Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°81 (3 mai 2007)

Bonsoir à toutes et à tous,

Pour qualifier l'ambiance politique qui règne depuis des
semaines en France, il serait sans doute opportun de parler
d'un accès de " peste émotionnelle " en empruntant
l'expression employée par Jean-Marie Brohm et Marc Perelman
dans leur étude consacrée il y a un an au football. La
politique-spectacle s'invite dans tous les cerveaux.
L'électoralisme est une drogue avec ses moments d'euphorie
ou de soulagement, ses séquences d'indignation, de peur,
d'abattement, d'affects plus ou moins incontrôlés. Bref la
raison est congédiée et nous sommes tous plus ou moins
manipulés, transformés en stratèges, en arbitres, en
pronostiqueurs, en toutes sortes de rôles fictifs et
inoffensifs pour ceux qui détiennent la réalité du pouvoir.
Car l'essentiel pour les organisateurs médiatiques de cette
campagne qui a commencé il y a plus d'un an et va se
poursuivre jusqu'en juin est qu'on se passionne pour la
compétition. Leur but était de générer des états de
fascination pour qu'on en reste à la surface des deux
personnalités mises en avant, de leurs attitudes, de leurs
foucades et de leurs thématiques réactionnaires et
moralistes.

La joute de mercredi soir aura opposé une Ségolène Merkel
remontée à bloc comme une Hillary Clinton à un Nicolas
Berlusconi au regard fuyant, s'efforçant de donner une
apparence humaine à une politique inhumaine et dévastatrice
pour les classes populaires. Le match final a opposé deux
candidats de droite ayant des points de convergences, l'un
étant de façon plus flagrante un démagogue de droite musclée
et un larbin des riches. On peut donc comprendre que des
électeurs de gauche ou d'extrême gauche voudront voter pour
la candidate qui est moins à droite que l'autre pour tenter
de faire obstacle au plus dangereux. On peut tout aussi bien
comprendre que d'autres préféreront s'abstenir ou voter
blanc pour ne pas cautionner cette mascarade ni les mauvais
coups que Ségolène Royal, si elle est élue, ne manquera pas
de porter contre les travailleurs. Dans ce cas de figure,
elle sera sous la pression de Sarkozy et de son commando, et
surtout sous la pression des amis capitalistes de Sarkozy,
Lagardère, Bébéar, Bouygues, Arnault, Pinault, Parisot et
autres.

Avec Sarkozy gagnant, les exigences des grands groupes
capitalistes et des classes riches seront prises en compte
immédiatement alors que Royal s'offrira, si les
circonstances l'y autorisent, un " état de grâce " qui ne
devrait pas excéder quelques semaines ou quelques mois ; car
elle finira par appliquer le programme du MEDEF comme son
recentrement droitier l'indique à l'évidence. Sa surenchère
sur le nucléaire iranien a du être appréciée à Washington.
Au cas où les États-Unis se lanceraient dans une guerre
contre l'Iran, la France, déjà présente militairement en
Afghanistan, en ex-Yougoslavie et en Afrique, tiendrait son
rang à leurs côtés, comme l'Angleterre de Blair le fait en
Irak.

La situation serait très triste si nous nous imaginions que
notre sort va se jouer dans les urnes des présidentielles
puis des législatives. Fort heureusement il y a une vie
politique et sociale après les élections. Il y a de
multiples terrains à investir pour comprendre les rouages en
oeuvre qui écrasent les classes populaires et pour se donner
les moyens de les faire sauter.

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Démocratie
Internationalisme
Arpenteurs du monde
Virus pile et face
Rencontre au Mali
In situ
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DÉMOCRATIE
Deux thèmes étroitement liés entre eux auront brillé par
leur absence dans cette campagne : celui du type de
démocratie qu'il serait nécessaire de substituer à la
machinerie étatique et institutionnelle actuelle et celui de
l'internationalisme comme horizon vital.

