Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°12 (5 septembre 2001)

Bonjour à toutes et à tous

Une curiosité grandissante dans les domaines les plus variés
se porte vers notre site. Un des buts que nous visions en le
créant il y a maintenant un an, était que chaque visiteur ne
s'en tienne pas à ses centres d'intérêt initiaux. Et ça
marche. Parmi nos découvertes du mois d'août, signalons la
parution d'un beau recueil de nouvelles de l'écrivain Ivo
Andric, intitulé " Titanic et autres contes juifs de Bosnie "
(éditions Le Serpent à Plumes).

Frédérick, qui apprécie notre site, est gêné par notre
emploi du vocabulaire marxiste dans la lettre et ailleurs.
Qu'y faire puisque nous sommes marxistes ? Par les temps qui
courent, se dire marxistes et par surcroît employer un
vocabulaire marxiste, c'est vraiment faire preuve d'une
forme d'originalité provocatrice...

Nous pensons employer les mots travailleurs, révolution ou
prolétariat à bon escient, quand cela s'impose, et non hors
de propos. Si notre site accorde une telle place aux
diverses formes d'art et en particulier à la littérature,
c'est parce qu'elles rendent beaucoup mieux compte de la
complexité humaine que tous les vocabulaires spécialisés des
sciences humaines ; et a fortiori que tous les jargons,
langues de bois, de carton ou de flanelle possibles et
imaginables ! Nous apprécions par dessus tout, une œuvre
qui, comme le disait le révolutionnaire Victor Serge, "
allume en vous la petite flamme bienfaisante d'un sentiment
profond. "
____________________________

 En chute libre
 Boomerang
 Uniformes
 Sur la piste du concret
 Une jeune chercheuse
 La nature humaine
 Biodiversité
 Tchao l'Artiste
 Passage du temps
 In situ
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EN CHUTE LIBRE
Alors, récession or not récession ? Pour l'hebdomadaire
britannique " The Economist ", la question est dépassée. Il
faut plutôt se demander ce qu'il faut faire en période de
récession et tout d'abord " se trouver un parachute ". 
Ça tombe bien, les gouvernements américain, allemand et
français qui ne veulent pas que les bourgeois s'écrasent sur
le bitume leur font de gros cadeaux fiscaux. Cela va
relancer leur pouvoir d'achat mais de là à relancer la
machine productive qui s'essouffle et les actions en Bourse
qui chutent, c'est une autre affaire. L'action France
Télécom a perdu un tiers de sa valeur au cours du dernier
mois. Qui a voulu cela ? Jospin ? Chirac ? Le P-DG de France
Télécom ? Alain Minc ? G. Bush ? Les Fonds de pension
américains ? Mais non, mais non. Tant que les actions de la
" Nouvelle Économie " (on est prié de ne pas rire)
grimpaient à des niveaux stratosphériques, tous ces gens-là
étaient très contents. Le renversement de tendance vient du
système lui-même et non d'une bande de traîtres à Wall
Street, à la City ou à la Bourse de Paris. La bulle
spéculative en Bourse n'était l'expression que d'un
surinvestissement dans le secteur. Le marché est saturé. Il
y a surproduction et à la clef des plans de licenciements
gigantesques pour sauver le maximum de part de profits. On
s'attend cependant à ce que les bénéfices des entreprises
américaines baissent de 10 % en 2001 et les entreprises
européennes de 3 à 4 %.

Les analystes financiers nous affirment que néanmoins le
système bancaire américain est très sain (bonne nouvelle),
et l'européen pas trop mal (à l'instant où ils le disent).
Pour autant il n'y a pas de quoi maîtriser les
contradictions du système si on passe de la récession à la
dépression en 2002. Ils admettent que le système bancaire
japonais est dans un état lamentable. Et comme tous les
marchés et toutes les économies nationales sont de plus en
plus interconnectées, c'est le monde entier qui est en
récession. Avec déjà des conséquences terribles pour la
population dans des pays comme la Turquie ou l'Argentine
dont les États sont de " bons élèves " du FMI.


BOOMERANG
Écœurement, colère, rage, tout cela commence à exploser
dans certaines entreprises comme Moulinex. Une ouvrière
licenciée a dit l'essentiel en une phrase bien sentie après
la prestation télévisée de Jospin, à savoir que " les
patrons et le gouvernement s'en foutent complètement de nous ".
On les met dans le même sac et n'en parlons plus pour
aujourd'hui.

Parlons plutôt de la riposte massive à préparer comme s'y
emploient entre autres les salariés et l'intersyndicale de
LU (Ris-Orangis). Elle sera difficile, avec des reculs et
des avancées. Le meilleur choix est d'accumuler de
l'expérience sur le terrain des luttes. Pour parvenir à une
meilleure compréhension de nos capacités collectives à
changer radicalement le rapport des forces.


