Journal de notre bordLettre n°85 (19 septembre 2007)Lettre n°85 (19 septembre 2007) Bonsoir à toutes et à tous, Le gouvernement français est tout à fait à la hauteur de ce qu'on pouvait attendre de lui. A savoir d'une incroyable bassesse. La proposition d'un amendement visant à mettre en oeuvre des tests ADN pour les immigrés candidats au regroupement familial est chargé de ce sens pervers contre les immigrés qui en fait un franc succès sur le terrain du racisme, même si finalement elle n'était pas retenue. Elle contribue comme d'autres mesures ou projets annoncés avec roulement de tambours à accoutumer tout le monde aux injustices à répétition, aux coups tordus, à la répression la plus vile, comme celle qui se déchaîne contre les parents sans papiers et leurs enfants. Ces gens au pouvoir sont bien incapables d'inventer quoi que ce soit. Ce sont des plagiaires. " Tel pays le fait, l'a fait ou va le faire, pourquoi pas nous ? " Ainsi toute une bande de joyeux hystériques fouillent dans toutes les poubelles des autres gouvernements occidentaux actuels ou passés, pour dénicher les mesures infâmes qu'ils pourraient bien mettre en oeuvre, soit pour enrichir directement les riches, soit pour faire diversion et diviser les classes populaires afin qu'elles soient sonnées et incapables de résister à cette déferlante. Il faudrait lutter, certes. Mais pas faire semblant de lutter. Pas lutter en ordre dispersé. Ce qui arrangerait peut-être le gouvernant car défaire le monde du travail morceau par morceau, avec la démoralisation en prime qui suivrait, lui permettrait de se rengorger et de tout se permettre. Comme naguère Reagan après la défaite des contrôleurs aériens aux États-Unis. Comme Thatcher après la défaite des mineurs britanniques. On ne déclenche pas des luttes en en parlant mais on peut perdre des luttes faute de préparation, faute de détermination et surtout faute de vigilance sur la façon dont elles sont menées. Le gouvernement voudrait frapper vite et fort les salariés et les retraités car le contexte économique européen et mondial est loin de lui être favorable. C'est l'évolution de ce contexte qu'il nous faut suivre et comprendre pour ne pas être impressionnés ni par les simagrées ni par les agressions des mercenaires politiques du CAC 40. __________________________________________ La destruction des travailleurs Les enfants illégitimes Par-dessus le bord du monde Du parti des myosotis Âmes solitaires Disparition des abeilles et au-delà Bartók In situ Sept ans de bonheur internautiques __________________________________________ LA DESTRUCTION DES TRAVAILLEURS Effrayant mais nécessaire. Tel est le livre d'Annie Thébaud- Mony, " Travailler peut nuire gravement à votre santé " (éd. La Découverte, février 2007, 291 pages). Le long sous-titre indique clairement qui est visé : " sous-traitance des risques, mise en danger d'autrui, atteintes à la dignité, violences physiques et morales, cancers professionnels. " La sociologue qui est directrice de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médical (inserm) confronte le comportement des patrons aux exigences (théoriques) du code de procédure pénal. Pourquoi la mise en danger de la santé ou de la vie d'autrui, la mise en cause de sa dignité n'était-elle pratiquement jamais sanctionnée par les tribunaux dès lors que le coupable est un employeur ? Son enquête de vaste envergure est précise et impitoyable. Elle nous conduit en France mais aussi au Québec, en Afrique du Sud, en Inde ou au Brésil. L'auteure met fortement en cause la sous-traitance des risques par les grandes entreprises. Elle s'appuie sur les témoignages de travailleurs du bâtiment, du nucléaire, de la chimie, de la sidérurgie ou de l'agroalimentaire. Une bonne partie du livre est consacrée au cas scandaleusement exemplaire de l'exposition des travailleurs à