Nous avons essayé, au travers de cet article, de rédiger un dossier
le plus complet et explicatif possible, d'où notre utilisation de nombreux sigles qui
désignent les diverses organisations qui ont été nos sites de
références.
Lorsqu'on se penche sur la situation du cinéma en France, on se trouve confronté
à deux constats : 2009 aurait été une année record avec plus de 200
millions d'entrées, certains films engrangeant des recettes faramineuses (c'est en 2010
déjà le cas pour le très médiatisé « Avatar »).
Mais, par ailleurs, le cinéma qui bénéficie de l'appellation « Art et
Essai » (50 millions de spectateurs, soit un quart des entrées) se retrouve de plus en
plus dans la situation de parent pauvre et voit son existence menacée par la fermeture d'un
grand nombre de ses salles. Qu'est-il donc arrivé au septième Art ? Lui qui,
dès son origine jusqu'aux années d'après guerre, a été un art
très populaire, n'a pas échappé aux lois du Marché érigé
en principe suprême et fonctionne maintenant à deux vitesses, avec deux publics : un
cinéma dit commercial, dont l'exploitation est aux mains de grands groupes financiers qui
attire les foules et les bénéfices, et un cinéma qui se voit encore et avant
tout comme un Art mais qui se trouve aussi catalogué, il ne faut pas se le cacher, comme un
cinéma « d'intellos ».
Les multiplexes poussent comme des champignons, avec à leur tête les
UGC et les Pathé-Gaumont (réunis dans EuroPalaces). Point n'est besoin d'en dresser
une liste, ils font désormais partie du paysage urbain, comme toutes les autres «
grandes surfaces », les Carrefour, Ikéa, Castorama et cie…boîtes à
vendre, lieux de consommation : ici on vend produits alimentaires et ménagers, là des
meubles, là des spectacles. Nous sommes dans la même logique : il faut que ça
rapporte. Même les plus irréductibles pourfendeurs du « Système »
finissent un jour par y mettre les pieds : parce qu'on échappe à la galère de
la recherche de la place où se garer (les parkings sont immenses), parce que les salles sont
confortables et qu'on est sûr qu'on sera bien installé sans être
gêné par la tête devant soi, parce que c'est aussi l'occasion de voir quelques
bons films sur écrans géants. Décor moderne, bornes à cartes pour
retirer ses billets, tapis rouges qui nous conduisent à une enfilade de salles, clinquant
publicitaire, c'est partout pareil. Les nouveaux cinémas nous accueillent dans le même
uniforme.
Les cinémas de quartier, les cinémas Art et Essai avaient quant à eux une
certaine personnalité acquise au fil de plusieurs décennies et pour beaucoup un
charme un peu rétro. Ils disparaissent les uns après les autres. Combien reste-t-il
aujourd'hui de ces petits cinémas qui portaient toutes sortes de noms, Rex, Omnia, Coucou,
Eden…? « C'était la dernière séance » disait
déjà il y a plusieurs années Eddy Mitchell dans sa chanson.
Quant aux salles Art et Essai , malgré leur label qui sous-entend une certaine
qualité, elles voient leurs existences de plus en plus compromises. Dans un article
publié le 28 juin 2008 le quotidien Le Monde signalait que de nombreuse petites villes de
moins de 20 000 habitants risquaient de se voir privées de films Art et Essai. Le mal s'est
révélé plus profond puisque ce sont aussi les moyennes et grandes villes qui
en sont victimes. Faisons un rapide, et sans doute incomplet, tour d'horizon :
Presque toujours les fermetures des salles ont un caractère brutal et
provoquent l'inquiétude, l'indignation et la colère de leur personnel et de leurs
habitués qui se regroupent en associations, proposent des pétitions, interpellent
désespérément leurs élus et le ministère de la culture. Mais ce
qui rend leur combat d'autant plus difficile, c'est qu'ils ne se trouvent pas confrontés
à une situation particulière mais bel et bien à une politique d'ensemble.
Quelles raisons leur donne-t-on ?
Si la nécessité d'améliorer la sécurité et le
confort de salles parfois vétustes est difficilement contestable, les déclarations
d'intention des municipalités et autres collectivités locales de maintenir
l'activité art et essai dans leur ville ou région ne suppriment pas les
inquiétudes. (Brest a promis la réouverture du Mac Orlan en 2011, Rouen a pour projet
la reprise de l'ancien Gaumont de centre ville, Le Havre a mis à l'étude un projet de
pôle art et Essai). Elles les suppriment d'autant moins lorsque, comme à Rouen, le
prétexte de la mauvaise gestion est subrepticement invoqué dénigrant ainsi le
travail d'un professionnel qui a su gagner depuis de longues années la confiance de son
public pour le mettre « en concurrence » avec des salles qu'un véritable projet
culturel aurait consacré à d'autres formes de spectacles.