UNIFORMES
La Sagem dans la banlieue de Rouen a attiré cet été
l'attention des médias en jouant un mauvais scénario, le 
" triangle des bermudas ". Elle a licencié sans préavis un
salarié qui portait un bermuda. Les juges ont débouté ce
salarié qui demandait évidemment à être réintégré
immédiatement. Mais la partie n'est pas jouée et ce salarié
dont on est pleinement solidaire a fait appel.

Le raisonnement actuel des juges est le suivant. S'il n'y a
pas discrimination sexiste ou raciale flagrante et avérée,
un patron peut licencier un salarié qui porte atteinte à 
" l'image de l'entreprise ". C'est à peu près aussi grave que
de porter atteinte au moral de l'armée (qui d'ailleurs est
un des clients de la Sagem).

A la caserne comme dans l'entreprise, tout le monde en
uniformes et silence dans les rangs ! Sinon, au trou ou à
l'ANPE ! Casernes ou entreprises capitalistes, ces
institutions méprisent les personnes et tentent de les
uniformiser.


SUR LA PISTE DU CONCRET
Il est bien connu que " les marchés " exercent leur
dictature, s'affolent, dépriment ou reprennent des couleurs.
" Les marchés ", on ne sait pas trop où ça crèche. On peut
en dire beaucoup de mal, ils restent impassibles et
impossibles à atteindre. " Les marchés " sont magiques, à la
fois abstraits et ayant quelques attributs d'êtres vivants.
C'est ce qu'on appelle des fétiches auxquels personne, ayant
les deux pieds dans la réalité sociale, n'est obligé de
croire.

Une enquête de quatre pages intitulée " Sur la piste des
nantis " a attiré notre attention. Elle contribue à jeter un
coup de projecteur sur une réalité ni abstraite ni
insaisissable : la haute bourgeoisie. Il est plaisant que ce
soit un journal qui n'affiche pas sa volonté de mener la
lutte de classe tambour battant qui publie cette enquête.
À savoir " Le Monde diplomatique " dans sa livraison de
septembre. Bien creusé vieille taupe. Dès le chapeau
d'introduction en première page, les auteurs qui sont
sociologues mettent les pieds dans le plat comme peu de
prétendus marxistes osent le faire aujourd'hui : " À l'heure
où l'on salue " la disparition des classes ", la bourgeoisie
se comporte comme un groupe uni qui assume ses alliances,
ses manières de vivre, l'éducation des futurs héritiers et
qui exprime ses intérêts collectifs et les gère, à travers
une sociabilité de tous les instants. Une classe consciente
d'elle-même qui défend ses privilèges et définit ses propres
frontières. ". Vient ensuite un tableau vivant et édifiant.
L'article aborde par exemple le rôle des rallyes organisés
dans la " haute " permettant aux futurs héritiers d'être
reçus avec déférence dans les ambassades, les musées et les
églises.

Dans la conclusion, il est dit ceci : " Sous la soupe
idéologique de l'individualisme triomphant, du marché et de
la concurrence, les grands bourgeois se concoctent leur
ultime privilège : le sens du collectif, le sens des
intérêts de classe. ". Imparable. Et c'est pourquoi les
travailleurs, tous statuts confondus, toutes générations
unies, doivent s'inspirer à leurs façon des grands bourgeois
pour mieux les combattre : renforcer par tous les moyens
leur sens du collectif et développer leur conscience de
classe.


UNE JEUNE CHERCHEUSE
Un livre d'une jeune chercheuse qui a obtenu son doctorat
d'économie à Zürich à l'âge de 26 ans vient d'être publié.
Dans la première moitié, elle analyse les tendances de
l'économie mondiale qu'elle appelle le capitalisme. Elle
développe son argumentation de façon méchamment polémique.
Ainsi page 66, elle raille cette conception du socialisme
" qui a pour fondement social les rapports entre riches et
pauvres, pour contenu le principe des coopératives, pour but
une " répartition plus juste " et pour légitimation
historique l'idée de justice. ". Elle en remet une couche
page 87 en s'en prenant à une conception du socialisme qui a
eu ses lettres de noblesse avant Marx, avec Weitling, mais
qui revient à notre époque, dit-elle, à " ânonner le
catéchisme anachronique de la bourgeoisie ". Elle s'en prend
donc à " un socialisme fondé sur des notions morales de
justice, la lutte contre le mode de répartition des
richesses plutôt que contre le mode de production ; une
conception des antagonismes de classes réduits à
l'antagonisme entre pauvres et riches ; la volonté de
greffer sur l'économie marxiste le système du " coopératisme "."

