Journal de notre bordLettre n°87 (25 novembre 2007)Bonsoir à toutes et à tous, Qui aurait pu imaginer que les salariés de la SNCF et ceux de la RATP auraient le cran de faire grève pendant huit à dix jours en dépit d'un front hostile qui mérite d'être détaillé ? Les ministres, les ténors de l'UMP et du MEDEF, les journalistes aux ordres, les semi-intellectuels du côté de l'injustice sociale établie avaient furieusement labouré le terrain idéologique. " Évidemment qu'il fallait supprimer les régimes spéciaux de retraite ! " hurlaient-ils. Il en allait du sauvetage de notre économie, de l'avenir du pays et quasiment de notre civilisation. En plus c'était une promesse électorale. C'est sacré une promesse électorale ! On ne rigole pas avec ça en France, c'est bien connu. Et ce n'est pas Jospin, Hollande, Royal, Fabius, Lang ou Aubry qui risquaient de remettre en question le caractère sacré d'une promesse électorale, ni à leurs yeux de nantis la nécessité de s'attaquer aux retraites des cheminots, des traminots, des gaziers et électriciens. Le front était encore plus large et plus perfidement hostile. Tous les dirigeants des confédérations syndicales étaient d'accord sur "le principe ", sacrifier les intérêts de ces travailleurs sur l'autel de la " négociation " où peuvent se déployer tous leurs talents d'alliés compréhensifs et raisonnables du patronat et de l'État. Bref jouer leur rôle. Fillon s'est félicité " de l'attitude responsable des principales organisations syndicales qui ont appelé à la reprise du travail " (Les Échos du 23 novembre). Il est clair que ce sont les dirigeants de la CGT, Thibault en tête, qui ont joué le rôle le plus efficace en tant que saboteurs du mouvement. Le PCF, collant jour après jour à la position des dirigeants de la CGT, a donc fait très discrètement mais sûrement partie de ce front hostile aux grévistes. Cheminots et traminots auraient pu partir perdants et se contenter de deux jours de grève pour la forme comme le souhaitait ardemment Thibault. Ils ont résisté à toutes ces pressions et manoeuvres pendant dix jours bien que leur mouvement n'ait pas réussi à s'étendre. D'où leur sont venues leur détermination et leur capacité à prendre en charge leur mouvement jusqu'à un certain point au travers de leurs assemblées générales ? De leur expérience qui pour les plus anciens remonte au mouvement de l'hiver 1986-87, de celui de novembre-décembre 1995 et de celui du printemps 2003 qui fut surtout celui des enseignants. Expériences des coups fourrés des bureaucrates syndicaux mais aussi expériences vécues avec bonheur des formes démocratiques et de luttes ouvertes avec les autres salariés et les jeunes. D'ailleurs dans le mouvement de novembre 2007 qui aura peut- être une suite en décembre, les grévistes ne revendiquaient pas seulement pour eux-mêmes le maintien des 37,5 annuités mais le retour à 37,5 annuités pour tous les salariés, mesure supprimée déjà dans le privé par le passage à 40 annuités en août 1993 par Balladur (dans le silence et la passivité la plus totale de la part des confédérations syndicales). Les cheminots ne pouvaient pas gagner sur ce point avec leurs seules forces. Mais il semble que des points importants ont été marqués qui dépassent le seul constat de ne pas avoir obtenu gain de cause et de se retrouver avec une paye de novembre très amputée. Les cheminots ont estimé être dans leur droit et en plus ils ont dit ce qu'était le juste droit pour tous. Ce qui n'a pas peu contribué au succès de la journée des fonctionnaires le 20 novembre et à faire refleurir sur les visages des sourires. Les sourires de la lutte commune ont sonné le glas de " l'état de grâce ". Ils mettent en partie fin à la morosité plus ou moins dépressive qui s'était installée dans nos têtes après la victoire de Sarkozy et de sa bande. Nous devons cela au mouvement des cheminots et des traminots. Les étudiants et les lycéens qui ont beaucoup appris au cours du mouvement contre le CPE ont pu également prendre appui sur celui des cheminots et poursuivre et contrôler eux- mêmes celui qui est en cours. La suite ? Elle sera difficile. De même que la vie est difficile, le mot étant extraordinairement faible, dans les quartiers pauvres, sur les chaînes de montage, sur les chantiers, aux guichets de l'ANPE, dans les logements insalubres, dans les centres de rétention, dans la rue où des hommes et des femmes attendent chaque jour l'arrivée de la camionnette du SAMU social ou des Restos