Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°35 (le 16 juillet 2003)

Bonjour à toutes et à tous,

Bravo aux intermittents du spectacle. Ils assurent la
permanence de la lutte sociale. Mieux encore, ces
impertinents ont consolidé les acquis des luttes de mai et
juin. Comme leurs prédécesseurs dans la grève, ils ont eu
recours à des formes démocratiques d'organisation. Pas de
tribuns, pas de porte-parole jouant les vedettes ! Et
pourtant ce ne sont pas les acteurs de talent qui manquent
dans leurs rangs. Ils se sont appuyés sur les syndicalistes
dignes de confiance et ils ont écarté les autres, " les
raisonnables ", tous ces arrivistes et ces arrivés qui
servaient la soupe au Medef et au gouvernement. Ils ont
répondu du tac au tac aux calomnies et aux manoeuvres pour
les démobiliser, pour les faire passer pour des pitres, des
individualistes ou des privilégiés. Le respect de soi-même,
de la lutte collective et de l'idée qu'ils se font de la
culture imposaient qu'ils fassent grève, qu'ils agissent en
travailleurs conscients que cette société est intolérable.
L'idée continue à faire son chemin, à gagner de nouveaux
secteurs du monde du travail : il est impossible de sauver
l'éducation, la santé, la culture, les bases même de la vie
sociale, s'en s'attaquer au système du profit, celui qui
transforme tout en marchandise et rejette le reste dans
l'inexistence du chômage et de la misère.

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La rhétorique des nantis
Un Ferry passe
Question subsidiaire
Pinter
Algérie
Un bon gros livre
Classiques diaboliques
Soumission
Brésil
Actualité des Temps Modernes
Comédies musicales
Courrier
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LA RHÉTORIQUE DES NANTIS
Dès que des salariés défendent leurs intérêts, tous les
nantis qui nichent dans les sphères du patronat, du
gouvernement et des médias se mettent à bramer et à pester
contre ces " privilégiés ". L'image favorite qu'ils nous
assènent depuis quelques temps est que les enseignants
" prennent les élèves en otages ", que les cheminots et les
traminots " prennent les usagers en otages " et que les
intermittents " prennent le public en otage ". Bref, lutter,
se défendre contre les agressions des gouvernants et des
capitalistes, " c'est une forme de terrorisme ". Eux, par
altruisme sans doute, ils se contentent de prendre le plus
de fric possible sur notre dos que nous soyons salariés,
chômeurs ou retraités.

Il devient lassant de les entendre se plaindre
perpétuellement des travailleurs en lutte. De plus il serait
dommage qu'ils restent les otages de leur activité
parasitaire et nuisible pour toute la société. Libérons les
capitalistes de leur condition aliénée, en les expropriant !


UN FERRY PASSE
Face au développement des luttes sociales, notre roi de la
république s'est révélé en très petite forme. Le lien de
cause à effet est assez évident. La maîtrise du rituel de
l'interview du 14 juillet lui a même échappé lorsqu'il a
confondu deux prénoms, Jules et Luc. On pourra invoquer la
chaleur car nos deux présentateurs vedettes David Poivre
d'Arvor et Patrick Pujadas de TF1 et TF2 s'épongeaient
d'abondance. En vieux notaire corrézien madré, le président
les avaient placés en face d'une fenêtre éclaboussée de
soleil pour les ramollir au cas (improbable) où ils auraient
eu des velléités de le déstabiliser. Les deux larbins du JT
n'y sont donc pour rien si Chirac s'est pris la langue dans
le tapis en confondant les deux Ferry. Plein d'amertume, le
ministre actuel de l'Éducation nationale a eu du mal à n'y
voir qu'un acte manqué. On imagine que Darcos devait
jubiler. Ayant déjà gaffé une fois, on comprend mieux
pourquoi Chirac n'a pas voulu tomber dans le piège de
prononcer le nom de son premier ministre qui ne lui serait
peut-être pas revenu immédiatement en mémoire. Imaginez
qu'il se soit félicité de l'action actuelle de son premier
ministre Alain Juppé !