l'amiante. Elle montre que c'est la lutte d'ouvrières d'Amisol qui a fait exploser ce scandale et permis qu'un Collectif Amiante arrache des compensations financières, sans pour autant qu'aucun employeur ne se retrouve en prison, ce qui aurait été la moindre des choses en toute logique pénale. L'auteure dénonce aussi la complaisance de nombreux médecins à l'égard des intérêts patronaux en matière de santé des travailleurs. Elle donne des exemples concrets de connivence de chercheurs, et en particulier de cancérologues de renom, avec des grandes entreprises pour cacher la nocivité de certains produits ou des expositions aux radiations nucléaires. La lecture de ce livre engendre inévitablement un sentiment de révolte contre tous ces capitalistes qui détruisent les travailleurs à tous les niveaux et au sens littéral du terme. LES ENFANTS ILLÉGITIMES Abdelmalek Sayad (1933-1998), ami et interlocuteur essentiel de Pierre Bourdieu, était un grand sociologue. Il peut encore et plus que jamais nous aider à comprendre les contradictions et les déchirements engendrés par l'immigration. Nous avons déjà signalé ici la parution du premier tome de ses études rééditées par les éditions Raisons d'agir (" L'immigration ou les paradoxes de l'altérité " 1. L'illusion du provisoire, février 2006). Le deuxième tome dont le sous-titre est " Les enfants illégitimes " réunit trois textes publiés entre 1979 et 1994. Le premier texte intitulé " Exister, c'est exister politiquement " date de 1985 mais garde toute sa pertinence et sa charge critique. D'autant plus qu'on sait ce qui en a été depuis de l'attitude de tous les gouvernements à l'égard des immigrés et de la trahison des aspirations des jeunes immigrés par les partis de la gauche gouvernementale. Le corps de ce recueil est constitué par des entretiens de Sayad réalisés en 1975 avec Zahoua, une étudiante appartenant à une famille algérienne immigrée en France. Il est clair que la connaissance du sociologue à la fois des réalités de la société algérienne et des réalités de l'immigration a permis à Zahoua d'aller très loin dans l'analyse de sa situation, de celle de ses parents et de ses frères et soeurs. La mise au jour des comportements et des itinéraires des uns et des autres a un effet libérateur. Les entretiens de Zahoua et de son père avec le sociologue " les révèlent à eux-mêmes ". Le troisième texte aborde parmi d'autres thèmes celui du " sinistre jeu circulaire de l'anathème et de la provocation " à propos du port du voile islamique. D'autres passages jettent un éclairage très important pour comprendre le rapport en évolution de certains immigrés algériens avec la religion musulmane. PAR-DESSUS LE BORD DU MONDE L'Australie est un pays-continent qu'on se contente souvent de situer dans son esprit au moyen de quelques stéréotypes et images récurrentes. Pêle-mêle, les Aborigènes, l'opéra de Sydney, le surf, les kangourous ou les films " Mad Max ", " Crocodile Dundee "... Pour ne pas se contenter de cette perception réductrice, on peut faire confiance à l'écrivain australien Tim Winton né en 1960. Son roman " Par-dessus le bord du monde " (éd Rivages poche, 493 pages) nous expédie sans ménagement sur la côte occidentale de l'Australie, entre la ville de Perth au sud et la région tropicale inhospitalière située au nord de Broome. C'est l'Australie d'aujourd'hui, avec ses ordinateurs, ses musiques country, blue-grass et ZZ Top, ses 4 X 4, ses pêcheurs de langoustes qui gagnent gros grâce au marché japonais mais en risquant leur vie, ses familles recomposées, ses solitudes terribles et ses vieilles haines locales. Au coeur de ce roman, Georgie Jutland, une ancienne infirmière de quarante ans dont la vie perdrait son sens lentement et sûrement sans la survenue foudroyante de l'amour pour un homme moralement blessé. Rencontre à risque pouvant emporter plusieurs personnes " par-dessus le bord du monde ". Tim Winton a un talent qui embrasse la démesure de la nature et la complexité des sentiments. Son énergie et sa finesse d'observation l'apparente à des romanciers américains tels que Russell Banks ou Jim Harrison. DU PARTI DES MYOSOTIS Jean-Pierre Levaray a emprunté une belle expression à Georges Brassens pour intituler son dernier livre " Du parti des Myosotis " (éd L'Insomniaque, 63 pages). Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de conseiller la lecture de ses textes où il donne à voir et à comprendre sans fioritures et sans nous " monter le coup ", ce que peut être la vie des travailleurs dans une grande et dangereuse entreprise chimique (" Putain d'usine " voir le point de vue sur notre site, " Après la catastrophe ", " Classe fantôme ", etc.). Ici son attention se porte sur l'existence de son père, cheminot dans la banlieue de Rouen, un homme bien souvent absent à cause de son travail, un " taiseux ", un ouvrier combatif mais pas un militant comme son fils. Jean-Pierre Levaray s'aperçoit au moment où son père Marceau va disparaître qu'il le connaît mal, qu'il ne sait finalement pas grand-chose de ce qu'il a vécu et qu'il est trop tard pour combler ces manques. Il raconte avec une sobriété impressionnante la maladie, l'agonie, la mort et l'inhumation de son père. Les rares souvenirs reviennent, concrets, émouvants dans leur sobriété. Grâce à l'écriture, la vie du cheminot simple et " sans histoire " prend une autre consistance. Par ricochet, on songe à d'autres personnes disparues qui ont eu aussi une vie droite et digne, en toute discrétion. ÂMES SOLITAIRES Gerhart Hauptmann (1862-1946) est un dramaturge allemand pratiquement inconnu en France depuis des décennies. Le fait qu'il ait reçu le prix Nobel de littérature en 1912 ne prouve évidemment rien quant à la qualité de son oeuvre. Plus intrigant est le fait que la très critique Rosa Luxemburg, en littérature comme dans tous les domaines, se plaît à le citer à plusieurs reprises dans sa correspondance et recommande avec enthousiasme et insistance auprès de ses ami(e)s le roman de Hauptmann, " Der Narr in Christo Emmanuel Quint " (Le Fou de Dieu) paru en 1910 et jamais traduit en français à notre connaissance. Nous disposons à présent de deux pièces d'Hauptmann traduites, " La Peau de castor " et dernièrement " Âmes solitaires " (les deux aux éditions Théâtrales, www.editionstheatrales.fr). Cette dernière pièce très vivante, de sensibilité naturaliste et expressionniste, se lit sans aucune difficulté. L'action se situe à la fin du XIXe siècle dans une maison de campagne au bord d'un lac, près de Berlin. L'action se déroule dans le cadre douillet et apparemment bienveillant d'une famille bourgeoise pétrie de conventions religieuses et moralistes. Cadre étouffant pour des jeunes gens qui cherchent les voies de leur accomplissement. Situation dramatique pour une jeune femme condamnée au rôle de mère et qui se sent délaissée par son mari, jeune philosophe qui peine à mener à bien l'ouvrage sur le matérialisme qu'il a entrepris. Survient alors dans ce milieu, une jeune étudiante russe pleine d'allant dont les parents ont été déportés en Sibérie. " Âmes solitaires " n'est pas sans faire penser à certaines pièces de l'écrivain norvégien Ibsen ou même du russe Tchekhov. On retrouve chez ces trois dramaturges des questions toujours actuelles pour des jeunes et des moins jeunes. Dans un contexte social et familial donné, que faire de sa vie, comment devenir libre, comment ne pas gâcher sa vie ni celle des autres ? BARTOK Les six quatuors à cordes du compositeur hongrois Béla Bartók (1888-1945) viennent d'être réédités en deux CD par Sony-BMG dans l'interprétation de 1963 du Quatuor Juilliard. C'est une des plus remarquables interprétations parmi quelques