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Journal de notre bord

Lettre n°82 (7 juin 2007)

Bonsoir à toutes et à tous,

Il paraît qu’aux États-Unis la fête des mères est un jour
sacré pour les chefs de la mafia. Ce jour-là ils couvrent
leur mère de fleurs et de cadeaux et s’abstiennent de
programmer des crimes ou d’en commettre. Contrairement à
eux, les chefs des grands États-voyous qui se réunissent
actuellement dans une station balnéaire au nord de
l’Allemagne ne font pas relâche un seul jour. A cette
différence près, les membres du G8 peuvent réellement être
comparés à un club de gangsters avec ses rivalités et ses
solidarités. Quand ces gens-là palabrent, c’est armés
jusqu’aux dents comme l’illustre la querelle entre Poutine
et Bush sur le déploiement d’un bouclier anti-missiles en
Pologne et Tchécoslovaquie par les États-Unis. D’aucuns
suggèrent de façon plausible que les groupes pétroliers
américains s’efforcent d’accéder aux richesses en gaz et en
pétrole de la mer Caspienne sans avoir à passer par la
Russie. Un des rôles primordiaux d’un État est de
« sécuriser » militairement l’accès aux richesses pour ses
grands groupes capitalistes. Le « couloir de sécurité »
militaire que Kouchner voudrait instaurer au Darfour au
risque de compromettre les aides humanitaires actuelles
n’est pas non plus sans rapport avec les intérêts du groupe
Total au Tchad et au sud du Soudan.

Les États du G8 étalent leurs rivalités mais exhibent aussi
leur complicité et leur irresponsabilité sur les dossiers
les plus brûlants. Non, ils ne prendront aucune mesure pour
contrôler les 9 575 « hedge funds » recensés, ces clubs de
managers au service exclusif de riches « investisseurs » qui
portent des coups de boutoir à l’économie mondiale de
diverses façons.

On ne s’attardera pas ici sur la tarte à la crème des
mesures contre les émissions de gaz à effet de serre que
personne ne prend ou ne respecte. « Marchons ! » disent-ils
avec entrain en faisant du sur place comme dans les
mauvaises mises en scène d’opéras. Des irresponsables sont à
la tête des États du G8 et des grands groupes qui dominent
l’économie mondiale. Leurs fonctions les rendent
parfaitement insensibles aux pressions. Plus vite nous en
serons convaincus et plus l’espèce humaine et son
environnement auront une chance de s’en sortir.
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Les goinfres
Fin d’un monde
Vient de sortir
Les autres
Bijoux
Trois soirs à San Francisco
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LES GOINFRES
Pour parachever le succès du nouveau « résident de la
République », par le jeu du charcutage des circonscriptions
et du scrutin majoritaire à deux tours, les urnes devraient
vomir une majorité pléthorique de députés masculins, blancs,
réactionnaires, riches, voire très riches et ayant bien
l’intention de se goinfrer davantage aux dépens des finances
publiques et grâce à leurs liens avec les milieux
d’affaires. Ca ne va pas être joli à voir ce néo-pétainisme
à visage « people ». Les analystes politiques qui sont payés
pour voir un tout petit peu plus loin que le bout de leur
nez s’inquiètent tout de même d’une marginalisation
excessive du Parti Socialiste qui risque de régresser vers
l’état d’une SFIO « moderne », déchirée et à bout de
souffle. Le bipartisme à la française aura de toute façon
piètre allure. Le risque d’une crise sociale incontrôlée,
sans amortisseurs politiques, pointe déjà le bout de son nez
dans leurs commentaires. Ce qui n’est pas faux et nous donne
des raisons d’espérer.

