Journal de notre bordLettre n°29 (le 17 janvier 2003)Bonsoir à toutes et à tous, Nous vous souhaitons une bonne année, avec des joies, des découvertes et des luttes victorieuses. Le nombre de gens qui considèrent que le monde ne fonctionne pas conformément à nos aspirations humaines va toujours croissant. La guerre est inacceptable. Les peuples le savent et le font savoir au travers des divers sondages à propos de la guerre en Irak. Dans trente-deux pays des manifestations de protestation auront lieu ce week end. Nous n'en sommes qu'au début d'une prise de conscience collective qu'on veut nous impliquer dans des guerres qui ne rapporteront qu'aux multinationales. Tout le monde comprend que les formes les plus désastreuses de pollution sont le sous-produit de la recherche du profit maximum. Tous les salariés comprennent qu'on veut liquider leurs possibilités d'accéder à la retraite à un âge décent et avec un revenu décent. Le rejet par les salariés d'EDF-GDF d'un référendum antidémocratique remettant en cause leurs retraites est un encouragement vigoureux pour tout le monde à ne pas se laisser faire. Car céder sur un terrain, celui de nos emplois, celui de nos retraites, celui des guerres menées en notre nom, c'est faire dévaler la pente à toute la collectivité vers la régression sociale et culturelle et vers la barbarie. Dans ce combat d'ensemble contre les nantis, il nous faut vraiment tenir sur tous les fronts car ils exploiteront chaque brèche à nos dépens. _________________________________ Opération Bouygues-Bollore Daumier a frappé Pas du tout tendance Ennui En poche Désopilant Modèle Sciences et littérature Choeur Sur la toile In situ _________________________________ OPÉRATION BOUYGUES-BOLLORE Et si on manifestait contre la guerre française en Côte- d'Ivoire ? Mais comment faire ? La France est censée ne jamais faire la guerre en Afrique. Elle ne participe qu'à des " opérations ". Nuance ! Au Tchad, ce fut " l'opération épervier ". L'appellation était encore trop guerrière. Au Rwanda, ce fut donc " l'opération turquoise ". Elle couvrait d'un joli nom " l'opération Mille Collines " qui conduisit à un génocide. En Côte d'Ivoire, " l'opération " ne porte pas encore de nom. Mais il y a déjà des centaines de morts et une importante population acculée à la misère. On pourrait l'appeler " l'opération cacao " puisque l'armée française s'est employée avant tout à interdire l'accès à cette zone de production. On pourrait aussi l'appeler " l'opération ivoirité " puisque les gouvernants français actuels comme leurs prédécesseurs ont choisi de soutenir les politiciens crapuleux qui ont agité ce critère xénophobe pour consolider leur pouvoir. Mais le plus simple et le plus prosaïque serait de l'appeler " l'opération Bouygues-Bolloré-Delmas- TotalFinaElf-France Télécom, etc " Ce sont ces grands groupes qui sont les bénéficiaires de l'intervention de l'armée française en Côte-d'Ivoire. En toute logique, comme les concurrents dans la course du rhum ou celle du Paris- Dakar, les soldats français devraient porter des autocollants Bouygues, Bolloré, etc. DAUMIER A FRAPPÉ En voyant Raffarin et Seillière se congratuler au congrès du Medef, on avait sous les yeux certaines caricatures du 19e siècle de Daumier montrant des bourgeois matois, réjouis par la lourde bêtise de leurs effets oratoires. Seillière, le patron des licencieurs en gros, et Raffarin, un des larbins de l'État qui taille dans les emplois des services publics, ont diverti leur auditoire en proclamant leur amour du " travail ". Ah, le travail qu'on exploite et qui dégage des profits toujours plus abondants, quel délice ! Le ministre de l'Éducation a failli jouer les rabats joie, par pur pédantisme, en rappelant que l'origine latine du mot travail désignait aussi la torture. Ces gens-là sont pris dans une contradiction. Seillière, Raffarin et leurs semblables adorent le travail (des autres) mais détestent les travailleurs. Comment obtenir la pleine jouissance de l'un sans avoir affaire à la résistance des autres ? Ce problème insoluble tracasse les capitalistes depuis toujours. À l'inverse pour les travailleurs, le problème a une solution tout à fait simple. Pour supprimer le caractère aliéné, ennuyeux, épuisant, destructeur du travail, il suffira de nous débarrasser totalement de l'emprise du capital et des capitalistes. PAS DU TOUT TENDANCE Y en a