Culture & Révolution

Sommaire

Liste par thèmes

 

Journal de notre bord

Lettre n°84 (23 août 2007)

Bonsoir à toutes et à tous,

Le système financier mondial a traversé ces dernières
semaines quelques turbulences sérieuses. Rien n'indique que
cette crise soit en voie de résorption. Les chefs d'État,
les banquiers et les analystes ne cessent de répéter que
" les fondamentaux de l'économie mondiale sont solides "
mais leur inquiétude est palpable.

En réalité l'économie des États-Unis se dégrade.
L'effondrement du pont de Minneapolis n'est pas un fait
isolé. Il est aussi un symbole fort. L'État fédéral se
désengage d'investissements vitaux pour la population afin
de faire la guerre en Irak et d'aider toujours plus des
grandes firmes dont la productivité patine. Le déficit de
l'État fédéral est abyssal.

Le secteur de l'automobile est en difficulté et le secteur
du bâtiment a supprimé de nombreux emplois. Cela ne s'est
pas trop vu dans les statistiques car ce sont pour la
plupart des immigrés qui ont été licenciés. C'est dans ce
contexte qu'a fini par éclater la bulle spéculative du
marché du crédit immobilier le plus à risque. Beaucoup de
banques américaines, européennes et asiatiques s'étaient
laissées séduire par ce secteur extrêmement profitable.

Les pertes des banques et la panique dans le petit monde des
gros actionnaires ont amené les banques centrales à les
mettre sous perfusion d'une masse de liquidités pour leur
éviter la faillite et rassurer les milieux financiers. Dans
l'immédiat ce sont des salariés américains attirés par des
taux d'intérêt très faibles initialement  pour acquérir une
maison qui vont payer la note. Le sénateur Dodd a annoncé
que " un à trois millions de personnes pourraient perdre
leur logement ". Quand les mensualités passent de 400 dollars
à 1 500 dollars, ça change le profil du budget familial,
surtout si entre temps un membre de la famille s'est fait
licencié ou est tombé malade. La lecture du livre
de Barbara Ehrenreich, " On achève bien les cadres "
(Grasset), est à cet égard très illustrative de la précarité
qui atteint y compris les cadres salariés aux États-Unis.

Avec un ensemble touchant, les gouvernants et les
économistes qui n'ont pas cessé de chanter les louanges de
" la mondialisation heureuse " montrent du doigt les excès,
les risques déraisonnables et les zones d'ombre de la sphère
financière en vantant les vertus de " l'économie réelle ",
c'est-à-dire productive. Ils en appellent au contrôle, eux
qui ont mis en oeuvre et applaudi à la suppression des
contrôles des États, aux privatisations à tout va et à la
financiarisation de l'économie  depuis trente ans ! C'est un
peu comme d'exiger toujours plus d'exploits de la part des
sportifs tout en condamnant vigoureusement leur recours au
dopage.

Ils en appellent à la transparence des marchés ! C'est un
peu comme si on demandait à des joueurs de poker de montrer
leurs cartes à tout le monde avant d'entamer chaque partie.

Essayer de séparer la " mauvaise " finance de la " vertueuse "
économie productive (exploiteuse directe de la force de
travail) est à la fois une mauvaise plaisanterie et une
escroquerie intellectuelle. Certes la sphère du crédit et de
la finance en général a toujours donné l'impression de mener
sa vie de patachon  en toute indépendance par rapport au
processus de production. Marx parlait à propos du capital à
intérêt de " la mystification du capital sous sa forme la
plus flagrante ". L'illusion que de l'argent peut créer tout
seul de l'argent et que cet argent correspond à une valeur
finit toujours par se dissiper au moment des crises.

L'économie capitaliste forme un ensemble complexe,
hétérogène, multipolaire, contradictoire et condamné à la
fuite en avant. Les récessions et crises majeures
constituent ses seuls freins. Elle est à l'évidence
aberrante et insupportable pour l'humanité. Mais elle forme
un tout dont les éléments sont interconnectés.

Pour passer à une autre économie qui ne soit pas explosive
et mortifère, une grande coordination entre les forces des
salariés et des classes populaires des cinq continents sera
nécessaire.
____________________________________

En Russie
Aux Philippines
Quoi de neuf, petit homme ?
L'écume des jours
À dévorer
Max Roach
____________________________________

EN RUSSIE
Dans des conditions très difficiles, des travailleurs, des
mal-logés et des retraités en Russie continuent à opposer
une résistance collective pour défendre leur dignité et
leurs conditions de vie. Le premier août dernier environ
2000 ouvriers de l'immense usine AVTOVAZ qui fabrique entre
autres des voitures Lada ont fait grève pour une
augmentation de salaires. Ce mouvement inattendu a été suivi
d'une série de mesures répressives. Nous invitons nos
lecteurs à lire le compte-rendu de ces événements que nous
avons mis en ligne sur notre site et de répondre
favorablement à l'appel à la solidarité sous une forme ou
une autre du syndicat alternatif " Edinstvo "AVTOVAZ
impliqué dans cette lutte.
http://culture.revolution.free.fr/solidarite-internationale/2007-08-22-Greve-AvtoVAZ.html

Un autre texte d'un grand intérêt de Carine Clément relate
le déroulement du Forum Social Sibérien qui s'est tenu du 3
au 5 août à Novosibirsk. Ce texte est consultable sur le
site http://www.alencontre.org/, de même que d'autres textes
antérieurs sur les mobilisations sociales en Russie.


