Journal de notre bordLettre n°57 (26 mai 2005)Bonsoir à toutes et à tous, Quand on pense que nous aurions le pouvoir, pour ceux qui ont le droit de vote, de faire s'écrouler en un seul jour une Union Européenne laborieusement édifiée en cinquante ans, dans le dos et sur le dos des peuples, on en est tout secoué... de rires. Simone Veil, très en colère, a déclaré qu'il n'était pas question " de se faire plaisir " en votant non. Tiens donc, on se gênerait ! Raffarin le patelin a dit qu'on ferait mieux de s'abstenir que de voter non. Belle leçon de démocratie révélant le fond de la pensée des nantis : " Vous les obscurs, les prolos, les moins que rien, on vous préfère déprimés, dépolitisés, aigris, indifférents à la façon dont notre système fonctionne. Abstenez-vous, dormez en paix ce dimanche 29 mai, nous les " élites ", on s'occupe de tout et on vous prépare en douce d'autres mauvais coups. " Raté. Nombre d'entre nous se sont intéressés à l'Europe et à son avenir, dans un sens diamétralement opposé aux intérêts des privilégiés. Sur un autre référendum, dans un autre contexte, l'abstention pouvait, a pu ou pourra s'envisager. Mais là, pas question. Il faut dire NON massivement au capitalisme. Que le camouflet, la baffe, soit la plus cuisante possible pour le MEDEF, les médias aux ordres, Giscard, Chirac, Sarkozy, Hollande, Jospin, Cohn-Bendit et tous leurs alliés en Europe. Il faudrait que le succès du NON soit tel qu'il inquiète même un Laurent Fabius et autres ex-ministres " de gauche " qui s'imaginent un peu trop vite pouvoir surfer tranquilles sur des aspirations populaires transformées par leurs soins en illusions électorales, puis en désillusions amères une fois que ces défenseurs de fraîche date des services publics reviendraient au pouvoir. Rassembler nos forces pour débattre et agir tous ensemble, oui, c'est une nécessité. Mais nous ne sommes plus preneurs d'une " démocratie " biaisée, d'une " démocratie " par délégation imprudente à des tribuns incontrôlés ou à des girouettes prenant le vent de la colère des travailleurs pour le dévoyer. La démocratie efficace pour transformer la société sera directe, critique, fondée sur des connaissances claires des enjeux, ou ne sera que caricature trop connue. Notre espoir est que le succès du NON encourage les travailleurs, salariés, chômeurs et retraités, en France et dans toute l'Europe, à approfondir les questions politiques et sociales, à tisser des liens entre eux et à faire front ensemble contre les classes dominantes. ____________________________________ Le pot aux roses Les Vivants et les Morts Se passer des patrons Découverte In situ ____________________________________ LE POT AUX ROSES Ainsi Giscard ne passera pas seulement à la postérité pour les diamants qu'il reçut du dictateur Bokassa mais pour avoir rédigé un texte emblématique de l'état de décrépitude intellectuelle des bourgeois européens. Lui et ses collègues ont innové. Depuis la Révolution française, les constitutions bourgeoises avaient l'habitude de voiler les rapports d'exploitation. Le droit de propriété était solennellement affirmé et cela suffisait bien. Mais le traité constitutionnel ne se donne même pas la peine de voiler ces rapports d'exploitation. Au contraire, il les exhibe, les défend et les revendique avec une impudence remarquable. Les auteurs mandatés par les gros actionnaires et les grands patrons européens manifestent une obsession pathologique, et au demeurant parfaitement logique, sur les questions de finance et de fric d'une manière générale. Cela se résume en trois mots, en une sorte de sainte trinité qui anime tout le texte dès le début et jusque dans tous les recoins de ses annexes : Libéralisation, Concurrence, Compétitivité. La libéralisation a été amplement commentée au cours de cette campagne mais on se doit de revenir au coeur de la concurrence et de la compétitivité. Deux jeunes gens avaient bien vu dès 1847 que la concurrence est à la base de la société bourgeoise, dans un libelle intitulé Manifeste du Parti communiste. Leurs polémiques et analyses (l'une s'appelle tout simplement Le Capital) mettent en relief que la concurrence est multiforme. La concurrence se fait entre les capitalistes, entre les machines et les travailleurs, entre les vendeurs de force de travail, et enfin entre les capitalistes et les travailleurs. Bref les rapports de concurrence s'imposent à tout le monde. Personne n'y échappe. La concurrence entre détenteurs de capitaux conduit à la concentration du capital, à l'émergence de monopoles qui se concurrencent entre eux, s'écroulent (Enron), en achètent d'autres ou se font racheter. La concurrence entre travailleurs conduit à leur abaissement et éventuellement à leur déchéance complète. Le saint principe de la compétitivité qui se trouve dans les objectifs prioritaires de l'Union Européenne suggère qu'il faut acheter la force de travail au prix le plus bas et procéder à son utilisation la plus intensive possible. Ces mots, concurrence, compétitivité, expriment la guerre d'une classe contre celle des travailleurs et finalement contre toute la société. La