Le régime en France est celui d'une démocratie impérialiste
à forte tendance bonapartiste. Les couches de privilégiés ou
de gens aisés sont suffisamment consistantes dans ce pays
pour donner une assise à ce régime, pour l'instant. Mais la
démocratie parlementaire de la IVe république de Ramadier,
Laniel, Mitterrand, Jules Moch ou Guy Mollet n'était pas
moins anti-ouvrière ni moins impérialiste que la Ve. Les
peuples d'Indochine, de Madagascar et d'Algérie qui ont subi
oppression et massacres entre 1945 et 1958 ne gardent pas un
souvenir ému du régime parlementaire de la IVe République.

Il nous faut donc imaginer un pouvoir démocratique venant
d'en bas, exercé par ceux d'en bas pour transformer la
société. Ne pas en parler dès maintenant, c'est se cantonner
dans une posture étroitement revendicative et laisser les
Bayrou et Ségolène Royal se pavaner en parlant, eux, de
cette question du pouvoir et des institutions, sous la forme
d'une VIe république qui ne changerait rien de fondamental
au régime actuel, à supposer qu'elle voie le jour.

On ne peut pas avancer des revendications radicales sans
mettre en débat la question du type de pouvoir qui pourrait
les mettre en oeuvre.


INTERNATIONALISME
On ne peut pas davantage avancer des revendications
radicales dans un cadre strictement hexagonal en faisant
croire qu'on les imposera d'abord en France et ensuite on
ira plus loin. Le fonctionnement mondialisé du capitalisme
rend caduque et peu crédible une telle approche. La question
de l'internationalisme s'impose par exemple dès que l'on
veut aborder la question de la régularisation de tous les
sans-papiers de façon conséquente. Il ne suffit pas de
réclamer l'annulation de la dette des pays du Tiers monde.
Cela signifie combattre et mettre fin à l'emprise de l'État
français et de la bourgeoisie française sur les richesses
notamment des pays du Maghreb et des pays africains
francophones en tissant des liens avec les travailleurs de
ces pays-là ou originaires de ces pays-là.

De même on ne pourra pas combattre la mise en concurrence
des salariés par les multinationales avec son lot de
licenciements, d'intensification du travail et de diminution
du pouvoir d'achat, sans créer des liens actifs entre
salariés par delà les frontières, à l'échelle européenne et
mondiale. Enfin, peut-on se dire sérieusement
anticapitaliste sans se prononcer ouvertement pour une
société socialiste à l'échelle mondiale ? Trop audacieux,
trop exagéré ? On ne peut pas dire des " énormités "
pareilles à la télévision et ailleurs ? Cette modération
risque bien à la longue de nous être funeste.


ARPENTEURS DU MONDE
Le roman de Daniel Kehlmann, Les arpenteurs du monde
(éd Actes Sud, 300 pages) nous entraîne à la fois dans
l'Amérique Latine du début du 19e siècle et dans l'univers
du génial mathématicien et astronome Carl Friedrich Gauss
(1777-1855) dont on ne connaît guère en général que la
fameuse courbe du même nom.

Avec vivacité et une bonne dose d'ironie acide, nous partons
sur les pas de l'explorateur allemand Alexandre von Humbolt
(1769-1859) et du médecin et naturaliste français Aimé
Bonpland (1773-1858) sillonnant les régions les plus
inhospitalières de l'Amérique du Sud et de l'Amérique
centrale. Curieux de tout (sauf des femmes à la différence
de Bonpland), Humbolt mesure, observe et cherche les causes
des phénomènes de la nature avec une opiniâtreté parfois
délirante à laquelle Bonpland cherche à faire contrepoids,
le plus souvent en vain.

La carrière de Gauss est traitée en parallèle. Elle se
déroule dans le cadre d'une Allemagne morcelée en une
infinité d'États plus ou moins arriérés mais où quelques
génies épars se lancent à l'assaut des grands espaces de la
science, de la philosophie et de la littérature. Contraste
avec la médiocrité et l'étroitesse des gens de pouvoir qui
ont été secoués par la Révolution française, ce qui les a
rendus encore plus réactionnaires qu'ils n'étaient.

