Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°51 (le 9 décembre 2004)

Bonsoir à toutes et à tous,

Sale temps pour la planète. La conférence des Nations Unies
sur le climat qui se tient en ce moment à Buenos Aires
illustre à quel point notre planète est dans un état
dramatique. Les déclarations de plusieurs représentants de
l'Agence Internationale de l'Énergie sur les rejets des gaz
à effet de serre sont parlantes pour qui veut entendre et
comprendre. Cette Agence prévoit une augmentation de 60% des
émissions de ces gaz dans les vingt-cinq prochaines années.
Le réchauffement climatique devrait se situer alors entre
1,5°C et 4,5°C. La revue scientifique Nature estime qu'
" à la fin du siècle, l'été 2003 pourrait être classé comme
relativement froid par rapport au nouveau climat en vigueur."
Si l'on a par ailleurs à l'esprit que les cancers de la
peau ont augmenté de façon impressionnante dans la pointe
sud de l'Amérique latine en raison de l'agrandissement du
trou dans la couche d'ozone, les faits actuels et les
projections les plus probables en matière de pollution
signent la condamnation à mort du genre humain dans quelques
décennies.

Il ne suffit pas de cibler l'irresponsabilité des États-Unis
qui rejettent les mesurettes du Protocole de Kyoto. Les
États qui ont adhéré à ce protocole " s'engagent " à réduire
leurs émissions de CO2 de 5% d'ici à 2012 ! Ils
commenceraient à s'y mettre vraiment en 2008 ! Dans
l'immédiat ils se contentent d'effets d'annonce et refoulent
les mesures concrètes comme l'a illustré le fantomatique
" Plan climat " du gouvernement Raffarin.

Des experts discourent tranquillement sur la marchandisation
des droits à polluer et sur le prix de la tonne de carbone
qui pourrait rendre éventuellement attractive une légère
diminution des combustibles fossiles. Les dirigeants
américains, européens ou japonais sont en fait à la botte
des gros industriels pollueurs et notamment des groupes
pétroliers, automobiles, sidérurgiques, cimentiers et de
l'armement. Les six gaz à effet de serre sont notamment
produits par des carburants vitaux pour l'économie de
profit. Voilà le secret de Polichinelle qui explique la
catastrophe écologique qui est déjà là et va s'aggraver.
Il n'est donc plus temps de seulement penser à sortir
des énergies fossiles, sortir du nucléaire ou sortir
du libéralisme. L'humanité sortira du capitalisme ou
disparaîtra.
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Algérie 1954
Terribles fêtes
Bévues prévisibles
Constructivisme culinaire
Dans la nature
Écarts
Réalité américaine
Roman noir
Brook et Hamlet
Viva Vivaldi
À voir
In situ
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ALGÉRIE 1954
" L'Algérie est calme " déclarait le ministre de l'Intérieur
en octobre 1954. Il s'appelait François Mitterrand. Quelques
jours plus tard, le soulèvement du peuple algérien
commençait et le même Mitterrand qui avait si bien perçu le
calme de l'Algérie, lançait une formule lapidaire : " La
seule négociation, c'est la guerre ! " A l'occasion du
cinquantième anniversaire du début de la guerre d'Algérie,
quelques livres ont paru qui restituent comment cette
période a été vécue par différentes personnes.

L'historien Benjamin Stora a réuni ses articles parus dans
" Le Monde " en y adjoignant quelques textes et documents dans
un petit livre " Algérie 1954 " qui vient de paraître aux
éditions de l'aube. Il brosse un tableau vivant des
différents aspects de la société algérienne juste avant le
déclenchement de la guerre en passant par Alger, Oran,
Constantine, Sétif ou le " bled ".

Le roman de Georges M. Mattéi, " Les Disponibles " (éditions
de l'aube, publié en 1961 chez François Maspero) offre le
tableau violent et amer d'une " génération perdue ", celle
des jeunes rappelés que le socialiste Guy Mollet a envoyé
faire la guerre au peuple algérien en 1956 avec la
complicité de tous les partis parlementaires de l'époque.
L'auteur disparu en 2000 avait lutté ardemment contre la
guerre d'Algérie et publié " La Guerre des gusses ".


