Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°70 (le 4 juillet 2006)

Bonsoir à toutes et à tous,

Certains étourdis ne savent pas qu'ils ont des précautions à
prendre avant les vacances. Le quotidien Le Monde daté du 2
juillet a remis de l'ordre dans les têtes. Avant tout il
faut ajuster son portefeuille. Non, pas cet objet en cuir
assez peu garni que possèdent les salariés. On parle dans ce
journal de choses sérieuses, donc d'un portefeuille de
valeurs et avant tout d'actions. Avant de partir dans une de
ses résidences d'été ou un de ses palaces favoris, ne pas
oublier de donner à son portefeuille des " colorations plus
défensives ". Bref il faut se débarrasser de ses actifs les
plus risqués. Noël Forgeard et Arnault Lagardère, l'ami de
Sarkozy, s'étaient eux carrément préparés au printemps en
vendant un bon paquet d'actions d'EADS en mars, avant que le
cours baisse. Question de feeling et de bonnes informations.

A présent les milieux boursiers s'attendent à des baisses et
à des turbulences au cours de l'été sur une série de
valeurs. Cela incite à prendre ses bénéfices sur les valeurs
encore hautes et à se débarrasser des valeurs peu
prometteuses. Pas de panique disent les experts financiers
mais avec leurs conseils, ils encouragent sérieusement un
atterrissage économique assez rock n roll, pour ne pas
parler d'un krach majeur. Les pots cassés seront payés par
les classes populaires du monde entier. Que voulez-vous nous
répètent-ils, nous sommes dans un monde où tout bouge très
vite. A chacun de s'adapter avec ses moyens propres et de
prendre des initiatives à temps.

A nous de capter le message et de mettre à nouveau à la
hausse les actions collectives pour nous défendre contre les
agressions de la bourgeoisie. C'est ce que de nombreux
enseignants et familles ont mis en oeuvre en intensifiant
leur mobilisation contre la chasse aux enfants d'immigrés
sans papiers menée par Sarkozy, ses préfets et sa police. Et
cela grâce à la ténacité du Réseau Éducation Sans Frontières
(http://www.educationsansfrontieres.org/) et du collectif
Unis contre l'immigration jetable (http://www.immigrationjetable.org/).

Sarkozy se donne des airs d'homme heureux en enchaînant les
voyages d'agrément avec son épouse à une cadence accélérée,
Venise, Londres, la Guyane, avec une cohorte de journalistes
et de photographes dans son sillage. Mais il craint malgré
tout de se retrouver avec une vilaine affaire sur le dos,
comme celle du CPE pour Villepin, qui compromettrait son
image et ses chances électorales. La contestation de la
nouvelle loi Sarkozy contre les sans papiers et leurs
enfants est une question de justice et d'humanité. Elle a
déjà montré son efficacité mais elle peut prendre encore
plus d'ampleur.
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Saccage durable
Substantiel
Les grands singes et nous
La Célestine
Histoires orales
Encres de Chine
Envolée lyrique
Sur le pouce
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SACCAGE DURABLE
La promotion du " développement durable " est à la mode. On
voit et on entend partout de la pub pour le " développement
durable ", chez Leclerc et Carrefour, chez Total, chez le
cimentier Lafargue, l'assureur Generali, etc. Dans le n° 34
d'Agone fin 2005, Benoît Eugène avait apporté une
argumentation nourrie et de nombreux faits pour démasquer
cette stratégie de marketing appelée " développement durable ".

Les capitalistes sont soucieux de maintenir leur machine à
fabriquer des profits durables. Les pollueurs repeignent
donc leurs façades aux couleurs riantes de la citoyenneté et
de l'écologie. Ces irresponsables en appellent à la
responsabilité des consommateurs pour " consommer autrement "
(en achetant leurs produits !) avec la bonne conscience de
préserver l'environnement. Pour cette noble cause, la Lettre
du Club Toyota de juillet a réalisé une " interview
exclusive " du photographe de la terre vue du ciel, Yann
Arthus Bertrand. Il nous vante avec enthousiasme les mérites
de la Prius de Toyota à moteur hybride (essence et
électricité) : " En tout cas, je suis fier de rouler en
Prius. L'acheter est un acte citoyen. J'ai déjà fait des
émules jusque dans ma rue en convertissant deux de mes
voisins. "
Citons quelques autres " militants citoyens " adeptes de la
Prius : Sylvain Augier, Joël de Rosnay, Yves Coppens,
Cameron Diaz, Brad Pitt, l'Equipe de France de
football... Désolé de ne pas pouvoir citer tout le monde mais
cela fait plaisir de voir qu'un grand mouvement de stars
pour sauver l'écosystème s'est mis en route.


