Journal de notre bordLettre n°24 (le 21 août 2002)Bonsoir à toutes et à tous, Qu'est-ce qu'un événement majeur ? Tout dépend pour qui et à quelle échelle de temps on se place. Si on se place du point de vue de l'histoire du genre humain (passé, présent et futur), il est bien possible que les deux événements importants de l'été auront été la présentation d'un fossile d'hominidé vieux de six à sept millions d'années trouvé au Tchad il y a un an et la découverte par des biologistes qu'un gène peut être mis en sommeil. En dépit des inondations, des massacres et des infamies de toutes sortes que nous avons pu voir à la télévision, ce fut un bel été pour l'humanité. Nous allons mieux comprendre notre lointain passé grâce à la découverte de notre ancêtre tchadien Toumaï et nous allons peut-être voir des maladies infectieuses telles que le sida, les hépatites et certains cancers soignés grâce à la découverte du mécanisme " d'interférence de l'ARN ". Car il permettra de " désactiver " des gènes pathologiques. Le début de cette recherche a commencé en 1990. Le biologiste Richard Jorgensen étudiait le génome du pétunia et il a mis en évidence le mécanisme permettant de bloquer sa coloration. Un jour nous regarderons les pétunias avec une tendresse particulière. _____________________________________________ Complètement malade Continuité dans l'aggravation Rééditions Les maths sans cauchemars Langage et logique Rauschenberg Étourdissant Pluie salée In situ _____________________________________________ COMPLÈTEMENT MALADE La scène boursière est bien remuante depuis deux mois. Le festival " in " et " off " d'Avignon a fait pâle figure à côté des péripéties que nous ont réservées les grands acteurs de la scène financière et industrielle. Le 31 mai dernier " La tribune " pouvait encore ironiser en titrant : " Messier un peu moins " maître du monde "". A l'ironie a succédé " l'enronisation " de Vivendi. Ce qui a fait beaucoup moins rire les actionnaires et les banquiers que le seul discrédit de J-M6. Les actions des télécoms ont dévissé mais aussi celles de Axa, Alcatel, etc. Tout ces creux et scandales boursiers vont se payer en plans de licenciements. Ils se payent déjà par l'effondrement dramatique de l'économie d'une grande partie de l'Amérique latine. L'absurdité du système capitaliste est éclatante et provoque des contorsions idéologiques étonnantes. La semaine dernière " Les Échos " se désespérait du comportement irrationnel des marchés à l'égard de l'action Vivendi. Pourquoi diable sont- ils irrationnels, ces marchés qui mènent le monde ? Y-a-il un docteur sur les places boursières pour administrer un calmant aux marchés qui s'affolent ? Il semble que non. " Le Monde " avait titré le 19 juillet " Pourquoi le capitalisme est malade ". La réponse est dans la question ; parce que c'est le capitalisme, un système fondé sur la recherche du profit maximum, immédiat si possible, au comportement largement imprévisible et totalement incontrôlable. Mais les " experts " convoqués par " Le Monde " ne voyaient pas les choses ainsi. Ils proposaient chacun leur thérapie. Cela allait de l'homéopathie étatique au remède cheval ultralibéral. Les discours sur la lutte contre les " péchés " du capitalisme selon l'expression de " The Economist " ou sur la transparence, l'établissement de relations de confiance et de loyauté dans le monde des affaires sont assez plaisants. Car les ressorts qui accompagnent la recherche du profit sont nécessairement le secret, la méfiance et la déloyauté, que ce soit à l'égard des concurrents, des partenaires et a fortiori des salariés. Ceux qui s'inquiètent de la santé du capitalisme attendent une reprise de " la confiance " des investisseurs, des patrons et des " ménages ". Nous plaçons toute notre confiance dans la reprise de la lutte de classe. Elle permettra un traitement de choc indispensable pour se débarrasser de ce système inhumain. CONTINUITÉ DANS L'AGGRAVATION Ce dont Alain Juppé rêvait, Lionel Jospin et ses ministres l'ont fait pendant cinq ans. Entre autres mesures : fournir des aides encore plus