Journal de notre bordLettre n°59 (28 juillet 2005)Bonsoir à toutes et à tous, L'essence du monde actuel est parfois résumée en deux manchettes de quotidiens. Hier " Libération " titrait : " Dans le Niger affamé. Les premières aides finissent par arriver dans ce pays touché par une famine massive qui aurait pu être évitée. " Le même jour " La Tribune " titrait : " Les fonds d'investissement plus riches que jamais. " La double page intérieure commençait ainsi : " Les fonds de capital- investissement ont faim et ne devraient pas être rassasiés de sitôt. [...] A coup de dizaines de milliards de dollars, ils raflent petites et grosses entreprises au nez et à la barbe des industriels encore frileux sur le front des acquisitions. " A chacun sa faim. Celle de profits massifs et rapides pour certains ou celles d'aliments pour éviter de mourir pour d'autres. Au Niger il aurait fallu un dollar par jour et par enfant pour sauver sa vie. Ces quelques dollars ont brillé par leur absence, siphonnés dans les tuyaux du capitalisme financier. Les lamentations sur " l'égoïsme et l'indécence des pays riches " ne seront d'aucune utilité. Elles n'empêcheront personne de mourir de faim dans les pays du Sahel. La décence et l'efficacité consisteraient à envisager les moyens d'exproprier ceux qui font un usage aussi monstrueux des richesses produites sur cette planète. Entre la Bourse et la vie, la dignité consiste pour chacun de nous à choisir la vie. ______________________________________________ Le profit est leur patrie Adversaires à leur mesure Sur l'Europe, l'Argentine, la Bolivie... Le " devoir " de trou de mémoire ? Citoyennes révolutionnaires Ah ! Les hommes... Essénine Coups du sort Monde flottant Passage de témoin Haendel In situ _______________________________________________ LE PROFIT EST LEUR PATRIE Villepin s'est-il livré inconsciemment à une variation sur la fameuse phrase : " On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels " ? Pour commenter la rhétorique médiocre du premier ministre sur " le patriotisme économique ", on peut signaler quelques faits éloquents. Tandis que les populations du Niger meurent de faim, le groupe français Areva exploite les mines d'uranium de ce pays qui est le troisième producteur mondial de cette ressource. Tandis que le groupe Danone se prétendait menacé par une OPA du " vilain Américain " PepsiCo, le groupe Pernod mettait la main sur Allied Domecq. France Télécom vient d'engloutir le groupe de téléphonie espagnol Amena. Sur ces entrefaites, le groupe Suez lance un ultimatum au gouvernement argentin pour faire passer des hausses démentielles des tarifs de l'eau en faveur de sa filiale locale. Drôlement sympathique " le capitalisme français ", si tant est que cette expression ait un sens car si l'argent n'a pas d'odeur, les multinationales n'ont évidemment pas de patrie ce qui ne les empêchent pas de rançonner " leur Etat " ou un autre à l'occasion sous forme d'" aides " diverses. Le " patriotisme économique " du gouvernement et des grands groupes financiers et industriels se traduit également par une guerre de plus en plus intense contre les chômeurs et les grévistes. Ces derniers en particulier, ces traîtres à la patrie du profit, sont de plus en plus en première ligne des licenciés et des poursuivis en justice. Quatre salariés d'Avenance à Lyon, entreprise de restauration collective, ont été mis à pied sans salaire et menacés de licenciement pour avoir participé au blocage du site pendant un débrayage (voir l'Humanité du 28 juillet). On ne peut pas citer tout le monde tellement les exemples se multiplient. Il faut rappeler les poursuites scandaleuses contre les quatorze postiers de Bègles. Il faut signaler et manifester notre soutien fraternel à Kamel Belkadi de Daewoo, condamné, sans aucune preuve, à deux ans de prison avec sursis pour un incendie qu'il n'a pas commis et envoyer