SUBSTANTIEL
Le dernier numéro 36 de Carré Rouge comporte 80 pages ! Un
dossier fourni sur le mouvement anti-CPE donnera matière à
réfléchir et à réagir sur le site de cette revue (http://www.carre-rouge.org/).
Signalons parmi bien d'autres articles, une
analyse des luttes qui ont secoué l'Équateur en 2005, parue
dans la revue Herramienta de Buenos Aires, et une étude et
une interview éclairantes sur la situation politique et
sociale en Italie.


LES GRANDS SINGES ET NOUS
L'actualité éditoriale concernant les grands singes est
importante et toujours aussi passionnante. La revue Pour la
Science de juin nous livrait une étude sur la sociabilité au
sein d'un groupe d'orangs-outans qui les rend plus
intelligents qu'un autre groupe plus dispersé. Dans le n° de
juillet, deux livres sont présentés par Fanélie Wanert :
" Le singe en nous " de F. de Waal, un des plus importants
primatologues, et F. Lanting, ainsi que " Bonobos, le
bonheur d'être singe " par les mêmes auteurs (éd Fayard).
Son article se conclut ainsi : " Le fossé entre l'homme et
l'animal se comble peu à peu au détriment des idéologies
créationnistes qui soutiennent encore l'être humain sur son
piédestal. "

Nous saisissons l'occasion pour rappeler la parution d'un
livre magnifique tant par ses photos que par ses textes de
Pascal Picq, Dominique Lestal, Vinciane Despret et Chris
Herzfeld : " Les grands singes. L'humanité au fond des yeux "
(éd. Odile Jacob). Toutes les bibliothèques et médiathèques
devraient avoir ce livre dans leurs rayons.


LA CÉLESTINE
Aline Schulman qui a déjà présenté une traduction fluide et
accessible à un large public du " Don Quichotte de la Manche "
de Cervantès, nous propose à présent la traduction tout
aussi réussie d'un autre chef-d'oeuvre de la littérature
espagnole, " La Célestine " de Fernando de Rojas (éd
Fayard). Cette oeuvre théâtrale a été publiée pour la
première fois à Burgos en 1499. Les préfaces des écrivains
Juan Goytisolo et Carlos Fuentes apportent des données et
des éclairages nécessaires sur l'auteur qui était un juif
converti, sur les avatars de l'oeuvre et sur les
interprétations qui n'ont jamais cessé depuis.

Cette oeuvre est stupéfiante par sa façon de mêler la farce
au tragique, la trivialité à la poésie la plus éclatante.
L'oeuvre, dont le personnage central est une maquerelle
entremetteuse, la Célestine, eut d'emblée un tel succès en
Espagne que l'Inquisition n'osa pas s'y attaquer bien que la
tonalité anticléricale soit à plusieurs reprises évidente.


HISTOIRES ORALES
Que vous partiez en vacances ou que vous soyez obligés de
rester, nous vous conseillons de dévorer un livre très
vivant, " Working, Histoires orales du travail aux États-
Unis " de Studs Terkel publié pour la première fois en 1974
(éd. Amsterdam). On a pu voir Studs Terkel, né en 1912, dans
l'émission Metropolis d'Arte il y a quelques semaines. Il
est toujours plein d'allant dans sa ville de Chicago pour
aller parler avec les gens, tous les gens, et pour dire d'un
oeil malicieux tout le mal qu'il pense du capitalisme.

Dans ce livre il s'entretenait avec 70 personnes pratiquant
les métiers les plus divers : grutier, ouvrier chez Ford,
fossoyeur, hôtesse de l'air, courtier, prostituée, éboueur,
garde-malade...


ENCRES DE CHINE
Que l'on aime ou non les polars, on en apprendra encore de
belles sur l'affairisme actuel à Shanghaï et sur les
séquelles de la Révolution culturelle en lisant " Encres de
Chine " (éd Liana Levi, Points Seuil) de QIU Xialong. Les
amateurs de cet écrivain chinois ont déjà lu Mort d'une
héroïne rouge et Visa pour Shanghaï. Il s'est réfugié aux
États-Unis après la répression de Tienanmen et retourne
chaque année à Shangaï pour prendre le pouls des
bouleversements qui touchent la ville.

Son héros, l'inspecteur Chen est un grand amateur de poésie
ancienne et de cuisine raffinée. Sa connaissance de
l'anglais l'amène a être embauché par un monsieur Gros-Sous
qui a en vue une opération immobilière susceptible de
séduire les touristes étrangers. Cet extra bien rémunéré est
le bienvenu. Sauf qu'il a en même temps à élucider un crime,
avec de fortes pressions d'un ponte du Parti pour qu'il
boucle ou bâcle l'enquête au plus vite.