conséquentes au patronat, privatiser à outrance et donner un cadre législatif permettant d'instaurer la flexibilité de la main d'oeuvre (lois Aubry). L'arsenal répressif dont Chevènement, ministre de l'Intérieur rêvait, Sarkozy est en train de le mettre en place. Francis Mer poursuit l'oeuvre de Fabius tandis que Luc Ferry se place dans le sillage d'Allegre et de Lang. Bref c'est toujours la continuité entre la gauche et la droite. Mais dans l'aggravation. Chaque changement de gouvernement s'accompagne de mesures de plus en plus musclées, agressives, contre les classes populaires. Les lois et mesures qui arrangent les intérêts des capitalistes prises par l'équipe précédente au gouvernement ou à l'assemblée sont évidemment maintenues par les suivantes. Toutes sortes de gens de mauvaise foi affirment que Jospin a échoué et commis des erreurs. Nous nous inscrivons en faux. Jospin a servi la bourgeoisie française avec un dévouement et un sérieux indiscutable. Il a même réussi avec ses collègues de la gauche plurielle à lui assurer, à quelques couacs près, une " paix sociale " propice aux bonnes affaires. Notre avis est qu'il a bien fait de pousser l'abnégation jusqu'à échouer lamentablement aux élections. Vous imaginez si le PS et ses satellites du PC et des Verts avaient continué à se discréditer encore pendant cinq ans au gouvernement ! L'échec aurait été si cuisant qu'ils n'auraient une chance de revenir au pouvoir que dans trente ans. En se sacrifiant, Jospin leur a laissé une petite chance de revenir dans dix ans pour servir la bourgeoisie. RÉÉDITIONS Le roman " Le docker noir " de l'écrivain sénégalais Sembène Ousmane vient d'être réédité aux éditions Présence Africaine. Il a paru pour la première fois en 1956. Sa lecture (comme celle des autres romans de cet auteur) s'impose pour comprendre de l'intérieur ce que signifie immigration et exploitation. Dans sa collection L'imaginaire, Gallimard réédite le roman de Frédéric Prokosch intitulé " Béatrice Cenci ". Le poète Shelley dans une pièce de théâtre et Stendhal dans une de ses " Chroniques italiennes " avaient déjà raconté la terrible histoire de cette jeune héroïne du 16e siècle qui assassina son père pour d'excellentes raisons. Le roman de Prokosch est à la hauteur de ses illustres prédécesseurs. LES MATHS SANS CAUCHEMARS Z'êtes nuls en maths et vous n'en êtes pas fier ? Ca peut s'arranger avec une bonne dose d'humour. David Berlinski, philosophe et mathématicien new-yorkais, professeur à Columbia, Stanford et Rutgers, propose une session de rattrapage à tous les cancres ou éléments faibles en mathématiques. Ceci dit pour les forts en maths, y compris un mathématicien comme Michel Demazure qui est président de la Cité des sciences et de l'industrie a bougrement aimé ce livre. Le livre de Berlinski " A Tour of the Calculus " s'intitule dans la traduction française " La vie rêvée des maths " (éditions Saint-Simon). Même si vous ne parvenez pas jusqu'au bout de son récit ou si tout n'est pas facile à comprendre de bout en bout, vous aurez de toute façon appris bien des choses et retiré la conviction que l'univers des maths a des charmes insoupçonnés. LANGAGE ET LOGIQUE Il existe une thèse qui considère que la philosophie n'est pas une doctrine mais une activité. Si cette thèse vous attire, nous vous conseillons de découvrir toute une branche de l'activité philosophique depuis un siècle qu'on appelle la philosophie analytique. Les éditions de L'Harmattan viennent de rééditer l'ouvrage de Jean-Gérard Rossi " La philosophie analytique ". Il ne comporte que 128 pages mais il faut bien se concentrer et avoir un crayon et une feuille sous la main. Au demeurant, l'exposé est très clair. Pourquoi philosophie analytique ? Parce qu'il s'agit d'analyser le langage pour apporter une solution à des problèmes. Pourquoi analyser l'instrument qu'est le langage dans toute sa complexité ? Jean-Gérard Rossi précise dans son introduction : " Pour les tenants de la philosophie analytique, il ne s'agit pas seulement de s'assurer du bon fonctionnement d'un instrument au stade préparatoire de la