Journal de notre bordLettre n°43 (le 17 mars 2004)Bonsoir à toutes et à tous Le quotidien " Le Monde " titrait lundi soir : " L'Espagne sanctionne le mensonge d'État " On ne peut mieux dire. Mais au fait qui sanctionnera les mensonges d'État relayés par certains journalistes ? Car tout de même, des journalistes du " Monde ", quotidien à l'indépendance d'esprit légendaire, se sont bien écriés dans l'édition datée du 12 mars : " C'est l'ETA ! ", sans hésitation. Puisque José Maria Aznar, que Le Monde " avait interviewé quelques jours plus tôt, était sûr que c'était l'ETA, le doute n'était pas permis... Le lendemain le " grand quotidien du soir " était légèrement plus hésitant. Mais une grande partie de la population espagnole a fait preuve de clairvoyance en dépit du drame qui la frappait. Pour une fois le mensonge des gouvernants a été sanctionné immédiatement de même que la politique guerrière d'Aznar aux côtés de ses comparses Bush, Blair et Berlusconi. Raffarin, Sarkozy et leurs collègues, craignant quelques éclaboussures sur le plan électoral, ont du coup juré, la main sur le coeur, que, eux, diraient la vérité aux Français. Tiens donc, ce n'était pas évident pour qu'ils nous le précisent ! Gouverner c'est mentir, de préférence sans que ça se voie. On dit que la vérité finit toujours par se savoir mais c'est parfois bien tard. " Changer la vie ! " qu'il disait Mitterrand, " Réduire la fracture sociale ! " qu'il disait Chirac. " Apporter la Démocratie en Irak ! " qu'il disait Bush junior. Escroqueries coutumières des gouvernants au service des riches. Cette fois bien des travailleurs et des jeunes en Espagne qui avaient manifesté massivement contre la guerre en Irak il y a un an, se sont emparés tout de suite de la vérité concernant cet ignoble attentat. S'emparer de la vérité, ne plus la lâcher et agir en conséquence, un bel exemple à suivre partout et dans tous les domaines. C'est finalement la seule voie sûre pour changer notre vie à tous. ________________________________________ Les droits du propriétaire Chine Celui qu'on n'invite pas Sango Philosophe et sociologue Rééditions Espérance Paco de lucia In situ Printemps _________________________________________ LES DROITS DU PROPRIÉTAIRE Le printemps est revenu et les propriétaires de logements exercent leur droit d'expulser les locataires qui ne leur rapportent pas assez. Pour les propriétaires d'entreprises, le droit de licencier s'exerce quelle que soit la saison. Les gouvernants se suivent et se ressemblent. Eux aussi se conduisent en propriétaires des richesses de l'État. Ils se sentent libres de vendre des entreprises et divers secteurs d'activité au privé. Gouvernants et patrons sont de la même étoffe. Comme le disait avec colère un ouvrier dans un beau documentaire passé sur France 3 samedi soir, " Metaleurop Germinal 2003 " : " Ces gens-là, ce sont des vendeurs d'hommes ! ". La condition sociale des propriétaires de capitaux leur permet de nous réduire à l'état de simples marchandises, intéressantes à vendre ou à acheter ou tout simplement à envoyer à la casse sociale. Car tel est leur bon plaisir. Il nous reste le droit à nous insurger pour supprimer le droit des propriétaires capitalistes à détruire nos vies. Qu'ils soient sans illusions. Nous ne nous contenterons pas de les faire reculer. Nous les chasserons de tous les lieux de pouvoir où ils sont installés. CHINE La honte est un sentiment dont on est toujours heureux de se passer. Mais il est souvent stimulant d'éprouver de l'embarras et d'agir adéquatement pour le surmonter. Prenez la littérature chinoise par exemple. Qui n'éprouve ici un certain embarras devant son ignorance abyssale des romans les plus remarquables produits depuis quelques siècles en Chine ? Il est donc grand temps de s'attaquer à la montagne littéraire chinoise. Le dossier du dernier numéro du Magazine littéraire nous indique quelques sentiers d'autant plus séduisants qu'ils donnent également accès à la poésie chinoise, à la calligraphie et à la pensée de Confucius, de Lao tseu et de Le Tchouang tseu. Ceux d'entre vous qui apprécient sans exclusive Jean-Jacques Rousseau, Nietzsche et les philosophes cyniques grecs ne peuvent rester durablement dans l'ignorance du penseur Le Tchouang tseu. Les amoureux de poésie s'intéresseront particulièrement au poète du huitième siècle, Li