Journal de notre bordLettre n°62 (7 novembre 2005)Bonsoir à toutes et à tous, Ce qui se passe dans bon nombre de banlieues populaires offre l'occasion aux politiciens et aux commentateurs médiatiques de se livrer à un grand exercice d'exhibition d'avis, d'opinions, d'indignations plus ou moins feintes et de diverses pleurnicheries intéressées. Un vrai raz-de- marée. Après quelques jours d'embarras et de tirage en touche, tout ce petit monde se bouscule pour enfoncer des portes ouvertes et pour claironner des points de vue plus ou moins réactionnaires. Ils ont du mal à dissimuler leur anxiété. Les " violences urbaines " peuvent un jour muter en luttes de classes franches et massives. Pour une raison toute simple : cette société est trop gorgée d'injustices. Elle va nécessairement exploser d'une manière ou d'une autre. En ligne d'horizon dans les années à venir, nous vivrons une révolution sociale apportant des progrès décisifs ou bien nous subirons un état de guerre civile faisant régresser de façon dramatique toute la société. Des hommes comme Nicolas Sarkozy se préparent consciemment aux deux cas de figures. Pour sécuriser coûte que coûte les intérêts des classes dominantes, lui, Villepin et leurs semblables agissent pour renforcer les moyens répressifs de la machine d'État. Ceux de la police bien sûr mais aussi ceux des juges et des préfets pour détruire progressivement le droit de grève comme on vient de le voir à l'encontre des traminots de Marseille et des bagagistes de Roissy en grève. La survie du système capitaliste en décomposition ne peut s'effectuer qu'en créant un appauvrissement du prolétariat et une forte croissance du sous-prolétariat. C'est à ce prix que les valeurs boursières sont dopées. Les classes populaires payent le coût humain de ce fonctionnement. Quand elles refuseront, tout changera. _____________________________________ Chef de bande Vaccin médiatique Ou va la Russie ? Génie du cosmopolitisme Décapant être disponible à la poésie Djangophonie _____________________________________ CHEF DE BANDE Le chef de bande Sarkozy a délibérément programmé ses provocations. Son show à Argenteuil où il ne se passait rien de particulier avant son passage est particulièrement révélateur de sa stratégie. Il serait superficiel de ne voir là que l'agitation d'un histrion mégalo en campagne électorale perpétuelle. Cette dimension est indéniable mais l'objectif visé répond fondamentalement aux craintes et aux avidités de sa classe sociale. Sarkozy a pu tester que y compris les politiciens de gauche n'osaient pas réclamer sa démission ou si timidement... Et pourtant tous ceux qui appellent " au calme " savent très bien que le calme ne reviendra pas si Sarkozy reste ministre de l'Intérieur. Exiger la démission de Sarkozy est la moindre des choses car les injures et les provocations sont venues de lui. De la posture de provocateur, Sarkozy passera un jour à celle de " sauveur ". La moindre des choses est de casser sa carrière en obtenant sa démission. VACCIN MÉDIATIQUE Tout à coup le besoin des médias se fit pressant de tendre un micro devant un ouvrier ou une ménagère, un retraité, personnes considérées d'habitude comme gens transparents et inexistants. Il fallait de toute urgence recueillir des miettes de leur souffrance, de leur mal-vivre. Il aura fallu plus de huit jours d'affrontements avec la police et d'actes de destruction rageurs dans les communes les plus déshéritées pour que les médias lâchent quelques bribes de vérité. Par exemple qu'il y a 25% de chômeurs à Clichy-sous- Bois, chiffre qui comme tous les chiffres traduit bien mal les réalités humaines. Comme si avec ces bribes de vérité, on voulait nous vacciner contre un danger, celui de vouloir tout comprendre, celui d'accéder à une juste compréhension du processus économique, politique et social expliquant le délabrement des banlieues populaires. C'est donc à chacun de nous de lutter intellectuellement pour accéder à une compréhension globale, sans rester prisonnier des images télévisées ni des opinions trop simplistes qui nous viennent spontanément à l'esprit. De ce point de vue la lecture ou la relecture du livre des sociologues Stéphane Beaud et Michel Pialoux, " Violences urbaines, violence sociale, genèse des nouvelles classes dangereuses " (Fayard) est salutaire, de même que celle de " Pays de malheur ! " de Younes Amrani et Stéphane Beaud qui vient d'être réédité en poche (La Découverte) avec des compléments. OÙ VA LA RUSSIE ? Dans sa dernière livraison de novembre, " Le Monde diplomatique " publie un tableau remarquablement intéressant sur l'état actuel de la société russe, par Carine Clément et Denis Paillard. Tableau consternant où disent les auteurs en préambule " à la dureté du pouvoir et à la brutalité des rapports sociaux, héritage de la période soviétique, viennent s'ajouter la violence du marché, le cynisme de l'argent fou, l'égoïsme du chacun pour soi