploite. Tout le monde est en voie d'être
instrumentalisé, déshumanisé, pour la plus grande gloire du
monde des choses et de l'argent. Ainsi va la décomposition
du prolétariat comme force collective susceptible de
résister à l'emprise du capitalisme. Ken Loach est désemparé
face à cette situation et il y a de quoi. Mais les chemins
de la recomposition d'une force collective humaine visant
d'autres rapports sociaux existent peut-être après tout ?
Il ne serait pas raisonnable d'aller à des conclusions
définitivement désespérées après avoir vu ce film. Les
chemins de l'émancipation sont étroits et cachés. Il faut
les trouver.


LA VISITE DE LA FANFARE
Dans le film " La visite de la fanfare " de Eran Kolirin,
nous sommes au Moyen Orient, plus précisément dans une
bourgade israélienne perdue dans le désert. Nous
n'entendrons ni explosions, ni fusillades, ni hurlements.
Les membres de la fanfare de la police égyptienne
d'Alexandrie se sont égarés en se trompant sur le nom de la
localité où ils sont censés se produire. Le prochain bus ne
passera que le lendemain. Avec leurs uniformes et leurs
valises à roulettes, que faire si ce n'est accepter
l'hospitalité quelque peu contrainte des Israéliens du cru ?
Un groupe d'Arabes bien ennuyés par la situation se
retrouvent hébergés par un groupe d'Israéliens sombrant dans
l'ennui, la tristesse et les petites rancoeurs. Tous ces gens
sont supposés se détester selon les diktats de l'histoire
contemporaine qui ont déchiré les peuples de cette région.
Mais personne n'a vraiment envie de se mettre sur cette
mauvaise longueur d'ondes.

Alors vont-ils restés silencieux, pétrifiés, introvertis ?
Le chef de la fanfare tente à tout prix de maintenir une
distance vis-à-vis des autochtones et une discipline dans
les rangs. En vain. L'hôtesse israélienne prend en mains la
fanfare avec une douce ironie. La plus jeune recrue, garçon
j'm'enfoutiste et tranquillement séduisant, aide aussi à
dépasser les blocages des uns et des autres. Un beau film
mélancolique qui prend à revers quelques clichés.


SPONTANÉITÉ ALLEMANDE
Cette rubrique s'intitule spontanéité allemande par
taquinerie envers une certaine lourdeur d'esprit française à
l'égard de la culture et en particulier de la littérature
allemande. Et pourtant qui peut contester le caractère
alerte et vivant des récits d'Heinrich Mann, de Kurt
Tucholsky, d'Erich Maria Remarque, de Hans Falallada ou de
Peter Härtling pour n'en citer que quelques-uns ?
À l'origine de cette lignée, se trouve un romancier quasi
inconnu en France et qu'admirait beaucoup Thomas Mann, un
certain Theodor Fontane (1819-1898) dont le roman " Effi
Briest " vient d'être réédité dans la collection
L'Imaginaire/Gallimard. Fontane était prussien. Sauf que ce
sont des mots comme spontanéité, fraîcheur de l'inspiration,
fluidité du style qui s'imposent dès que l'on se plonge dans
l'histoire touchante de cette jeune fille de dix-sept ans
souriant à la vie et promise au mariage avec un
fonctionnaire quadragénaire plein d'ambition et de
principes.

Fontane s'est mis à écrire vers soixante-ans une vingtaine
de romans. Après une carrière de pharmacien puis de
journaliste, des voyages et de nombreuses promenades en
Prusse, il disposait de nombreuses observations et d'un
regard suffisamment critique à l'égard des conventions
sociales pour donner une véracité et un charme particulier à
ses histoires où aucun effet n'est appuyé.

La réédition du roman " Effi Briest " est accompagnée d'un
DVD du film de Rainer Werner Fassbinder fidèlement adapté de
l'oeuvre de Fontane. Hanna Schygulla interprète le rôle
d'Effi. Ce film en noir et blanc est tout simplement superbe
et d'autant plus appréciable qu'on aura lu auparavant le
roman de Fontane.


