Elle ne l'est pas plus aux USA qu'elle ne le
sera en France dans six mois après la probable victoire de
la candidate de Droite populiste.
Même en Pologne, une Droite bien plus dure n'a pas pu faire
passer son projet de loi sur l'avortement, a suscité des
mobilisations et surtout a suscité une nouvelle
génération d'hommes et de femmes attachés
à la défense des droits des femmes (et donc de
tous).
Même en Hongrie, Orban, bien plus dangereux que Trump et Le
Pen réunis n'a pas pu faire passer sa loi
anti-réfugiés malgré un consensus social
apparemment bien plus favorable.
Et aux USA déjà, on se mobilise contre Trump.
Car c'est l'extrême-droite traditionnelle qui a
gagné aux USA ? Non.
80 % des fondamentalistes religieux ont voté Trump mais il
n'a nullement fait sa campagne sur cette base.
Car ce sont les racistes qui ont gagné aux USA ? Non.
Les Américains racistes ont voté Trump. D'autres
électeurs de Trump ont voté pour lui
malgré ses propos racistes, dont beaucoup de
"Latinos" déçus par Obama. Mais oublie-t-on
déjà que c'est la même Amérique qui a
voté pour un président Noir en 2008 puis en
2012 ? Quand on sera capable d'imaginer la même chose dans
la France post coloniale on pourra parler du racisme
(réel) aux États-Unis, en n'oubliant pas que de
nombreux électeurs d'Obama (au Michigan par exemple
où on votait démocrate depuis 30 ans) ont
voté Trump cette fois-ci.
Alors bien sûr la victoire de Trump est un coup dur. Dans
les quatre années qui vont suivre, les fondamentalistes,
les racistes, les flics qui tirent sur les jeunes Noirs se
sentiront bien plus à l'aise. Dans les quatre
années qui vont suivre la vie sera plus rude pour les
femmes, pour toutes les minorités et pour les pauvres.
Sans parler des Palestiniens par exemple. Mais a-t-on
déjà oublié que le phénomène
en début de campagne aux USA, ce n'était pas Trump
mais l'émergence d'une candidature non seulement
ouvertement hostile au capitalisme, celle de Bernie Sanders, mais
même socialiste (et pas au sens de Hollande !) pour
la première fois depuis la fin du XIXème
siècle. Non seulement cette part de la
réalité états-unienne n'est pas morte mais
elle s'est manifestée - stricto sensu - dans les rues d'un
certain nombre de villes américaines : "Not my president
!". Et cette part de la réalité américaine,
solidaire, anticapitaliste le fera encore dans les années
à venir. Parce qu'elle n'a pas le choix. Succomber
à l'abattement est un luxe que ces Américains ne
peuvent pas se permettre, comme les femmes qui se sont
mobilisées en Pologne et comme probablement nous ne
pourrons pas nous le permettre au printemps prochain. Et la
meilleure façon de pas y succomber, dans un premier temps
est de comprendre ce qui s'est passé.
53% des électeurs qui gagnent moins de 30
000 $ ont voté démocrate. C'était 63% il y a
4 ans. Est-ce à dire que les « classes
populaires » ont voté Trump ? Oui et non.
Devant une télévision française un
électeur américain parlait de lui comme appartenant
à la « working class » : en anglais la
classe ouvrière. Mais pour les
téléspectateurs français la traduction qui
en a été faite était « classe
moyenne ».
Ce qui est certain c'est que de nombreux électeurs ont
exprimé leur rejet du libéralisme : ils l'ont
formulé rigoureusement en ces termes-là
(journaux d'informations d'Arte et de France Culture). Pour les
media internationaux - et donc français - ces 8
dernières années, ce fut le visage avenant et
glamour du couple Obama. Pour de nombreux Américains ce
fut les 800 milliards versés pour sauver les banques alors
qu'Obama (un équivalent en France ? Plutôt Sarkozy
que Juppé, ne l'oublions pas) est resté sourd aux
revendications des syndicats - par exemple d'instaurer un salaire
minimum aux USA. Obama n'a pas plus sauvé les millions
d’Américains expulsés de leurs logements et
contraints de les vendre ou ceux qui cumulent deux ou trois
emplois pour tenter de s'en sortir. Le fameux Obama Care ? Sur
France Culture un Latino électeur de Trump racontait que
pour l'opération de sa femme, faute d'avoir
contracté une assurance privée, il a dû payer
une lourde amende après avoir eu recours au dit Obama
Care. Ces électeurs, dégoûtés par
l'équivalent des politiques mises en œuvre ici par
les Strauss-Kahn, Hollande, Vallaud-Belkacem ont
été encore moins prompts à redonner leurs
voix à une candidate millionnaire et directement
liée à la fameuse banque d'affaires Goldman Sachs
responsable directe de leur expropriation. Alors ils ont
voté pour un milliardaire machiste, raciste et homophobe.
Oui. Comme ce sera très probablement le cas en France dans
6 mois. C'est navrant ? Oui. C'est grave. Oui. C'est la fin des
haricots ? Oui si on se laisse aller à la
sidération.