des messages à ulcgtlongwy@worldonline.fr (cf. aussi http://nancy-luttes.net/soutien.kamel.daewoo/) ADVERSAIRES A LEUR MESURE Depuis l'effondrement de l'URSS et du bloc de l'est, les puissances impérialistes ont réussi à se fabriquer des " ennemis ", beaucoup plus petits, à leur mesure, fort peu dangereux pour leur pouvoir mais tout à fait utiles pour justifier leur domination sur le monde. L'extrême droite islamiste remplit avec zèle cette fonction. Son but n'est évidemment pas d'obliger les grandes puissances à se retirer d'Irak et d'Afghanistan sinon elle ne tuerait pas au hasard des gens qui ne sont pas responsables de ces guerres et ont même peut-être manifesté contre. Elle se nourrit du terrorisme de masse de ces États pour développer son terrorisme de petite envergure comparativement. L'extrême droite islamiste cherche à s'enraciner partout ou elle le peut pour préparer sur le long terme sa prise de pouvoir dans des pays comme l'Égypte, le Maroc, l'Algérie ou le Pakistan, ou plus modestement sur certains quartiers. Des " ennemis " qui contribuent à attiser le racisme, divisent les masses populaires et les tétanisent conviennent très bien aux gouvernements occidentaux qui renforcent leur arsenal global de répression et justifient leurs agressions économiques contre les classes populaires par la lutte contre " le terrorisme ". Dans tous les pays nous sommes des millions, athées ou non, à ne pas être dupes des manoeuvres des uns et des autres. Sur cette base, il est possible de construire la force internationale qui imposera nos aspirations à la paix et à l'entente entre tous les peuples. SUR L'EUROPE, L'ARGENTINE, LA BOLIVIE... Tout beau, tout neuf et plein de substance, le n° 33 de la revue Carré rouge comprend un dossier fourni d'analyses sur le référendum du 29 mai dernier. Deux articles précisent les orientations en matière d'éducation et d'armement de l'Union Européenne. Alain Bihr explique à quoi sert et à qui profite la " Dette publique française ". Un militant bolivien Ciro Tappeste livre une analyse éclairante sur les luttes en cours en Bolivie depuis deux ans. A signaler une interview très vivante d'un militant argentin Beto Piannelli sur les grèves du métro de Buenos Aires dans lequel il est lui-même impliqué. Nous n'avons pas énuméré tout le sommaire. Il vous reste à vous abonner à cette revue (voir nos liens) si ce n'est déjà fait. LE " DEVOIR " DE TROU DE MÉMOIRE ? Dans les familles " respectables ", on a toujours arraché de leurs cadres les photos des individus qui ont " mal tournés ", sont devenus un motif de honte ou de scandale pour une raison ou une autre. A présent ce sont carrément des événements historiques qui subissent le même traitement. Les révolutions sont devenues comme des gros trous dans l'histoire de l'humanité. En dépit de leur manie commémorative, les médias et les politiciens sont bien partis pour ignorer les phases révolutionnaires. Ainsi la première grande révolution du vingtième siècle, celle de 1905 dans l'empire tsariste, brille depuis janvier par son absence, y compris dans les présentoirs des grandes librairies. Une seule exception, " Tsoushima ", un recueil de textes de l'époque dans la collection Bouquins chez Laffont, du reste surtout centrés sur les défaites militaires de la Russie face au Japon en 1904 et 1905. Signalons quelques livres importants sur la révolution de 1905 que vous trouverez peut-être dans une bibliothèque publique ou dans celle d'un ami : " 1905 " de Léon Trotsky, " Grève de masse, parti et syndicats " de Rosa Luxemburg ainsi que ses lettres envoyées de Pologne et enfin les articles de Lénine sur cette première révolution russe. Un historien contemporain, François-Xavier Coquin, a donné un tableau d'ensemble utile, " La révolution russe manquée " (éditions Complexe). Cette révolution est d'autant plus intéressante à étudier qu'elle a vu