autres dont celle du Quatuor Vegh et du Quatuor Hongrois. Ces oeuvres exigent beaucoup de l'auditeur. On ne saurait les écouter en fond sonore comme les grandes surfaces infligent impunément ce traitement à la musique de Vivaldi ou de Mozart. Les chefs-d'oeuvre de ce compositeur ne se laissent pas aimer facilement car ils sont définitivement modernes. Ensuite, à la seconde écoute, on sait que quelque chose d'important s'est passé dans notre vie d'auditeur de musique. Bartók a composé ces quatuors entre 1906 et 1939. Ils montrent l'étendue de ses audaces d'écriture nourries de nombreuses musiques folkloriques et expriment d'une certaine façon tout le destin tragique des peuples de l'Europe dans cette période. Les créateurs engagés au meilleur sens du terme, c'est-à- dire en adéquation avec leurs convictions et leur visée artistique, ne sont pas légions. Il est donc nécessaire de préciser que, en 1919, Bartók a accepté un poste au commissariat à la musique dans l'éphémère République des Conseils dirigée par Béla Kun. Athée, humaniste et antifasciste convaincu, il s'exila aux États-Unis où il ne connut que misère et incompréhension jusqu'à sa mort. Il avait écrit à un ami roumain en 1931 : " Mon idée maîtresse véritable, celle qui me possède entièrement depuis que je suis un compositeur, c'est celle de la fraternité des peuples, de leur fraternité envers et contre toute guerre, tout conflit. Voilà l'idée que, dans la mesure où mes forces me le permettent, j'essaie de servir par mes oeuvres. C'est pourquoi je ne me refuse à aucune influence, qu'elle soit de source slovaque, roumaine, arabe ou autre, pourvu que cette source soit pure, fraîche et saine. " [cité par Michèle Reverdy dans " Histoire de la Musique occidentale, Sous la direction de Brigitte et Jean Massin "] IN SITU Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne plusieurs textes sur notre site : " A propos de l'expérience chilienne de l'Unité populaire (1970-1973) ", des " Nouvelles d'Oaxaca " et un article en provenance de Suisse, " Un paquet plombé, De la régie fédérale à l'entreprise privée : procès-verbal d'une liquidation ". Nous avons également annoncé dans notre page d'accueil le Congrès Marx International V qui se tiendra à Paris et Nanterre du 3 au 6 octobre, avec son programme. SEPT ANS DE BONHEUR INTERNAUTIQUE Le site Culture et Révolution vient de fêter son septième anniversaire. Notre toute petite équipe ne s'était fixé aucun objectif précis. L'aventure pouvait bien durer 7 semaines, 7 mois ou 7 ans, l'essentiel était de s'y lancer, de faire partager nos intérêts, nos plaisirs, nos passions pour certains livres, certaines musiques et toutes sortes d'expression culturelles et politiques ayant à voir de près ou de loin avec l'émancipation de l'humanité, émancipation de tout ce qui la rabaisse, l'aliène, l'écrase ou peut la détruire. Nous serions bien en peine de dire si ce site a été un succès ou un échec en termes d'audience ou de nombre de connexions pour la simple raison que nous n'avons pas voulu nous en préoccuper. Faire découvrir un livre utile ou une belle oeuvre à quelques personnes est en soi une réussite qui nous comble. Les messages que nous avons reçus depuis la création de ce site en attestent. Ils nous ont étonnés par leur diversité et par leur provenance, de toutes les générations, d'autres pays et même d'autres continents. Ils nous ont encouragés à continuer. La seule ombre au tableau est que nous n'avons pas toujours été à la hauteur pour répondre à tout le monde. Nous sommes bien décidés à nous secouer pour remédier à ces lacunes. Toutes les suggestions et critiques nous ont été précieuses. Notre souhait le plus cher est que le dialogue se poursuive encore longtemps avec vous. Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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