Culture & Révolution

Sommaire

Liste par thèmes

 

Journal de notre bord

Lettre n°72 (le 16 septembre 2006)

Bonjour à toutes et à tous,

Le navire pétrolier Probo Koala transportait 581 tonnes de
déchets extrêmement toxiques. Il a peut-être croisé sur son
trajet vers le Nigeria puis la Côte-d'Ivoire quelques
embarcations de fortune, avec à leur bord de jeunes
Africains fuyant la misère et les guerres dans leurs pays.
Certains auront trouvé la mort en essayant d'atteindre
l'Europe tandis que ce bateau poubelle aura apporté la mort
à au moins six habitants d'Abidjan et de graves
intoxications pour des milliers d'entre eux. Question de
rentabilité. L'Afrique devient un vaste enfer, invivable
dans tous les sens de ce mot, par le jeu d'une collaboration
efficace entre multinationales, vendeurs d'armes,
politiciens et hommes d'affaires locaux fonctionnant en
synergie avec les firmes occidentales pour vendre, piller et
exploiter à fond tout ce qui peut l'être, y compris ses
oeuvres d'art que les marchands et musées occidentaux
s'arrachent. L'Afrique est le continent dont la population
est la plus martyrisée par les grandes manoeuvres du Capital.
Mais les autres continents du tiers monde et l'Europe de
l'Est subissent des ravages de plus en plus catastrophiques
tant sur le plan de la pollution, du pillage des ressources
que de l'exploitation des populations.

Les dirigeants du FMI clament avec ravissement que la
croissance de l'économie mondiale n'a jamais été aussi forte
depuis 35 ans. Certes la croissance des profits a été dopée
par l'appauvrissement dramatique de la classe ouvrière et de
l'essentiel de la paysannerie à l'échelle mondiale.

La lecture actuelle qui s'impose le plus pour prendre le
pouls de l'humanité est celle du livre de Mike Davis
" Le pire des mondes possibles " (éd. La Découverte) dont
le titre original est " Planet of slums " (la planète des
taudis). Ce tableau concret des logiques économiques et
sociales conduisant plus d'un milliard d'être humains à
survivre dans des bidonvilles est indispensable à la
connaissance de celles et ceux qui veulent lutter pour
changer le monde.
_____________________________________

De l'usage perfide des mots
Oaxaca
Traven
Nous avons mange la forêt
Ils ont dévoré le musée de l'homme
Illusio
Berthe Morisot
Chess
_____________________________________

DE L'USAGE PERFIDE DES MOTS
Un des procédés quotidiens des dominants est de détourner le
sens des mots pour leur faire dire l'inverse de ce qu'ils
expriment. Ainsi " la liberté " consisterait à assouplir ou
à supprimer la carte scolaire. " L'égalité " consisterait à
aligner tous les régimes de retraite sur le plus
défavorable. Dans les entreprises, les hiérarchies font
appel à outrance auprès des salariés à leur " sens du
collectif " dont par ailleurs les capitalistes sont
intrinsèquement dépourvus. Un sinistre chef religieux, en
résidence à Rome, prétend, au mépris de l'histoire comme de
l'actualité de sa vieille secte, que " la raison " est du
côté de ses croyances et opinions ultra-réactionnaires.
Visiblement son dieu ne lui suffit pas pour mener son
entreprise obscurantiste, il faut qu'il fasse une OPA sur la
raison !

Ainsi les mots de l'émancipation sociale et humaine,
employés à haute dose dans des contextes où ils n'ont rien à
y faire, forment une trame idéologique se donnant des airs
d'évidence. Avec nos mots et nos actions, cohérents entre
eux, il nous faut constamment déchirer tous ces voiles
langagiers qui masquent la réalité et la déforment.


OAXACA
Nous remercions un de nos (fidèles) lecteurs qui a attiré
notre attention et notre intérêt il y a quinze jours sur le
mouvement qui s'est développé dans l'État d'Oaxaca au sud du
Mexique à partir d'une grève d'enseignants pour une
augmentation de salaires commencée le 22 mai dernier. Il
nous a écrit que cet État " est en situation de semi-
insurrection - plus ou moins pacifique - et qu'un pouvoir
populaire parallèle (l'Assemblée Populaire du Peuple (sic)
d'Oaxaca) constitué de syndicats, associations et
organisations de la société civile, notamment indiennes, et
municipalités, fait concurrence au pouvoir officiel du
Gouverneur PRI de l'État. Cette "Commune d'Oaxaca" a
commencé au mois de juin, avec une banale grève de profs
pour leurs salaires. La répression menée par le gouverneur a
alors allumé l'incendie. " Des dirigeants et des militants
du mouvement ont été emprisonnés, torturés et certains
assassinés. On trouvera d'autres informations en espagnol en
consultant en particulier l'édition en ligne du journal
mexicain La Jordana (http://www.jornada.unam.mx/).