L'ennui télévisuel est communicatif et nous fait perdre nos
repères, confondre des personnages et des discours qui ne se
ressemblent que trop depuis des années. Au bout d'une heure
de variations ineptes sur les vertus du dialogue, on
finissait par trouver que ce président Giscard Mitterrand
n'avait pas été brillant pour justifier le caractère moderne
et inexorable des plans de rigueur de Pierre Mauroy et de
Raymond Barre.


QUESTION SUBSIDIAIRE
Les générations à venir auront du mal à comprendre pourquoi
en 2003, le syndicaliste José Bové était en prison tandis
que Jean-Marie Messier et Jacques Chirac étaient libres.
Pourquoi pas l'inverse ? Nos historiens du futur ne
manqueront pas de s'interroger sur un article du quotidien
La Tribune du 15 juillet en page 2 où il est dit que David
Pujadas (France 2) devait poser " une brûlante question " à
Chirac sur " la rémunération des grands patrons français ".
Pourquoi ne l'a-t-il point fait ? Parce que Chirac a joué la
montre et l'a mené en ferry ou parce que le pétulant Pujadas
s'est dégonflé ? Peu importe, l'essentiel étant que " nos
patrons " sont très convenablement rémunérés. Ils sont même
les mieux payés en Europe.

La Tribune trouve qu'il y a un décalage choquant entre les
résultats des grandes entreprises et les hausses de salaires
des dirigeants entre 2001 et 2002. Considérons les 3
premiers de la classe : 1) le dirigeant de l'Oréal, + 13%
d'augmentation, soit une rémunération en 2002 de 6,26
millions d'euros ; 2) l'ex-dirigeant de Vivendi Universal
(le fameux J6M), +129% soit 5,72 millions d'euros alors que
le résultat de son entreprise a chuté de 23,3 milliards
d'euros en 2002 ; 3) le dirigeant d'Aventis, + 85% soit une
rémunération de 4,34 millions d'euros... Ces chiffres
méritent d'être largement connus. Ils renforcent notre
détermination à en finir avec l'économie de profit.


PINTER
Si vous êtes présentement à Paris, ne manquez pas d'aller au
petit théâtre " Le Cercle " dans le 3e arrondissement, rue
Saint Claude. On y donne un spectacle qui dure jusqu'au 27
juillet : " Harold Pinter en Pièces ", mis en scène par
Alexandre Filleteau. Harold Pinter est un dramaturge
britannique qui a également écrit des scénarios de films,
notamment pour Joseph Losey. Cet homme est un
anticonformiste, remonté à bloc depuis toujours contre
toutes les formes d'hypocrisie de l'ordre établi qu'il soit
ignoble, grotesque ou dérisoire. Ce qui nous vaut ici une
série de petites pièces terribles, sarcastiques ou
touchantes. Celles dans le cadre d'une entreprise sont à
pleurer de rire. Huit jeunes acteurs mènent ce spectacle
rondement, avec un jeu nuancé et prenant.


ALGÉRIE
Pour comprendre la guerre d'Algérie, le passage par la
littérature est nécessaire. Un recueil de nouvelles paru au
début de l'année nous le rappelle : " L'Algérie des deux
rives 1954-1962 " (Mille et une nuits, 160 pages). Quatorze
écrivains français, algériens ou franco-algériens, ont écrit
chacun un texte sur cette guerre. Ces hommes et ces femmes
sont nés après 1945. Ils et elles ont été des témoins
proches ou lointains des drames de la guerre, en Algérie ou
en France qu'on disait alors métropolitaine. Cela ne
signifie pas que ces nouvelles sont toutes l'évocation de
souvenirs personnels. Le travail de la mémoire et celui de
l'écriture ont pris des chemins divers selon leur origine
sociale ou géographique, selon leur vie d'adultes, selon
leur talent et leur sensibilité propre. Un recueil
remarquable qui aide aussi à comprendre la situation
actuelle du peuple algérien.


