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Journal de notre bord

Lettre n°67 (le 1er avril 2006)

Bonsoir à toutes et à tous,

Ce n'est pas tombé un 20 mars ni un 22 mars mais depuis le
mardi 28 mars, cela ressemble bien à un printemps des
luttes. La joie de lutter ensemble est arrivée. Pour
beaucoup d'étudiants et de lycéens, c'est l'immersion dans
le contrat première lutte. Pour d'autres, jeunes scolarisés,
salariés ou retraités, c'est l'engagement dans un contrat
nouvelle lutte. Dans les deux cas, il s'agit de contrats
collectifs à durée indéterminée. Ce contrat collectif de la
lutte renouvelée, portée au plus haut niveau possible est un
contrat solide. Il ne souffrira aucun lâchage, aucune
trahison. L'idée de grève générale se fraie un chemin. Le
mouvement se nourrit de plus en plus d'échanges, de
discussions sur notre avenir. Il réveille l'espoir chez bien
des salariés.

Un mouvement d'opinion contre la précarité sous toutes ses
formes s'est construit lentement et sûrement, depuis deux
mois, en passant par divers relais, syndicats, partis,
associations, assemblées générales, informations et points
de vue sur internet et bien d'autres canaux qui n'ont rien
d'établi ni d'institutionnel. Un processus d'auto-
émancipation est en route.

Les mouvements émancipateurs se construisent avec des
arguments qui mettent un certain temps à être formulés,
compris, soupesés et adoptés. Ils se nourrissent
d'expériences parfois pénibles ou dramatiques comme
l'atteste le fait qu'un adhérent du syndicat SUD PTT, Cyril
Ferez, est toujours entre la vie et la mort et que des
jeunes sont condamnés à des mois de prison ferme ou avec
sursis. Mais une fois qu'un tel mouvement est lancé et
cristallisé, les mensonges et manoeuvres médiatiques et
étatiques, les matraques et les gaz lacrymogènes sont
largement inopérants. A la limite, ils finissent par opérer
comme des stimulants. Les acteurs de la lutte deviennent de
plus en plus créatifs et déterminés.

Le CNE et le CPE ont mis en pleine lumière la question de la
précarité qui frappe plusieurs générations. Que de vies
incertaines et gâchées, dans les cités, dans les
entreprises, les stages bidons et les navettes à l'ANPE.
Après avoir mis à mal les conditions de travail, les
retraites, la sécurité sociale, les services publics, ce
gouvernement veut flinguer définitivement le code du
travail. Une agression de trop contre les classes populaires
qui comprennent que toutes ces attaques ont une logique
commune, celle des profits.

La crise sociale et politique actuelle nous pose cette
question simple : dans quelle société voulons-nous vivre ?
Une société inhumaine avec une précarité de plus en plus
générale et violente, ou une société sans précarité c'est-à-
dire tout simplement humaine ? Il y a un lien à établir dans
notre esprit entre la question de la précarité et celle de
l'exploitation des travailleurs pour arracher toujours plus
de profits à l'échelle planétaire.

Le mouvement actuel ouvre un dossier et une perspective :
agir méthodiquement ici et dans les autres pays pour mettre
fin au règne du capital et à son pouvoir de nuisance dans
tous les domaines.
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Formation accélérée
Vilepinades
Méthode Jospin
Quand les banlieues sont toujours là 
Le métier d'acteur
Voix essentielles
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FORMATION ACCÉLÉRÉE
On l'entendait en boucle depuis des années ce refrain :
" Ils se fichent de tout, de la société et de la vie politique
en particulier ! ". " Ils sont individualistes ! ". " Ils
n'y a que les marques et la consommation qui comptent pour
eux ! ". Ils ? Les jeunes bien sûr ! Ces jeunes à présent en
lutte.

Ces jeunes qui sont tout autant " ils " que " elles ", sans
avoir fixé des quotas, donnent un éclatant démenti aux
généralisations hâtives et désabusées sur leur compte. Il
leur a suffi d'un stage de formation accélérée dans la rue,
les facs et les lycées. Et en plus leurs parents, voire
leurs grands-parents, les appuient et les rejoignent dans
les manifs. Ils sont dans la même galère et ils retrouvent
le parfum de générosité de leur jeunesse qui donne l'audace
de se battre contre ce qui est injuste. La minorité des
nantis peut se faire du souci. Si le " péril jeunes " et le
" péril vieux " conjuguent leurs idées et leurs forces, les
" dominants " ne sont pas sortis du pétrin.