35% (un emploi sur 3 !) ont été supprimés
dans l'industrie américaine depuis 30 ans (comme en
France). Des millions de travailleurs ont été
installés de façon durable dans la pauvreté
sociale, culturelle, humaine. « Inemployables »,
« inadaptables ». Ce n'est pas que les fameuses
« élites » - dont Obama comme Clinton font
partie - les haïssent. C'est pire : ils les ignorent. Ces
« sans-dents » qui ont perdu les repères que
leur fournissait une vie sociale et collective : dans les
syndicats notamment qui syndiquaient 35% des salariés aux
USA, contre 10% aujourd'hui (8% en France...).
Oui il est grave que les « damnés
de la terre » et même ceux qui vivent un peu mieux
qu'eux élisent un ennemi de classe charriant une boue
démagogique.
Parce qu'il prétend leur rendre leur dignité.
Parce qu'il prétend s'en prendre à ceux qui les
écrasent et les méprisent depuis des
décennies.
Et surtout parce qu'il prétend s'en prendre à ceux
dont il dit qu'ils ont un emploi, un logement et pas eux car leur
origine leur donnerait une priorité. Le principal danger
est ici.
Le poison pour l'avenir ce sont les prétendues
idées « antisystème » qu'elles
émergent d'un Trump, d'une Le Pen ou de qui que ce soit
d'autre.
L'antisystème est à la maladie sociale ce que le
charlatan est à la médecine. Car feindre
d'être anti-tout, c'est ne rien affirmer de ce que l'on
est. Bernie Sanders lui s'affirmait anticapitaliste et socialiste
: cela fixe un cap et un camp. On sait contre qui on se bat, on
sait avec qui on se bat. On se bat contre ceux qui
détiennent les banques, les compagnies d'assurance, les
usines, qu'ils soient noirs, jaunes, blancs, Américains ou
Français : les bourgeois capitalistes. Et on se bat pour
un avenir meilleur avec tous ceux qui partagent notre condition :
Noir, Latino, Arabe, Juif, homme, femme, homosexuel(le), etc.
Une évidence ? Qu'il faut sans cesse rappeler tant sont
nombreux ceux qui spéculent sur les
préjugés, les jalousies, la haine ou la peur
vis-à-vis de celui ou celle qui dans la file d'attente est
juste après nous ou devant nous et qui pourrait NOUS
prendre, notre tour, notre emploi, notre logement. Les fameux
« antisystèmes » qui sévissent ici et
là-bas spéculent sur ces sentiments qui
prospèrent sur le fumier de toutes les misères, du
Michigan comme du Nord-Pas de Calais.
Les Américains qui l'ont compris ne sont pas abattus et se
manifestent déjà dans les rues des grandes villes
des États-Unis. Les élites états-uniennes,
c'est-à-dire la bour-geoi-sie (oui il faut appeler
les choses par leur nom !) l'a très bien compris elle
aussi qui par ses représentants, Clinton, Obama et Trump a
appelé à l'apaisement dès le 9
novembre !
Car ces gens-là ont peur. De nous. Nous
aux USA, nous en France. Car ils savent que même en partie
divisés, même abusés, nous sommes la force
qui pourrait en quelques semaines les faire
« dégager » comme la « rue
arabe » a fait dégager nombre de ses dirigeants
politiques à la surprise générale fin 2010
début 2011.
De plus en plus d'observateurs comparent les années que
nous vivons aux années 30. Il manque 3 ingrédients
essentiels pour que la comparaison soit pertinente.
D'une part dans les années 30 les ouvriers dans le monde
entier étaient soudés dans des mouvements ouvriers
forts de par leur nombre et de par un certain nombre de
convictions : une vision claire des camps en présence : il
y avait eux (la bourgeoisie détentrice du capital
quelle que soit sa couleur ou sa nationalité) et
nous, les travailleurs qui partageons les mêmes
intérêts quelle que soient nos convictions et
origines. Cela dit ce mouvement ouvrier souffrait d'une faiblesse
majeure : la confiance que lui inspiraient les Hollande ou Obama
de l'époque et surtout l'URSS comme horizon et espoir,
2ème ingrédient.
Mais l'ingrédient essentiel et qui manque, fort
heureusement, c'est la crise économique de 1929. Celle qui
a condamné des millions d'ouvriers dans le monde entier
à l'extrême misère mais surtout qui a
ruiné une partie de la bourgeoisie capitaliste
essentiellement en Allemagne et qui n'a vu de recours possible
que de briser les reins du mouvement ouvrier en confiant son
destin au parti nazi allemand. La bourgeoisie capitaliste dans
les pays où elle est le plus fragile (Turquie, Russie,
Chine) n'en est pas - encore - là aujourd'hui même
si l'autoritarisme et l'option vers les droites populistes
progressent.
Le camp humaniste, le camp des sans-grades et de tous les autres
camps est visiblement affaibli mais très loin d'être
défait.
Lui reste à savoir contre quoi il se bat, troquer les
démagogies pseudo « antisystèmes » de
tous les bateleurs de foire contre une opposition claire :
l'anticapitalisme d'un Bernie Sanders plutôt que les
poisons de haine d'un Trump ou d'une Le Pen.
Et surtout passer de « l'anti » au
« pro » : définir des objectifs positifs
clairs pour l'humanité et pour la planète.
Les débats sont ouverts.
Laurent Cavelier
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