Journal de notre bordLettre n°39 (le 27 novembre 2003)Bonsoir à toutes et à tous Il y a une actualité éditoriale de plus en plus fournie sur la classe ouvrière : des romans, des témoignages, des études sociologiques... On ne peut ni s'en plaindre, ni s'en réjouir. Chaque livre doit être lu et analysé en lui-même. Nous avons aperçu le titre d'un roman écrit par une élue municipale des Verts intitulé " Les derniers jours de la classe ouvrière ". Sans préjuger des qualités de ce roman que nous n'avons pas lu, ce titre accompagne une tendance à considérer les ouvriers comme un groupe social en voie de disparition, avec ses traditions mythologiques révolues mais attendrissantes, une sorte de tribu amazonienne sur laquelle certains se penchent avec une compassion funèbre ou nostalgique. Heureusement une autre tendance se fait jour permettant de mieux comprendre où en est la classe ouvrière en France afin de mieux évaluer ses forces et ses faiblesses. Nous avons déjà eu l'occasion de recommander la lecture de deux livres de Jean-Pierre Levaray, " Putain d'usine " et " Après la catastrophe ". La lecture de son dernier livre " Classe fantôme " s'impose tout autant. Mais avant de le présenter, il nous faut transmettre la recommandation de lecture que nous a faite un de nos correspondants qui est cheminot : " il y a aujourd'hui un livre à lire et à faire lire, c'est celui de Daniel Martinez "carnets d' un intérimaire" édition agone mémoires socialistes. Avec une préface du sociologue Michel Pialoux l'un des auteurs de "Retour sur la condition ouvrière". C'est un témoignage de ce que vit une partie de plus en plus importante du monde ouvrier d'aujourd'hui, à savoir la précarité, flexibilité et toutes les angoisses que cela engendre. Mais aussi et surtout à travers ce livre l'auteur y exprime le sentiment d'injustice, la révolte et la haine des riches et des dirigeants de droite comme de "gôche" dont Martine Aubry etc. " ____________________________________ Classe fantôme ? Infamie Cocasse Dans le jardin d'Épicure Zao Wou-Ki Soul music Attica In situ ____________________________________ CLASSE FANTÔME ? Jean-Pierre Levaray est toujours ouvrier dans l'usine AZF de la banlieue de Rouen, classée Seveso et menacée d'un nouveau plan de suppression de 216 emplois. Dans son dernier livre " Classe fantôme " (éditions Le Reflet, 133 pages), il nous fait part de l'accueil réservé par ses collègues et par la hiérarchie à ses précédents livres. Comme les réactions ont été plutôt favorables et parfois enthousiastes, il s'est risqué à faire le portrait de quelques-uns de ses collègues. Pas de complaisance, de la sobriété dans l'évocation de ces vies, une observation précise des problèmes et de l'itinéraire de chacun : on s'attache très vite à ces travailleurs et à leurs singularités, on sourit, on a le coeur serré. En ayant refermé ce livre, on se dit que c'est assez sidérant que sept millions d'ouvriers passent à la trappe dans les médias et soient considérés comme une " classe fantôme ". Logique de classe bien sûr pour accompagner tous les mauvais coups du patronat et de l'État contre les salariés. Le livre " Metaleurop, Paroles ouvrières " (éditions Mille et une nuits) tombe à pic pour illustrer comment des ouvriers ont vécu une grande lutte et quels enseignements ils en ont tirés. Les témoignages ont été recueillis par Frédéric H. Fajardie, ancien militant maoïste et écrivain de romans noirs ou de science-fiction. Ses états d'âme ne sont pas palpitants et sa vision de la classe ouvrière n'est pas exempte de stéréotypes. La qualité des témoignages des travailleurs de Metaleurop à qui il a posé une série de questions identiques s'en ressent un peu mais ils n'en restent pas moins vivants et d'un grand intérêt. Un livre qui donne envie d'en finir avec la dictature des capitalistes. INFAMIE Les événements tragiques qui se sont produits à Saint- Nazaire avec l'effondrement d'une passerelle nourrissent aussi notre colère. La direction des Chantiers navals s'est aussitôt défaussée de ses responsabilités dans la mort de quinze personnes dont huit travailleuses chargées du nettoyage alors qu'elle impose à tous les personnels un rythme de travail infernal. Elle en a rajouté quelques louches dans l'infamie. Dès l'annonce du drame, elle a promis la sortie du " Queen Mary 2 " pour le 20 décembre, " comme prévu ", afin de rassurer les actionnaires. Ce n'est pas tout. Après avoir décrété une journée de deuil le lundi 17 novembre, elle a fait savoir que cette journée ne serait pas payée ! À chacun de la prendre en RTT ou sur ses congés ou de la récupérer en travaillant un samedi. Les délais, c'est sacré. Les patrons des Chantiers ont précisé au " Canard enchaîné " qu'un " deuil n'est pas un congé payé " Et de préciser : " Si quelqu'un a été choqué, on ne l'a pas su." Ces faits-là ne s'oublient pas. Leur accumulation prépare une révolution sociale. COCASSE Vous souhaitez lire un roman intelligent, touchant et cocasse ? Eh