Culture & Révolution

Sommaire

Liste par thèmes

 

Journal de notre bord

Lettre n°50 (le 17 novembre 2004)

Bonsoir à toutes et à tous,

Merci de consacrer quelques instants à lire cette lettre, en
diagonale, en verticale ou en zigzag selon votre parcours
favori.
Nos moments de loisir sont désormais considérés comme du
" temps de cerveau disponible " selon l'expression d'un
marchand d'images qui bougent, l'ineffable PDG de TF1,
Patrick Lelay. Les grands médias télévisuels méritent bien
d'être appelés " chaînes ". Leur traitement de l'actualité
vise à enchaîner notre esprit à des préjugés, sous le coup
d'une manipulation de nos émotions. Il vise en ce moment à
nous détourner de toute interrogation intelligente sur ce
qui se passe en Irak et en Côte d'Ivoire. Impérialisme
dominant ou impérialisme secondaire, chacun a son bourbier.
On exhibe certains cadavres et on en cache tellement
d'autres. Sous prétexte de missions humanitaires ou
démocratiques, de lutte contre le terrorisme, les armées
impérialistes sont à pied d'oeuvre pour terroriser voire
massacrer, comme à Fallouja, des populations humiliées et
réduites à la misère depuis toujours. Exxon et Total se
portent bien, Bouygues, Halliburton et Bolloré vont on ne
peut mieux. Toujours plus de mensonges et d'infamies pour
dégager toujours plus de profits. Nous sommes tous pris dans
cette spirale infernale. A nous de la briser, d'une façon
ou d'une autre.
_______________________________________________

Ils se lâchent
Ministre Folamour ?
Daewoo
" Pays de malheur "
Psy de base
Émancipation
Le peintre et le poète
Alice et ses merveilles
Musique de l'avenir
In situ
_______________________________________________


ILS SE LÂCHENT
On connaît la réplique du nazi Goebbels : " Quand j'entends
le mot culture, je sors mon revolver. " La devise des
décideurs d'aujourd'hui serait plutôt : " Quand j'ai une
mesure réactionnaire à faire passer, je sors le mot culture."
Nous avons donc eu droit ces dernières années à " la
culture d'entreprise " (l'art de licencier et de réduire la
part des salaires) ou encore " la culture de l'excellence "
(l'art de diviser et de surexploiter les salariés).

Le secrétaire d'État à la Réforme de l'État, Eric Woerth,
vient de nous sortir " la culture du résultat ". De quoi
s'agit-il ? On se donne comme objectif de détruire les
services publics et on met en oeuvre les moyens radicaux pour
atteindre ce résultat. Lors de son récent voyage en Suède,
il a été enthousiasmé par un État qui a fait chuter le
nombre de fonctionnaires de 400 000 à 220 000 en moins de
quinze ans. Cet ancien membre du cabinet d'audit Arthur
Andersen, (des mercenaires qui flinguent des emplois),
entend donc évaluer la productivité de tous les agents
publics et de faire ensuite le ménage vite fait.

J'ai bien peur que n'importe quel fournisseur d'accès à
internet soit considéré comme plus productif que n'importe
quel employé ou enseignant. Si les parents se donnaient la
peine d'initier leurs gamins à internet dès l'âge de trois
ans, nos ministres pourraient commencer à supprimer les
Maternelles, puis le Primaire, puis le Secondaire, etc. Un
seul mot d'ordre : " Des ordis pour tous et des flics
partout ". Concernant l'Éducation nationale, le ministre
socialiste Claude Allègre avait lancé l'idée de dégraisser
le mammouth. Ses successeurs s'y emploient férocement
jusqu'à ce que mort s'en suive. Exagération ? Lisez ce qui
suit...