GAÏA ET PROMÉTHÉE
Nous nous faisons un plaisir d'annoncer le nouveau spectacle
d'une très chaude actualité de la Compagnie Jolie Môme. De
quoi s'agit-il ? L'histoire d'Enri Wegmann se présente ainsi :

" Hermès, dieu du commerce, détourne le savoir de Prométhée
pour étendre son pouvoir...
Gaïa, la Terre-Mère en subit violemment les conséquences et
part à la rencontre de Prométhée. Qui décide du sort du
Monde ? Zeus, du haut de l'Olympe ? Gaïa, déesse de la Terre
et de la nature ? Prométhée, puni par Zeus pour avoir donné
la connaissance aux hommes ? Hermès, dieu du commerce et des
voleurs ? Quoiqu'il en soit, le Panthéon est en folie ! Mais
de comédie en tragédie, ce sont bien les humains qui sont
menacés ! "

Représentations du 17 janvier au 3 mars 2008, les jeudi,
vendredi, samedi à 20h30, dimanche à 16h. Réservations au
01 49 98 39 20. Tarifs 18 et 10 euros. Restauration et bar
avant le spectacle. Cela se passe à " La Belle Étoile ",
14 rue Saint-Just, La Plaine  Saint-Denis (93210). À quelques
minutes du métro Porte de La Chapelle. Par le Bus 153 :
arrêt Église de La Plaine.


ANNÉES NOIRES
Nous n'avons pas encore eu la possibilité de voir
l'exposition "Allemagne, années noires" au musée
Maillol/fondation Dina Vierny, 59-61 rue de Grenelle dans le
7e arrondissement à Paris. Un ami nous a écrit qu'il fallait
absolument la voir avant qu'elle se termine le 4 février :
" Des artistes que vous connaissez (Otto Dix, Georg Grosz, Max
Beckmann et d'autres dont je ne connaissais pas l'existence)
sont exposés autour de la Première Guerre Mondiale et de ses
suites (les années vingt en Allemagne, l'exposition est
divisée en deux parties pour ces deux périodes). "

Ce sont des artistes implacables qui s'expriment en 250
oeuvres sur papier (aquarelles, encres, dessins et gravures)
sur la barbarie de la première grande boucherie
impérialiste, la misère sous toutes ses formes qui a
submergé l'Allemagne ensuite et aussi l'espoir d'un
dépassement par la Révolution. Le sort de l'Europe au XXe
siècle s'est joué en Allemagne dans ces années-là. Une
raison de plus d'aller voir comment de jeunes artistes
revenus du front ont rendu compte de cette période au
travers de leurs sensibilités.


BACH AÉRIEN
À quarante ans le violoncelliste Jean-Guihen Queyras vient
de livrer son interprétation des six Suites de Jean-
Sébastien Bach (2CD et un DVD Harmonia Mundi). Il avait en
mains pour s'emparer de ces chefs d'oeuvre un instrument
datant de 1696 signé par Gioffredo Cappa. Pas de doute, ce
violoncelle sonne bien et on en a une belle confirmation
dans le DVD qui accompagne cet enregistrement et où l'on
voit le musicien dialoguer avec sa jeune directrice
artistique Cécile Lenoir, oeil rivé sur la partition de Bach.

L'interprétation de Queyras est aérienne et de haute tenue.
Elle privilégie le caractère dansant de ces oeuvres où
s'enchaînent Allemande, Courante, Sarabande, Menuets et
Gigue.

Des comparaisons sont possibles et intéressantes avec celles
de Casals, de Bylsma, de Starker, de YoYo Ma ou de
Rostropovitch. Établir un classement avec des notes ou des
étoiles comme trop de revues et journaux en ont l'habitude,
y compris pour hiérarchiser les films et les livres, est
sans aucun intérêt. Jean-Guihen Queyras a pris un immense
plaisir à jouer ces Suites de Bach et il nous le fait
partager.


Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder

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