Journal de notre bordLettre n°26 (le 28 octobre 2002)Bonjour à toutes et à tous, Ils sont intolérables, " les hommes d'État ". Ils s'attribuent à eux-mêmes la légitimité d'exercer la terreur sur qui ils veulent, selon les intérêts des privilégiés qui les ont mandatés. Ces gens-là vous gâchent la vie d'un nombre considérable de gens qui souhaiteraient vivre tranquillement, décemment, avec quelques bouffées de bonheur pour donner du relief à l'existence. Prenez Bush, ou Poutine, ou Sharon, ou Berlusconi, ou Sarkorzy, ou qui vous voudrez parmi les membres de cette sinistre corporation des " hommes d'État ". Écoutez ce qu'ils disent. Regardez ce qu'ils font. Observez ce qu'ils nous préparent. Difficile de ne pas ressentir comme une sensation d'étouffement mêlée de colère. Échappons un instant à cette impression désagréable en lisant quelques lignes écrites par un Américain : " J'accepte de tout coeur la devise suivante : " Le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins " et j'aimerais la voir suivie d'effet plus rapidement et plus systématiquement. Exécutée, elle se résume à ceci, que je crois aussi : " Le meilleur gouvernement est celui qui ne gouverne pas du tout " ; et quand les hommes y seront prêts, tel sera le genre de gouvernement qu'ils auront. " Inutile que le FBI ou Interpol s'agitent pour mettre la main au collet de ce dangereux agitateur. Il est trop tard. L'auteur, Henri David Thoreau, est mort en 1862. Ces lignes ouvraient en fanfare un essai publié en 1849, intitulé " Resistance to civil government " (" La désobéissance civile ", éditions mille et une nuits) où Thoreau se prononçait en outre pour la suppression de l'armée permanente. Il était contre l'esclavage et la guerre au Mexique. Ajoutez à cela que Thoreau avait une relation extraordinaire avec la nature comme en témoigne son livre " Walden ou La vie dans les bois " (éditions Aubier). Quand les générations futures seront prêtes à vivre sans gouvernement et sans violence, elles se souviendront de l'Américain Thoreau. Et elles auront complètement oublié Bush, Poutine et compagnie. _____________________________________ Expulsions C'est trop Cinéma Absurdités persistantes Fragilité Cosmopolitaine En Laponie avec Linné La vie des sciences Matisse et Picasso Un été à Newport Sur la toile In situ _____________________________________ EXPULSIONS L'actualité nous donne des exemples innombrables de la façon dont les être humains sont massivement expulsés de la vie, de leurs lieux de vie et de leurs lieux de travail. 150 000 licenciements supplémentaires sont prévus rien que pour la France. La grande machine mondiale à arracher du profit se grippe et s'emballe tout à la fois. Les milieux financiers ne savent plus comment cacher la tricherie des comptes des entreprises. Ils ne savent plus comment redonner crédibilité à un casino boursier en pleine décrépitude. Les appareils d'État se mettent en ordre de bataille pour frapper des peuples en Irak et ailleurs. Ils étranglent méthodiquement les quelques libertés pouvant exister ici ou là qui permettent de leur résister. Les télévisions diffusent la peur comme un gaz paralysant. Autant de signes que le capitalisme est en phase terminale. Une phase qui au rythme actuel des calamités durera quelques années mais certainement pas plus d'une ou deux décennies (?!?!). Nous nous débarrasserons collectivement du système du profit ou alors nous serons tous expulsés par lui ; non seulement de la vie active mais de la vie tout court. C'EST TROP En considérant le bilan de la gauche au gouvernement depuis les années Mitterrand et les années Jospin, d'aucuns s'étaient forgés une conviction : les partis de gauche ont fait faillite et ont été délaissés par le monde du travail parce qu'ils ont mené une politique en faveur des riches et des patrons. Eh bien, c'est terminé tout cela ! Le PS, le PC et les Verts viennent de signer un communiqué le 20 octobre dernier où ils affirment fièrement, à la face du gouvernement actuel : " Ce ne sont pas les pauvres qu'il faut combattre, c'est la pauvreté ". Quelle touchante sollicitude ils ont, soudain, pour les pauvres quand ces partis-là ne sont plus au gouvernement. Drôlement hypocrites ces gens-là, qui ont privatisé à tour de bras, se sont attaqués à tous les services publics, ont dit amen à tous les plans de licenciements, ont généralisé la flexibilité, ont assuré la carrière de gens comme Jean- Marie Messier, n'ont pas voulu relever les minima sociaux ni régulariser les sans-papiers... Quand on a un tel bilan à son actif, il ne faut pas compter sur les salariés et les chômeurs pour redorer son blason. Trop de mauvais coups, trop de trahisons. CINÉMA Que de bons films ces derniers temps : " Être et avoir ", " Intervention divine ", " Ten ", " Une part du ciel ", " Bowling for Columbine "... Dans ce dernier film, Michael Moore attaque le lobby industriel