TERRIBLES FÊTES
L'approche des fêtes de fin d'année est de plus en plus une
occasion extraordinaire de tensions multiples au sein de
notre société. Du côté des chômeurs, des RMIstes et des sans
abris, la situation est relativement calme pour l'instant.
Pas encore d'émeutes en vue cette année devant les
préfectures ou l'Assemblée Nationale pour " faire rendre
gorge " aux riches et à leurs représentants. Les queues sont
beaucoup plus paisibles devant les Restos du coeur ou au
Secours Populaire que chez Virgin, la Fnac ou les traiteurs.
Là où la misère et le désespoir écrasent, rien ne bouge.
Pour l'instant.

Mais ailleurs, quelle fébrilité ! La course aux cadeaux, aux
victuailles, aux vins et aux voeux est lancée. L'anxiété que
tout soit prêt à temps pour les fêtes s'empare des cerveaux.
Les consommateurs automobilistes ou piétons sont lâchés dans
le labyrinthe des rues et grands magasins. Les vendeurs,
vendeuses, caissières, coiffeuses, démonstrateurs,
guichetiers et standardistes subissent le choc de plein
fouet. Ces salariés dont le salaire est inversement
proportionnel au stress qu'ils subissent deviennent tout à
coup les responsables de tout ce qui ne va pas : temps
d'attente, malfaçons, erreurs de livraison, etc. L'horreur.

Le plus cocasse est que le résultat de nos courses folles ne
sera pas pleinement gratifiant les jours j. Tel met sera
sottement trop ou pas assez cuit. S'il est parfait, tel
représentant du grand âge y trouvera quand même à redire au
nom de son expérience, de ses mauvaises dents ou de sa
mauvaise foi. Le boucher aura oublié de couper la farce pour
la volaille, ce qui vous vaudra une bonne séance d'escrime
au dernier moment. Telle bouteille de vin sera d'une insigne
médiocrité, ce qui n'échappera strictement à personne en
dépit des dénégations polies. Pour cacher sa honte, il n'y a
plus qu'à dire d'une voix mourante : " Pourtant d'habitude
il est bon... "

Les ingrédients qui sauveront toutes les sauces, tous les
oublis, tous les ratages et toutes les aigreurs
interpersonnelles sont les suivants : autodérision et bonne
humeur inexorables. Ca ne se vent pas en magasin. Il ne
risque donc pas d'y avoir rupture de stock ou heure trop
tardive pour s'en procurer.


BÉVUES PRÉVISIBLES
Prenons les devants et assumons stoïquement. Nous ne
parviendrons pas à faire tous les cadeaux que nous avons
prévus pour nos proches sans faire de bévues. Certains
adultes auront deux fois le prix Renaudot ou le dernier opus
de Françoise Hardy. Comme tout le monde consulte les mêmes
opuscules téléguidant nos achats, c'est inévitable.

Du côté des enfants, la situation est par avance pathétique.
Les chers petites têtes blondes, brunes ou rousses vont être
recouvertes d'une avalanche d'objets plus ou moins
volumineux qu'en d'autres temps on aurait appelé jouets ;
car les enfants jouaient effectivement avec, restaient avec
eux pendant des heures, laissaient leur imagination
vagabonder et les adultes vaquer à leurs occupations.

Sans sombrer dans une nostalgie bien inutile d'une époque
révolue, prenons tout de même conscience que " nos cadeaux
pour les enfants " en 2004 dans la pile des jouets au pied
du sapin synthétique (restons écolos) feront dans tous les
cas piètres figures, s'ils ne font pas de surcroît doublons.
Le bambin criera illico et sans pitié : " j'l'ai déjà " ou
pire " j'en ai déjà deux (ou trois) ". Piteusement, nous
devrons changer le jouet et revenir.

Espérons seulement que l'enfant chéri, adoré, cajolé et non
moins énervé par cette surabondance de cadeaux qui
n'arrivera pas à étancher ni sa soif de possession, ni sa
frustration affective, ne finira pas par les jeter dans tous
les sens, histoire de tester l'étendue de notre amour, de
notre patience et de notre attachement à certains bibelots.


