Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°46 (le 17 juin 2004)

Bonsoir à toutes et à tous

L'Europe des profits poursuit sa marche piteuse et
chaotique. Les oripeaux démocratiques sont dans un triste
état. Les intérêts des bourgeoisies européennes progressent
et s'entrechoquent. Mais les classes populaires, ingrates
comme toujours, ne se réjouissent pas. Elles ont largement
boudé les urnes, par delà les frontières, comme si elles
soupçonnaient que le Parlement de Strasbourg n'a jamais rien
fait en leur faveur. L'absence désormais de quelques députés
d'extrême gauche ne va pas améliorer le modèle. Rien de très
grave si le sentiment se renforce que les vrais lieux de
démocratie se trouvent ailleurs, dans la rue et dans les
assemblées de salariés et de chômeurs en lutte. Les
chercheurs, les intermittents du spectacle, les pompiers,
les gaziers et électriciens ont déjà obtenu beaucoup plus de
choses par la lutte et la démocratie par en bas que par les
consultations électorales truquées des classes dirigeantes.
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Le syndrome de Kerensky
Ambiance électrique
Censure
Exils
Dans tous ses états
L'hiver sous la table
Défis de la science
Montagnes célestes
Ailleurs
Cinéma
In situ
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LE SYNDROME DE KERENSKY
En ce moment, personne ne veut remplacer Raffarin. Ni
Sarkozy, ni de Villepin, ni Hollande, ni Fabius, ni DSK, ni
Bayrou. Ils lui laissent la patate chaude. Mais ils veulent
tous, dans leur dévouement forcené à la République française
et financière être Président de la République. Tant qu'à
faire. En attendant, François Hollande vient d'exprimer
l'inquiétude des nantis qu'une explosion sociale ne se
produise bien avant 2007. Le secrétaire du PS supplie Chirac
de remplacer le premier ministre afin que le peuple ne
s'énerve pas, qu'il patiente jusqu'en 2007, jusqu'à ce qu'un
cacique du PS décroche le pompon aux présidentielles. Le PS
et ses alliés ont une recette électorale qu'ils croient
encore magique pour que le monde du travail ne se révolte
pas et se résigne éternellement : illusions-déception-
écoeurement-oubli progressif des mauvais coups portés par la
Gauche-illusions-déception, etc, et rebelote. Il y a peu de
chance pour que cette recette marche encore.

De son côté Chirac a décidé qu'on ne remplaçait pas une
équipe qui perd et il est retourné voir les matchs à la télé
sans se faire de bile. En dépit des raclées électorales
subies par le président et sa fine équipe, le punching ball
Raffarin reste donc en place, faussement stoïque. " Au
travail, au travail ! " croasse-t-il tandis que le nombre de
licenciés et de chômeurs ne cesse d'augmenter. Raffarin
nasille : " Le gouvernement travaille, le gouvernement
poursuivra les réformes ! ", ce qui signifie qu'il
s'emploiera plus que jamais à supprimer des emplois et à
brader ce qui reste des services publics aux grandes
entreprises et aux gros actionnaires.

Brocardant l'inventeur des " raffarinades " dans sa quête
éperdue de " raffarinistes " pour le soutenir, le quotidien
" Les Échos " de ce jeudi, en page 42, se permet une
audacieuse hypothèse en supposant que le " fringant "
Raffarin est peut-être " atteint du syndrome de Kerensky,
l'éphémère successeur du tsar en 1917, qui, apprenant qu'une
foule de plusieurs milliers de révolutionnaires marchait sur
lui pour le renverser, s'écria avec extase : " Quel
auditoire ! ". Si la presse financière se met à avoir un
esprit aussi subversif, où va-t-on ? Que fait la police ?
Finalement, tout est possible !


AMBIANCE ÉLECTRIQUE
On vient de voir que le courant passait mal entre les
salariés d'EDF-GDF et certains aristocrates de la finance,
de la politique et de l'État, comme Seillière, Chirac,
Devedjian ou Cavada. Ils ont fait une drôle de bougie quand
des éléments de la France d'en bas leur ont coupé le jus.
Qu'ils se consolent, ce n'est qu'un signal, un symbole, un
modeste avant goût de ce qui les attend. Ils ne peuvent pas
détruire les fondements de la vie sociale éternellement,
sans que les salariés ne finissent par neutraliser
définitivement ces parasites.