Comment la bande au pouvoir a-t-elle gagné la partie ? Dans
le dernier numéro du Monde Diplomatique, Serge Halimi
analyse très bien comment le nouvel élu et son équipe ont
pompé gaillardement leurs thèmes de campagne dans les
discours démagogiques de présidents américains tels que
Reagan ou Bush. Le plagiat a marché, d’autant plus que
l’infatué de l’Élysée s’est largement inspiré des mimiques
de son ami, l’acteur Christian Clavier dans « les Bronzés ».
Surtout, il a bénéficié d’un appui sans faille des aviations
et artilleries médiatiques les plus puissantes et
omniprésentes. De quoi à la fois exciter et sonner
efficacement l’électorat !

La drogue UMP a égaré des électeurs ouvriers qui
constateront rapidement que leurs patrons envisagent plus de
les licencier que de leur faire faire des heures
supplémentaires. Dans la logique du marché, on commence par
faire des heures supplémentaires à outrance et ensuite on
est viré. Mais ce qui a compté bien davantage dans le succès
de Sarkozy, ce sont les promesses de cadeaux faites aux
couches aisées, patrons, gros agriculteurs, professions
libérales, rentiers, etc. Ces gens-là ont un poids électoral
considérable dans un vieux pays impérialiste comme la
France. Ils se disent sans complexe que les petits salariés
et les pauvres de ce pays ou d’ailleurs paieront tous les
cadeaux fiscaux et autres qu’on va leur faire.

La limite sera vite atteinte. Quelques signes l’indiquent
déjà. Les ouvriers de Kronenbourg à Obernai viennent de se
mettre en grève, refusant d’être surexploités et de faire
des heures supplémentaires obligatoires. Les jeunes salariés
des centres d’appel de SFR se sont mobilisés et ont
manifesté à Paris contre la décision de leur patron de les
livrer à des sous-traitants. Quel contraste avec l’attitude
rampante à l’égard du gouvernement des dirigeants des
confédérations syndicales !
Le poids des illusions et des désillusions électorales ne va
pas peser bien longtemps sur les esprits, surtout chez les
jeunes salariés et les étudiants précarisés.


FIN D’UN MONDE
Le film « Still Life » du réalisateur chinois Jia Zhang-Ke
prend à bras le corps la réalité sociale de la Chine
actuelle. Par défi, il a choisi de le sortir en même temps
que « La Cité interdite » de Zhang Yimou, une grosse
production pseudo-historique vide de sens et à l’antipode de
ses idées. « La Cité interdite », comme le film « Hero » du
même, veut suggérer l’inanité de toute tentative de
renverser un pouvoir despotique. Les chefs de l’État chinois
ne peuvent qu’apprécier ce cinéma-là, contrairement à celui
de Jia Zhang-Ke qui est accusateur.

« Still life » signifie nature morte. Au train où vont les
forces déchaînées du capitalisme, beaucoup de paysages, de
villes et d’existences seront réduits à l’état de nature
morte.

On voit dans ce film des travailleurs chinois qui
démolissent les bâtiments dans la vallée des Trois-Gorges
avant qu’elle ne soit envahie par les eaux. Accidents,
travail jusqu’à épuisement, équipées sauvages de règlements
de compte pour assouvir sa rage ou commanditées par une
grosse huile qui veut faire fuir des locataires. Le film
montre aussi la colère d’une famille contre un entrepreneur
et celle des habitants chassés de leurs habitations sans
être indemnisés contre des responsables locaux.

Au milieu de toute cette folie, des destins personnels se
poursuivent, celui d’un ouvrier voulant retrouver sa femme
qui l’a quitté seize ans plus tôt et celui d’une jeune femme
qui a été abandonnée par son mari devenu un manager riche et
craint sur le chantier du plus grand barrage du monde. Tout
est dit ou suggéré avec une grande délicatesse.