MINISTRE FOLAMOUR ?
Eric Woerth fait équipe avec Renaud Dutreil, ministre de la
Fonction publique et de la Réforme de l'Etat qui est
évidemment sur la même longueur d'ondes. Selon des sources
bien informées (j'adore cette précaution journalistique), Mr
Dutreil aurait déclaré le 20 octobre dernier, lors d'une
conférence organisée par la fondation Concorde :

" Les retraités de la fonction publique ne rendent plus de
services à la nation. Ces gens-là sont inutiles, mais
continuent de peser très lourdement. La pension d'un
retraité, c'est presque 75 % du coût d'un fonctionnaire
présent. Il faudra résoudre ce problème. "

" Comme tous les hommes politiques de droite, j'étais
impressionné par l'adversaire. Mais je pense que nous
surestimons considérablement cette force de résistance. Ce
qui compte en France, c'est la psychologie, débloquer tous
ces verrous psychologiques. "

" Le grand problème de l'État, c'est la rigidité de sa main-
d'oeuvre. Pour faire passer un fonctionnaire du premier au
deuxième étage de la place Beauvau, il faut un an. Non pas à
cause de l'escalier (rires dans la salle), mais des corps.
Il y a 1400 corps, 900 corps vivants, 500 corps morts
(rires), comme par exemple l'administration des télécoms. Je
vais les remplacer par cinq filières professionnelles, qui
permettront la mobilité des ressources humaines : éducation,
administration générale, économie et finances, sécurité
sanitaire et sociale. Si on ne fait pas ça, la réforme de
l'État est impossible. Parce que les corps abritent les
emplois inutiles. "

Nous pourrions en rester là dans la citation de ces propos
qui donnent la nausée mais autant aller jusqu'au bout pour
savoir ce qui se trame contre la société au nom du principe :
" Que crève les services publics et que vive la finance ! "

Renaud Dutreil aurait donc ajouté : " C'est sur l'Éducation
nationale que doit peser l'effort principal de réduction des
effectifs de la fonction publique. Sur le 1,2 millions de
fonctionnaires de l'Éducation nationale, 800 000 sont des
enseignants. Licencier dans les back office de l'Éducation
nationale, c'est facile, on sait comment faire, avec Eric
Woerth (voir plus haut) : on prend un cabinet de conseil et
on change les process de travail, on supprime quelques
missions. Mais pour les enseignants, c'est plus délicat. Il
faudra faire un grand audit. "

" Le problème que nous avons en France, c'est que les gens
sont contents des services publics. L'hôpital fonctionne
bien, l'école fonctionne bien, la police fonctionne bien.
Alors il faut tenir un discours, expliquer que nous sommes à
deux doigts d'une crise majeure - c'est ce que fait très
bien Michel Camdessus -, mais sans paniquer mes gens, car à
ce moment-là ils se recroquevillent comme des tortues. "

Édifiant, non ? Rappelons que le français Michel Camdessus a
été à la tête du FMI pendant de nombreuses années et que les
classes populaires en Argentine en gardent certainement un
souvenir ému.


DAEWOO
On partage l'indignation de l'Union Locale CGT du Bassin de
Longwy qui est scandalisée de la décision qui vient d'être
prononcée par le Tribunal correctionnel de Briey à
l'encontre de Kamel BELKADI. Il le reconnaît coupable de
l'incendie de DAEWOO-ORION le 23/01/2003 et le condamne à 3 ans
de prison (dont 18 mois fermes) et à 30 000 euros d'amende.
Les audiences des 2 et 3 septembre dernier n'avaient révélé
aucun élément matériel démontrant la culpabilité de Kamel.
Dans leur communiqué, les syndicalistes disent que  dans la
mesure où " le témoin " clé " de l'accusation a été
particulièrement incohérent et contradictoire dans ses
déclarations à la barre du Tribunal et qu'enfin Maître Behr
a démontré sans équivoque qu'aucun élément de l'accusation
ne tenait la route, nous nous interrogeons sur les
motivations qu'a pu développer le tribunal pour condamner
Kamel... "

Pour comprendre l'enjeu de cette condamnation et tout ce
qu'a été le vécu des ouvrières qui ont lutté pour sauver
leurs emplois, nous recommandons fortement la lecture du
livre de François Bon qui s'intitule tout simplement " Daewoo"
(éditions Fayard). Un travail d'écriture remarquable,
infiniment respectueux de la parole et de tout ce qu'avaient
à coeur d'exprimer les ouvrières que l'auteur a rencontré à
maintes reprises.