AUX PHILIPPINES
Le numéro d'août de la revue A Contre Courant (BP 2123,
68060 Mulhouse cedex, courrier@acontrecourant.org) attire
l'attention sur une lutte qui dure depuis septembre 2006 aux
Philippines à l'usine textile C. Woo Trading dans la zone
franche de la province de Cavite. A la suite du refus de la
direction coréenne de négocier avec le syndicat et le
licenciement de deux responsables syndicaux, un piquet de
grève a été organisé. En représailles, 116 ouvriers ont été
licenciés. Depuis le piquet de grève a été à plusieurs
reprises l'objet de violences de la police et en juin
dernier d'hommes de mains cagoulés et armés. Sur le site
http://www.peuples-solidaires.org/ se trouvent tous les
détails sur cette lutte et les moyens d'exprimer sa
solidarité avec ces travailleurs.


QUOI DE NEUF, PETIT HOMME ?
Le roman de Hans Fallada " Quoi de neuf, petit homme ? "
(éd Denoël et D'ailleurs) a été publié en Allemagne en 1932.
Il vient seulement d'être traduit en français et probablement
grâce à l'intérêt justifié suscité par un autre roman du
même auteur, " Seul dans Berlin " (voir le point de vue sur
notre site). Fallada écrit de façon journalistique, vivante
et à la bonne franquette. Ses deux jeunes héros très
amoureux sont extrêmement attachants : Emma Mörschel dite
" Bichette ", fille d'ouvriers ayant des sympathies pour les
communistes et Johannes Pinneberg dit " le Môme ", un
employé sans opinions bien arrêtées mais un chic type qui ne
chercherait sûrement pas à s'en sortir aux dépens d'un
collègue de travail. Et pourtant la situation de crise en
pousse beaucoup à la délation auprès des chefs ou à subir
les humiliations pour éviter le licenciement.

L'histoire de ce couple se passe en province puis à Berlin.
Elle nous plonge dans le milieu des ouvriers, des employés,
des chômeurs et aussi des marginaux fêtards dans les années
qui ont précédé l'arrivée des nazis au pouvoir.

On touche de près et en permanence aux questions liées au
manque d'argent, au manque de travail, au manque de
logements corrects et accessibles et aussi à la dégradation
des relations au travail où les patrons exigent toujours
plus de rendement pour des salaires de plus en plus minces.
Un roman attachant et sans misérabilisme dont bien des
aspects toujours d'actualité font aussi un peu froid dans le
dos.
http://culture.revolution.free.fr/critiques/Hans_Fallada-Seul_dans_Berlin.html

L'ÉCUME DES JOURS
Le roman de Boris Vian, " L'écume des jours ", vient de
bénéficier d'une réédition attrayante à tirage limité en
Livre de Poche. Une bonne louche d'érudition n'aurait sans
doute pas déplu à l'auteur, même s'il s'en serait
certainement moqué avec une verve sans pareille. Cette
édition comporte donc des notes explicatives sur les
inventions langagières de Vian et sur ses allusions
jazzistiques, et un feuillet de documents rigolos et aussi
pas tant que ça. On y apprend par exemple que Gallimard a
résilié le contrat de Vian en 1956 parce que " L'écume des
jours " ne se vendait pas.

Cette édition ne fait pas double emploi pour autant avec
celle parue en 10/18 en 1963. Il faut admettre que la
qualité du papier et de la colle des feuillets laissait
beaucoup à désirer au début dans cette collection.
Rapidement un gros élastique se révélait nécessaire pour
maintenir ensemble la couverture et les pages. ( Idem pour
les " Dix jours qui ébranlèrent le monde " de John Reed).
Mais on n'a jamais fait mieux depuis comme couverture que le
collage du poète et ami de Boris Vian, un certain Jacques
Prévert. Autre argument pour toutes celles et tous ceux qui
ne manqueront pas de chercher avec entrain cette vieille
édition chez les bouquinistes, la subtile postface de
Jacques Bens intitulée " Un langage-Univers ".