On est troublé par cette oeuvre où l’on se demande si on
assiste à la fin d’un monde, à la fin du monde ou aux
prémisses d’un nouveau monde que pourraient prendre en mains
les paysans et les ouvriers chinois au travers de leurs
rébellions actuelles très nombreuses, pour ne pas être
anéantis par le capitalisme et l’État à son service


VIENT DE SORTIR
Nous avons aperçu dans les librairies plusieurs ouvrages qui
méritent la lecture. L’élection de Sarkozy aura eu au moins
un effet bénéfique, celui d’amener deux éditeurs à publier
un chef-d’oeuvre politique de Karl Marx, Le 18 Brumaire de
Louis Bonaparte. Mais ce texte était encore disponible en
folio avec Les Luttes de classes en France et les
commentaires érudits de Maximilien Rubel.

Les Carnets de L’Herne viennent d’éditer ensemble les
lettres de prison de la révolutionnaire Rosa Luxemburg à son
ami Sonia Liebknecht et son article « Dans l’asile de nuit ».
Ce texte sur des sans-abri à Berlin date de 1912. Il
garde une force et une actualité confondante.

En 2004 nous avions chaudement recommandé la lecture du
livre de la journaliste américaine Barbara Ehrenreich,
« L’Amérique pauvre, Comment ne pas survivre en travaillant »
(réédité en 10/18). L’auteure s’était glissée dans la peau
d’une serveuse, d’une aide-soignante et d’une employée chez
Wal-Mart pour vivre de l’intérieur la condition des
travailleurs pauvres qui gagnent 7 dollars par heure et ne
peuvent pas s’en sortir. Cette fois, Barbara Ehrenreich a
voulu connaître la condition d’un cadre à la recherche d’un
travail. Elle a pénétré ce monde des cadres qu’on formate et
licencie avec une brutalité extrême dans les États-Unis
d’aujourd’hui. Elle raconte son expérience dans « On achève
bien les cadres, L’envers du rêve américain » (éd Grasset).
Un livre qu’il va falloir lire de toute urgence pour
alimenter notre compréhension et notre révolte.


LES AUTRES
La veine du roman familial psychologique ne peut pas
s’épuiser pour une raison sociale flagrante. Dans un
contexte où bien des personnes se sentent bafouées au
travail ou menacées dans leur identité, la famille reste
le réceptacle essentiel d’une grande partie de nos vies
affectives et relationnelles. Pour le meilleur et pour le
pire. Puisque le roman psychologique familial est increvable
pour l’instant, autant qu’il soit porté par des écrivains de
qualité essayant de renouveler le genre sans abuser
d’artifices de construction ou de style.

Le roman d’Alice Ferney, « Les autres » (Actes Sud, août
2006) nous met en présence pour un soir de dix personnes,
Nina la grand-mère centenaire qui souhaite mourir, Moussia
la mère qui n’aime plus son mari mais n’a pas voulu divorcer
« pour les enfants », son fils aîné Niels, son fils cadet
Théo et quelques ami(e)s dont la fiancée de Théo.

Tout le monde est venu pour fêter les vingt ans de Théo.
Un anniversaire est classiquement chargé d’émotions. Elles
seront corsées. Niels a eu l’idée assez tordue d’offrir un
jeu de société qui est un jeu de rôle censé révéler la
personnalité de chacun. Il est précisé : « Personnes
susceptibles s’abstenir ». Le jeu va évidemment faire des
dégâts et être l’occasion de voir apparaître au jour des non-
dits. Car en dépit des dénégations de tout le monde, tout un
chacun est susceptible dans ce roman comme dans la vie. Il
suffit de dire à quelqu’un : « Je ne voudrais pas que tu te
vexes mais...», et la blessure est là, plus ou moins
intense. Au cours de cette soirée, chacun aura peur de ne
pas être compris, de ne pas être aimé, de révéler ses
faiblesses ou ses secrets.