Signalons au passage la tribune vigoureuse de François Bon
dans Libération du 15 novembre sur les atteintes des
puissants à la liberté d'expression et le site qu'il a
contribué à créer et à animer ; http://www.remue.net/


" PAYS DE MALHEUR "
Ce livre-là va également vous passionner, vous secouer et
même vous déranger. Nous ne doutons pas un seul instant que
vous allez toutes et tous lire " Pays de malheur " de Younes
Amrani et Stéphane Beaud (éditions La Découverte, octobre
2004). Le " pays de malheur ", c'est la France. Younes, " un
jeune de cité " qui avait été touché par la lecture du livre
du sociologue Stéphane Beaud " 80 % au bac. Et après ?... "
lui a envoyé un mail en décembre 2002 pour le remercier
d'avoir si bien compris des jeunes comme lui, enfants de
parents immigrés. Il s'en est suivi une correspondance d'une
richesse sidérante, mettant à mal tous les stéréotypes y
compris ceux " de gauche " bien gnangnan. Au cours de cet
échange qui s'est poursuivi jusqu'en janvier 2004, Younes
accède à une compréhension à la fois libératrice et
particulièrement douloureuse. Il écrit (page 132) : " Il
faut que les gens sachent que derrière ces jeunes qui
foutent la merde, qui friment, qui s'excluent (ou qu'on
exclut), il y a aussi des " coeurs ", des " sentiments ", des
états d'âme... ils réfléchiront peut-être à deux fois avant de
balancer leurs préjugés stupides... "

Après la lecture de ce livre, très certainement.


PSY DE BASE
Dès qu'un drame ou une calamité se produit, les lecteurs de
prompteurs des chaînes télévisées ne manquent jamais de nous
rassurer : " Une cellule d'assistance psychologique a été
mise en place ". C'est évidemment plus rassurant que
d'entendre : " Une cellule de reclassement a été mise en
place. " quand les mêmes lecteurs de prompteurs annoncent
une charrette de licenciements. Il y a aussi la psychologie
spectacle avec ses semi-gourous médiatisés. Mais le travail
sérieux et utile de bien des psychologues de base est le
plus souvent ignoré. Il faut d'autant plus saluer le livre
de Dominique Doukhan-Zyngierman, " Une psy dans une cité "
(LEDUC.S Éditions, http://www.leduc-s.com/). De façon sobre
et concrète, l'auteur laisse la trace de son travail de
thérapeute en psychomotricité dans la cité La Pierre
Collinet de Maux en Seine et Marne. Elle y raconte le
fonctionnement du centre médico-pédagogique où elle
travaille, à côté de la crèche et de la PMI (protection
maternelle infantile). Elle expose le scénario de ses
séances de travail auprès des divers jeunes enfants en
grande difficulté qui lui sont confiés.

Elle nous fait partager son travail réfléchi et tâtonné pour
trouver une aide psychologique et humaine qui puisse
soulager leurs souffrances (qui sont ou deviendront parfois
leur violence). Enfants de parents chômeurs, immigrés,
pauvres, mères maltraitées... Enfants qui manquent de tout :
affection, nourriture, repères, soins... Enfants victimes de
maladies graves... D'où la nécessité d'agir tôt dans la vie
de ceux qui souffrent en essayant de survivre dans une cité.
Voici le récit d'un travail courageux et passionné, d'une
actualité brûlante !


ÉMANCIPATION
Une amie nous recommande chaudement un roman d'une écrivaine
nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, " L'hibiscus pourpre "
(éd. A Carrière). " C'est l'histoire d'une jeune nigériane
de 15 ans, la fille d'un riche notable fondamentaliste catho
et opposant au régime. En plein coup d'État, alors que la
crise économique et sociale s'aggrave, la révolte de cette
jeune femme contre l'autorité et la violence du père éclate.
Vraiment un beau roman d'émancipation, avec une très belle
écriture, qui donne à voir l'Afrique, ses couleurs, ses
odeurs. "