marre. Terriblement marre de voir jour après jour " la Sarko Academy " parasiter gravement les " informations " télévisées, rouler ses petites mécaniques sur tous les plateaux et à l'Assemblée, faire du copier/coller avec les arguments du Front National, finaliser les projets répressifs de la Gauche plurielle et corser l'arsenal répressif contre les pauvres jour après jour. Le délire ne fait que commencer. Que ceux qui ne sont pas pauvres ne se croient pas en sécurité. Ceux qui ne sont pas très riches et/ou qui n'ont pas d'appui au sein de la police et de l'UMP risquent de se retrouver un jour en prison pour une plaque minéralogique défectueuse ou un papier d'identité à une mauvaise adresse. Un homme qui combattait cette perspective d'une société transformée en prison et en caserne vient de disparaître mais il nous reste ses écrits et son exemple. Il s'appelait Stanislas Tomkiewicz. Il était pédiatre et psychiatre. Il avait connu le ghetto de Varsovie et le camp de Bergen- Belsen avant de faire des études en France au prix de grandes difficultés. Il disait " Je travaille avec les adolescents, parce qu'on m'a volé mon adolescence. " Stanislas " Tom ", comme ses amis l'appelaient, a lutté contre toutes les formes de violences institutionnelles. Peu de temps avant sa mort, il s'insurgeait contre la démarche répressive du gouvernement actuel à l'égard des jeunes comme des gens du voyage. Il disait : " Notre société est incohérente. Il suffit de voir avec quelle sévérité on traite un jeune qui fait des bêtises dans une cage d'escalier, et avec quelle mansuétude on traite un Maurice Papon qui a d'un trait de plume, envoyé à la mort des milliers de gens. Il est évident que si on ne respecte pas les droits des enfants, si on les empêche d'être heureux, on en récolte ensuite les conséquences. " On trouvera l'interview complète sur le site http://www.defenseurdesenfants.fr/ ENNUI " Toutes les études le montrent ". Quand quelqu'un dit ou écrit cela, il vaut mieux se demander quel gros mensonge on veut nous faire avaler. Mais ce n'est pas automatique. Ainsi toutes les enquêtes le montrent : la plupart des élèves s'ennuient à l'école. Ils s'ennuient au collège et au lycée. Les enseignants aussi. Notez bien que la plupart des salariés s'ennuient à l'usine ou au bureau. Toutes les études pourraient le montrer aisément. La plupart des chômeurs s'ennuient à chercher ou à ne plus chercher un emploi. Bien des retraités s'ennuient. Il y a un vol organisé de notre vie, du sens de notre vie. Si toutes les études démontrent que la plupart des gens, du cours préparatoire jusqu'au cimetière, s'ennuient la plupart du temps, on doit considérer que la plupart des enfants, des jeunes, des moins jeunes et des vieux ont tous, en commun, intérêt à supprimer toutes les causes d'ennui qui ont à voir avec le manque ou l'absence de reconnaissance de leurs qualités et de leurs aspirations. CQFD. EN POCHE Deux romans que nous vous avons recommandés sur notre site il y a quelques mois, viennent d'être réédités en collection de poche " pocket " : " L'écrivain " de Yasmina Khadra et " Lucy " de Jamaïca Kincaïd. Signalons toujours chez " pocket ", la réédition du livre de Wladyslaw Szpilman, " Le pianiste ". L'écrivain noir américain Richard Wright a écrit la première partie dans " Black Boy " qui raconte son enfance dans le Sud. La seconde partie de son autobiographie raconte sa jeunesse à Chicago à partir de 1927. Il y fit ses débuts d'écrivain. Il y fit l'expérience douloureuse de la survie dans un ghetto frappé par la crise et aussi l'expérience amère du stalinisme américain. Cette partie vient d'être éditée en collection folio sous le titre " Une faim d'égalité ". DÉSOPILANT Nous savons bien que le mois dernier nous vous avons déjà conseillé la lecture du roman de Jonathan Franzen, " Les corrections " (éditions de l'Olivier). Nous nous permettons d'insister car dans la production littéraire de ces derniers mois, nous n'avons pas trouvé un roman qui soit aussi désopilant. C'est le tableau vrai et truffé d'inventions d'une famille actuelle de la moyenne bourgeoisie américaine. Cette famille Lambert du Middle-West est quelque peu chahutée par les vents furieux du capitalisme mondialisé. Elle ressemble par bien des côtés à une famille française de ce milieu. Si vous n'avez pas aimé, écrivez-nous. Si vous avez aimé, parlez-en à vos amis. MODÈLE