Journal de notre bordLettre n°28 (le 19 décembre 2002)Bonjour à toutes et à tous C'est un véritable plaisir que de reprendre le clavier chaque mois pour nous adresser à vous, que nous ne connaissons pas pour la plupart. Que celles et ceux qui nous ont envoyé des messages si sympathiques sachent qu'ils nous donnent l'énergie de continuer cette modeste entreprise de partage que représente ce site. Ce plaisir de rédiger cette lettre ne nous fait pas oublier que la mort et la maladie rodent, que les mauvais coups et les déceptions frappent nos proches et nos amis. Sur la scène mondiale , les atrocités se poursuivent et de nouvelles guerres approchent. Nous craignons tous de ne pas avoir encore la force collective de les empêcher. Nous savons cela. Presque trop. Au point parfois de ne plus bien voir les points d'appui qui redonnent espoir. Ce n'est donc pas l'approche des festivités de fin d'année qui nous amène à redire, après le cinéaste Franck Capra et le biologiste Stephen Jay Gould : " La vie est belle ! " Malgré tout, à notre avis, " la vie est belle ! ". Il n'y a rien de plus tranquillement raisonnable (et donc de révolutionnaire) à dire que cela. _________________________________ CHAUFFARDS EMBÛCHES GROS LIVRES KAFKA LA RUE DES PIANISTES DANSONS LA GIGUE PIERRE IN SITU _________________________________ CHAUFFARDS Fini de rigoler. Il faut prendre des mesures radicales pour assurer la sécurité de tout le monde. S'il y a autant de morts sur les routes, c'est parce que les gens sont stressés par des horaires de travail trop longs, par l'énervement d'un contexte compétitif à outrance qui pousse certains à boire ou à exprimer leur rage en appuyant sur l'accélérateur. Il faut donc développer les transports en commun. Il faut changer radicalement les conditions de travail. Il faut assurer la sécurité de l'emploi, d'un bon emploi bien rémunéré, pour tout le monde. Il faut supprimer cette cause de la peur du lendemain et de la peur d'être méprisé qui rendent certains féroces. La sécurité pour les humains exige donc de supprimer le permis de conduire l'économie et l'État à tous ces chauffards du patronat et du gouvernement qui licencient et privatisent à tour de bras, déglinguent les services publics avec une sauvagerie inadmissible, écrasent les plus faibles, les sans abri, les sans emploi, les sans papiers. Ce sont autant de comportements irresponsables destinés à lubrifier la machine à faire du fric, qui est une machine à détruire les rapports sociaux et de nombreuses existences. De plus, cette machine à faire des profits va finir par nous exploser à la figure comme l'exemple de l'Argentine nous le montre déjà avec éloquence. Il faut traiter le dossier de la sécurité sur le fond et dans tous ses aspects. Il ne serait pas très efficace de mettre les grands patrons licencieurs et les gouvernants en prison. Comme nous sommes plus civilisés que ces gens-là, nous ferons mieux que de les coffrer dans ces lieux inhumains. Commençons par supprimer à tous ces chauffards au pouvoir leur permis de conduire l'État et leurs entreprises. Procédons à quelques socialisations bien ciblées de leurs capitaux. Ensuite on commencera déjà à y voir plus clair et à mieux vivre. EMBÛCHES Comme vous avez peu de temps en ce moment, que vous êtes épuisé, que la grippe ou la gastro vous guette, vous seriez tout à fait pardonnable de ne pas continuer à lire cette lettre. Vous pouvez l'archiver tranquillement et vous la lirez plus tard. Ou jamais. Mais si votre option est de continuer à nous lire, nous nous devons de faire face ensemble à la situation pleine de bûches et d'embûches qui va durer une bonne dizaine de jours, dans ce pays où les nantis, leurs médias et leurs hypermarchés donnent le ton. Dans un tel pays, le principal sport d'hiver en milieu urbain consiste, en ce moment, à galoper en urgence dans la cohue pour tenter de n'oublier personne sur la liste des récipiendaires de cadeaux. Pas question non plus de ne pas commander à temps diverses victuailles dont on a promis de se charger. Reste enfin les deux missions les plus aléatoires : tenter de se glisser encore sur le planning surchargé d'un salon de coiffure, trouver un vêtement quelconque pas trop ridicule pour faire honneur à ses hôtes (aïe, aïe, aïe, d'ici mardi 24 ou mardi 31, ça va pas le faire tout cela. Mais tenterons-nous l'impossible pour être à la hauteur des circonstances ?). Prenons du recul ensemble. Supposons que la période des fêtes soit terminée. Admettons que notre coupe de cheveux ait été complètement ratée, que la bûche réceptionnée n'ait pas été celle que nous avions commandée, que nous ayons taché gravement nos nouveaux habits en préparant la cuisine, que nous ayons dépensé trop pour le cadeau de X, pas assez pour celui de Y et que nous ayons complètement