des armes à feu aux États- Unis et enquête sur les causes et les manifestations de la violence dans ce pays. Il le fait à sa façon, un peu brouillonne, vacharde, drôle, émouvante, sentimentale, faussement naïve et parfois réellement naïve. Un film percutant, à voir absolument pour réfléchir sur toutes les dimensions du sujet. ABSURDITÉS PERSISTANTES Christian Morel est à ses heures un sociologue qui s'est interrogé sur les raisonnements et les mécanismes collectifs qui conduisent à prendre des décisions absurdes, totalement contradictoires avec le but recherché. Son livre s'intitule " Les décisions absurdes, sociologie des erreurs radicales et persistantes " (éditions Gallimard). D'après le quotidien " Les Échos ", Christian Morel serait par ailleurs DRH (directeur des ressources humaines) de la division véhicules utilitaires de Renault. On suppose qu'il a dû observer concrètement la prise de décisions étranges dans le cadre des entreprises ! Un des intérêts du livre est de comparer systématiquement douze cas de décisions absurdes. Certaines ont eu des conséquences dramatiques (explosion de la navette Challenger, accidents d'avion ou collision de navires). D'autres ont eu des effets dérisoires et comiques (usage persistant de transparents illisibles dans les réunions, système de sécurité inopérant, adopté comme un seul homme par une assemblée de co-propriétaires). L'auteur tente d'établir une classification en faisant intervenir trois types d'acteurs, le manager censé décider, l'expert censé savoir et le candide qui s'en remet à l'autorité des précédents. Bien d'autres facteurs, notamment cognitifs, interviennent qui contribuent à faire disparaître le sens de l'action engagée ou de l'objectif recherché. Tout cela intéresse et tracasse les tenants de la société actuelle. C'est pourquoi " La Tribune " et " Les Échos " ont recommandé la lecture de ce livre. On les comprend car prendre des décisions " rationnelles " dans le cadre d'une économie chaotique est un défit qu'aucun livre de sociologie, le plus pénétrant qu'il soit, ne peut permettre de relever. Mais dans le camp adverse, celui des anti- capitalistes, on aurait aussi tout intérêt à lire le livre de Christian Morel pour éviter de prendre des décisions absurdes et pour garder collectivement le sens du but recherché : l'émancipation des travailleurs du monde entier. FRAGILITÉ En règle générale, nous répondons à la question " comment ça va ? " par " Bien " ou " Très bien ! ". " Et la santé ? " : " Excellente ! ". " Comment vois-tu l'avenir ? " : " Dans l'ensemble, pas trop mal. Je suis optimiste. " Bref, nous avons tous intérêt, que cela nous plaise ou non, que cela corresponde à notre état réel et à nos pensées effectives ou non, à nous montrer actifs, positifs, forts, en forme, optimistes et ainsi de suite. Sinon, c'est l'enlisement. Vous obligez votre interlocuteur à vous plaindre, à vous secouer ou à vous donner des conseils infaillibles. Dans tous les cas, c'est désagréable. Et ça ne change pas sensiblement votre situation. En pensant à cette obligation sociale d'avoir l'air toujours fort, coûte que coûte, c'est avec plaisir que nous avons entendu Isabelle Adjani lors de l'émission Campus de France 2. L'actrice a énoncé, d'une voix douce, un joli paradoxe : " Il faut beaucoup de force pour rester fragile ". COSMOPOLITAINE Parfois, le dimanche, à l'approche de 14 heures, l'ambiance est morne. On se demande bien ce qu'on pourrait faire. On a échappé à un repas de famille (trop long, trop chargé en calories). On a échappé à une réunion sérieuse (particulièrement languissante un dimanche après-midi car tout le monde aimerait mieux être ailleurs). Donc on a un dimanche libre. Pas question de le gâcher. On pourrait sortir pratiquer un sport ou faire une promenade mais le temps est trop mauvais. On pourrait éponger tout le travail qu'on a en retard mais le coeur n'y est pas (Que diable, c'est un dimanche libre !) Inutile de téléphoner à ses amis qui n'y sont pour personne ce jour-là, à cette heure-là. On estime avoir déjà vu les bons films actuellement en salle et on manque d'allant pour aller voir un blockbuster hollywoodien " très bien fait ", " avec des effets spéciaux incroyables ". [Nota Bene : un blockbuster est " un gros truc qui cartonne ". Dans le cas d'un film, ça frôle les deux heures trente ou les outrepasse sans scrupule. Au bout de 48h on a presque tout oublié de ce genre de films, contrairement aux répliques des " Tontons flingueurs " ou de " Certains l'aiment chaud " qui ne vous lâcheront plus jusqu'à la fin de votre vie] À présent il est 14h02 et l'on n'a pas assez d'énergie pour entamer un bon roman. Que faire ? Écouter la radio sur France Inter à partir de 14h05. L'émission de Paula Jacques et de ses collaboratrices commence. Elle s'appelle Cosmopolitaine parce que tous les métissages y sont à l'honneur. On y invite des