Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°75 (13 décembre 2006)

Bonsoir à toutes et à tous,

Certains événements passent trop inaperçus. Prenez le " bal
des débutantes " qui s'est tenu à l'hôtel Crillon à Paris le
25 novembre dernier. Il est à parier que ce bal fut plus
fastueux que tous ceux que pouvaient organiser en leur temps
les planteurs esclavagistes du Sud des États-Unis. Le
joaillier suisse Carlo Adler qui s'est spécialisé dans les
bijoux de plus de 100 000 euros et qui en vend chaque année
plus de 1000, a fourni 120 créations aux 23 participantes de
ce bal, dont la fille du PDG de Renault, Carlos Ghosn, et la
fille du gouverneur de la Banque de développement de Chine.

La journaliste des Echos a titré : " Des débutantes devenues
femmes sandwichs ". Où le mauvais esprit contestataire de
notre merveilleuse économie capitaliste ne va-t-il pas se
nicher ? D'autant plus que l'industrie du luxe qui se porte
merveilleusement bien (croissance de 8 à 10 % des ventes
prévue cette année, soit 160 milliards d'euros) contribue à
sa façon à réduire le faussé entre les riches des pays dits
du Sud et les riches des pays dits du Nord. Le joaillier
Adler réalise 40 % de son chiffre d'affaires dans les pays
du Golfe persique et 35 % en Asie. Dans les années à venir,
les achats de luxe devraient progresser par an de 20 % en
Russie, de 25 % en Inde et de 50 % en Chine. Chaque bijou de
diamants porté par les riches héritières de ce bal a été
éclaboussé par une certaine quantité de sang et de sueur
d'êtres humains, enfants ou mineurs africains pour
l'essentiel. De fait toutes les marchandises produites sur
cette planète en sont plus ou moins éclaboussées.

Le groupe suédois Ikea qui est dirigé par un homme qui
sympathisait avec le nazisme dans sa jeunesse emploie 90 000
travailleurs. Il faut y ajouter des centaines de milliers
d'ouvriers d'entreprises sous-traitantes notamment en Inde.
Douze heures de travail par jour pendant six jours avec des
pics de production de 15 heures pour un salaire mensuel
effectif aux alentours de 30 euros, voilà la recette
merveilleuse d'Ikea qui lui permet de vendre des meubles
jolis et pas chers. De même que les 80 % de jouets qui vont
être placés au pied des sapins l'auront été par des
ouvrières chinoises travaillant entre 12 et 14 heures par
jour, exploitées par des donneurs d'ordres occidentaux, Wal-
Mart, Carrefour et compagnie.
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Derniers jours de l'Humanité ?
Fast-food
Être au parfum
Pour un oui ou pour un non
Combinaisons
Red Norvo
Le père castor, toujours jeune
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DERNIERS JOURS DE L'HUMANITÉ ?
Le numéro 37 de la revue Carré Rouge confronte le lecteur à
des questions vitales pour l'avenir de l'humanité :
mondialisation, pauvreté, environnement saccagé, guerres
multiformes... Deux contributions montrent le lien
intrinsèque entre le fonctionnement fondamentalement
irrationnel du capitalisme, la multiplication des guerres et
les coups peut-être irréversibles portés à l'écosystème. Un
dossier concerne l'analyse de la société israélienne et les
rapports de l'Islam politique avec le capital et avec les
classes sociales analysés par deux militants iraniens. Une
contribution met en perspective historique et sociale les
résultats des élections présidentielles au Brésil et les
problèmes qui se posent aux militants d'extrême gauche dans
ce pays. Un numéro très riche de bout en bout qui mérite une
lecture attentive.


FAST- FOOD
Le film "Fast Food Nation" de Richard Linklater suit la
chaîne de l'exploitation en même temps que la chaîne
alimentaire qui se trouvent l'une et l'autre au coeur de
l'industrie agro-alimentaire des chaînes de fast-food. Eric
Schlosser a collaboré au scénario. Ce journaliste a mené il
y a quelques années une enquête fouillée et captivante sur
ce sujet dans le livre traduit en français sous le titre
" Les empereurs du fast-food " (éd. autrement, 2003). Le
réalisateur du film a fait le choix d'une fiction prenante
et sympathique à l'égard des travailleurs. Il met en
parallèle la vie de travailleurs mexicains passant
clandestinement la frontière pour aller travailler dans un
abattoir, un éleveur au bord de la ruine, des jeunes
travaillant dans un fast-food et un responsable du marketing
de la chaîne enquêtant sur des hamburgers contenant des
résidus fécaux. Il n'y a rien d'exagéré. C'est seulement la
course au profit qui est choquante et donne la nausée, comme
c'était déjà le cas dans le roman d'Upton Sinclair,
" La Jungle ".


