Journal de notre bordLettre n°40 (le 17 décembre 2003)Bonsoir à toutes et à tous, Les fêtes de fin d'année approchent et nous commencerons donc par vous offrir une citation d'un écrivain et auteur dramatique allemand du XVIIIe siècle, Gotthold Ephraïm Lessing : " Paressons en toutes choses, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant. " On se sent déjà mieux après avoir lu cela, non ? Excès de travail, excès de chômage, excès de misère : arrêtons ces excès et passons au programme du charmant Lessing, admirateur et traducteur du grand encyclopédiste athée, Diderot. Ne nous laissons point impressionner par tous les dévots de toutes les religions, inclusivement la religion du profit. Qu'ils célèbrent leurs cultes en privé, nous n'y voyons aucun problème. Mais qu'ils envahissent la sphère publique tant et plus, il y a de l'abus. Comptons sur nous-mêmes pour enseigner partout où nous le pouvons " le fait athée ", son histoire, ses penseurs et ses héros. L'athéisme a permis et accompagné bien des progrès dans l'histoire de l'humanité. Pour l'heure, ne laissons pas les Tartuffe de toutes les obédiences gâcher la joie de vivre de qui que ce soit. ____________________________________________________ Entrée des artistes Violence sociale Passage à l'ennemie En poche La boussole et l'orchidée Ulysse, le retour Pollock ____________________________________________________ ENTRÉE DES ARTISTES " Relancez l'économie : tuez un clown ! ", tel est le slogan féroce qu'un intermittant du spectacle avait mis sur sa pancarte au cours d'une manifestation et jeté à la face du gouvernement et du Medef. La rage, l'humour, la fierté qu'on éprouve en participant collectivement à un juste combat, on retrouve tout cela et bien d'autres choses dans le livre " Paroles intermittentes " (éditions " Hors Commerce ", c'est pas une blague. Il y a même un site web : http://www.horscommerce.com/). Les droits d'auteur seront versés à un fonds de solidarité des intermittents. 78 artistes du spectacle prennent ici la plume, témoignent personnellement, analysent, informent, et ça fait mal. La coterie des dominants avec l'aide de leurs petits comparses pseudo-syndicalistes prêts à signer tout ce que leurs maîtres leur présentent sous le nez comme accord pourri, veulent flinguer la culture vivante au nom de la rentabilité, en supprimant la possibilité pour 20 à 30 000 intermittents de vivre de leur travail et de leur talent. Ils s'attaquent à la culture comme ils s'ingénient à détruire l'éducation, la santé, nos acquis, nos libertés. La partie ne fait que commencer. Ce livre contribue à chasser le fatalisme de nos têtes pour relever les défis tous ensemble. VIOLENCE SOCIALE Les sociologues Stéphane Beaud et Michel Pialoux poursuivent l'enquête qu'ils avaient entrepris dans la région de Montbéliard avec " Retour sur la condition ouvrière " (Fayard, 1999). Leur nouvel ouvrage, " Violences urbaines, violence sociale, Genèse des nouvelles classes dangereuses " (Fayard, septembre 2003) analyse l'histoire sociale des dix dernières années au sein du monde du travail et de la jeunesse des cités. C'est à cette condition qu'ils peuvent tenter d'expliquer une émeute urbaine survenue en juillet 2000 dans la ZUP de Montbéliard. Certaines appréciations en conclusion peuvent se discuter, très utilement d'ailleurs. Il est souhaitable que cette enquête minutieuse et passionnante provoque des réflexions et des débats parmi ceux qui veulent changer cette société. Pour bien lutter, il faut bien comprendre. PASSAGE À L'ENNEMIE Le dernier roman de Lydie Salvayre est un délice Dans " Passage à l'ennemie " (Seuil, septembre 2003, 199 pages), un jeune inspecteur des Renseignements Généraux est chargé d'infiltrer dans une cité misérable un groupe de présumés délinquants. Les rapports adressés à ses supérieurs ne vont pas tarder à être émaillés de considérations incongrues, eu égard aux critères policiers en vigueur. La consommation régulière de haschich, mission oblige, n'est pas étrangère à ses dérapages. Notre enquêteur se laisse aller à écrire par exemple, page 60 : " L'esprit des policiers est coupant, content, catégorique et centripète, inaltéré par les pourquoi et les comment tchékhoviens de la vie, dénué du moindre grain d'humour et ne souffrant que peu, que très peu, que très très peu la contradiction. " Les jeunes des cités peuvent en attester. Par les temps lourdement sécuritaires qui dominent la météo des gouvernants, la fraîcheur contestataire de ce roman d'humour et d'amour ravira celles et ceux d'entre vous qui n'aiment pas l'ordre établi. Ne serait-ce point vous toutes et tous qui nous lisez ? Eh bien, tant mieux. EN POCHE Il est bon de savoir que deux autobiographies de grande qualité dont nous avons déjà parlées viennent d'être rééditées en collection de poche : " Les abeilles et la guêpe " de François Maspero (Point Seuil) et " À contre-voie " d'Edward. W. Saïd (Livre de Poche). Pour découvrir un grand romancier italien au style dépouillé, Mario