écrivains et des habitants du monde entier. On y écoute des musiques de tous les continents. Les portraits, reportages, revues de presse et interviews sont de qualité. Au bout de deux heures d'émission, on en ressort requinqué et moins ignorant. Du coup on a envie de lire un bon roman étranger. Ou encore de profiter d'une éclaircie pour aller marcher dans ce grand jardin public où se trouve un ou deux arbres archaïques d'origine chinoise qu'on appelle Ginkyo biloba. Levez la tête : c'est en ce moment que leurs feuilles sont du plus beau jaune. Baissez la tête : de nombreuses sortes de sauge (ou salvia) sont actuellement en fleurs. EN LAPONIE AVEC LINNÉ Restons avec les arbres, les fleurs et les herbes. Le botaniste suédois Carl von Linné a mis au point la première classification scientifique des plantes. Pour cela il lui a fallu aller sur le terrain, prendre des notes et faire quelques croquis sur le motif. Son " Voyage en Laponie " effectué en 1732 à l'âge de vingt-cinq ans vient d'être réédité (éditions Minos La Différence). Le jeune Linné passe du coq (de bruyère) à la renoncule, sans transition. Son journal de voyage fourmille de notations sur les Lapons et d'énumérations de plantes en latin. Si on ne l'avait pas déjà, on finit par prendre goût au latin et à la botanique au contact de Linné. Ce grand esprit est mort la même année que Voltaire et Rousseau en 1778. LA VIE DES SCIENCES Procurez-vous le numéro 300 de " Pour la Science " d'octobre avant qu'il ne soit trop tard. C'est un numéro spécial qui fait le point sur les découvertes scientifiques depuis 25 ans (l'âge de cette revue). Tous les enseignants qui se sont mobilisés pour virer le ministre Claude Allègre seront contents de le retrouver dans un emploi qui lui convient mieux, un spécialiste des sciences de la Terre. On ne peut pas citer tout le monde mais sachez que André Brahic parle d'astrophysique, Pascal Picq et Jean Clottes de paléontologie, Hervé Le Guyader, Jean-Pierre Changeux et André Langaney de biologie et Ian Stewart de la pensée mathématique. Ce bilan des recherches scientifiques est impressionnant. Et ce n'est pas fini. Comme le disait le mathématicien David Hilbert il y a un siècle : " Nous devons savoir, nous saurons. " MATISSE-PICASSO L'espoir reste mince d'accéder à l'exposition Matisse- Picasso. À défaut, nous vous conseillons de voir le film vidéo passé déjà sur Arte qui est très réussi. Le dialogue entre ces deux géants de la peinture moderne fut en même temps une confrontation. Cela ne s'est pas terminé par un drame ou l'étouffement de l'un des deux artistes. Le défi entre eux fut permanent et constructif. Pour schématiser à outrance, Picasso fut constamment sidéré par la créativité de Matisse sur le plan des couleurs ; et Matisse interloqué par la créativité de Picasso sur le terrain des formes. UN JOUR D'ÉTÉ À NEWPORT La façon actuelle dont les concerts classiques ou de jazz sont tournés pour la télévision est en général très contestable. Les réalisateurs abusent du gros plan. On ne rate rien des poils de la main droite d'un pianiste ou de la sueur qui coule le long du nez d'un trompettiste. Grâce à certains zooms, on est à deux doigts de voir la luette des chanteurs d'opéra ou d'un chef d'orchestre comme Simon Rattle à la tête du Philharmonique de Berlin. Le procédé est très efficace pour détourner l'attention des téléspectateurs de la musique. Notre agacement nous conduit par contraste à vous recommander chaudement un DVD intitulé " Jazz On A Summer's Day " (Charly Films). Le réalisateur Bert Stern a filmé en 1958 des séquences du Newport Jazz Festival sur la côte ouest des États-Unis. Il ne disposait pas des meilleurs éclairages ni de toute une panoplie de caméras. Et pourtant voilà un film vivant, chaleureux et totalement respectueux des musiciens et du public qui y joue un rôle non négligeable. Les plans sur les bateaux à voile apporte un charme supplémentaire. Le DVD est accompagné d'un CD avec l'ensemble des prestations musicales de Jimmy Giuffre, Thelonious Monk, Anita O'Day, Dinah Washington, Chuck Berry, Louis Armstrong, Mahalia Jackson, etc. SUR LA TOILE L'adresse électronique de la revue Inprecor vient de changer : inprecor@wanadoo.fr. Pour s'abonner à cette revue d'information et d'analyse publiée sous la responsabilité du Secrétariat unifiée de la IVe Internationale, vous pouvez aller au site : http://www.inprecor.org/ Pour celles et ceux qui lisent l'anglais et s'intéressent aux luttes des salariés aux États-Unis, nous conseillons de consulter le site du mouvement Jobs With Justice : http://www.jwj.org/ IN SITU Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne dans la rubrique En question un article qui aborde certains aspects de la lutte des classes aux États-Unis : http://culture.revolution.free.fr/en_question/ Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_026_28-10-2002.html |