Alice Ferney présente d’abord les pensées qui habitent
chacun des personnages, puis les paroles réellement
prononcées par les uns et les autres, et dans une dernière
partie plus classique mais non dénuée de finesse, elle
approfondit l’analyse de ce qui s’est passé et a échappé au
contrôle des participants. La romancière n’est évidemment
pas la première à mettre en évidence que le « Je » isolé n’a
guère d’existence et que ce sont les paroles et les regards
des autres qui nous construisent ou nous détruisent dans un
jeu de miroir, une interactivité confuse et jamais
stabilisée. Mais elle le fait avec une grande élégance dans
le contexte de la société française actuelle et la façon
dont la mort, la maladie, la maternité, l’amour ou le désir
dans un couple ou la conflictualité entre frères peuvent
être ressentis.


BIJOUX
Le Sénat français tente depuis quelques années de masquer
son inutilité en organisant au musée du Luxembourg (à un
prix d’entrée scandaleux) des expositions prestigieuses dont
nous avons eu l’occasion parfois de rendre compte. Celle qui
a lieu actuellement jusqu’au 29 juillet présente quatre
cents pièces de René Lalique réalisées entre 1890 et 1912.
Ces bijoux Art Nouveau et ses dessins préparatoires sont
parfois d’une beauté séduisante mais ils supportent mal la
comparaison avec les créations japonaises prêtées par le
Musée Guimet qui ont été une source d’inspiration pour
Lalique. Son innovation heureuse a été d’intégrer dans ses
oeuvres divers éléments de la nature, oiseaux, insectes,
chauve-souris, fleurs, chardons ou graminées. Les choses se
gâtent et donnent une impression de décadence perverse
lorsque Lalique transforme des femmes en libellules ou en
scarabées. Certaines pièces garnis de diamants sont des
colliers pour chiens ! Une sensation d’écoeurement s’empare
du visiteur dès qu’il s’interroge sur les destinataires et
les collectionneurs de tous ces ornements. Justement il y
avait le magnat du pétrole, Calouste Gulbenkian, une crapule
de la plus belle eau, qui a fait main basse sur les
meilleures pièces.

Une partie du public de cette exposition est là pour des
raisons qui ne relèvent pas vraiment de l’esthétique ou de
l’histoire de l’art. Il faut voir avec quels yeux
concupiscents ces gens de la haute restent très longuement
scotchés devant les vitrines avec une goujaterie qui empêche
les autres visiteurs de s’approcher... Ils offrent un
spectacle exotique à sa manière qui donne une envie furieuse
d’exproprier tout ce petit monde en lui laissant ses bijoux
qu’il aime tant, sauf ceux de Lalique qui iront tous au
Musée d’Orsay.


TROIS SOIRS À SAN FRANCISCO
Les amateurs de la musique pop et folk des années soixante
connaissent bien par le disque le Fillmore West de San
Francisco. Bob Dylan, Joan Baez et des groupes fameux tels
que Jefferson Airplane ou Greatful Dead ont joué dans cette
salle à dimensions humaines, plus proche de l’Olympia que de
Bercy ou du stade de France.

Pendant trois soirs en mars 1971, la chanteuse et pianiste
noire Aretha Franklin va faire chavirer le public du
Fillmore West avec un répertoire varié, des morceaux de la
soul music (Respect, Call Me, Mixed-Up Girl), du blues (Dr.
Feelgood), des Beatles (Eleanor Rigby), de Simon & Garfunkel
(Bridge Over Trouble Water) ou de Stephen Stills (Love the
One You’re With). La chanteuse n’a jamais bénéficié d’un
accompagnement aussi relevé : King Curtis aux saxophones
ténor et soprano, Bill Preston à l’orgue, Cornell Dupree à
la guitare, les choristes The Sweethearts Of Soul, etc.

Le troisième soir survient un évènement de grande intensité.
Ray Charles est venu écouter Aretha Franklin discrètement.
La chanteuse le prend par la main et lui propose de
reprendre avec elle Spirit in the Dark. Le chanteur connaît
mal les paroles de cette chanson mais qu’importe. Quelques
instants plus tard, le dialogue est d’une émotion rare.

Les morceaux de ces mémorables concerts viennent d’être
édités ou réédités en un album de deux CD, « Live at
Fillmore West » (Atlantic/Rhino).

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

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