et le matérialisme de la course à la consommation. En Russie, comme ailleurs, l'humanité se fait rare. " En dix éclairages centrés notamment sur les oligarques, la progression du nationalisme, le sort réservé aux migrants au sein de la Fédération de Russie, la gangrène tchétchène, les tensions entre les régions et le pouvoir central, le lecteur apprend beaucoup de faits concrets. L'étude se conclut sur un point positif, le développement au sein de la société de mouvements de résistance structurés surtout depuis l'hiver dernier à la politique de Poutine et des oligarques. GÉNIE DU COSMOPOLITISME L'Institut du monde arabe à Paris présente une exposition très riche intitulée " L'âge d'or des sciences arabes ". Du 9e au 15e siècle, l'expansion de la civilisation musulmane a permis la floraison des sciences, en mathématiques, en astronomie, en médecine, en mécanique et en musique où l'accent a été mis sur l'étude des intervalles entre les notes. Les savants ont assimilé les découvertes antérieures faites en Grèce, en Inde, en Égypte et en Mésopotamie et ils y ont ajouté leurs propres découvertes. L'exposition met en évidence qu'ils n'ont pas été de simples passeurs entre le monde grec et le monde européen occidental, comme on le dit souvent. Ces savants étaient réunis par une langue commune, l'arabe, tout en étant d'origines géographiques et religieuses diverses. L'ouverture générale aux savoirs et le cosmopolitisme ont été des conditions essentielles à l'éclosion des sciences arabes. Une exposition à découvrir pour vivre un beau moment, loin des stupidités nationalistes et obscurantistes. DÉCAPANT Le dernier numéro de la revue Agone intitulé " Domestiquer les Masses " ravira ceux qui apprécient des analyses politiques, sociales et culturelles à la fois fouillées et carrément polémiques. Cela commence en fanfare par un texte férocement drôle de Bendi Glu sur " Lille 2004 ", capitale européenne de la culture " où l'on voit que le mot " culture " ne fut qu'un habillage pour des opérations de publicité par les groupes Carrefour, Accor, SFR, etc avec la complicité de certains " artistes " comme Buren et dans une ambiance politique très oecuménique où s'épanouissaient aussi bien le ministre de la Culture d'alors, Jean-Jacques Aillagon, que Martine Aubry, maire de Lille. Dans la foulée, on appréciera un texte de Noam Chomsky, " Propagande et contrôle de l'esprit public " et une étude de Serge Halimi et Arnaud Rindel intitulée " La conspiration. Quand les journalistes (et leurs favoris) falsifient l'analyse critique des médias ". Comme on ne peut pas citer tous les articles, il faut attirer l'attention sur l'étude du philosophe Jacques Bouveresse consacrée à l'écrivain viennois Karl Kraus mort en 1936, qui mena un combat satirique incessant (et toujours d'actualité) contre l'emprise de la grande presse sur les esprits. ÊTRE DISPONIBLE À LA POÉSIE Être disponible à la poésie de grande inspiration comme celle d'Hölderlin ou celle de Leopardi ne procure pas seulement un plaisir esthétique. Elle donne à penser, tout en insufflant un peu plus de musicalité dans notre vie quotidienne. Quand on espère quelque chose de cet ordre, on est enchanté de découvrir le grand poète brésilien Carlos Drummond de Andrade (1902-1987). Une anthologie de son oeuvre vient de paraître dans la collection de poche Poésie/Gallimard sous le titre d'un de ses poèmes, " La machine du monde ". Ce poète a investi au cours de sa vie des registres multiples. Il a renouvelé l'approche des thèmes les plus classiques comme celui de la mort, comme dans " Mort en avion ", ou celui de l'amour, comme dans son dernier recueil " Aimer s'apprend en aimant ". Il a magnifiquement célébré la ville de Rio. Carlos Drummond de Andrade était aussi un poète délicieusement enjôleur (" Vers pour Ana Cecilia de Recife "), moqueur vis-à-vis de lui-même (" Faire 70 ans ") et fréquemment critique contre tout ce qui aliène ou rabaisse les hommes (" Moi, étiquette ", " Sentiment du monde "). DJANGOPHONIE Le jazz manouche se porte bien et réjouit de plus en plus d'amateurs grâce entre autres aux guitaristes Romane, Stochelo Rosenberg, Travelo Schmitt ou Yorgui Loeffler. Le CD du violoniste roumain Florin Niculescu intitulé " Djangophonie " (Le Chant du Monde) est à part. Il rend hommage au goût prononcé et souvent méconnu qu'avait le guitariste Django Reinhardt pour la musique classique, celle de Bach, Debussy et Ravel. Florin Nicolescu interprète avec belle sensibilité plusieurs thèmes de Django accompagné par un quatuor à cordes Drina et d'autres par le groupe Latcho- drom où brille le guitariste Christophe Lartilleux-Hart. La fille de Florin Nicolescu, Zafira, interprète de façon convaincante un standard " You don't know what love is ". Un disque à plusieurs facettes qu'on ne se lasse pas de réécouter. Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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