Journal de notre bordLettre n°86 (17 octobre 2007)Bonsoir à toutes et à tous, Après six mois à subir la bande gouvernementale et patronale actuelle, on a la pénible impression d'avoir déjà encaissé six ans supplémentaires d'agressions tous azimuts minant toutes les bases de notre existence : santé, conditions de travail, retraite, emploi, logement, pouvoir d'achat, droits sociaux et juridiques, mensonges et diversions médiatiques en continu d'une démagogie grossière et lamentable... La sensation d'écoeurement devient envahissante et fait progressivement naître l'envie d'en découdre à fond avec ces pitres médiocres détenant tous les pouvoirs, ces " initiés " pleins aux as, ces irresponsables surfant sur les capitaux et nous conduisant droit dans le mur : désespoir des chômeurs, des jeunes et des retraités, désarroi et épuisement des salariés, destructions inexorables des ressources de la nature pour nourrir le capital financier. Autant dire qu'une grève et des manifestations de grande ampleur vont être accueillies comme un premier bol d'oxygène commençant à assainir une atmosphère délétère et restaurant un peu de solidarité et de convivialité chaleureuse. Et plus si affinité et volonté collective d'investir la rue et nos lieux de travail, sans frontières corporatistes ou générationnelles. Gardons le cap pour construire démocratiquement dans les semaines et les mois à venir un vaste mouvement de contestation globale. Repris à leur compte par les acteurs des luttes actuelles et futures, le sens du mot rupture pourrait alors s'inverser : la rupture tous ensemble, oui ! Rupture avec la casse des droits sociaux et des services publics, rupture avec le tout répressif délirant, rupture avec le culte de la concurrence, de la performance, de l'évaluation et du fric, rupture avec le système régressif et destructeur du profit. Modernisons la société en la débarrassant de l'archaïque domination des nantis. ____________________________________________ Retour sur le printemps étudiant 2006 Frontières de la politique Transgression Frères, cousins et ancêtres Improvisation Harpiste In situ _____________________________________________ RETOUR SUR LE PRINTEMPS ÉTUDIANT 2006 L'école de la lutte et d'autant plus porteuse d'avenir qu'elle est complétée par une mémoire réflexive de la lutte. C'est à un tel travail que dix étudiants et étudiantes de Lyon ayant des points de vue différents se sont consacrés pendant plusieurs mois pour rendre compte et réfléchir sur le mouvement contre le CPE et la Loi d'égalité des chances sur leur ville. Sophie Béroud (maître de conférences à l'université Lumière Lyon 2) a aidé à la réalisation de leur projet. Il en est sorti un livre par le collectif 4 bis, " Le CPE est mort... Pas la précarité ! Retour sur le printemps étudiant 2006 " (éd Syllepse, mai 2007, 279 pages). Il pourrait très utilement servir de base à des réunions-débats entre étudiants et salariés précaires ou pas. Une étude semblable, réalisée plus à chaud par quelques acteurs de ce mouvement à Nancy avait déjà donné lieu à la rédaction d'une brochure très vivante dont nous avons déjà eu l'occasion de rendre compte (lettre n°71 du 18 août 2006 ; brochure " Toi aussi bloque ta fac ! " téléchargeable sur http://nancy-luttes.net/anti-CPE/printemps2006.pdf). Le collectif lyonnais a choisi de fonctionner en atelier d'écriture. Il passe au crible tous les problèmes qui se sont posés au cours du mouvement, les illusions, les prises de conscience, la mise en place tour à tour laborieuse, parfois paralysante mais aussi efficace de diverses modalités démocratiques. Le livre donne un très bon aperçu des questionnements qui ont parcouru le monde des étudiants et des étudiantes au cours de ce printemps 2006 : légitimité du blocage, légitimité des actions minoritaires, positionnement par rapport à la répression policière, tentatives d'élargissement aux salariés de l'université et à ceux des entreprises, tentative de contacts avec des jeunes des banlieues pauvres, interrogations sur les ambiguïtés des syndicats et partis de gauche voulant cantonner la mobilisation au seul rejet du CPE, légitimité d'une société condamnant à la majorité des jeunes à la précarité... Les autoportraits des contributeurs montrent bien au travers de quelles étapes, avant et pendant ce mouvement, ils et elles se sont politisé(e)s (sans nécessairement s'affilier à un syndicat ou une organisation politique). Les conclusions débouchent sur une évocation très bienvenue des mouvements d'étudiants et de lycéens qui se sont produits dans la même période en Allemagne, au Chili et en Grèce. FRONTIÈRES DE LA POLITIQUE La revue " Variations " s'inscrit dans un courant de recherche philosophique et politique que l'on appelle " la théorie critique de l'école de Francfort " et qui s'est à la fois inspiré et confronté aux analyses de Marx par volonté d'échapper à l'enfermement dans un marxisme pseudo-orthodoxe et