ÊTRE AU PARFUM
Ah, si nous avions eu Brigitte Proust comme professeur,
nombre d'entre nous ne seraient pas aussi ignares en chimie !
Elle nous propose d'instructives leçons de rattrapage sur
le langage de la chimie dans son petit livre de 131 pages,
" Petite géométrie des parfums " (éd Seuil, collection Science
ouverte). Il est illustré de schémas de molécules d'odeurs
très variées comme les composants de la rose de Damas, du
zeste de citron, de l'ammoniac, de la transpiration humaine
ou de gaz de combat pendant la Première guerre mondiale.
Les informations scientifiques et historiques (parfois
terrifiantes) sont agrémentées d'allusions littéraires ou
autres d'un humour léger et moqueur, comme un parfum point
trop insistant.

On se doute bien que s'appelant Proust et nous entretenant
des parfums et des odeurs (agréables ou nauséabondes), notre
enseignante en classe préparatoire ne pouvait faire moins
que de citer ce que Marcel Proust avait écrit sur la
relation entre odeur et mémoire. D'autant plus que les
premiers résultats de la recherche en neurologie sur
l'odorat confirment ses intuitions. L'odeur est en général
un mélange de molécules différentes en proportions variées.
Sa capture par notre appendice nasale engendre une série de
réactions chimiques qui aboutissent à la naissance d'un
signal électrique dans un neurone. Les axones des neurones-
récepteurs convergent ensuite dans le bulbe olfactif du
cerveau vers des relais appelés glomérules. Après, ça se
complique car plusieurs régions du cerveau sont concernées
par le traitement de l'information olfactive. De plus des
images olfactives actuelles peuvent être comparées à des
images olfactives antérieures, parfois vieilles de près de
dix ans.

La chimie est capable d'expliquer pourquoi Sainte Catherine
de Sienne (1347-1380) répandait de son vivant une odeur de
violette, tout simplement parce qu'elle était anorexique
pendant les huit dernières années de sa vie. Quant à Sainte
Thérèse de Lisieux, ses reliques dégageaient " un parfum
merveilleux " des années après sa mort, parce que de son
vivant, elle était atteinte d'acétonémie, un trouble du
métabolisme des lipides provoqué par le jeûne et
l'hypoglycémie. Même si cela donne une haleine ayant l'odeur
de la pomme reinette ou de l'ananas, je crois que c'est à
déconseiller vigoureusement.

Un seul regret : on a beau approcher ce livre de son nez, il
ne sent rien. Pour sa réédition, nous suggérons à l'éditeur
de remédier à cette lacune en organisant un référendum
auprès des lecteurs. Personnellement je vote pour le jasmin.


POUR UN OUI OU POUR UN NON
Nathalie Sarraute fut un des grands écrivains du vingtième
siècle. Sa préoccupation aura été de questionner par un
cheminement créatif nouveau tout se qui est sous-jacent,
échappe à notre attention dès que des gens se rencontrent,
s'aiment, se toisent, s'admirent, s'affrontent, se flattent,
se craignent ou se détestent. Le langage prenant en charge
la masse des conventions, des snobismes et des stéréotypes
révèle le caractère fluctuant de leur identité, la nature
aléatoire de leurs relations, de leurs points de vue et, si
l'on ose dire, la fragilité de leurs points de vie.

Le DVD (Arte vidéo, 170 mn) qui vient d'être consacré à
Nathalie Sarraute est une bonne surprise car il nous
introduit dans son oeuvre par plusieurs voix d'accès
séduisantes et en harmonie avec sa création.

Sa pièce de théâtre " Pour un oui ou pour un non " a été
tournée pour la télévision par Jacques Doillon en 1988. Elle
est servie par deux grands acteurs, André Dussollier et Jean-
Louis Trintignant. Jacques Doillon a également esquissé un
portrait délicat de Nathalie Sarraute pour la série de
Bernard Rapp " Un siècle d'écrivains ". Isabelle Huppert y
intervient comme lectrice. Doillon explique dans un
entretien comment il a réalisé ce portrait avec
l'assentiment et la collaboration de Sarraute.

Ce DVD nous offre enfin des conversations de Claude Regy
avec Nathalie Sarraute qui aborde les problèmes de
l'écriture et lit des extraits de ses oeuvres.