UN BON GROS LIVRE
Dans notre lettre n°29 de janvier dernier, nous avions eu
l'occasion de vous conseiller la lecture d'un roman drôle et
corrosif sur une famille de la moyenne bourgeoisie
américaine. Ce roman a pour titre " Les corrections " de
Jonathan Franzen (Éditions de l'Olivier). Nous concevons que
depuis, certains d'entre vous aient reculé devant sa
longueur (716 pages) et que vous ayez reporté aux vacances
le projet de le lire. Eh bien justement nous y sommes.
Enveloppé dans une serviette de bain, ce roman a le format
idéal comme oreiller pour la plage. Et en plus vous allez
vous régaler en le lisant.


CLASSIQUES DIABOLIQUES
Il y a toujours une certaine gène en France à reconnaître
qu'on n'a jamais lu une oeuvre classique. Ce snobisme nous
amène à dire d'un ton faussement détaché : " Tiens, en ce
moment je suis en train de " relire " tel roman de Balzac,
Dickens, Proust ou Faulkner. " Et les plus audacieux
d'ajouter : " Je n'avais pas tout apprécié la première fois..."
L'essentiel au demeurant n'est pas de se moquer mais de
lire (ou de relire) de temps à autre une grande oeuvre pleine
de sève qui embellit notre vie. Il y a quelque chose de
diabolique dans une belle oeuvre classique qui capte votre
intérêt dès les premières lignes car ensuite vous allez vous
laisser entraîner à en lire dix pages, puis cent et ainsi de
suite jusqu'à la fin. Exemple de début de roman : " Toutes
les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille
malheureuse l'est à sa façon.
Tout était sens dessus dessous dans la maison des Oblonski.
La femme avait découvert que son mari avait une liaison avec
leur ancienne gouvernante française, et lui avait déclaré
qu'elle ne pouvait plus vivre sous le même toit que lui. "
La suite vous conduira à lire (ou à relire) Anna Karénine de
Léon Tolstoï.

Autre exemple : " Le quidam ouvrit la porte avec une clé et
entra, suivi d'un jeune gaillard qui retira sa casquette
avec gaucherie. Celui-ci portait des vêtements grossiers,
qui sentaient la mer, et le spacieux vestibule dans lequel
il se trouvait n'était visiblement pas son élément. Ne
sachant que faire de sa casquette, il allait la fourrer dans
la poche de son paletot quand l'autre la lui prit. " Et
voilà, vous êtes en partance pour la lecture (ou la
relecture) de Martin Eden de Jack London.

Un petit dernier pour la route ? : " - Oh écoute, tu es
horrible, tu pourrais faire un effort...j'étais horriblement
gênée...

- Gênée ? Qu'est-ce que tu vas encore chercher ? Pourquoi
gênée, mon Dieu ?

- C'était terrible quand il a sorti cette carte postale... la
reproduction... Si tu avais vu avec quel air tu l'as prise...
Tu me l'as passée sans la regarder, tu as à peine jeté un
regard... Il avait l'air ulcéré... "

Là vous vous engagez dans un étonnant classique de la
deuxième moitié du vingtième siècle, " Les Fruits d'Or " de
Nathalie Sarraute.


SOUMISSION
Et maintenant parlons cinéma à fond les bobines. Nous
aurions aimé dire du bien des " Triplettes de Belleville "
de Sylvain Chomet mais ce n'est guère possible. Il y a là un
travail graphique impressionnant et quelques idées
originales. Mais le tout baigne dans une ambiance tristement
glauque. La raison principale est d'ordre philosophique ou
politique si vous préférez. Les seuls personnages
attachants, à savoir le coureur cycliste et le chien, sont
exploités jusqu'au trognon et restent désespérément soumis
jusqu'à la fin. La tyrannique grand-mère arrache son fils
aux griffes des malfrats pour pouvoir continuer à
l'exploiter pour son propre compte. N'allez pas croire les
critiques qui s'enchantent d'y trouver une évocation
authentique des années cinquante et soixante.


