Journal de notre bordLettre n°78 (15 février 2007)Bonsoir à toutes et à tous, Le régime politique de domination en France fonctionne bien et même de mieux en mieux pour l'instant. Sur les ondes de France Culture mercredi matin, la présidente du MEDEF Florence Parisot s'est réjouie de la tournure de la campagne électorale actuelle, tout en ayant hâte qu'on en arrive à la phase des " grands duels ". Elle ne peut que saliver avec ravissement puisque cette campagne fonctionne à un degré inédit sur le principe de la concurrence et en même temps de la concentration oligarchique. Nous assistons à un show politique qui relève à la fois d'une Coupe du monde de football, de la Star Academy et du Maillon faible, divertissements directement inspirés par la compétition furieuse dans la sphère marchande qui a envahi à peu près tous les domaines de la vie. Pour capter l'attention des spectateurs semaine après semaine, les organisateurs du jeu des Présidentielles ne pouvaient pas faire s'affronter seulement deux candidats du début à la fin. Question d'audience et de crédibilité de cette série télévisée. Il leur fallait un tour de piste en parallèle avec des " petits candidats " pour faire monter l'intérêt et la tension dramatique. Dans l'esprit des organisateurs, le premier tour est censé accréditer une fiction de " démocratie à la française " et permettre aux mécontents de s'exprimer sur un terrain inoffensif. Ensuite les deux grandes vedettes finalistes descendront seules dans l'arène. Dans l'ultime joute télévisée où elles continueront à nous postillonner des chiffres, il y aura une " petite phrase qui tue " pour faire pencher la balance en faveur de l'un ou de l'autre. Le cadrage médiatique de la compétition a été bétonné depuis presque un an. Les puissances financières qui possèdent ou contrôlent comme annonceurs publicitaires l'essentiel des médias ont choisi et formaté deux candidats. L'un ou l'autre fera l'affaire. Elles sont sûres d'avoir un larbin présidentiel adéquat pour faire passer leurs contre-réformes et défendre leurs intérêts. Ainsi le côté " démocratie à l'américaine " se surajoute et prend ses aises. Tout ce scénario va-t-il fonctionner de bout en bout sans anicroches, c'est une autre histoire. Allons-nous tous nous laisser sonder, " paneliser ", fasciner par des rhétoriques médiocres ou mensongères, divertir par une personnalisation à outrance masquant les problèmes, bercer et anesthésier par des ritournelles convenues qui font sourire les nantis ? Pas sûr. D'une façon ou d'une autre, à un moment où personne ne s'y attend, la lutte des classes reprendra ses droits. Des salariés et des jeunes s'insurgeront contre cette mascarade. Ils feront savoir que ce régime présidentiel aux relents de bonapartisme, avec ses institutions répressives et dispendieuses, asservies aux intérêts capitalistes, doit disparaître. Ce régime sera balayé pour faire place à une démocratie vivante, digne de ce nom, dont la Commune de Paris de 1871 a été une première esquisse. ________________________________ La totale Prof à New-York Douce France Décapant In situ ________________________________ LA TOTALE Comme ses concurrents Exxon, Shell, BP, etc., le groupe Total a fait beaucoup de dégâts depuis plusieurs décennies : pollutions à grande échelle, catastrophe d'AZF à Toulouse, surexploitation des travailleurs sur plusieurs continents, soutien à des régimes dictatoriaux copieusement arrosés de dollars... Total a aussi dégagé beaucoup de profits. Ses dirigeants et ses gros actionnaires sont aux anges. Allons-nous supplier en vain l'État actuel d'obliger Total à payer ou à être taxé ? L'idée fait ricaner les dirigeants de Total, " fleuron de l'industrie française ", qui savent à quel État et à quelle Justice complices de leurs agissements ils ont affaire, quel que soit le gouvernement. Prenons plutôt en considération exclusivement les critères humains et écologiques, ce qui oblige à mépriser les critères de rentabilité financière qui leur sont contradictoires. Dans cette optique, puisque le groupe Total ne veut pas payer pour le désastre de l'Erika ni être taxé même de façon homéopathique, une solution radicale s'impose : le gel des comptes des gros actionnaires et des dirigeants pour pouvoir dédommager les victimes ; ensuite l'expropriation du groupe et sa gestion sous contrôle des travailleurs et des peuples des pays producteurs. Aux grands maux, les grands remèdes. PROF À NEW-YORK Si vous n'avez le temps de lire qu'un livre dans les semaines qui viennent, précipitez-vous sur " Teacher Man " de Frank Mc Court (éditions Belfond). C'est le troisième volet roboratif d'une autobiographie passionnante qui peut se lire indépendamment des deux précédents, " Les cendres d'Angela " et " C'est comment l'Amérique ? " (Pocket). Après un parcours difficile où il a connu la misère en Irlande, des boulots durs aux États-Unis et l'armée, Franck Mc Court a réussi