ENVOLÉE LYRIQUE
On peut écrire bien des choses intelligentes, idiotes ou
hermétiques sur l'art abstrait. En 1945 Samuel Beckett a
écrit un texte dense, étrange et désopilant pour présenter
deux peintres hollandais dits abstraits et dont la renommée
ne dépassait guère les murs de leur atelier : les frères
Abraham et Gerardus van Velde. On peut lire ce texte de 44
pages, " Le Monde et le Pantalon " (éd de Minuit), avant ou
après être allé voir l'exposition au Musée du Luxembourg à
Paris intitulée " L'envolée lyrique, 1945-1956 ". Parmi les
toiles présentées on découvrira justement deux toiles de
Bram van Velde.

Dans la période de l'après-guerre, l'art abstrait était
fréquemment vilipendé, les intellectuels staliniens n'étant
pas en reste sur ce terrain. Que dit-on à l'amateur sur
l'art abstrait écrit Beckett : " Ne vous approchez pas de
l'art abstrait. C'est fabriqué par une bande d'escrocs et
d'incapables. [...] Un enfant en ferait autant. " Beckett
répond tranquillement : " Qu'est-ce que ça peut lui faire,
que ce soient des escrocs, s'ils lui procurent du plaisir ?
Qu'est-ce que ça peut lui faire, qu'ils ne sachent pas
dessiner ? Cimabue savait-il dessiner ? Qu'est-ce ça veut
dire : savoir dessiner ? Qu'est-ce que ça peut lui faire que
les enfants puissent en faire autant ? Qu'ils en fassent
autant. Ce sera merveilleux. Qu'est-ce qui les en empêche ?
Leurs parents peut-être. Ou n'en auraient-ils pas le temps ? "
(pages 13-14)

Revenons à l'exposition qui se tient au Musée du Luxembourg
jusqu'au 6 août. La majorité des peintres abstraits en
activité à Paris entre 1945 et 1956 n'étaient pas français.
Certains avaient fui le nazisme, avaient connu la misère et
continuaient à tirer le diable par la queue. On perçoit dans
ce panorama, selon les artistes, du désespoir, de la joie,
de la rage, de la concentration méthodique... Impossible de
les regrouper sous un même drapeau, une même tendance.
Certaines oeuvres séduisent ou choquent selon la sensibilité
du visiteur. En toute subjectivité, voici sans hiérarchie
aucune les noms des peintres qui m'ont particulièrement émus :
Hans Reichel, Wols, Atlan, Nicolas de Staël, Bram van Velde,
Lanskoy, Alexandre Istrati, Gérard Schneider et Vieira Da Silva.
Mais il y a aussi Zao Wou-ki, Estève, Soulages, Poliakoff...


SUR LE POUCE
L'énergie et l'imagination sont toujours bien là sur la
scène du jazz. Sonny Rollins a sidéré l'auditoire de Vienne
et Ornette Coleman celui de Montreux. De jeunes interprètes
assimilent l'héritage des aînés de façon fructueuse. C'est
le cas de la jeune saxophoniste Sophie Alour qui trace sa
voie de façon convaincante en s'inspirant de Joe Henderson
(Insulaire, CD Nocturne).

Des jazzmen qui ont fermé leur parapluie depuis des lustres
peuvent également nous emballer comme s'ils continuaient
leur carrière, par le biais d'éditions de séances
partiellement ou totalement inédites. L'occasion de
découvrir ou d'être surpris par un des plus grands
guitaristes de l'histoire du jazz, à savoir Wes Montgomery,
se présente avec " Smokin' At The Half Note " (CD Verve). Il
se produisait en direct en juin 1965 dans un club de
Manhattan accompagné d'une section rythmique de rêve, celle
de Miles Davis pendant plusieurs années : Wynton Kelly au
piano, Paul Chambers à la basse et Jimmy Cobb à la batterie.
Le jeu de Wes Montgomery ces soirs là fut encore plus
inventif que dans ses meilleures prestations des années
antérieures, notamment avec le vibraphoniste Milt Jackson,
le pianiste Tommy Flanagan ou le saxophoniste Jimmy Griffin.

Cet artiste décédé d'une crise cardiaque en 1968 à l'âge de
43 ans avait une sonorité particulière, charmeuse, car il se
servait de son pouce comme médiator. On suit tous les
rebonds complexes de ses lignes mélodiques et de ses accords
avec jubilation.


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

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