TRAVEN
Passons à présent dans l'État mexicain voisin, celui du
Chiapas, pour parler d'un écrivain qui y a vécu un certain
nombre d'années à partir de 1924 et qui était très lié aux
Indiens férocement exploités. B. Traven (1890-1969) a écrit
des romans fulgurants sur leur condition, leurs luttes et
leur perception du monde : " La Révolte des pendus ", " La
Charrette ", " Rosa Blanca ". Les éditions de la Découverte
ont réédité ces romans et commencent à combler les lacunes
en traduisant des oeuvres de Traven inédites en français. Le
recueil de nouvelles " Le chagrin de saint Antoine et autres
histoires mexicaines " qui vient d'être publié, illustre
l'humour grinçant et aussi la connaissance profonde qu'avait
Traven des Indiens du Chiapas.


" NOUS AVONS MANGE LA FORÊT "
Concernant le musée du quai Branly à Paris, il convient
d'abord de citer un extrait d'un texte d'Aminata Traore,
essayiste et ancienne ministre de la culture et du tourisme
au Mali : " Le Musée du Quai Branly est bâti, de mon point
de vue, sur un profond et douloureux paradoxe à partir du
moment où la quasi totalité des Africains, des Amérindiens,
des Aborigènes d'Australie, dont le talent et la créativité
sont célébrés, n'en franchiront jamais le seuil compte tenu
de la loi sur l'immigration choisie. [...] Nos oeuvres ont
droit de cité là où nous sommes, dans l'ensemble, interdits
de séjour. "

Mais il y a cependant au moins une bonne raison de visiter
ce musée pour découvrir le travail de l'ethnologue Georges
Condominas au travers d'une exposition qui se tient jusqu'au
17 décembre prochain. C'est la seule partie du musée qui
échappe à la pénombre, aux reflets des parois de verre ou de
plexiglas et à tout un bluff déconcertant et confus dans la
présentation des documents.

En 1948, Condominas, qui avait alors 27 ans, avait choisi de
vivre pendant près de deux ans dans un village des hauts
plateaux du centre du Vietnam, alors partie de l'Indochine
française. Le village de Sar Luk a disparu comme bien
d'autres dans la tourmente de la guerre du Vietnam. Il reste
des objets, des photos, des séquences filmées, des
témoignages, des carnets de travail et des croquis de
Georges Condominas et surtout, ses commentaires précis et
évocateurs sur la vie des paysans Mnong Gar avec qui il a
vécu.

Le livre qu'il a commencé à écrire en 1955, " Nous avons
mangé la forêt " (Mercure de France, 497 pages), est un
formidable document avec des épisodes drôles ou tragiques et
une dimension poétique propre à la culture des Mnong Gar. Il
n'a malheureusement pas été réédité avec les 48 photos que
Georges Condominas avait prises à l'époque.


ILS ONT DÉVORÉ LE MUSÉE DE L'HOMME
Il est nécessaire que le musée du quai Branly continue à
faire couler beaucoup d'encre, non pas pour s'extasier, ce
que trop d'officiels, d'officieux et de journalistes
complaisants ont fait jusqu'à plus soif, mais pour dénoncer
un scandale qui se situe à plusieurs niveaux et que fort
heureusement d'autres journalistes ont pointé.

Bernard Dupaigne, directeur du laboratoire d'Ethnologie du
musée de l'Homme de 1991 à 1998, vient de consacrer à la
question un livre au titre explicite, " Le scandale des arts
premiers, La véritable histoire du musée du quai Branly "
(éd. Mille une nuits, 263 pages). Le réquisitoire est
accablant et difficilement contestable de par la masse de
faits cohérents révélés. L'auteur est animé par une
indignation parfaitement fondée mais l'amenant parfois à
être redondant, ce qui au demeurant ne change rien sur le
fond.

Pour permettre la création du musée du quai Branly, il a
fallu une série de coups de force d'un président et
d'affairistes pendant onze ans qui ont conduit à la
destruction du contenu de deux musées, le musée national des
Arts africains et océaniens et le musée de l'Homme. 300 000
objets leur ont été soustraits et la plupart mis en caisse
et stockés dans des endroits inondables. Le musée du quai
Branly ne pouvant exposer qu'à peine 3000 objets,
l'essentiel des collections pillées ne pourra pas être vu
par le public et ne pourra plus être étudié par les
chercheurs avant longtemps.