CENSURE
" Allez vous battre en Irak ou en Afghanistan, y-a rien à
voir ici ! ". C'est en substance le message délivré par ceux
qui ont décidé d'interdire le film de Michael Moore au moins
de dix-sept ans aux États-Unis. Révéler à l'écran les liens
humains et financiers entre le clan Bush et les
milliardaires saoudiens, dont la famille Ben Laden, a
certainement un caractère obscène pouvant heurter les âmes
sensibles. Rien à voir avec les séances de torture et
d'humiliation de prisonniers irakiens montrées dans la
presse et sur toutes les chaînes télévisées. Certes, Bush et
sa clique auraient autant préféré qu'on ne montre pas cela
non plus. D'autant plus que tout se tient, intérêts
pétroliers américano-saoudiens, intérêts des trusts de
l'armement, guerres contre les populations en Irak et
exactions dans le plus pur style colonialiste. En attendant
le rival aux présidentielles de Bush, John Kerry, ne s'est
toujours pas prononcé pour le retrait des troupes
américaines d'Irak. La population irakienne et les jeunes
Américains expédiés dans le bourbier de la guerre n'ont rien
à attendre du côté du Parti démocrate.


EXILS
Les éditions de L'Harmattan viennent de publier un court
récit aussi touchant que réaliste : " De la Martinique à la
Normandie, histoire d'une jeunesse ". Il est né du dialogue
entre une Martiniquaise travaillant en France depuis trente
ans, Josette Charles-Henriette, et une enseignante française
qui a vécu en Martinique, Martine Leplanquois.

L'itinéraire de Marie est celui de nombreux Antillais. Elle
a vécu sa jeunesse dans une famille nombreuse et unie. Ses
parents travaillaient dans une distillerie. C'est une vie
pauvre mais, dans l'ensemble, heureuse et pleine de
certitudes. A quinze ans, le chômage qui frappe les
Antillais la chasse vers la France. C'est alors la grisaille
et le désenchantement qui l'attendent à l'arrivée, les
hébergements précaires, les travaux durs comme employée de
maison, dans des ateliers, en usine, comme mère de famille.
Marie a élevé six enfants et elle a divorcé. Dans toutes les
situations, elle a courageusement tenu le cap et conquis son
indépendance.

Le roman de Fatou Diomé, " Le ventre de l'Atlantique "
(éditions Anne Carrière), nous raconte un autre exil, celui
d'une jeune Sénégalaise poursuivant des études littéraires à
Strasbourg. Elle a été sauvée de ce qu'elle appelle " les
ténèbres de la tradition " grâce à la formidable énergie de
sa grand-mère et au dévouement d'un instituteur sénégalais,
marxiste et syndicaliste relégué sur l'île natale de la
romancière. Tous les déchirements de l'exil et les problèmes
liés à l'immigration sont abordés avec une justesse
imparable. Métissage culturel et combat pour son
émancipation sont liés : " Enracinée partout, exilée tout le
temps, je suis chez moi là où l'Afrique et l'Europe perdent
leur orgueil et se contentent de s'additionner [...] "


DANS TOUS SES ÉTATS
Les problèmes qui se posent dans les familles sont nombreux
et complexes. Il y en a une foule qui concernent à la fois
les relations enfants et parents, sans compter les
problèmes sociaux qui s'invitent au sein de la famille :
crèche, baby-sitters, télévision, anorexie, boulimie,
jalousie, Noël et ses enjeux affectifs, le divorce, l'enfant
et la mort, l'avortement non désiré, l'inceste, la
pédophilie, quel nom transmettre à ses enfants... Caroline
Eliacheff est pédopsychiatre et psychanalyste. Elle aborde
ces problèmes dans une chronique hebdomadaire sur France
Culture, le samedi à 13h 30. Cette émission ne dure qu'à
peine dix minutes. Autant dire qu'il vaut mieux être
attentif car ses propos sont très clairs mais denses. Ce
sont parfois des coups de coeur ou des coups de sang. Elle
n'hésite pas à aborder des sujets d'actualité souvent
maltraités dans les médias comme le procès d'Outreau ou la
famille du coureur Anquetil. Ici on essaie de comprendre,
sans se réfugier derrière un discours lénifiant ou
complaisant. On rit parfois, on est bousculé et on voudrait
réentendre certaines chroniques. Comme ça tombe bien ! Un
certain nombre de ces réflexions viennent d'être regroupées
dans un livre qui porte le même titre que l'émission : " La
Famille dans tous ses états " (Albin Michel).