Po (ou Li bo ou Li Bai), un des plus grands avec Tu Fu. Mais revenons aux romans. Parmi les grands romans classiques chinois édités en poche, il y a avant tout " Au bord de l'eau " qui semble tenir une place considérable dans la culture chinoise à l'instar des oeuvres d'Homère, de Cervantès ou de Defoë dans la culture européenne (sans oublier les sagas islandaises). C'est une histoire de hors- la-loi, un roman foisonnant d'inventions et de rebondissements, à emporter en vacances ou à lire chez soi pour s'évader. Le roman Jin Ping Mei est un roman érotique du dix-septième siècle qu'on ne connaissait en français pendant longtemps que dans une version condensée mais au demeurant fort belle, dans l'édition du Club français du livre de 1949 sous le titre Kin P'ing Mei. La version longue vient d'être éditée en deux tomes en collection folio. CELUI QU'ON N'INVITE PAS L'écrivain chinois Gao Xingjian, prix Nobel de littérature en l'an 2000, n'a pas été invité au Salon du livre à Paris qui est consacré cette année à la Chine. Le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin qui se flatte d'être un bel esprit lettré aurait-il oublié le nom de cet écrivain naturalisé français ou serait-il simplement un mufle ? Ni l'un, ni l'autre. Nos gouvernants se sont couchés. Ils n'ont pas voulu contrarier les hommes de la dictature chinoise que Gao a fui et qu'il a démasqué dans plusieurs déclarations. " Nos intérêts " en Chine sont trop considérables, à savoir ceux des capitalistes français qui y délocalisent et y réalisent des profits extraordinaires en payant des salaires dérisoires aux travailleurs de ce pays. Un régime qui impose sa poigne de fer à toute la société, il n'y a rien de mieux pour faire prospérer les grosses entreprises de pays impérialistes comme la France. Tout le reste n'est que " littérature ". SANGO Les amateurs de l'émission de France Culture " Des Papous dans la tête " (le dimanche à 12h 45) ont peut-être déjà entendu l'accent grec de Vassilis Alexakis. Sa voix est caressante et un peu triste pour raconter des histoires d'un humour léger, décalé et toujours inattendu. Cette tonalité se retrouve dans son roman autobiographique " Les mots étrangers " (folio) qui nous est conseillé sans réserves par Hélène Dujardin. Au début, le moral de l'écrivain n'est pas brillant. Son livre précédent a eu peu de succès en France. Il est arrivé dans ce pays en 1968, peu après le coup d'État des colonels grecs. Vassilis Alexakis fait l'effort de traduire ses livres dans les deux langues, en grec et en français, ce qui réduit automatiquement l'ampleur de son oeuvre. Mais le plus grave n'est pas là. L'auteur vient de perdre son père et il ne s'attendait à ce que son deuil soit aussi douloureux. Pour conjurer cet état d'âme nocif, il décide d'apprendre une langue de Centrafrique, le sango, un idiome bien vivant mais peu connu et parlé par peu de gens. L'aventure drôle, ardue et nostalgique de son apprentissage commence et entraîne Vassilis Alexakis à Athènes, Poitiers et Bangui en Centrafrique. Il visite son propre passé et celui de ses ancêtres. Il rencontre toutes sortes de gens, linguistes, éditeurs, bureaucrates africains, femmes qu'il aimerait aimer sans savoir bien s'y prendre... Son voyage en Centrafrique l'émerveille et le consterne. Il a des mots impitoyables contre le colonialisme et le néocolonialisme. Il décrit Bangui comme une ville où " la misère convoite la pauvreté. " Ce qui est très sympathique dans la démarche de l'auteur, c'est que le lecteur qui se laisse prendre au jeu finira par acquérir quelques bases de cette langue, le sango. De retour à Paris il écrit : " Je ne lis plus le dictionnaire sango comme un roman d'aventure mais comme un récit autobiographique. " PHILOSOPHE ET SOCIOLOGUE Jacques Bouveresse est un philosophe fort peu connu bien qu'il soit un des philosophes contemporains les plus importants. Pour être connu, il lui faudrait passer à la télé ou être régulièrement interviewé dans les magazines. (Y compris mon ordinateur ne le connaît pas et fait preuve d'un conformisme désolant en soulignant le nom de Bouveresse d'une ligne brisée rouge ; ce qu'il s'abstient de faire pour ceux de Bernard Henri Lévy ou de Régis Debray...) Jacques Bouveresse n'est pas pour autant un ermite ou un mandarin coupé de la vie sociale. Il s'est prêté bien volontiers