LE PEINTRE ET LE POÈTE
Pissarro est à la fois très connu comme peintre
impressionniste parmi d'autres, et encore trop souvent
méconnu quant à sa biographie et à son génie singulier.
Camille Pissaro est un exilé, un juif séfarade né en 1830
dans l'île à l'époque danoise de Saint-Thomas près de Porto
Rico. Sa vocation de peintre l'a conduit au Venezuela puis à
Paris, Pontoise et Londres. Pour sa part le poète Derek
Wallcott est un métis anglophone originaire de l'île de
Sainte-Lucie également dans les Caraïbes où il vit une
partie de l'année et l'autre à New York. " Le Chien de
Tiepolo " de Derek Walcott est un superbe poème narratif où
les voyages du peintre et du poète se croisent, où l'on
savoure la lumière des Caraïbes et de Paris, les ciels de
Tiepolo et de Pissarro, et le chien de Véronèse dans son
Repas chez Levi qui valut à ce peintre vénitien de graves
ennuis avec l'Inquisition. Ce long poème qui mérite d'être
lu à voix haute est un enchantement.


ALICE ET SES MERVEILLES
La pianiste, organiste et compositrice Alice Coltrane est de
retour dans un studio d'enregistrement 26 ans plus tard. Son
album est intitulé Translinear Light
(http://www.impulserecords.com/). Celle qui fut la femme de
John Coltrane et joua dans son orchestre dans les dernières
années de sa vie est ici accompagnée au saxophone par ses
fils Ravi et Oran, par Charlie Haden ou James Genus à la
basse, Jack Dejohnette ou Jeff " Tain " Watts aux drums. Sa
musique est d'un lyrisme généreux et apaisant, inspiré à la
fois par la musique indienne et celle de John Coltrane. Seul
le dernier morceau où Alice Coltrane a convoqué les
chanteurs coreligionnaires de son Ashram californien est de
peu d'intérêt musicalement.


MUSIQUE DE L'AVENIR
Quand on écoute aujourd'hui la musique de Beethoven jouée
par des interprètes d'exception, on a la sensation que
l'humanité a encore un avenir. Comme ses contemporains
Hegel, Hölderlin ou Shelley, il exprimait le souffle de la
Révolution française. Il portait l'idée d'une humanité
vivant et dépassant ses déchirements et contradictions, à
l'instar de chaque individu.

Les sonates et concertos pour piano de Beethoven ont été
magnifiquement interprétés notamment par Claudio Arrau et
Alfred Brendel. Et soudain nous arrive un coffret exhumés
des archives russes (à prix modique) de dix sonates et des
cinq concertos du grand Ludwig interprétés par le pianiste
Emil Gilels disparu en 1985 et par le chef d'orchestre Kurt
Masur (six CD, http://www.brilliantclassics.com/). Ces
enregistrements " live " sont pleins de fraîcheur, d'élan,
de passages inouïs, inattendus. Les connaisseurs
continueront à admirer Schnabel, Claudio Arrau, Alfred
Brendel, Wilhem Kempff, Yves Nat ou Daniel Barenboïm mais
ils ne pourront pas rester indifférents devant ces
interprétations d'Emil Gilels.


IN SITU
Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne quelques
textes et points de vue. Côté cinéma, sur " Land of plenty "
de Wim Wenders, "Comme une image" d'Agnès Jaoui, et " Quand
la mer monte... " de Yolande Moreau. Côté roman, sur " Le
voyage de Monsieur Raminet " de Daniel Rocher qui vous
procurera un vrai bonheur de lecture

Côté étude sociale, " Lectures sur l'évolution des classes
sociales en France ". Cet article publié dans le dernier
numéro de Carré rouge, rend compte de trois livres, "
Ouvrière " de Franck Magloire, " Carnets d'un intérimaire "
de Daniel Martinez et " Le Retour des classes sociales "
(sous la direction de Paul Bouffartigue).


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder
_______________________________________

  Pour recevoir ou ne plus recevoir
    cette lettre, écrivez-nous:

  mèl : Culture.Revolution@free.fr
 http://culture.revolution.free.fr/
_______________________________________

< O M /\

URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_050_17-11-2004.html

Retour Page d'accueil Nous écrire Haut de page