stérile. Cette référence à la théorie critique est une source d'inspiration mais aussi une mise en question de tous les travaux produits dans le cadre et à côté de " l'Institut pour la recherche sociale " créé en 1931 à l'Université de Francfort par Max Horkeimer et dont on peut citer comme figures majeures Theodor W. Adorno, Herbert Marcuse, Eric Fromm et plus tard Jürgen Habermas. Cet institut poursuit ses activités aujourd'hui avec entre autres le philosophe et sociologue Axel Honneth. Revenons à la dernière livraison de la revue " Variations " de juin 2007 (éditions Parangon/Vs, http://atheles.org/parangon/revuevariations/) qui a pour titre " Les Frontières de la politique ". Nous ne pouvons pas rendre compte ici de tous les textes proposés mais aucun n'est à négliger. Quand on sait l'horreur ou la gêne que provoque à notre époque l'utilisation des mots prolétariat ou prolétarien, on est fortement intrigué, avec une pointe d'amusement, par le dialogue original entre deux penseurs allemands Oskar Negt et Alexander Kluge, " Ce que le mot prolétariat signifie aujourd'hui ". Lucia Sagradini propose des pistes pour comprendre comment l'espace public peut être investi politiquement par des pratiques artistiques de rue. Elle illustre sa recherche par l'exemple de l'Argentine à la fin de la dictature militaire en 1983 et dans les années suivantes. Aldo Häsler nous fait découvrir la carrière et le contenu des recherches d'Ernest Manheim, sociologue méconnu bien qu'il ait inspiré de nombreux travaux en particulier aux États-Unis. Signalons enfin une critique acérée et imparable du musée du quai Branly (" Un triste visage de la république ") par Julien Bordier. TRANSGRESSION Le Pakistan est un de ces nombreux pays de la planète dont les nouvelles qui nous parviennent ont toujours un caractère consternant. Le roman d'Uzma Aslam Khan, " Transgression " (Picquier poche, 654 pages, février 2007) ne dément pas cette perception mais lui donne une chaleur humaine et une lisibilité d'un autre ordre que celle fournie par les reportages ou les analyses. Uzma Aslam Khan est originaire de Karachi où elle a grandi. Elle a enseigné la littérature anglaise aux États-Unis, au Maroc et au Pakistan. Elle vit actuellement à Lahore où elle travaille dans le cadre d'une ONG. Elle a mis en exergue à ce roman une pensée de l'écrivain John berger : " Regarder est un choix ". Elle regarde donc en face son propre pays et aussi les épreuves et les déchirures de l'immigration. Pour nous, lire ce livre, c'est faire le choix de regarder en profondeur la réalité humaine explosive du Pakistan. Ce pays est le résultat d'une guerre épouvantable encouragée par l'impérialisme britannique. Il n'a pas cessé depuis de connaître d'autres guerres en son sein dans les campagnes et les villes, au Cachemire ou aux marges de l'Afghanistan. Comment peut-on vivre, aimer, espérer dans un tel pays marqué par les injustices et humiliations sociales, la corruption, les manipulations des grandes puissances comme les Etats-Unis, les exactions de l'armée d'Etat ou des bandes armées locales, les archaïsmes inhumains dont les femmes sont les premières victimes ? Ce roman est une fresque fluide, artistement construite où les personnages sont dans chaque chapitre précisément situés entre 1984 et 1992, avec pour l'un d'entre eux un ultime retour sur la période 1968-1972. Un de ces romans qui aide à comprendre dans quel monde nous vivons aujourd'hui, sans toujours bien le savoir. FRÈRES, COUSINS ET ANCÊTRES On assiste à une véritable explosion des savoirs sur les ancêtres de l'homme. Beaucoup d'idées arrêtées sur leurs origines géographiques et leurs spécificités sont à présent remises en cause grâce aux découvertes récentes en archéologie, paléontologie, éthologie et génétique. Se retrouvent sur la sellette pour des examens comparatifs de toutes sortes, les hominidés disparus, les grands singes et l'homo sapiens. Un dossier spécial " Sur la trace de nos ancêtres " de la revue " Pour la Science " (octobre-décembre 2007) fait le point de façon à la fois prudente, pointue et attrayante, en particulier grâce à la qualité des illustrations qui aident beaucoup à comprendre les différentes contributions. Citons parmi les auteurs de diverses nationalités et de divers secteurs de la recherche, Pascal Picq, Ian Tattersall, David Begun et Brigitte Senut. On croyait que l'homo sapiens se distinguait par sa bipédie, son utilisation des outils et sa culture. Il n'en est rien. On découvre des bipédies chez les grands singes, des cultures et l'utilisation d'outils par les chimpanzés et des orangs-outans. Sabrina Krief met en relief que les chimpanzés pratiquent l'automédication en sélectionnant certaines plantes. Quant à l'émergence de l'homme, elle n'a rien de linéaire. Les scientifiques parlent d'une évolution buissonnante. Nos ancêtres ont cohabité sur la terre avec d'autres hominidés qui ont ensuite disparu malgré de