Rigoni Stern, une amie nous recommande avec insistance de lire l'un de ses romans sur la période fasciste, " Les saisons de Giacomo " (10/18). LA BOUSSOLE ET L'ORCHIDÉE Le Musée des Arts et Métiers à Paris n'est pas un de ces lieux où les gens se pressent en longues queues battues par un petit vent glacé et persistant, en observant d'un air farouche si tel individu n'est pas en train de resquiller quelques rangs ou en supputant avec morosité ses chances d'attraper, qui un rhume, qui une bronchite, qui un lumbago, avant d'accéder à la caisse. On peut s'épargner tout cela en allant voir une exposition pas très vaste, joliment intitulée " La boussole et l'orchidée ". Elle est consacrée à l'expédition en Amérique équinoxiale (Venezuela, Colombie, Équateur, Mexique...) de deux savants, Humboldt et Bonpland, entre 1799 et 1804. Bonpland était chirurgien de marine et botaniste. Il a étudié et expédié en France des dizaines de milliers de spécimens de plantes. Quelques exemplaires de son herbier et de ses empreintes de plantes se trouvent exposés. Humbolt est le savant à la curiosité universelle : il observe, mesure et étudie dans tous les domaines : climats, reliefs, cours d'eau, courants marins, archéologie, ethnologie... Une visite guidée est vivement recommandée pour donner vie et compréhension aux documents et instruments présentés. Le catalogue est excellent, confrontant les résultats obtenus par Humboldt et Bonpland aux recherches scientifiques ultérieures. Pour obtenir ce catalogue, écrire au Musée des arts et métiers CNAM 292 rue Saint-Martin - 75141 Paris Cedex 03. Les oeuvres d'Humbolt sont accessibles en documents numériques sur http://gallica.bnf.fr/ ULYSSE, LE RETOUR Nous profitons de l'engouement général pour les DVD pour en recommander un édité par ARTHAUS MUSIK et qui dure 155 minutes. Celui-là n'a aucune chance de concurrencer Matrix alors que l'histoire, pour être ancienne, ne manque pas d'être éternellement ébouriffante dans son genre, avec les effets spéciaux insurpassables de la mythologie grecque. Nous voulons parler de l'opéra de Monteverdi, " il Ritorno d'Ulisse in Patria ". Ce titre se traduit sans trop de difficultés par " Le retour d'Ulysse dans sa patrie ", même en ignorant l'italien pratiqué en 1640/1641 lors de la création de l'oeuvre. Dans " L'Odyssée ", Homère raconte toutes les épreuves endurées par son héros après la guerre de Troie et ne nous cache pas qu'il a pris aussi pas mal de bon temps. Ce qui n'est pas le cas de sa fidèle épouse Pénélope qui non seulement désespère de le revoir jamais un jour mais qui doit faire face au harcèlement de prétendants. Ces affreux ont des visées sur la belle épouse d'Ulysse dans le but de récupérer son royaume d'Ithaque. D'aussi basses intentions seraient-elles encore possibles à notre époque de haute civilisation ? La réponse est oui. Le librettiste de Monteverdi, Giacomo Badoaro, s'est concentré sur la fin de " l'Odyssée " en s'inspirant des chants 13 à 23. Ce drame musical comporte aussi ses épisodes comiques ou quasiment, avec le goinfre Iro nourri par les prétendants, et avec Neptune, un parano de première, qui a beaucoup de mal à cohabiter avec les autres dieux et encore plus avec les humains. Venons-en à la représentation de cette oeuvre sur ce DVD interprétée en public à l'opéra de Zürich en 2002. Elle est superbe à tous les niveaux. Le chef d'orchestre est Nicolaus Harnoncourt qui fut un pionnier extraordinaire dans la recherche sur les partitions des opéras de Monteverdi. La mise en scène de Klaus Michael Grüber est d'une grande beauté. Les interprètes sont tous dignes d'éloges, particulièrement Vesselina Kasarova dans le rôle de Pénélope et Dietrich Henschel dans celui d'Ulysse. POLLOCK Quelques jours de vacances offrent parfois l'opportunité de voir des films qu'on a raté au cours du dernier trimestre. Au cas où le dernier Woody Allen, " Anything else ", vous serait passé sous le nez, allez-y en confiance pour de réjouissantes et nouvelles variations sur des thèmes familiers à ce cinéaste. Que serait Manhattan sans Woody Allen ? Comme il existe une abondante et remarquable culture américaine contrairement aux préjugés franchouillards, il nous plaît d'attirer également l'attention sur le film " Pollock " de Ed Harris qui interprète de façon convaincante le personnage du peintre expressionniste abstrait des années 1940-1950, Jackson Pollock. La compagne de Pollock, Lee Krasner, très bien interprétée par Marcia Gay Harden, était également un grand peintre. Cette femme exceptionnelle a contribué à faire éclore le talent de Pollock, terriblement alcoolique et mal dans sa peau, sans pour autant pratiquer une abnégation autodestructrice. Ce film dramatique fait la part belle au contexte de l'époque et aux préoccupations artistiques du couple Pollock-Krasneret du milieu new- yorkais de l'art, le critique Clement Greenberg, la galeriste Peggy Guggenheim, etc. Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_040_17-12-2003.html |