à l'exercice des entretiens avec Jean-Jacques Rosat dans " Le philosophe et le réel " (Hachette Littératures, 1998). Il s'est impliqué dans les questions fondamentales concernant les sciences sociales, parfois de façon polémique comme dans " Prodiges et vertiges de l'analogie " (Raisons d'agir, 1999). Il n'y a rien d'étonnant à ce que Jacques Bouveresse ait été ami avec le sociologue Pierre Bourdieu dont la culture philosophique était considérable. Les éditions Agone viennent de publier un recueil de textes de Bouveresse sur Bourdieu intitulé " Bourdieu, savant & politique " (191 pages, janvier 2004). C'est un ouvrage parfois difficile et toujours passionnant, qui se lit crayon en main. Dans " Règles, dispositions et habitus ", Bouveresse met en parallèle la pensée de Bourdieu et celle de Wittgenstein pour aborder les problèmes concernant la place des règles et des régularités sociales, du déterminisme et de la liberté. Le texte intitulé " conformismes et résistance " est un échange fructueux et réjouissant qui a eu lieu à Oxford e 1996 entre le philosophe et le sociologue. Bourdieu et Bouveresse avaient des désaccords qui du point de vue du philosophe ont eu tendance à s'amenuiser. De longue date leurs convergences étaient profondes, en particulier sur les médias et sur leur rapport à la science. Le travail du sociologue restera durablement dérangeant pour tous les pouvoirs établis. Ce recueil est un hommage salutaire pour que l'oeuvre de Bourdieu ne passe pas à la trappe ou ne soit étouffée par toutes les tentatives médiocres de dénigrement ou de " dépassement " à bon compte. RÉÉDITIONS L'équipe des éditions Agone nous signale une réédition importante : Temps Maudits suivi des Carnets des années de guerre de Marcel Martinet qui fut dans les premières décennies du vingtième siècle un poète, un dramaturge et un militant révolutionnaire internationaliste. Consultez le site http://www.atheles.org/agone/lestempsmaudits. Par ailleurs le roman " Le déclin de l'Empire Whiting " de l'écrivain américain Richard Russo vient d'être réédité en 10/18 (voir un point de vue sur cette oeuvre sur notre site). ESPÉRANCE Nous espérons très fort que l'opéra de Mozart " L'Enlèvement au Sérail " mis en scène par Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff, orchestre dirigé par Marc Minkowski et choeur Accentus par Laurence Equilbey (excusez du peu) sera un jour retransmis sur Arte et enregistré en DVD. Selon l'avis de plusieurs de nos amis, ce spectacle qui commence sa carrière à Rouen et la poursuivra à Lausanne et à Aix-en-Provence procure un bonheur sans mélange. On peut patienter en écoutant au disque l'une des versions de références, celle de Joseph Krips, de Thomas Beecham ou de Karl Böhm. Pour apprécier toute l'actualité de cet opéra, citons les propos de Blondine, un des personnages qui s'écrit : " Une fille née pour la liberté Ne se laisse jamais réduire en esclavage ; Et même si la liberté est perdue, Elle demeure princesse du monde ! " Que tous les méchants Osmin de tous les pays se le tiennent pour dit. PACO DE LUCIA Même s'il n'a pas cessé de se produire sur scène, le guitariste Paco de Lucia n'avait pas enregistré de disque depuis cinq ans. Il s'est arraché aux délices de la pêche sous-marine au large du Yucatan pour réaliser un petit bijou : " Cositas Buenas " (CD Universal Music, http://www.pacodelucia.org/). Ce maître du flamenco n'a plus rien à prouver, si ce n'est qu'il peut toujours se renouveler en restant fidèle à lui-même. L'apanage des grands artistes. IN SITU Depuis notre dernière lettre, nous avons mis en ligne un point de vue sur " Disgrâce ", un roman de l'écrivain sud- africain J-M Coetzee. PRINTEMPS Pour conclure, nous donnerons la parole au poète Li Po (ou Li Pai, voir plus haut). Le poème qui suit est extrait de l'anthologie de la poésie chinoise de Patricia Guillermaz (Seghers) : " Plainte de printemps " " Sur un cheval blanc à selle d'or, mon mari s'en est allé à l'Est de la mer Liao. " Sous mes rideaux de soie, sous ma couverture brodée, je dors dans le vent du printemps. " Par la fenêtre basse la lune qui s'en allait jette un regard furtif à ma bougie qui s'éteint, " Des fleurs vagabondes entrent par la porte et rient de ma solitude. " Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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