COMBINAISONS
Robert Rauschenberg est un artiste singulier à ne pas rater
si vous passez par Paris d'ici le 15 janvier. Le Centre
Pompidou présente une cinquantaine de ses oeuvres réalisées
entre 1954 et 1961. Ces oeuvres sont des " combines ", des
combinaisons de peinture, de photos, d'articles de journaux,
de bouteilles de Coca, de déchets de toutes sortes, de
morceaux de tissus ou de bois et même d'oiseaux empaillés.
Né en 1925 à Port Arthur au Texas, Rauschenberg a eu
l'occasion de rencontrer une figure du mouvement Dada,
Marcel Duchamp, et de suivre l'enseignement d'un
représentant du Bauhaus réfugié aux États-Unis, Joseph
Albers, au Black Mountain College en Caroline du Nord. " Ce
qu'il enseignait portait sur l'ensemble du monde visuel. Il
ne vous apprenait pas à " faire " de l'art. Il s'intéressait
à votre manière de regarder. "

Sa rencontre avec le musicien John Cage encouragera
également Rauschenberg à expérimenter avec audace. Il est
bien sûr dans la lignée d'illustres prédécesseurs qui se
sont adonnés au collage de divers éléments comme Braque,
Picasso et surtout Kurt Schwitters. Comme ce dernier,
Rauschenberg a une grande capacité d'intégrer des éléments
hétérogènes pour inventer des ensembles harmonieux et
souvent cocasses. Plusieurs oeuvres semblent marquées par une
gamme proche de l'art des Indiens. Sa grand-mère paternelle
était Cherokee mais peut-être que cela n'a rien à voir.
Disons que Rauschenberg s'empare des États-Unis de son
époque, de ses symboles et icônes historiques ou
consuméristes pour réaliser ses créations bien personnelles.

Pour une présentation développée avec quelques oeuvres
reproduites, consulter le site http://www.centrepompidou.fr/


RED NORVO
En jazz, il est des interprètes et des compositeurs que l'on
qualifie parfois de musiciens pour musiciens. Cela signifie
que leur langage n'a pas eu la chance d'atteindre un large
public mais que leurs pairs savaient parfaitement apprécier
ce qu'ils apportaient. Red Norvo (1908-1999) qui jouait du
xylophone et du vibraphone fait probablement partie de ces
talentueux inconnus. Il a joué notamment auprès d'une très
bonne chanteuse Mildred Bailey et des clarinettistes et chef
d'orchestre Benny Goodman puis Woody Herman. A partir de
1947, Red Norvo s'installa en Californie où il anima
diverses petites formations. Avec un jeu délié, inventif et
tout en finesse, notre homme fut à l'aise dans tous les
styles, le swing, le be-bop ou le jazz cool. Plusieurs
disques de Red Norvo sont très recommandables mais le seul
problème est de les trouver. Commençons par le dernier qui
vient d'être édité et qui risque de disparaître très vite
des bacs comme les autres : " Red Norvo 1950-1951 with
Charlie Mingus and Tal Farlow " (CD Classics 1422). On est
en présence d'un trio intimiste et bondissant où les parties
du jeune bassiste Charles Mingus, du jeune guitariste Tal
Farlow et de Red Norvo s'équilibrent à merveille. On
découvrira l'originalité de Red Norvo au xylophone et au
marimba sur le CD Affinity, " Knock on wood ". Les
excellentes séances de 1944-1947 se trouvent sur le CD
Keynote/Capitol, " El Rojo ". Ses affinités avec le blues
sont illustrés aux côtés du saxophoniste Ben Webster et du
trompettiste Harry Edison sur le CD RCA Victor " Red plays
the blues ".


LE PÈRE CASTOR, TOUJOURS JEUNE
Pour aller de l'avant, il faut souvent revenir en arrière
afin de ne pas négliger les " grands classiques ". Rien ne
nous oblige à offrir à un enfant la dernière game-boy ou le
dernier album gore hyper tendance. Tant qu'une loi
répressive adoptée par le parlement ne nous y oblige pas,
profitons-en.

Les albums du " Père Castor " ont 70 ans et nombre d'entre
eux viennent d'être réédités en trois tomes reliés, avec les
illustrations initiales en couleur (éd Flammarion). Paul
Faucher (1898-1967) avait créé cette collection dans
l'esprit de la pédagogue Maria Montessori. Il voulait que le
livre permette à l'enfant d'avoir une activité libre,
éducative, ludique et qu'il soit " un objet affectif ". En
1927 il avait rencontré le pédagogue tchèque Frantisek
Bakulé. A la suite de quoi, la collection d'albums fut
lancée et illustrée par d'excellents dessinateurs d'Europe
de l'Est.

Énumérer une partie du catalogue relève déjà de la poésie :
Marlagette, Boucle d'or, Roule-galette, Poule rousse, Chante
pinson, Michka l'ours en peluche... Puis vinrent Kiou, la
chouette hulotte, Les musiciens de la ville de Brême, Tapoum
l'éléphant d'Afrique...

La collection n'a cessé de s'enrichir, d'évoluer vers les
plus grands et vers les plus petits. Ca roule comme la
galette, sans promo tapageuse à la télévision ou dans les
catalogues des grandes surfaces. Ces albums sont de vrais
cadeaux (peu onéreux), non seulement pour les jeunes
lecteurs mais aussi pour les parents, grands-parents, oncles
et tantes qui céderont avec délectation au rite de la
lecture à voix haute pour aider les chers petits à faire de
beaux rêves.

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder 

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