oublié celui prévu pour Z. Nous n'y sommes pour rien : nous étions épuisés par ce trimestre, nous avions une gastro, nous étions nerveux (ou vener, pour ceux qui sont jeunes) à cause d'une foule de choses et de gens, notamment Chirac, Sarkozy, Luc Ferry et toute la bande (il faut bien qu'ils servent à quelque chose). À la réflexion, est-il bien nécessaire d'en faire tant pour respecter les us et coutumes de cette vieille contrée hexagonale ? Nous allons donc consacrer notre temps si précieux à faire vraiment la fête, sans trop dépenser, en portant une attention particulière à la qualité de nos échanges avec ceux que nous aimons, à base d'idées, de sentiments, de rires, de musique, de danse, etc. GROS LIVRES Les journaux ayant suffisamment conseillé à tout le monde de " beaux livres " (donc très chers), nous conseillons la lecture de trois gros livres plein de pages et sans images : " Les Guerres balkaniques 1912-1913 " de Lev Trotsky qui était un formidable écrivain (éditions Science Marxiste, 529 pages) ; " La Légende d'Ulenspiegel " de Charles De Coster (1827-1879), un superbe classique de la littérature belge, ignoré depuis longtemps par les éditeurs français (éditions Labor, Bruxelles, 700 pages) ; enfin " Les Corrections " de Jonathan Franzen (éditions de l'Olivier, septembre 2002, 716 pages), un roman original et ravageur sur la moyenne bourgeoisie américaine d'aujourd'hui. KAFKA Le dernier numéro du Magazine littéraire consacre un dossier précieux à l'écrivain pragois, allemand, juif et universel, Franz Kafka. L'interview de Reiner Stach, qui a entrepris une monumentale biographie de Kafka, règle son compte à certaines spéculations sans fondement sur le psychisme de l'écrivain. Outre des textes de Claudio Magris, Ivan Klima, Vaclav Jamek et Roberto Calasso, il faut signaler les cinq pages de propos de Pierre Dumayet intitulées : " Pourquoi il faut lire Kafka ". Dumayet dit notamment : " Kafka a un côté rebelle. Il n'a pas envie d'aller là où quelqu'un d'autre voudrait qu'il aille. Et dans cette intransigeante indépendance, forcément, il y a quelque chose qui nous touche. Du moins, certains d'entre nous. " LA RUE DES PIANISTES Les musiciens qui sont soucieux de création et non de promotion n'accordent que rarement des interviews. On s'intéressera d'autant plus à celle de la pianiste Marfha Argerich recueillie par Olivier Bellamy dans le numéro de décembre du " Monde de Musique ". Ajoutez à cela ses réponses au questionnaire de Marcel Proust, une interview du pianiste Nelson Freire et un article sur les rencontres et échanges artistiques qui s'opèrent dans " la rue des pianistes " à Bruxelles, celle où habite Martha Argerich. Celles et ceux d'entre vous qui aiment le jeu passionné de Martha Argerich, souveraine aussi bien dans Chopin, Schumann, Tchaïkovski que dans Ravel ou Prokofiev, trouveront également d'utiles références sur ses enregistrements. DANSONS LA GIGUE Bonne nouvelle : le poète Verlaine ne tombera pas dans l'oubli. Léo Ferré s'était déjà occupé de son cas de la belle façon, en le chantant. Il avait aussi écrit une préface pleine de feu à ses " Poèmes saturniens " (Livre de Poche). Une femme originaire de Chicago vient d'adapter en chanson un court poème de Verlaine extrait des " Romances sans paroles ", qui a pour titre Dansons la gigue ! Elle s'appelle Patricia Barber, elle chante, elle joue du piano, elle compose (musique et paroles). Dansons la gigue ! se trouve sur son dernier album intitulé " Verse ". Elle a convoqué des musiciens en harmonie avec son lyrisme retenu, notamment le trompettiste Dave Douglas et le guitariste Neal Alger. Voilà une belle oeuvre sur tous les plans, au carrefour du jazz, de la pop et de la musique contemporaine. (site à consulter : http://www.patriciabarber.com/) PIERRE FOURGEAUD Pierre Fourgeaud est décédé le 15 décembre dernier. Il avait 56 ans. Nous l'avions connu en même temps que Maurice Rothnemer qui nous a quitté en septembre dernier. Avec Maurice, il s'était beaucoup dévoué pour permettre un bon fonctionnement des activités de la revue Carré rouge. Pierre avait tant de choses à nous dire sur ce que fut sa vie d'ouvrier d'usine puis de cheminot, sur sa passion de la mer, sa passion de la sculpture et tant d'autres sujets dont nous nous étions promis de parler avec lui et Christiane, sa femme. Pierre avait une sensibilité très vive et une grande attention aux autres. Nous éprouvons une grande tristesse. Nous la partageons tout particulièrement avec Christiane, avec ses proches et avec ses amis. IN SITU Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne une citation de l'écrivain Thomas Bernhard et nous avons établi un lien avec le site de nos amis de la librairie La Brèche. Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_028_19-12-2002.html |