émerger la forme démocratique du soviet. Elle fut plus particulièrement analysée dans la deuxième moitié du XXe siècle par Oskar Anweiler (" Les Soviets en Russie 1905-1921 ") et par Isaac Deutscher dans sa biographie de Trotsky dans son chapitre sur 1905. CITOYENNES RÉVOLUTIONNAIRES Les révolutions sont de grandes épopées humaines qui n'en ont jamais fini de livrer tous leurs secrets. On pouvait croire que tout avait été déjà écrit sur la Révolution française. Eh bien non. L'ouvrage de Dominique Godineau, "Citoyennes tricoteuses, Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française " (éditions Perrin, 417 pages) est passionnant. Il apporte des éléments remarquables sur le rôle de la composante féminine de la Révolution à Paris. Elle avait été jusqu'alors passablement négligée y compris par des historiens comme Georges Lefebvre, Albert Soboul ou George Rudé. Dominique Godineau s'est refusée à juste titre à faire un ouvrage " féministe " au sens réducteur du terme, ce qui aurait été une façon de minorer le rôle des femmes. Les femmes ne sont pas présentées ici à part, à côté de la Révolution mais comprises " dans le processus révolutionnaire ". " Les femmes aussi ont un passé politique " s'écrit l'historienne dans sa conclusion. Ce livre est érudit et vivant. Il passe au crible les métiers des femmes, leurs relations familiales et sociales, la place qu'elles occupent dans les clubs et les assemblées et le rôle qu'elles jouent au cours des grandes journées révolutionnaires. Des portraits formidables se dégagent de ce vaste mouvement, ceux de Claire Lacombe, de Pauline Léon, de Françoise Borne, d'Anne Félicité Colombe, des soeurs Barbot ou de la femme Boudray. Le lecteur n'est pas près de les oublier. AH ! LES HOMMES... Le vénitien Goldoni est un de ces hommes de théâtre du XVIIIe siècle qui, à l'instar de Marivaux et Beaumarchais, se plut à ridiculiser les travers masculins et les prétentions des hommes à dominer les femmes. Il le fit sans méchanceté, avec une drôlerie légère mêlée d'un soupçon de désenchantement. On peut apprécier son art actuellement à Paris dans " La Locandiera " qui se joue en français à la Comédie italienne, rue de la Gaîté, jusqu'au 6 août. Le plus mauvais coup qu'on puisse porter à une pièce de Goldoni, comme à la musique de Vivaldi, est de trop appuyer les effets. Ce n'est pas du tout le cas de la troupe de la Comédie italienne et de la mise en scène de Attilio Maggiulli qui présente un spectacle d'un goût parfait. Hélène Lestrade joue avec subtilité Mirandoline, une aubergiste espiègle qui se fait un plaisir de mettre en pièces la misogynie d'un de ses hôtes. ESSÉNINE De 1923 à 1925, Sergueï Essénine était devenu le poète le plus populaire en Russie. Quatre-vingts ans plus tard, il semble bien que l'attachement à ce poète d'origine paysanne, attiré par la Révolution mais déchiré par elle, n'ait pas décliné. " Aujourd'hui que la clarté nouvelle A effleuré aussi mon destin, Je reste malgré tout le poète De notre isba en rondins " Le tendre et sauvage Essénine est profondément original, même s'il nous fait penser parfois à Chagall, à Verlaine ou à Rimbaud. On ne pouvait guère apprécier ce poète en français que grâce au livre de Sophie Laffitte paru en 1959 dans la collection " poètes d'aujourd'hui " chez Seghers. Tout à coup deux recueils bilingues viennent de sortir, rendant davantage justice à ce grand poète. Les passionnés de poésie se procureront les deux, même si les plus importants de ses poèmes se retrouvent dans les deux recueils mais dans des traductions fort différentes. " Le journal d'un poète " traduit et présenté par Christiane Pighetti (éditions de la Différence) offre en annexe des témoignages et des documents photographiques. " L'Homme noir " traduit et présenté par Henri Abril propose un choix plus copieux (éditions Circé). Ses traductions ont nettement notre préférence