Ce roman au style fluide et bien rythmé se dégage avec
désinvolture de toute prétention à l'exactitude des faits et
des psychologies. Mais on peut regretter qu'il ne rende pas
assez justice au travail de botaniste de Bonpland et à
l'ampleur de la curiosité encyclopédique d'Humbolt.

Pour nos lectrices et lecteurs à l'insatiable curiosité,
nous conseillons de lire en complément le petit livre qui a
été consacré à Humbolt dans la collection Découvertes
/Gallimard (n°199) et de partir à la recherche chez les
bouquinistes des passionnants " Voyages dans l'Amérique
équinoxiale " d'Humbolt lui-même (deux tomes, éd François
Maspero/Découverte). Sur l'aventure savante de Bonpland et
Humbolt aux Amériques, le Musée des arts et métiers a édité
en septembre 2003 un catalogue d'exposition remarquable et
richement illustré sous le titre " La boussole et l'orchidée ".


VIRUS PILE ET FACE
Les virus ne sont pas vus d'un bon oeil et pourtant il y en
a des bons. En plus on est loin de tout savoir sur eux. Le
Dossier de la revue " Pour la Science " d'avril/juin
s'intitule paradoxalement " Les virus ennemis utiles ".
Les acquis et les interrogations de la recherche scientifique
sur les virus sont répartis en trois grands chapitres :
découvrir, comprendre, combattre, le tout réparti en
22 articles passionnants.

Depuis leur premier repérage à la fin du 19e siècle, les
virus suscitent bien des interrogations. Comment se
multiplient-ils ? Quelle est leur place et leur rôle dans
les mécanismes de l'évolution et dans les changements subis
par les cellules ancestrales ? La découverte du plus gros
d'entre eux (répondant au doux nom de mimivirus) permet
d'avancer que les virus constituent une branche séparée des
trois autres formes de la vie il y a quatre milliards
d'années.

Un grand nombre de virus sont " malveillants " pour les
organismes vivants (VIH, Ebola, H5N1, SRAS, le virus du
Chikungunya, etc.) mais d'autres sont " bienveillants " et
permettent de traiter certaines maladies dont certains
cancers. Les virologues portent donc un double regard sur
les virus qui présentent des aspects contradictoires dans
leurs actions sur les êtres vivants.


RENCONTRE AU MALI
Dee Dee Bridgewater est connue comme une très bonne
chanteuse de jazz et de soul music (voir sa rencontre avec
Ray Charles dans l'émouvant " Precious Thing "). Originaire
de Memphis et installée en France depuis des années, elle a
rendu une série d'hommages à Horace Silver, Billie Holliday
et Ella Fitzgerald. Elle ne voulait pas s'enfermer dans ce
rôle de " chanteuse à hommages ". Elle vient donc de prendre
le risque de rencontrer et de se confronter à des
chanteuses, chanteurs et musiciens maliens parmi les plus
talentueux du moment : Cheick Tidiane Seck, Mamani Keita,
Mama Kouyaté, Oumou Sangaré, Basséko Kouyaté, Lamine
Tounkara, Baba Sissoko... Il ne s'agit pas d'un album de
" fusion " ou de " world " de plus. La rencontre est
humainement réussie comme l'atteste le DVD de 45 minutes
(" A Malian Journey ") tourné à Bamako qui accompagne ce CD
intitulé " Red Earth " (Universal/DDB Records). Et
musicalement elle est captivante. La musique noire
américaine portée par Dee Dee Bridgewater et ses musiciens
se mêle à la musique noire du Mali d'une grande complexité
rythmique et quelque chose d'authentique et d'inespéré se
produit.


IN SITU
Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne sur notre
site une étude intitulée "Un siècle de guerres,
d'oppressions et de luttes de classes en Turquie".

Sur la toile, nous vous recommandons de lire une nouvelle
publication en prise avec l'actualité politique et sociale
et intitulée Le Termite. Son deuxième numéro vient de sortir:
http://nancy-luttes.net/Rezo-antiK/LeTermite/Termite_2.pdf

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

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