concurrence généralisée qu'on pourrait appeler à bon droit chaos généralisé, produira son contraire, l'abolition de la concurrence entre les travailleurs et la fin de la lutte entre tous les individus. A condition qu'on y songe sérieusement et qu'on agisse en conséquence. LES VIVANTS ET LES MORTS La façon dont on découvre un livre est parfois éclairante. Dernièrement quelqu'un m'a prêté le roman de Gérard Mordillat, " Les Vivants et les Morts " (éd Calmann-Lévy). Ce gros livre de 658 pages aurait pu rejoindre l'une des piles de livres qu'il me faut " absolument lire " et qui me narguent pendant des jours et des semaines. Sauf que celui qui m'a passé ce roman m'a fait comprendre que je devais le lire urgemment, en priorité. Il m'est revenu en mémoire qu'il avait acquis la passion de la lecture dans sa jeunesse en lisant des bouquins de John Steinbeck, Hemingway et autres auteurs américains vous prenant au colback de la première à la dernière page. Au collège technique, une prof de français lui avait donné le virus de la lecture avec ces écrivains-là. A l'évidence des élèves passablement rebelles et grands admirateurs de James Dean ne risquaient pas de se passionner pour le Cid de Corneille ou pour José Maria de Heredia. Mon impression était que " Les Vivants et les Morts " avaient quelque chose à voir avec " Les Raisins de la colère. " Notre jeune lecteur de Steinbeck dans les années cinquante a ensuite passé 38 ans dans une grande usine. Ce qui donnait du poids à ses propos enthousiastes sur le roman de Mordillat : " Tu sais, les gens que j'ai connu dans ma boîte parlaient et réagissaient vraiment comme ça. " On y rencontre tous les gens d'une entreprise et de sa localité : ceux de la direction, les cadres, les ouvriers, les syndicalistes (les durs et les mous), la patronne du bar, le maire, l'inspecteur du Travail, etc. Je me demande s'il n'a pas eu le béguin pour un des principaux personnages, une jeune femme surnommée Dallas. D'autres lecteurs ou lectrices l'auront pour Rudi ou pour Lorquin... Celles et ceux qui entameront la lecture de ce roman de Gérard Mordillat seront tout de suite entraînés par un fleuve pas tranquille du tout dont les héros, qui luttent et qui s'aiment intensément, sont des ouvrières et des ouvriers d'aujourd'hui, tout droit sortis d'une usine qui pourrait être Moulinex, Metaleurop, Daewoo ou Cellatex. On aura plaisir à revenir une autre fois sur ce livre. SE PASSER DES PATRONS Il faut d'autant plus insister sur l'intérêt du film " The Take " (la prise) que les critiques du " Monde ", de " Télérama " et du " Nouvel Observateur " ont fait preuve de dédain ou de condescendance polie à son égard. Ah, encore l'Argentine en train de sombrer, encore des travailleurs en lutte, encore le cynisme des patrons, encore les méfaits du libéralisme, ça devient d'un lassant... Eh bien pas pour nous. Avi Lewis et Naomi Klein, journalistes canadiens altermondialistes montrent des travailleurs qui ont décidé de se passer de leur patron pour faire tourner leur usine, la " Forja San Martin ". Celles et ceux de Beckman et de Zanon avaient commencé avant eux en 2002. D'autres ont suivi leur exemple depuis. Ils ont dû batailler souvent avec la police et l'appareil judiciaire pour imposer leur volonté. Un film à voir rapidement avant qu'il ne disparaisse totalement des écrans. DÉCOUVERTE Les partitas et sonates pour violon seul de Jean-Sébastien Bach comptent parmi les sommets de la musique dont on ne se lasse jamais. Selon sa sensibilité ou son humeur, on préférera l'interprétation de Gérard Poulet, de Milstein, de Grumiaux, de Heifetz, de Menuhin ou de Kuijken. La liste n'est pas clause. Nous avions eu vent en 1997 qu'une jeune violoniste américaine de 15 ans, Hilary Hahn, avait enregistré les partitas n°3 et n°2 (avec sa fameuse Chaconne) ainsi que la sonate n°3 chez Sony. C'était son premier disque ! Nous avions un préjugé défavorable : encore un coup de bluff d'une firme poussant une jeune interprète à jouer des oeuvres exigeant une grande maturité technique et humaine... Nous venons seulement d'entendre ce disque et nous constatons avec plaisir que nous avions tort sur toute la ligne. Hilary Hahn a choisi elle-même d'interpréter ces oeuvres. Au moment de l'enregistrement en 1996, elle avait déjà onze ans d'expérience sur son instrument puisqu'elle a commencé à jouer à l'âge de quatre ans. Pendant six ans et demi elle avait reçu les leçons d'un grand maître Jascha Brodsky décédé en 1997. Il ne reste à ajouter que ceci : Hilary Hahn a une magnifique personnalité. Son jeu, techniquement extraordinaire, est émouvant et profond. Sa jeunesse apporte à ces oeuvres une fraîcheur particulière. IN SITU À la suite d'un petit incident technique, la dernière lettre et deux points de vue sont en attente d'être mis en ligne sur notre site : l'un sur le film " The Take " et l'autre sur le roman d'Elfriede Jelinek, prix Nobel 2004, " Les Amantes ". N'hésitez pas à visiter notre site d'ici quelques jours. A très bientôt Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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