Nous avons déjà eu l'occasion de vous entretenir de la grande artiste impressionniste Berthe Morisot (voir notre point de vue sur la biographie de Dominique Bona, livre réédité depuis en Livre de Poche). Elle avait une amie au talent différent mais tout aussi flagrant, Mary Cassatt, peintre américaine vivant en France. Elle fut très influencée par Degas qui de son côté admirait son grand talent, parfois avec humeur. Malgré le retour en force de la misogynie, nous ne désespérons pas que Morisot et Cassatt finiront par intéresser un large public avant la fin du 21e siècle. En tout cas, un roman d'une grande délicatesse vient de sortir qui devrait contribuer à faire découvrir Mary Cassatt. Il s'agit de " Lydia Cassatt lisant le journal du matin " par Harriet Scott Chessman (éditions Quai Voltaire, 223 pages, novembre 2002). Lydia, la soeur aînée de Mary Cassatt, a été son modèle de prédilection pour plusieurs peintures dont certaines sont reproduites au fil de ce récit émouvant. Une chronique où l'on voit que le modèle d'un peintre a aussi un rôle créatif. SCIENCES ET LITTÉRATURE Il est agréable de voir écrit noir sur blanc ce dont on était déjà convaincu. Ainsi une des idées qui a présidé à la création de ce site est que la littérature est un instrument de connaissance spécifique, qui ne peut être remplacé par aucun autre mais qui peut en revanche contribuer à l'enrichissement d'autres formes de connaissance. Or la revue " Sciences Humaines " (http://www.scienceshumaines.fr/) consacre son dossier de janvier à la littérature. Un article du neurochirurgien Marc Tadié a plus particulièrement retenu notre attention. Il met en relief quelques descriptions littéraires concernant la mémoire et l'affectivité qui anticipent sur certaines découvertes des neurosciences. Avec son frère Jean-Yves qui est un spécialiste de l'oeuvre de Marcel Proust, Marc Tadié a publié en 1999 " Le Sens de la mémoire " (éditions Gallimard), un livre au carrefour de l'histoire littéraire et de la neurologie. CHOEUR " Prenez de la distance ! ", " il faut prendre de la distance ! " : il nous arrive d'entendre cela plusieurs fois par jour. Sauf que personne ne nous dit précisément comment prendre cette fameuse " distance ". Nous avons une proposition musicale qui ira peut-être dans ce sens pour certains d'entre vous. Procurez-vous un enregistrement d'oeuvres interprétées par un des plus remarquables choeurs de musique classique, Accentus, dirigé par Laurence Equibey. Cet ensemble de trente deux chanteuses et chanteurs vient de fêter ses dix ans d'existence au Théâtre des Bouffes du Nord. La musique baroque, Mendelssohn, Malher ou la musique contemporaine, tout est beau avec le choeur de chambre Accentus, tout nous aide à respirer plus profondément, à méditer, à apprécier les alliages de timbres vocaux et à prendre " de la distance "... (voir plus haut). Accentus chante le plus souvent a cappella. (C'est une expression italienne qui signifie brut de décoffrage, sans addition d'instruments autres que les voix). Laurence Equilbey considère qu'il faut constamment " ouvrir les portes du futur " en créant des oeuvres nouvelles. Son ensemble va créer dans les jours qui viennent une oeuvre de Philippe Manoury. Nous recommandons un disque d'Accentus qui regroupe trois oeuvres contemporaines fascinantes de Pascal Dusapin, " Requiem[s] " (CD Montaigne Naïve, 2000). SUR LA TOILE Saluons la création de deux nouveaux sites en construction : tout d'abord celui du " Courant de la LCR pour un parti anticapitaliste de masse ", http://www.avanti-lcr.org/ Pour comprendre la situation créée au Brésil par l'accès de Lula à la présidence, nous vous conseillons de lire sur ce site l'article intitulé " Lula-Alencar ", un gouvernement pro- capitaliste et de conciliation avec l'impérialisme ". Par ailleurs la revue Carré rouge dont le numéro 24 vient de sortir avec un important dossier sur l'Argentine s'est également doté d'un site en construction : http://www.carre-rouge.org/ IN SITU Depuis la lettre de décembre, nous avons mis en ligne dans la rubrique " en question ", un article intitulé " À propos de la crise en Argentine, quelques réflexions concernant la lutte de classe en France " et une étude sur " Saint Simon et les Saint-Simoniens ". Bien fraternellement à toutes et à tous. Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_029_17-01-2003.html |