On est tellement certain d'être maladroit et à côté de la
plaque pour donner envie de lire ce roman, qu'on n'en
finirait pas de développer des considérations adjacentes
pour ne pas avoir à parler du roman lui-même. Dès la
quatrième phrase, nous nous retrouvons entre loup et phoque :
" Son peigne d'ambre divisa la masse soyeuse en longs
filets oranges pareils aux sillons que le gai laboureur
trace à l'aide d'une fourchette dans de la confiture
d'abricots. " Depuis Rabelais en passant par Lawrence Sterne
et Georges Pérec, on sait que les plaisantins de génie qui
triturent le langage et les modes de narration ont des
choses graves à exprimer nichées avec pudeur derrière
l'arborescence de leurs textes. Sur les conventions
sociales, la domination, le travail, la bêtise, la cruauté,
la maladie...

Le roman de Boris Vian qui commence sous les hospices de la
joie de vivre et d'aimer est en définitive un blues
poétique, grinçant, tendre et poignant. Comme la composition
de Duke Ellington, " Chloé ".


À DÉVORER
Qu'on ait une grande ou une petite faim de lecture, un roman
qui se dévore ne se refuse pas. Il est parfois agréable de
ne pas se demander si on tient en mains une oeuvre importante
ou non. On plonge dedans sans discussion et on en sort
ragaillardi.

" L'Ombre du vent " de Carlos Ruiz Zafon (Le Livre de Poche,
637 pages) nous saisit dès la première page et déploie
toutes sortes de ruses pour nous entraîner jusqu'à la
dernière, quitte à nous faire dormir à pas d'heure. François
Maspero a du prendre plaisir à traduire ce roman espagnol
qui se passe à Barcelone entre 1933 et 1966. Il n'est pas
sans évoquer un de ces bons gros romans de Dickens plein de
péripéties et de personnages fortement campés. Le réalisme
terre à terre dans l'ambiance lourde du franquisme d'après
la seconde guerre mondiale y fait bon ménage avec des
climats fantastiques et des plongées dans la passion fatale
de la littérature. On s'étonnera cependant que l'auteur ait
complètement esquivé les événements révolutionnaires qui se
sont produits en juillet 1936 à Barcelone, même si ce
n'était pas son propos.

Partons à présent carrément au nord avec " Un homme heureux "
d'Arto Paasilinna (éd Folio, 260 pages) dans une
atmosphère bien différente et plus joyeuse. Nous sommes en
Finlande dans les années soixante-dix. L'ingénieur Jaatinen
débarque dans un village où il est chargé de diriger un
chantier de construction d'un pont. Il n'est pas du genre à
se laisser marcher sur les pieds par qui  que ce soit et
surtout pas par tous les notables, bigots et hypocrites qui
rodent autour de lui et veulent le dégommer. Un roman qui
respire la bonne santé. Du même auteur, il faut savourer
entre autres " Le lièvre de Vatanen " (Folio). Voir le point
de vue sur notre site sur ce roman.
http://culture.revolution.free.fr/critiques/Arto_Paasilinna-Le_lievre_de_Vatanen.html

MAX ROACH
Max Roach qui vient de disparaître était un grand musicien
afro-américain, à la fois batteur, compositeur et chef
d'orchestre. Il était un homme engagé artistiquement et
politiquement. On songe à Archie Shepp qui doit se sentir
bien seul aujourd'hui.

Tout jeune homme, Max Roach a pu se payer d'audace et être à
la hauteur comme batteur remplaçant aussi bien chez Count
Basie que chez Duke Elllington. Mais sa grande aventure
commencera aux côtés de Charlie Parker, Thelonious Monk,
Miles Davis, Charles Mingus... Elle se poursuivra avec le
merveilleux trompettiste lyrique Clifford Brown et se
poursuivra dans les années soixante-dix avec des musiciens
d'avant-garde dits free jazz comme Shepp, Dollar Brand,
Anthony Braxton et Cecil Taylor. Le jeu de Max Roach à la
batterie était particulièrement inventif, mélodique et d'une
grande lisibilité, même comparé aux meilleurs de sa
génération. Il fait partie de ces très rares batteurs
pouvant prendre un solo sans se répéter et sans jamais
ennuyer l'auditeur. Mais là où il faisait particulièrement
merveille, c'est en dialoguant avec un autre musicien, qu'il
soit trompettiste, saxophoniste ou pianiste.

Parmi bien des disques accomplis de Max Roach, on en
recommandera un peu arbitrairement deux, alors qu'il
faudrait en citer dix : " Jordu " Max Roach & Clifford Brown
Quintet en concert en 1954 (CD Dreyfus Jazz) et " We Insist,
Freedom Now Suite " en 1960 avec la chanteuse Abbey Lincoln,
le saxophoniste Coleman Hawkins et le trompettiste Booker
Little (CD Candid).


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

_______________________________________

  Pour recevoir ou ne plus recevoir
    cette lettre, écrivez-nous:

  mèl : Culture.Revolution@free.fr
 http://culture.revolution.free.fr/
_______________________________________

< O M /\

URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_084_23-08-2007.html

Retour Page d'accueil Nous écrire Haut de page