Ce livre intitulé " Réforme sociale ou révolution ? " a été
écrit en 1898 et il est suivi de " Grève de masse, parti et
syndicats " écrit en 1906. Quels rapports ont ces textes
avec nos problèmes en 2001 ? A chacun de creuser la
question. En tout cas ce livre vient d'être réédité aux
éditions La Découverte, en 2001, pour la somme de 16,01
euros. Retenez le nom de cette jeune chercheuse :
Rosa Luxemburg, révolutionnaire intransigeante.


LA NATURE HUMAINE
Dans le dernier numéro de la revue " Sciences Humaines " que
l'on trouve en kiosque, signalons un dossier sur " Darwin,
l'homme et la société " ainsi que deux entretiens
intéressants. Le généticien André Langaney parle de l'apport
de la génétique dans la compréhension de l'histoire des
populations. Le neurologue Antonio Damasio parle du rôle des
émotions comme source de la conscience. Cet entretien donne
envie d'en savoir plus en lisant ses livres, " L'Erreur de
Descartes. La raison des émotions " et " Le Sentiment même
de soi. Corps, émotions, conscience ", parus l'un et l'autre
chez Odile Jacob.


BIODIVERSITÉ
Comme dirait Flaubert dans son Dictionnaire des idées
reçues, au mot biodiversité : " prendre un air inquiet et
pénétré tout en affirmant qu'elle est menacée et qu'il faut
absolument la préserver. " Il y a vraiment de quoi se moquer
des discours sirupeux qui ne désignent pas clairement ce qui
menace la biodiversité. Car elle l'est, aucun doute là- dessus.
Raison de plus pour comprendre comment se structure
le monde vivant dans sa complexité extraordinaire. C'est ce
que viennent d'entreprendre Guillaume Lecointre et Hervé Le
Guyader dans un ouvrage savant au titre savant :
" Classification phylogénétique du vivant " (éditions Belin,
541 pages). Les idées sur la classification du monde vivant
ont beaucoup changé depuis 20 ans. Une tentative de
classification globale intégrant les résultats de la
génétique en particulier s'imposait. Ce livre suscitera
évidemment des controverses parmi les biologistes mais c'est
aussi comme cela que la science progresse.

L'ouvrage n'est pas facile mais il y a une introduction
développée et un glossaire pour nous familiariser avec la
méthode des auteurs et avec des termes comme clades, taxons,
phylogénie ou phénétique. C'est un livre vivant sur le
vivant. Les belles illustrations de Dominique Visset sont
très abondantes et d'une clarté remarquable.


TCHAO L'ARTISTE
Patience, encore 25 rediffusions de " La Soupe aux choux "
et 35 rediffusions du " Gendarme à Saint-Tropez " et la
télévision française aura peut-être l'audace de diffuser
pour la première fois " Avoir vingt ans dans les Aurès "
avec Philippe Léotard. En attendant, grâce à ses
enregistrements, nous avons plus facilement accès au
chanteur et diseur de mots qu'à l'acteur. Sur la pochette de
l'un de ses albums " à l'amour comme à la guerre " (CD
Saravah), il a une bonne bouille le petit Philippe, un air
malicieux et beaucoup de tendresse. Quand vous gardez cela
au-delà de l'enfance, c'est risqué : la vie est intense mais
parfois trop blessante et trop courte.


PASSAGE DU TEMPS
Sans tapage ni esbroufe, le saxophoniste de jazz Joshua
Redman construit une oeuvre d'une séduction inaltérée au fil
des ans. Son dernier album (le huitième) s'intitule
" Passage of Time " (CD Warner Bros). Il satisfera ceux qui
sont attachés au swing, à l'esprit du blues et à une
inventivité exempte de tout racolage. C'est le temps de la
pleine maturité pour Joshua Redman qui dialogue et se
confronte aux musiciens de son quartet en toute harmonie :
l'étincelant Aaron Goldberg au piano, Reuben Rogers à la
basse et Gregory Hutchinson à la batterie. Il y a là un beau
travail sur le son et sur le découpage rythmique ; et ce qui
ne gâche rien cette suite musicale ne comprend que des
thèmes originaux. Joshua Redman doit passer au " New Morning "
à Paris (10e) le 14 et le 15 novembre. (voir aussi le site :
http://www.joshuaredman.com)


IN SITU
Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne une
présentation du roman " Le caméléon " de Andreï Kourkov
dont certains d'entre vous ont déjà apprécié " Le Pingouin ",
et des traductions de poèmes de Langston Hughes (tirés du
recueil " The Weary Blues "). Pour en savoir plus sur ce poète
et sur la " Harlem Renaissance ", consultez les sites
suivants :
http://www.poets.org/
http://www.library.utoronto.ca/utel/rp/poems/hughes2.html
[ndlr du 02/08/2008 : utilisez plutôt http://rpo.library.utoronto.ca/poet/172.html]
et http://www.nku.edu/~diesmanj/

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder
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