Le nouveau musée a coûté une fortune. Chaque pièce
correspond à une dépense de 100 000 euros auxquels il faut
ajouter 12 500 euros de fonctionnement annuel. Le musée de
l'Homme est mort. Vive le " musée de l'Autre " ?, comme
l'appelle de façon absurde un supplément de Télérama. À
moins que l'Autre, ça ne soit Chirac, se rêvant en roi
bâtisseur à la suite de sa Majesté Mitterrand, promoteur de
la gigantesque bibliothèque du même nom dont l'esthétique et
l'utilité sont fortement contestées mais le gouffre
financier occasionné tout à fait incontestable.

Toute l'opération quai Branly aura été menée en connivence
avec un ami de Chirac, Jacques Kerchache, trafiquant et
marchand d'objets d'art " primitif " ou " premier ". Au fil
des années, honneurs et rémunérations sont tombés drus sur
la tête de tous ceux qui surent plaire à Chirac et à
Kerchache. On retiendra aussi qu'aucun ministre de gauche
n'a jamais émis aucune objection à cette entreprise
pharaonique aberrante (Jospin, Claude Allègre, Jack Lang,
Catherine Trautman, etc.).


ILLUSIO
La revue Illusio, " revue politique et scientifique sur la
corporéité " présente des textes denses nourrissant une
réflexion critique sur le monde de compétition dans lequel
nous évoluons. Son troisième numéro vient de sortir consacré
aux " Idéologies contemporaines " avec des textes entre
autres de Joseph Gabel, Patrick Tort et Lucien Sfez. Le
premier était consacré à une dénonciation serrée et en règle
du contenu des jeux olympiques modernes. Le second était
intitulé " Les Barbares, compétition et obsolescence de
l'homme " avec des contributions notamment de Patrick
Vassort, de Jean-Marie Brohm, d'Albert Memmi, de François
Chesnais et d'Albert Jacquard. Le site de cette revue est
http://revueillusio.free.fr/


BERTHE MORISOT
Si vous habitez le midi de la France, prenez donc un jour ou
l'autre le chemin de la jolie petite ville de Lodève située
entre Millau et Montpellier pour découvrir une belle et
intelligente exposition au musée municipal. Jusqu'au 29
octobre (sauf le lundi), ce musée présente une rétrospective
de l'oeuvre de Berthe Morisot, artiste qui participa à toute
l'aventure du groupe des Impressionnistes. Bien des
critiques d'art de son époque se plaignaient que ses
tableaux ne soient pas assez léchés. Ils leur semblaient
inachevés car en fait d'une facture trop moderne. Ses
compagnons en peinture (Manet, Pissarro, Renoir, Degas,
etc.) et bien des écrivains, dont Stéphane Mallarmé, ne
manquèrent pas d'exprimer leur admiration pour la qualité de
son travail et sa forte personnalité. Leurs jugements
restent avant-gardistes.

L'oeuvre de Berthe Morisot n'est toujours pas reconnue, sauf
exceptions, à sa juste place, comme aussi importante que
celle d'autres peintres impressionnistes. Pourtant elle ne
fut l'épigone de personne par sa touche vive et spontanée,
ses cadrages souvent singuliers et la subtilité de sa gamme.
http://www.lodeve.com/index.php/article/archive/145/


CHESS
Le trompettiste de jazz Fabien Mary, vingt-huit ans, est
décidément en pleine forme. Son deuxième album " Chess "
sorti l'an dernier (CD Elabeth) a tout pour séduire aussi
bien ceux qui veulent découvrir une musique de jazz bien
charpentée, d'un lyrisme sobre, que des amateurs chevronnés,
peu disposés à s'incliner devant des stars très médiatisées
mais pas toujours très consistantes. Tel n'est pas le cas de
Fabien Mary qui développe sa personnalité en s'appuyant
solidement sur l'héritage hard bop de grands trompettistes
comme Clifford Brown et Kenny Dorham. Il délaisse ici les
standards et propose même quatre thèmes personnels sur les
dix plages.

On retrouve les mêmes qualités d'authenticité chez ses
compagnons. Le guitariste Hugo Lippi a assimilé avec
élégance l'apport de Wes Montgomery et de Kenny Burrell. Le
bassiste Fabien Marcoz et le batteur Mourad Benhammou sont
également des musiciens accomplis, jouant en souplesse, de
façon réactive et aérée, sans jamais en faire trop ou pas
assez.

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

_______________________________________

  Pour recevoir ou ne plus recevoir
    cette lettre, écrivez-nous:

  mèl : Culture.Revolution@free.fr
 http://culture.revolution.free.fr/
_______________________________________

< O M /\

URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_072_16-09-2006.html

Retour Page d'accueil Nous écrire Haut de page