mais tout ici est affaire de goût personnel. COUPS DU SORT Tout le monde sait bien dans son for intérieur qu'il est impossible de lire un bon livre sur une plage. Certes on peut faire semblant mais à quoi bon... Une amie nous recommande donc un recueil de nouvelles à lire au retour de la plage, ou avant de s'y rendre, ou encore pour avoir une bonne excuse de ne pas aller à la plage. Que les adeptes de la montagne ou de la campagne se rassurent. Ce recueil leur conviendra aussi, le temps d'un orage, d'une longue averse ou d'une entorse. Il s'intitule " New York tic tac " (éditions Stock) et son auteur O. Henry naquit aux États- Unis en 1862. Serveur, valet de ranch, employé de bureau, comptable et vaguement journaliste, cet homme fit également un séjour en prison de trois ans pour fraude fiscale. Il eut davantage de chance comme nouvelliste et ce n'est que justice. Des histoires drôles, tendres, d'un réalisme sans fioritures et où les coups du sort heureux ou malheureux ne manquent pas, comme dans sa vie. O. Henry est mort en 1910. La même année que son collègue en littérature, Marc Twain. Lui aussi fut un gaillard fameux, anticonformiste, avec ses contes malicieux et ses célèbres romans " Tom Sayer " et " Huckleberry Finn ". Il faut être un enfant ou retrouver une âme d'enfant pour apprécier ces romans-là ; ce qui est chose sérieuse à la portée de tout un chacun. A lire au bord d'une rivière en pensant qu'on est au bord du Mississipi. MONDE FLOTTANT Le musée Guimet à Paris est consacré aux arts asiatiques. Il présente actuellement jusqu'au 15 août une très belle exposition d'oeuvres du 18e et 19e siècle du musée Ota de Tokyo. Estampes, illustrations de livres, peintures sur soie, éventails, tout est beau, séduisant ou intrigant. On retrouvera tous les plus grands artistes, Harunobu, Utamaro, Hokusai, Hiroshige et bien d'autres. HAENDEL Le grand et rayonnant compositeur Georg Friedrich Haendel est en vogue. Qui s'en plaindrait ? Cela nous vaut la création à la scène et au disque d'oratorios et d'opéras superbes tombés dans l'oubli. A quoi s'ajoute la réédition d'un livre qu'on n'espérait plus. Sauf quelques rares et opiniâtres farfouilleurs chez les bouquinistes de toute la francophonie avaient eu le bonheur de lire le " Haendel " de Romain Rolland paru en 1910. Il vient seulement d'être réédité par Actes Sud/Classica-Répertoire (255 pages). Dominique Fernandez a signé une bonne préface à ce livre très informé, au style incisif et plein d'allant. PASSAGE DE TÉMOIN La scène du jazz est bien vivante. Aucune rupture entre les générations. Quelques rescapés de la vieille garde sont toujours aussi épatants comme Sonny Rollins, Archie Shepp, Bobby Few, Jim Hall ou René Urtreger. De jeunes talents émergent ou se confirment. Le pianiste Pierre Christophe est l'un d'eux. Il habite avec aisance et conviction le répertoire d'un pianiste et compositeur aujourd'hui décédé, Jaki Byard. C'est surtout aux côtés de Charles Mingus que Byard se fit remarquer de ce côté-ci de l'Atlantique. Il fut à la hauteur de l'énergie et de l'inventivité de Mingus. En solo également, Jaki Byard avait un style d'une grande liberté, truffé de références et émaillé de citations pleines d'humour, avec un toucher entre jazz et musique classique. Pierre Christophe a bénéficié de son enseignement à New York. Son dernier disque en trio s'intitule " Byard by us vol 2 " (CD Black and Blue/Night and Day). Il est accompagné par Raphaël Dever à la basse et Mourad Benhammou à la batterie. IN SITU Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne une étude intitulée " A propos du " sentiment " de citoyenneté dans l'Athènes antique " et un article paru dans le n°33 de Carré rouge sur le livre " Pays de malheur " de Younes Amrani et Stéphane Beaud. Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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