CONSTRUCTIVISME CULINAIRE
Puisque fêtes il y a, passons donc à table avec le souci de
régaler nos invités. Si vous êtes à court d'idées, pas de
panique. Un scientifique peut vous sortir de l'embarras. Il
s'appelle Hervé This et assure chaque mois une rubrique
" science et gastronomie " dans la revue " Pour la Science ".
C'est du sérieux, de l'inventif, servi à point et nappé
d'une bonne louche d'humour. En septembre il nous proposait
" les meringues, cristaux de vent ", en octobre les
cornichons au vinaigre croquants (pas trop vinaigrés et bien
verts), en novembre il dévoilait les secrets des " poissons
à la Tahitienne ". Ce mois-ci Hervé This nous entraîne dans
un dédale expérimental pour obtenir " des gelées de thé
limpides ". C'est original pour le 31 au soir et si vous
expliquez cette recette à vos convives, vous atteindrez les
douze coups de minuit sans que la conversation ne languisse.

Maintenant que vous êtes en appétit, nous nous faisons un
plaisir de reproduire le message que ce scientifique nous a
envoyé :

Chers Amis
Après la Nouvelle cuisine, il y a eu des entreprises
désordonnées, souvent de "déconstruction".
Toutefois, cette entreprise de déconstruction a la froideur
de la combinatoire.
Sous le couvert de modernisation, j'ai vu des pot au feu,
dont le bouillon était en gelée, la viande en mousse et le
cornichon en purée, ou bien le bouillon en mousse, la viande
en quenelle et le cornichon en poudre, ou bien...
On peut multiplier à l'infini, mais à quoi bon ? Quel est le
"sens" culinaire qui préside à ces réalisations ?
Du coup, je me suis demandé quelle était cette entreprise
qui m'anime, ainsi qu'un certain nombre de cuisiniers amis,
et j'ai trouvé :
Il s'agit d'abord de partir de l'idée artistique, puis de
mettre la technique au service de cette idée. Certains ont
nommé cela "cuisine moléculaire", ou gastronomie
moléculaire... ce qui n'est pas juste, car la gastronomie
moléculaire est une science, et pas une technologie, ni une
technique, ni un art.
Du coup, je vous propose que l'on nomme ce nouveau courant
le "CONSTRUCTIVISME CULINAIRE"
Et l'art culinaire sera toujours plus grand si l'art passe
avant sa réalisation : Picasso disait "quand je n'ai plus de
rouge, je prends du bleu".

Vive l'art culinaire, vive la chimie, en particulier(s), et
vive la connaissance en général.

Hervé THIS

http://www.pierre-gagnaire.com/francais/modernite/modernite-this.htm


DANS LA NATURE
Les éditions de l'aube viennent de rééditer un petit bonheur
de littérature russe, un recueil de nouvelles de Constantin
Paoustovski, " La tanche d'or ". Il les a écrites en pleine
période de terreur stalinienne entre 1930 et 1940. Mais
elles sont un véritable antidote à la férocité et à la
grisaille bureaucratiques. Chaque nouvelle nous fait
partager une joie de vivre dans et avec la nature à toutes
les saisons. Elle est un véritable refuge pour l'auteur.

Son éden poétique est habité par les arbres, les animaux,
divers personnages, un vieux grenier, des lacs, des orages,
des parfums de fleurs et de foin. Nous voici partis à la
découverte d'un blaireau au museau endolori, d'un chat
maraudeur, d'un chiot espiègle, d'un vieux cheval, d'une
poule noire, d'un lièvre sauvé par un grand-père, de
forestiers amoureux de leurs pins, de la belle Natacha à la
toilette du matin et bien sûr de la pêche miraculeuse d'une
tanche d'or donnant son titre au recueil. Paoustovski a un
style chatoyant et tactile qui distille en douceur une
philosophie d'espérance, incarnée par toutes les composantes
de la nature.


ÉCARTS
Paris est riche en endroits où la créativité non
conventionnelle refuse de baisser pavillon. Nous ne
manquerons pas de rendre visite dès que possible aux
" éditions d'écarts ", 5 rue de l'Arbalète dans le 5e
arrondissement, à l'angle de la rue Mouffetard. Pour être
informé des lectures, concerts, débats, rencontres ou
expositions, n'hésitez pas à communiquer votre adresse.