VILLEPINADES
Et dire que nous trouvions Raffarin grotesque et
insupportable... Villepin, surnommé affectueusement Néron
par l'épouse du Président, le bat à plates coutures. Les
grossières et brutales villepinades rendent un peu fades les
stupides raffarinades. Villepin a fait son coup d'éclat
croyant faire un coup d'État parce qu'il a pris le pouvoir
sur un Chirac désynchronisé et parce qu'il force les
godillots de l'UMP à traverser la Bérézina derrière lui.

Finalement Sarkozy s'est fait prendre de vitesse sur son
thème de " la rupture ", c'est-à-dire de mesures encore plus
brutales contre la population programmées pour 2007. En
jouant les raisonnables dans la crise actuelle, Sarkozy
s'est pris en fait un méchant tacle et se retrouve à
boitiller derrière l'attelage Villepin-Chirac. La présidente
du MEDEF apporte enfin son soutien sans réserves à toute la
petite bande gouvernementale, comme la corde soutien le
pendu.

Dans le triumvirat Chirac-Villepin-Sarkozy, on a rengainé
momentanément les couteaux et le poison. Les manifestants et
les grévistes feront le nécessaire pour que ce trio enfin
soudé se casse la figure tous ensemble, tous ensemble,
ouais.


LA MÉTHODE JOSPIN
Les éléphants du Parti socialiste savourent leur plaisir
pour l'instant. La gauche dite libérale et la gauche dite
antilibérale se congratulent avec les leaders syndicaux.
Mais François Hollande et quelques autres ne sont pas si
euphoriques que ça. Certes les événements peuvent
éventuellement redonner des illusions convertibles en
victoires électorales. Le Nouvel Observateur se réjouit très
fort que l'opposition Gauche-Droite reprenne du sens. Ca
aide effectivement à pérenniser l'ordre social par le jeu
d'une alternance gouvernementale crédible. Mais si les
dirigeants du PS reviennent au pouvoir en héritant d'une
situation où une grande partie de la jeunesse est remontée à
bloc et de larges secteurs de salariés sont confiants dans
leurs forces, cela ne va pas être que du plaisir pour eux.
Car la Gauche à vocation gouvernementale ne rêve jamais que
de bien servir ses maîtres capitalistes dans un climat de
paix sociale théoriquement mieux assurée par elle que par
une Droite agressive et passablement déjantée. Quand Fabius,
Jospin ou Aubry ont fait passer les TUC, les Emplois-jeunes
(précarité pour les jeunes sur cinq ans avec rien au bout),
la flexibilité et une kyrielle d'autres mesures favorables
au patronat, ils n'ont pas mis deux à trois millions de
jeunes et de salariés dans la rue.

Les milieux financiers et patronaux qui analysent froidement
la situation l'ont compris. Jean-François Pécresse, un des
piliers du quotidien Les Échos, déplorait hier vendredi en
page 14 que Villepin n'ait pas appliqué la démarche définie
par Jospin en avril 1998, celle dite des " 3 D " :
" diagnostic, dialogue, décision ". Et de rappeler que
Raffarin a appliqué avec succès la méthode Jospin pour faire
passer la contre-réforme de l'assurance-maladie. Villepin
est passé directement à la décision, sans " diagnostic " ni
" dialogue ". Il a snobé les dirigeants syndicaux, tout
comme Juppé en octobre 1995, ce qui les prive de leur
fonction de négociateurs patentés et d'amortisseurs sociaux.
D'où leur colère comparable à celle de Blondel, dirigeant de
FO en 95.

Le triumvirat Villepin-Chirac-Sarkozy voudrait convaincre
les gens de leur classe que la manière forte est la
meilleure. Les bourgeois sont bien d'accord pour qu'on
défende brutalement leurs biens et leurs intérêts et donc
pour qu'on habitue la population à l'intervention permanente
et musclée de la police et de la justice dans tous les
conflits sociaux. Mais cela ne suffit pas pour que le
système fonctionne. Au jeu de l'oie où ils sont en train de
perdre, Villepin et ses comparses devront repasser par la
case longues palabres avec les dirigeants syndicaux. Sinon
tous ces hommes qui se croyaient forts vont plonger.


QUAND LES BANLIEUES SONT TOUJOURS LÀ
Les jeunes manifestants anti-CPE ont constaté avec
consternation que des jeunes de banlieue s'invitaient dans
la rue d'une façon qui n'a rien de réjouissante. Il y a à
résoudre un problème difficile sur lequel trop de militants
de gauche, d'extrême gauche ou de syndicalistes préfèrent se
taire, tirer en touche ou répéter à l'envi qu'il s'agit de "
comportements stupides et de violence aveugle " sans
chercher plus loin ; quand certains n'ont pas la tentation
de stigmatiser ces jeunes de banlieue ou de les livrer aux
flics.