BRÉSIL
Le film " Moro no Brasil " signifie " j'habite au Brésil ".
Mika Kaurismäki a quitté sa Finlande natale pour aller à la
rencontre de musiciens populaires du Brésil. Voûté et
taciturne, à pied ou au volant de sa jeep, on le voit
parcourir l'État de Pernambouco, la région de Bahia et enfin
atteindre Rio de Janeiro. Il rencontre des Indiens, des
Noirs, des gens qui connaissent ou ont connu le plus dur
dans l'existence et qui sont des artistes inspirés,
danseurs, chanteurs, guitaristes, percussionnistes... Aucun
misérabilisme mais rien n'est caché des conditions sociales
où des hommes et des femmes créent la samba sous toutes ses
formes y compris en se mariant à la techno. La samba les
fait vivre et vibrer. Des jeunes s'y consacrent pour
échapper dans la rue à un destin épouvantable.


ACTUALITÉ DES TEMPS MODERNES
Comme leur nom et leur contenu l'indiquent, " Les Temps
Modernes " sont toujours d'actualité. Et ils le resteront
jusqu'à la disparition du capitalisme. Charlie Chaplin était
en guerre contre l'asservissement de l'homme par l'homme et
il déploie ici tout son génie qui n'est pas seulement
comique. Charlot ouvrier à la chaîne, chômeur, voleur,
prisonnier, danseur ou même chanteur, Charlot ne se laisse
jamais asservir. Son amie d'infortune incarnée par Paulette
Godard est une rebelle magnifique.

Une version entièrement restaurée de ce film passe
actuellement sur les écrans mais elle vient également d'être
éditée en DVD avec sur un second DVD d'accompagnement des
compléments très intéressants (éditions MK2, WB). On y
trouve notamment les commentaires des cinéastes Luc et Jean-
Pierre Dardenne, des documentaires de propagande du
ministère du travail américain sur les ouvrières en 1931
face à la mécanisation, un film publicitaire de Ford qui
tourne au délire surréaliste involontaire. On apprend que
Chaplin avait envisagé et tourné une fin dramatique et qu'il
choisit finalement une fin spinozienne où la joie l'emporte.
Il faut recommander aussi un documentaire très émouvant sur
la découverte du cinéma en 1967 par des villageois cubains
dans les montagnes quasi inaccessibles de Baracoa. Le
premier film qu'ils virent était " Les Temps modernes ".


COMÉDIES MUSICALES
Par la qualité des images restaurées, certains DVD
permettent de faire des incursions agréables et surprenantes
dans le domaine de la comédie musicale. " Chantons sous la
pluie " a repris de la couleur et du relief. Il en va de
même du charmant " My Fair Lady " de George Cukor datant de
1964 avec Audrey Hepburn et Rex Harrisson (Warner Home
Video). La misogynie et les préjugés de classe y sont
joliment mis en boîte par la camarade Eliza, vendeuse de
fleurs à Londres et incarnée par Audrey Hepburn. " My Fair
Lady " est fortement inspiré par la pièce satirique de
George Bernard Shaw, " Pygmalion ".


COURRIER
Nous sommes dans la période estivale où bien des boîtes aux
lettres électroniques débordent car les lieux de vacances se
remplissent. En dépit du fait que nombre d'entre vous avez
eu l'idée de déserter votre ordinateur (adoré et détesté) et
que cette lettre ne vous atteindra peut-être même pas à
votre retour, notre équipe remercie toutes celles et tous
ceux qui nous ont envoyé dernièrement de sympathiques
messages et se sont abonnés à cette lettre. Quoiqu'il en
soit, nous saluons tout particulièrement celles et ceux qui
viennent de nous lire et qui n'ont pas la possibilité de
prendre des vacances pour une raison ou pour une autre.


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder
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