du Coeur. Qu'il y ait beaucoup de désespoir dans la société actuelle et seulement très peu d'espoir en une autre société, il y a de toute façon beaucoup de rage. Quoi qu'il nous en coûte à nous salariés, retraités, étudiants ou lycéens, nous ne serons définitivement ni contrôlables ni au format voulu par les classes dirigeantes. _____________________________________________ Pertes et fracas Des luttes en Europe De l'autre côté La zone d'inconfort Rapprochement _____________________________________________ PERTES ET FRACAS On allait voir ce qu'on allait voir ! La " croissance de la France ", le jogger de l'Élysée prétendait l'été dernier aller la chercher là où elle se planquait. Bon sang, il allait les ramener entre les dents les points de croissance, avec ses petits bras musclés et son bagout de vendeur de polices d'assurances. Et puis rien. Si ce n'est la croissance de sa rémunération de 172%, le triplement du budget de l'Élysée et 15 milliards de cadeaux fiscaux à ceux qui ont déjà tout ce qu'il faut et plus. Quant à la " croissance " de l'économie française, le bide se précise. Et ce ne serait pas en faisant lire par l'encadrement dans les entreprises des pages de Maurice Thorez sur la nécessité de terminer une grève ou de produire toujours plus que " la croissance " pointerait son nez. La crise financière internationale qui fait lentement et sûrement murir une récession aux États-Unis va aussi remettre à sa petite place le capitalisme hexagonal, comme tous les capitalismes européens au demeurant. Les pertes des banques sur le crédit hypothécaire sont considérables. Elles sont d'autant moins faciles à évaluer que leurs directoires s'emploient beaucoup à en cacher l'étendue. Les pertes avérées de la banque Northern Rock sont telles que l'hebdomadaire britannique " The Economist " suggère d'un air navré (et piteux pour son credo fanatiquement libéral) de nationaliser cette banque. À charge pour les contribuables britanniques de combler le trou dans sa caisse. La hausse des prix repart depuis trois mois à l'échelle internationale à un rythme soutenu qui va miner le pouvoir d'achat des salariés européens comme des travailleurs indépendants. Lesquels ont déjà compris que " la mondialisation capitaliste heureuse ", horizon indépassable de l'histoire universelle, à laquelle il leur suffisait, paraît-il, de s'adapter, est une arnaque propagandiste du plus mauvais goût. Le jogger de l'Élysée et sa bande de l'UMP qui ont une vision grandiose de ces désagréables réalités économiques mondiales ont peur... de perdre les élections municipales sur la question de la dégradation du pouvoir d'achat. S'il n'y avait que cela. Ils ont tellement déjà porté et programmé de mauvais coups contre les classes populaires, qu'on n'assistera pas seulement à l'usure rapide des équipes gouvernementales en place à Paris, Londres, Rome ou Berlin, mais à des réactions sociales dont on ne peut prévoir ni l'ampleur ni leur capacité à converger. DES LUTTES EN EUROPE Le point saillant dans l'actualité récente européenne est que quelques secteurs de salariés ont fait grève plus ou moins longtemps mais avec une détermination nouvelle. Outre le mouvement des cheminots en France, il y a eu une grève de six heures des cheminots en Hongrie, une grève de plusieurs jours des cheminots conducteurs en Allemagne, la grève des infirmières en Finlande, des mouvements dans les transports en Angleterre pour parler de ceux d'une certaine importance. Car il y a aussi une myriade de mouvements locaux portant de plus en plus sur la fiche de paye et dont ne rendent compte fugitivement que les médias locaux. À quoi il faut ajouter plusieurs grèves ou menaces de grèves en Russie, tout particulièrement la grève de 1 500 ouvriers à l'usine Ford de la région de Saint Petersburg (voir l'article récent de Carine Clément mis en ligne sur le site http://alencontre.org/). Jeter les fondations d'un nouveau mouvement ouvrier à l'échelle européenne sera d'une extrême difficulté. Plus que jamais les gouvernements et les bourgeoisies d'Europe occidentale, sous le fouet des conséquences inquiétantes de la crise financière internationale, imposeront aux salariés et aux jeunes des conditions de travail et d'existence, mais aussi des conditions plus dures pour mener leurs luttes, qui s'apparenteront de plus en plus à celles qui sont coutumières en Amérique Latine. Mais ce qu'il est bien difficile à éradiquer partout sur la planète, à coup de mensonges et d'abrutissement