Des étudiants de la Sorbonne ont abordé frontalement et
lucidement le problème. Voici un extrait de leur tract
intitulé " LES " CASSEURS DE BANLIEUE " ET LE " MOUVEMENT
ÉTUDIANT "
Tabou, névrose... ou extension nécessaire du domaine des
revendications
" Il est inacceptable que le mouvement étudiant, par crainte
de discrédit auprès des médias et de l'opinion, en vienne à
se désolidariser des jeunes de banlieue et s'autorise à
condamner leur violence. Car c'est adopter le même ton,
poli, que le gouvernement : c'est ne pas voir que ce
discours d'anti-violence polie tait et cache la violence
véritable, exercée au quotidien sur ces jeunes (contrôles
policiers, discriminations à l'emploi, au logement, etc.).
Si nous adoptons ce discours, nous nous plaçons du côté du
gouvernement ; et contre eux.
Gagner sur le CPE sans avoir obtenu quoi que ce soit pour la
banlieue, ni su établir aucun lien avec elle, ne serait plus
pour nous qu'une victoire amère. "

Ces étudiants abordent la question sous le bon angle. Il est
urgent de comprendre et de ne plus refouler ce qui a
provoqué la révolte des banlieues. Une révolte d'un bruit
assourdissant qui n'a pas été entendue, ne serait-ce qu'à la
marge. Pour y voir plus clair et agir en conséquence, nous
conseillons la lecture du dossier du dernier numéro de la
revue Carré Rouge (n°35), les articles dans la revue " la
Question sociale " (n°3, site
http://www.laquestionsociale.org/ ), le numéro 159 de
septembre dernier de la revue " Actes de la recherche en
sciences sociales " intitulé " Politique des espaces
urbains, Penser, Classer, Administrer la Pauvreté ". Le
livre d'Olivier Masclet, " La gauche et les cités ", vient
d'être opportunément réédité à La Découverte.


LE MÉTIER D'ACTEUR
Il y a peu de temps, nous vous avions recommandé la lecture
de " Quel bruit ferons-nous ? ", un livre d'entretiens entre
l'historienne Arlette Farge et le compositeur Jean-
Christophe Marti (éd. Les Prairies ordinaires). On y
découvrait la passion du métier d'historien, avec ses
exigences, ses joies, ses doutes... Aujourd'hui nous voudrions
vous conseiller un livre tout aussi original et enrichissant
sur le métier d'acteur. Denis Podalydès est sociétaire de la
Comédie-Française, acteur de cinéma et également scénariste
et metteur en scène. Il a regroupé des chroniques écrites
depuis une dizaine d'années sous le titre " Scènes de la vie
d'acteur " (éd du Seuil/Archimbaud). Il échappe complètement
au genre recueil de souvenirs truffés d'anecdotes et de
jugements complaisants pour soi-même et ses petits copains.
Ces livres-là ne sont d'ailleurs pas écrits par l'acteur
concerné mais par un journaliste ou un agent d'édition.

Ici, Denis Podalydès tient la plume et de la belle façon.
Les portraits qu'il trace de lui-même ou de collègues dans
différentes situations coupent court à tout effet
d'adulation ou de dévalorisation. Certains font songer par
leur acuité aux " caractères " de l'écrivain du XVIIe
siècle, La Bruyère. On se trouve confronté aux difficultés
du texte à mémoriser, à mettre en bouche et en gestes, au
rapport à la tragédie intime, aux rapports des acteurs à
l'alcool, au trou de mémoire, au discrédit ou à la vanité.
On saisit les acteurs avant, pendant et après la
représentation ou le tournage d'un film. On entrevoit les
relations avec les metteurs en scène, les figurants, les
cameramen.. Il y a quelques fulgurances de drôlerie mais le
ton est souvent âpre, traduisant un souci d'aller toujours
plus loin dans l'appréhension du métier d'acteur.


VOIX ESSENTIELLES
La revue Jazz Magazine d'avril consacre un dossier
exceptionnel aux chanteuses noires américaines. Les articles
sur les plus marquantes d'entre elles sont tous excellents
(Philippe Carles, François-René Simon, Denis-Constant
Martin, Gérard Rouy, Anne Ducros...). C'est un dossier qui met
en relief avec émotion et précision l'apport musical et
humain de femmes noires qui ont été confrontées au racisme,
à la misogynie et pour certaines à la misère. Elles se sont
battues vaillamment pour devenir de grandes artistes. Grâce
à une discographie sélective au bon sens du terme, il y a là
l'occasion de découvrir ou de redécouvrir Bessie Smith,
Mahalia Jackson, Billie Holiday, Dinah Washington, Ella
Fitzgerald, Nina Simone, Abbey Lincoln, Jeanne Lee et
quelques autres.


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder
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