bien laissez-vous tenter par la lecture d'un roman égyptien paru au Caire en 1992 " Les années de Zeth " de Sonallah Ibrahim (Babel). Voici ce qu'en pense Hélène Dujardin : " Ce roman raconte la vie " ordinaire " d'une femme de la petite bourgeoisie, Zeth, qui traverse les années Nasser et ses prétentions nationalistes, les rêves capitalistes de Sadate qui riment avec corruption et dévotion, puis les années du dictateur actuel, Moubarak, jusqu'en 1989. La construction en patchwork du récit est originale. Le feuilleton de la vie quotidienne de Zeth alterne avec des coupures de presse ayant échappé à la censure de la dictature mais qui sont plus parlantes que la vérité qu'elle veut cacher. Zeth aborde ses problèmes avec une philosophie qui fait souvent plus rire que pleurer, même si elle a, comme ultime recours face à l'adversité, de se réfugier dans les toilettes de son appartement pour pleurer. Ce livre est un réquisitoire très drôle contre la bêtise et l'autoritarisme des possédants, des bureaucrates, des policiers, des militaires et des religieux qui engendrent de la misère et bien des souffrances ". DANS LE JARDIN D'ÉPICURE On a bien failli rater le numéro spécial du Magazine littéraire sur les Épicuriens si le message d'un ami ne nous avait alerté à temps. Épicure, ses prédécesseurs (notamment Démocrite) et ses héritiers directs ou indirects (notamment Lucrèce, Montaigne, Molière, Spinoza, Diderot, Marx, Nietzsche, Deleuze...), nous ne pouvons pas nous en passer. Épicure et ses amis ont été constamment calomniés, à toutes les époques par les tenants de l'ordre moral et religieux. La sagesse d'Épicure n'a pas pris une ride et après avoir pris connaissance de ce dossier, il ne faut pas se priver du plaisir de lire Lucrèce, le grand poète latin épicurien qui a écrit " De la nature des choses ". ZAO WOU-KI Zao-Wou-Ki est un des plus grands peintres contemporains, à la fraîcheur d'inspiration intarissable en dépit de ses quatre-vingt-deux ans. Il est parvenu à une synthèse originale de la calligraphie chinoise et de l'art abstrait lyrique. Paul Klee a été une de ses influences majeures. Et depuis il a créé ses propres espaces vertigineux dans lesquels on se perd avec délice. Il ne va pas falloir traîner pour découvrir son oeuvre au Jeu de Paume à Paris car la rétrospective de son oeuvre se termine le 7 décembre. À signaler également une autre exposition de cet artiste à Paris couvrant la période 1950- 2000 à la galerie Vanuxem, 54 rue Mazarine jusqu'au 13 décembre. Zao Wou-Ki était particulièrement apprécié par le poète Henri Michaux qui a écrit de beaux textes sur certaines de ses oeuvres. SOUL MUSIC Grâce à quelques rééditions à prix cassé, la musique " soul " des Noirs américains des années soixante est à nouveau à l'honneur. C'est un grand plaisir de découvrir ou de redécouvrir des artistes comme Otis Redding, Aretha Franklin, Ray Charles ou Nina Simone. Indépendamment des opinions politiques de ces artistes, certains étant engagés, d'autres pas, la " Soul music " exprimait à sa façon des aspirations à la liberté et elle garde un pouvoir d'émotion qui n'est pas prêt de s'éteindre. ATTICA Il y a quelques mois, un disque intitulé " Attica Blues " a été réédité (CD Impulse). Vous trouverez ce disque dans les bacs de jazz au nom d'Archie Shepp. Sur la pochette, en étant attentif, on peut apercevoir derrière le saxophoniste, en haut à gauche, une photo montrant deux athlètes noirs américains sur un podium : Tommie Smith et Juan Carlos, vainqueurs dans la finale du 200 m aux jeux olympiques de Mexico et qui lèvent le poing et baissent la tête au moment ou retentit l'hymne américain. " Attica blues " est une belle oeuvre collective qui a été enregistrée en janvier 1972, peu de temps après la révolte survenue dans la prison d'Attica en septembre 1971. Archie Shepp a regroupé un ensemble de musiciens prestigieux (Clifford Thornton, Marion Brown, Jimmy Garrison, Joe Lee Wilson, Cornell Dupree, Walter Davis JR, etc.). C'est une musique vivante, tour à tour joyeuse et âpre, à la fois populaire et savante. " Good Bye Sweet Pops " est un hommage à Louis Armstrong. Le dernier thème " Quiet Dawn " est chanté par une fillette de sept ans, Waheeda Massey. " Blues for Brother George Jackson " rend hommage à un révolutionnaire noir, George Jackson, assassiné par un gardien de prison, ce qui provoqua plusieurs soulèvements dans les prisons dont celle d'Attica. Il faut écouter " Attica blues " comme il faut lire " Les Frères de Soledad " de George Jackson (Folio) pour comprendre ce que furent les luttes et la culture des Noirs américains à cette époque. IN SITU À découvrir sur notre site maintenant ou sous peu, un article " Socialisme ou barbarie : comment se pose la question en ce début de XXIe siècle ? " et des points de vue sur des films, " Dirty Pretty Things ", " Depuis qu'Otar est parti... " et " Les invasions barbares ". Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_039_27-11-2003.html |