réflexion, ni même en cours d'élaboration de la réflexion ; il s'agit de faire de cet instrument le médium de toute appréhension du réel. " Depuis Frege, Russell ou Wittgenstein, les philosophes analytiques n'ont jamais été tous d'accord entre eux. Mais cependant pour tous, c'est du point de vue de la logique que le langage tient une place privilégiée . En termes très sommaires, cela peut être très utile dans la vie d'analyser une proposition pour savoir si elle est simple ou complexe, vraie, fausse ou vide de sens. On connaît le classique " Socrate est mortel ". Mais on peut aussi analyser avec profit (intellectuel et politique) des propositions telles que " François Hollande est socialiste " ou " L'actuel Premier ministre est un humaniste "... RAUSCHENBERG Rauschenberg est un peintre américain qui mérite le détour. Si vous passez par Paris, le détour n'est pas considérable. Le musée Maillol-fondation Dina Vierny (61 rue de Grenelle, Paris 7e) présente jusqu'au 14 octobre un ensemble de ses travaux récents (1995-2002). Robert Rauschenberg a 77 ans et il est en pleine forme artistique. En témoignent notamment ses 52 panneaux de la série " Synapsis Shuffle ". L'artiste a instauré une règle du jeu : il faut qu'ils soient combinés en douze ensembles variables par douze personnes différentes à l'occasion de chaque exposition. On aura compris que Rauschenberg aime jouer avec le hasard comme le faisait son ami, le musicien John Cage. Son iconographie foisonnante, faites souvent à partir de photos prises dans le monde entier, lui permet des télescopages d'images générant des effets poétiques, humoristiques ou critiques sur le monde actuel. Par la même occasion, il ne faut pas oublier de monter au dernier étage du musée pour admirer quelques dessins ou peintures de Poliakoff, Kandinsky, Matisse ou Picasso. ÉTOURDISSANT L'art de l'improvisation musicale a connu quelques fameux représentants au 18ème siècle, le plus grand étant Jean- Sébastien Bach. Attirons l'attention sur un autre fameux jazzman du clavier de cette époque, né comme Bach et Haendel en 1685, Domenico Scarlatti. Il y a toute une ribambelle de musiciens qui s'appellent Scarlatti mais les deux plus importants sont le père Alessandro et le fils Domenico. Ce dernier qui devait parfois s'ennuyer ferme à la cour d'Espagne où il passa les trente dernières années de sa vie, composa pour son élève, l'infante Maria Barbara, et sans doute pour se lancer des défis à lui-même, des sonates pour clavecin d'une diversité confondante. Soit un total respectable de 555 sonates. Elles ne comportent chacune qu'un mouvement mais quand même...Le regretté Scott Ross était parvenu à les enregistrer toutes, soit 34 CD d'une bonne heure chacun. Pierre Hantaï, claveciniste de son état et magnifique interprète de Bach, vient d'aborder à son tour les rivages du continent des " sonates " de Scarlatti dans un premier opus qui en comporte dix-huit (CD MIRARE). Les amateurs d'Art Tatum, Bud Powell, Beethoven, Liszt ou Ligeti sont prié de tendre l'oreille. Voici un disque ébouriffant, avec des variétés de registres et de nuances sidérantes. PLUIE SALÉE Susheela Raman est une chanteuse. Ses parents sont originaires d'Inde du sud. Elle maîtrise les diverses facettes du chant classique indien. Elle vit à Londres quand elle n'est pas ailleurs. Il serait plus juste de dire qu'elle vit au monde car dans son album intitulée " Salt Rain " (CD NARADA WORLD) elle est entouré d'une pléiade de musiciens de diverses origines : Guinée Bissau, Cameroun, Kenya, Egypte, Inde, Roumanie, Grèce, France, Espagne, Amérique. Le résultat est harmonieux, séduisant, émouvant. Plusieurs morceaux sont des chants d'amour ou des appels à l'émancipation des femmes. IN SITU Depuis notre dernière lettre nous avons mis en ligne des points de vue sur " A contre-voie " d'Edward Saïd, " Putain d'usine " de Jean-Pierre Levaray et sur trois romans, " L'Écrivain " de Yasmina Khadra, " La jeune fille à la perle " de Tracy Chevalier et " Lucy " de Jamaica Kincaid. Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_024_21-08-2002.html |