médiatiques, de licenciements ou de répressions policières, c'est le sens de la solidarité, celui qui redonne toujours sens aux gestes individuels et collectifs pour aider les autres, pour s'entraider, pour passer à une société humaine. DE L'AUTRE CÔTE Fatih Akin est un cinéaste allemand d'origine turque. Son précédent film " Head-on " était très réussi. Son dernier " De l'autre côté " ne l'est pas moins. Fatih Akin a conçu un scénario tragique d'une grande richesse. Les histoires de six personnages attachants s'entremêlent entre Brême, Istanbul et un village de la mer Noire en Turquie. Tout commence par la trajectoire d'un vieil immigré turc, veuf depuis de nombreuses années, qui s'attache à Yeter, une prostituée également d'origine turque. Son fils qu'il a élevé seul a réussi à devenir professeur de littérature allemande. Yeter envoie de l'argent à sa fille restée en Turquie pour lui permettre de suivre des études. Elle n'en a plus de nouvelles depuis des mois car sa fille s'est engagée politiquement en Turquie dans un groupe d'extrême gauche pourchassé par la police. " De l'autre côté ", c'est évidemment l'autre pays, celui de l'exil et de ses déchirements (l'Allemagne) ou celui des origines (la Turquie) où l'on peut très bien se sentir finalement " étrangers " surtout lorsqu'on est en butte en permanence à la répression policière ou à la prégnance de l'islamisme. " L'autre côté " peut aussi s'entendre comme celui de jeunes gens de ces deux pays fortement campés sur le versant de leur choix personnels, face à celui de leurs mères et de leur père auxquels ils sont profondément liés. " L'autre côté " est aussi celui de la mort, si stupide, si injuste qui creuse dans les existences des vivants un vide impossible à combler. Ce film nuancé est porté par d'excellents acteurs. Il en dit au passage beaucoup sur cette Europe des frontières matérielles et mentales. Il nous rend particulièrement sensibles aux aspirations humaines généreuses, affectives et politiques, qui se heurtent à cette réalité-là, froide et brutale. LA ZONE D'INCONFORT Nous avons déjà eu l'occasion de dire tout le bien que nous pensions du roman " Les Corrections " (Points Seuil) de l'écrivain américain Jonathan Franzen, une saga familiale d'aujourd'hui d'un humour original. " La zone d'inconfort " du même auteur nous livre divers éléments personnels sans se présenter comme une autobiographie en bonne et due forme (éd de L'Olivier, 253 pages, août 2007). Franzen a passé son enfance et son adolescence dans une banlieue tranquille de Saint Louis dans le Missouri. Tel un passereau cherchant sa pitance de ci de là, il saute allègrement des épisodes de sa jeunesse à ceux de son âge adulte ou supposé tel. Cette comparaison nous vient naturellement à l'esprit car il est venu un jour à Franzen le goût pour l'observation des oiseaux aux quatre coins des États-Unis. Sa passion ornithologique a agi comme un baume sur ses difficultés à faire des choix intimes, à " gérer " les intrusions de sa mère dans sa vie sentimentale et professionnelle, à faire face aux graves maladies de ses parents et à trouver sa propre voie. Les amateurs de BD et de littérature allemande, ce qui n'est pas incompatible, apprécieront ses développements sur les " Peanuts " de Schulz (Snoopy, Charlie Brown, Linus, etc.), sur Goethe, sur " La Montagne magique " de Thomas Mann et sur " Le Procès " de Franz Kafka. RAPPROCHEMENT Une amie nous recommande une musique qui sort des sentiers battus. C'est nous dit-elle " une musique composée par un musicien iranien : Javid Afshari Rad et joué par l'orchestre de la radio norvégienne. Ce rapprochement des hommes donne un résultat magnifique à mon sens. C'est réconfortant et plein d'espoir en l'avenir en ces temps de luttes sociales difficiles. " Pour entendre " Dastafshan, for Santur and Symphonic Orchestra " de ce compositeur, il faut se connecter sur : http://www.zarbang.com/pages/disc.html ou http://www.youtube.com/watch?v=8NIdn5RJLYk. En voyant cette vidéo, on ne peut que partager l'avis de notre amie. Le santur (ou santoor) est un instrument perse à cordes percutées comme le cymbalum. La rencontre de cet instrument avec des percussions, une harpe et tout un orchestre symphonique est convaincante. La jubilation des musiciens qui interprètent cette musique est communicative. Bien fraternellement à toutes et à tous, Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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