[Vous pouvez aussi réécouter gratuitement les archives de
l'émission depuis septembre 2003 sur :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/famille/]


DÉFIS DE LA SCIENCE
Ce mois-ci on nous recommande de lire des articles à la fois
dans " La Recherche " et dans " Pour la Science ". Faisons
table rase de la concurrence entre revues. Commençons par
" La Recherche ". La vie d'un laboratoire d'enzymologie du
CNRS à Gif-sur-Yvette est suivie au quotidien heure par
heure et jour après jour. La survie du labo est suspendue à
divers impératifs : en priorité " publier (des résultats
dans une revue) ou périr " ; ensuite élaborer des dossiers à
foison pour obtenir des montages financiers. La recherche,
ça fait rêver à ce niveau-là ! Autre enquête bien
différente, celle d'une équipe pluridisciplinaire de
scientifiques chez les Wayana du sud de la Guyane. Pour
trouver une nouvelle ressource commerciale, ces Amérindiens
renouent avec la pêche ancestrale des piranhas herbivores où
il s'agit d'asphyxier ces poissons qui ont les molaires
aplaties mais les canines acérées. Enfin il ne faut pas
rater le débat entre une historienne et épistémologiste
américaine et trois scientifiques français sur l'avenir de
la biologie. Que va-t-il se passer avec l'incroyable afflux
de données issues du séquençage du génome humain ?

Dans " Pour la Science " deux articles portent sur un sujet
brûlant, la recherche sur les cellules souches et le clonage
thérapeutique. A lire pour comprendre le mécanisme de
différenciation et de multiplication des cellules souches et
aussi pour mieux évaluer les problèmes politiques et humains
concernant cette recherche dont on peut espérer l'obtention
de tissus de remplacement.


L'HIVER SOUS LA TABLE
A l'impossible, nul ne doit renoncer. Ceux qui aiment aller
au théâtre une fois par an à Paris, en étant sûr de ne pas
être déçus, doivent tout tenter pour aller voir " L'hiver
sous la table " de Roland Topor au Théâtre de l'Atelier. La
difficulté réside dans le fait qu'il y a beaucoup d'amateurs
pour voir ce spectacle gratifié de six Molière. Il faut donc
prendre son élan pour réserver à l'avance. On en sort
heureux, les yeux embués par l'émotion. Impossible de ne pas
tomber amoureux de Isabelle Carré (Mademoiselle Michalon) et
de Dominique Pinon (Monsieur Dragomir). La mise en scène de
Zabou Breitman est séduisante et pleine de jolies surprises.

L'argument est le suivant. La jeune Florence ne s'en sort
pas financièrement avec son travail de traductrice. Elle a
donc sous-loué à un immigré d'Europe de l'Est l'espace situé
en dessous de sa table de travail. Le gentil et délicat
cordonnier Dragomir a donc une vue imprenable sur les jambes
admirables de Mademoiselle Michalon. Ce qui n'altère en rien
une cohabitation charmante, en tout bien tout honneur. La
suite est à découvrir sur place ou à défaut dans la revue
" L'Avant-scène théâtre " n° 1016 qui reproduit le texte en
entier et présente un excellent dossier autour de la pièce.


MONTAGNES CÉLESTES
Jusqu'au 28 juin, il est encore possible d'admirer les
montagnes chinoises dites célestes à l'exposition du Grand
Palais à Paris. C'est avec les yeux qu'il faut escalader ces
montagnes peintes sur de la soie, redescendre des cascades
vertigineuses ou parcourir les longs travelings de rivages
escarpées sur des rouleaux de dix mètres et plus. Le grand
art de ces peintres chinois qui étaient aussi poètes s'est
cristallisé sous la dynastie des Song au 10e siècle après
J-C et a perduré jusqu'au 19e siècle avec des artistes ayant
des personnalités fortes et contrastées. A défaut d'admirer
ces merveilles " en vrai ", il existe une option de
consolation consistant à lire et à voir le supplément
spécial de " Connaissance des Arts " : " Montagnes célestes,
Trésors des musées de Chine ".


AILLEURS
La planète où vivait le pianiste et compositeur de jazz
Thelonious Monk ne pourra jamais être repérée par aucun
astrophysicien. Pour découvrir cet artiste étrange et
passionnant, le cd " Monk in Paris Live at the Olympia " est
une excellente entrée en matière. D'autant plus que cet
album comporte en complément un DVD où le pianiste a été
filmé à Oslo en 1966 avec les mêmes musiciens, dont le
remarquable saxophoniste ténor Charlie Rouse.


CINÉMA
Le film documentaire de Raymond Depardon " 10e chambre
Instants d'audiences " donne rapidement l'impression au
spectateur qu'il est coupable, que nous sommes tous des
coupables en puissance pour la machine judiciaire.
Impressionnant. Nous y reviendrons.

Une amie cinéphile nous conseille "cinéastes a tout prix"
(Born to film), avec Jean-Jacques Rousseau, Jacques Hardy et
Max Naveaux. Présenté à Cannes 2004 Sélection officielle -
hors compétition. Nous vous invitons à surveiller le passage
de ce film et en particulier la musique du générique de fin.


IN SITU
Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne un point
de vue sur le film " Au feu ! " de Pjer Zalica et un article
sur le livre de Farhad Khosrokhavar, " L'Islam dans les
prisons ".


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

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