à devenir prof de collège technique puis prof de lycée à New York. Il a attendu d'être à la retraite avant de pouvoir raconter sa vie par écrit. Quand on doit affronter cinq classes par jour, soit environ 175 adolescents d'origines nationales et ethniques diverses et revenir avec autant de copies chez soi, sans parler des réunions orageuses ou déprimantes avec les parents et l'administration, cela pousse plutôt à se descendre une bière ou deux qu'à se mettre à écrire ses mémoires. Mc Court ne cache pas ses difficultés. Sans formation pédagogique, il fait avec ses propres moyens, son imagination et son sens de l'improvisation puisqu'il n'y a évidemment aucune aide à attendre de la part de sa hiérarchie. Il ne ment pas à ses élèves et ne cherche pas à faire le malin ou à leur enfourner à toute force le programme. C'est dur, douloureux, hilarant et plein de finesse sur les relations humaines. Voici un extrait tiré de la page 309 où l'auteur se parle rudement à lui-même : " Regarde un peu ta vie, en dehors du lycée. Tu n'es jamais à ta place. Toujours à côté de la plaque. Tu n'as pas de femme et ne vois presque jamais ton enfant. Pas de vision, pas de projet, pas de but. Continue de marcher vers la crypte, mec. Disparais sans laisser de trace, si ce n'est le souvenir d'un homme qui avait transformé sa salle de classe en cour de récréation, atelier de rap, et cabinet pour thérapie de groupe. Pourquoi pas ? Et puis merde. De toute façon, à quoi ça sert, l'école ? Je te pose la question, est-ce le rôle d'un prof de fournir de la main d'oeuvre au complexe militaro-industriel ? Est-ce qu'il doit préparer les colis pour la chaîne de montage de l'entreprise ? Ben dis donc, si c'est pas solennel, tout ça, mais qu'est- ce que j'ai foutu de mon porte-voix ? " Bonne lecture... DOUCE FRANCE Le roman de Karine Tuil, "Douce France" (éd Grasset, décembre 2006), est une oeuvre modeste, un peu maladroite, mais qui touche juste, là où ça fait mal. Il se situe ici, près de chez nous, dans le présent le plus douloureux des " personnes étrangères en situation irrégulière ". L'héroïne qui est française a malencontreusement perdu ses papiers. Elle est embarquée sans ménagement par la police avec des immigrés en situation illégale et se retrouve dans un centre de rétention. Il y en a actuellement vingt-et-un. La jeune Française vivant confortablement et ayant réussi ses études est renvoyée au travers de cette expérience humiliante à ses origines familiales de juifs sépharades ayant un accent d'ailleurs, toujours suspectés de ne pas être vraiment Français. L'auteure a été autorisée à visiter un centre de détention et elle s'est liée aux militants de la Cimade qui aident les sans papiers dans leurs démarches. Elle décrit avec précision les conditions de détention matérielles et morales dans lesquelles sont retenus jusqu'à 32 jours des hommes et des femmes de multiples origines avant leur libération pour vice de forme ou le plus souvent avant leur expulsion. La dernière partie du roman est portée par une indignation communicative. Pas de doute, un monde humain sera un monde sans frontières et sans misère. DÉCAPANT Nous invitons celles et ceux d'entre vous qui ne connaîtraient pas encore le site suisse www.alencontre.org à le consulter régulièrement car on y trouve de très bonnes analyses sur l'actualité internationale. Parmi les articles récents mis en ligne, on lira avec grand intérêt ceux concernant la Russie : ceux de Carine Clément sur les préparatifs de la grève à l'usine Ford près de Saint- Pétersbourg et sur le mouvement du logement en Russie, et celui d'Alexandr Grigoriev sur les travailleurs et travailleuses migrants face à la xénophobie. Dans un autre registre, on trouvera la traduction française en date du 16 janvier dernier d'une lettre de Michael Moore adressée à son pote George W. Bush : " Envoie même plus de troupes (et vas-y toi-même !) ". L'humour peut être une arme de destruction massive de la bêtise réactionnaire. IN SITU Nous avons mis en ligne un texte sur la haine colonialiste, une réflexion à partir des romans de Jean Hougron au temps de l'Indochine sous domination française. Suite à des questions d'un lecteur, nous avons apporté quelques compléments d'information à l'article sur le chanteur et guitariste irlandais Rory Gallagher. Une lectrice nous a suggéré d'ajouter quelques références essentielles à notre texte sur la musique contemporaine : "Sur incises" et "Pli selon Pli" de Pierre Boulez, "les treize couleurs du soleil couchant" de Tristan Murail, "les récitations" de Georges Aperghis, "les sequenzas" de Luciano Berio et"Stimmung" de Karlheinz Stockhausen. Nous allons le faire avec plaisir dans les prochains jours. Nous allons également étoffer la discographie de Chet Baker avec notamment " The Last Great Concert ". Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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