grandes capacités d'adaptation. Sur bien des questions, les auteurs s'en tiennent à des hypothèses. Brigitte Senut affirme par exemple modestement qu'on ne commencera à comprendre l'origine des hominidés et celle des grands singes africains de type moderne " qu'à la condition de combler la lacune chronologique comprise entre 14 et 7 millions d'années. " Vaste programme. IMPROVISATION Il n'est point besoin d'être amateur de jazz pour prendre plaisir et intérêt à voir les séquences de grands musiciens regroupées sur l'album de deux DVD intitulé " Improvisation " (Laser Swing Productions). Avant que cette merveille ne soit épuisée, il faut savoir qu'on y voit grâce au cinéaste Gjon Mili et à l'organisateur de concerts Norman Granz, Charlie Parker côtoyer Coleman Hawkins, Ella Fitzgerald retrouver Lester Young, Duke Ellington jouer du piano à la fondation Maeght sous l'oeil du peintre et sculpteur Juan Miro... La qualité du tournage permet de mieux comprendre la façon d'être et la personnalité des musiciens (ce qui est rare dans les prises de vue actuelles). Il faut aussi mentionner des interventions de Count Basie, de Dizzy Gillespie, un très beau court métrage de 1944, " Jammin' The Blues " avec quelques pointures de l'époque et de nombreux témoignages de musiciens sur Charlie Parker. HARPISTE La beauté originale est rare sur les ondes. Vos chances d'entendre la harpiste et compositrice Isabelle Olivier sont donc infimes, sauf si vous avez la possibilité de vous procurer ses CD ou de l'écouter en direct (http://www.isabelleolivier.com/). Elle occupe esthétiquement un espace indéterminé entre jazz et musique contemporaine, Afrique et Océanie, pays celtiques et Andalousie. Peut-être avez-vous entendu sa musique en voyant le film " L'esquive " d'Abdelalif Kechiche ? La harpe entraîne quelques associations d'idées et de compositions : un concerto de Mozart pour harpe et flûte, les oeuvres symphoniques de Debussy et Ravel, la musique celtique d'Alan Stivell et bien sûr les gracieux numéros musicaux d'Harpo Marx. Les sons de la harpe évoquent trop facilement une musique un peu fragile. Isabelle Olivier aborde l'instrument tout autrement, à pleines mains si l'on ose dire car elle peut aussi bien en faire un usage percussif, mouiller ses doigts, frapper les cordes avec des baguettes à l'embout caoutchouté pour suggérer le chant des baleines ou avoir recours à l'électronique pour obtenir encore d'autres sons. L'élément aquatique constitue un des fils conducteurs de sa sensibilité et de son inspiration. Dans une interview au journal " So What " en janvier 2000, elle déclarait : " La première fois que j'ai demandé une harpe, j'avais quatre ans. Sa sonorité me faisait penser à la pluie. " A huit ans et demi, elle a commencé à prendre des cours de harpe. Plus tard elle a introduit cet instrument dans " l' espace de liberté " qu'est le jazz où il n'existait pas. Aujourd'hui elle s'est évadée vers ses propres sentiers. Il est temps à présent de vous donner les références de ses deux derniers opus chez Nocturne (http://www.nocturne.fr/) : " Petite et grande " lui permet de belles rencontres notamment avec Sébastien Texier, clarinette et saxophone, Jean- Philippe Viret, contrebasse, Louis Moutin, batterie, et les violonistes Johan Renard et Didier Lockwood. " island # 41 " est un disque en solo mais avec la collaboration artistique de Sébastien Texier et Olivier Sens. L'oeuvre est poétique, variée, accomplie. L'auditeur attentif écoutera le grand silence qui précède la fin de la dernière plage car la musique est inconcevable sans le silence. IN SITU Plusieurs textes ont été mis en ligne depuis la dernière lettre dans des registres variés comme toujours. Un texte s'appuie sur des informations en direct de deux acteurs de la lutte à Oaxaca : " Que faire pour " passer dans les médias " ? La réponse nous a été donnée à Oaxaca ". Nous avons continué la publication de textes sur la réorganisation et le fonctionnement de la Poste en Suisse par Jean-Marie Gerber qui intéresseront au plus au point les salariés d'autres pays et d'autres secteurs. Après " Un paquet plombé ", il faut donc lire ensuite " Quand la Poste sonne les facteurs " et enfin " Le Lied du " teamster " qui n'a rien de schubertien. Vous trouverez également une étude sur le cycle romanesque de Roger Martin du Gard, " Les Thibault ". Par sa vaste polyphonie humaine et politique, il n'y a pas d'âge ni de saison pour lire " Les Thibault ". Une critique porte sur le film de Michael Winterbottom, " Un coeur invaincu " où il est question à nouveau du Pakistan. Nous avons mis un lien avec le site Congrès Marx V pour vous permettre d'accéder facilement à l'importante et récente étude de François Chesnais, " Notes sur la portée et le cheminement de la crise financière ". Bien fraternellement à toutes et à tous, Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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