Les " éditions d'écarts " viennent de publier un récit
autobiographique particulièrement poignant et intéressant,
" Haïm " d'Ernest Bogler, né en 1926 et issu d'une famille
juive hongroise. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce
témoignage.


RÉALITÉ AMÉRICAINE
La réalité sociale et historique des États-Unis reste
largement une énigme truffée de stéréotypes quand on ne fait
pas un détour par la littérature. Paul Auster a été
encouragé par sa femme, l'écrivain Siri Hudset, à recueillir
une foule de témoignages d'Américains anonymes dans le cadre
d'une émission de radio où il a lu les meilleurs textes. Il
en a ensuite composé une anthologie de 172 courts récits
intitulée " Je pensais que mon père était Dieu " (éditions
Babel, 2002). Paul Auster voulait " des histoires vraies aux
allures de fiction ", " sans restriction quant aux sujets ni
au style ". Il a été servi au-delà de ce qu'il pouvait
espérer. " Les gens allaient explorer leurs vies et leurs
expériences personnelles, mais en même temps ils
s'associeraient à un effort collectif, à quelque chose de
plus vaste que chacun d'eux. " Ce projet original et
généreux a réussi.


ROMAN NOIR
Si vous êtes à la recherche d'un roman noir plein de sève
sociale et psychologique et tenant en haleine jusqu'à la
dernière page, lisez " La Rabouilleuse " (Folio), un roman
pas très connu d'un auteur qui a encore de l'avenir, Honoré
de Balzac. Comme dans " Illusions perdues ", on passe de
l'univers parisien à celui de la province. Les personnages
d'un relief incroyable entrent dans notre vie et ils n'en
ressortiront plus.

Tant qu'il y aura des histoires de famille, d'héritages et
de reconnaissance et d'ambition sociale, cet écrivain
restera d'actualité.


BROOK ET HAMLET
Le DVD arte vidéo consacré au metteur en scène Peter Brook
comprend deux volets. Dans l'un, son fils Simon trace un
portrait intime de son père qui est essentiellement axé sur
son travail d'homme de théâtre. Ce qui mène le spectateur en
Afrique, au Japon, à New York, en Angleterre et à Paris au
théâtre des Bouffes du Nord. Dans le deuxième volet, Peter
Brook a filmé " la tragédie d'Hamlet " d'après la pièce de
Shakespeare. L'interprétation est magistrale, en particulier
celle de l'acteur noir Adrian Lester qui joue Hamlet.


VIVA VIVALDI !
Certaines interprétations récentes des oeuvres de Vivaldi
nous ont parfois donné l'impression d'être sponsorisées par
la marque Ferrari. Dynamique considérable, accentuations
rugissantes, tempi à la vitesse débridée, on parvenait
parfois sur la ligne d'arrivée l'oreille exténuée. Pourquoi
pas, certes ?

Le CD Mirare (Abeille) sur lequel nous voudrions attirer
l'attention est d'une conception tout autre. Le contre-ténor
Carlos Ména, le joueur de viole d'amour François Fernandez
et le chef d'orchestre Philippe Pierlot à la tête du
Ricercar Consort ont repris le programme Vivaldi qu'ils
avaient interprété lors des Folles journées de Nantes en
janvier 2003 : Stabat Mater, Salve Regina, Nisi Dominus et
concerto pour viole d'amour n° 2. Leurs interprétations
visent à l'intériorisation, à la fluidité et au sublime. La
voix de Carlos Mena n'est comparable à aucune autre. Une
émission pure, avec un vibrato très léger. Une voix qui
étonne et subjugue.


À VOIR
Si ces films sont encore à l'écran, nous vous recommandons
sans réserves " Quand la mer monte ", " Brodeuses " et le
très caustique " Mondovino ".


IN SITU
Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne un
article sur " le climat comme question politique " et un
point de vue sur un roman noir de Iain Levison, " Un petit
boulot ".


En vous souhaitant les meilleures fêtes possibles, bien
fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder 
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  mèl : Culture.Revolution@free.fr
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