Prenons donc la distance vis-à-vis des discours de principe sur la volonté de
maintenir une offre culturelle de qualité, qu'ils proviennent de « gauche » ou
de « droite », pour nous pencher sur causes profondes de ce qui met en danger «
l'Art et Essai » en en réduisant l'offre comme peau de chagrin .
Rappelons d'abord que le cinéma, de la production à la projection en
salles, reste une activité commerciale au sein d'une économie de marché,
encadrée par le CNC (centre national de la cinématographie) qui gère le fonds
de soutien. Ce fonds de soutien est alimenté par les taxes prélevées sur
chaque billet vendu, sur la vidéo, et fonctionne donc sur le principe de la
solidarité. Parfois salles municipales comme à Brest ou à Montreuil avec le
Mélies, les cinémas indépendants rentrent en général dans le
cadre de la petite entreprise privée mais dont l'objectif, c'est là où le
bât blesse, n'est pas la rentabilité et le profit avant tout chose. On désigne
par l'expression « cinéma indépendant » à la fois un cinéma
produit hors des grands studios, sans gros budgets, ils ont leurs propres festivals comme celui de
Sundance créé par Robert Redford ; et les salles dont l'exploitant choisit
lui-même les films qu'il projette. Ces salles n'ont pas automatiquement le label art et
essai, nous y reviendrons.
Pour les grosses chaînes que nous avons déjà citées le cinéma est devenu avant tout une affaire commerciale, elles raisonnent donc en terme de management, de chiffres d'affaires, de bénéfices, et de stratégie… comme à la guerre ! Tous les moyens leur sont bons pour se mettre en situation de monopoles, mais le combat est inégal entre les grandes salles dites généralistes et les petites salles art et essai.
Les UGC puis les Pathé ont mis en circulation des cartes qui, moyennant une
somme forfaitaire annuelle (environ 180 euros) permettent de se rendre autant de fois qu'on le
souhaite au cinéma. Des exploitants indépendants ont saisi le conseil de la
concurrence considérant que les prix des cartes étaient abusivement bas et que seules
les grandes chaînes adossées à de puissants groupes financiers pouvaient se
permettre de vendre à perte, mais ils ont été déboutés. On leur
a rétorqué que rien ne les empêchait de mettre en place le même
système et que tant que le prix de la place dépassait les 3,05 euros il n'y avait pas
de concurrence déloyale (ils se sont basés sur une étude qui montre qu'un
spectateur « à cartes » allait en moyenne 46 fois par an au cinéma, sa
place revient donc à environ 4 euros). Ce système, vu comme un moyen de payer moins
cher, a entraîné une baisse de fréquentation désastreuse des petits
cinémas. Certains d'entre eux ont tenté de s'adapter aux cartes mais ils ne
récoltent que des miettes. Les grands circuits ont su en jouer pour diviser les rangs.
La mise en place des cartes illimitées a un autre effet pervers, elle crée un
système particulièrement opaque car il supprime le lien direct entre ce que paie le
spectateur et la remontée des recettes ; même si on ne va pas au cinéma,
l'argent qu'on aura versé ira directement dans la poche des grands circuits qui ainsi
peuvent réaliser plus de la moitié des recettes alors qu'ils représentent
moins de 10% des établissements de cinéma.
Les multiplexes, pour remplir leurs nombreuses salles, n'ont pas eu d'autres choix
que de jouer le jeu de l'offre et de la diversité. Ils se sont donc mis à programmer
des films estampillés Art et Essai, en choisissant ceux porteurs en termes d'entrées,
qui ont leur public et des réalisateurs connus : les Woody Allen, les Ken Loach…
Ce qui a mis les distributeurs en position d'arbitre : comment ne pas décevoir les
cinémas indépendants où leur film fera des entrées sans se mettre
à dos les grands circuits ? Se pose donc le problème des copies. Les distributeurs
indépendants n'ont pas les moyens de financer les copies pour les petites villes. C'est une
agence publique, l'ADRC, agence pour le développement régional du cinéma, qui
a donc la charge de les financer. Jusque là elle finançait près de 1800 copies
de 130 à 160 films, pour la plupart des longs métrages Art et Essai. Mais ses
ressources, qui proviennent du CNC, ont diminué de 28% en 8 ans. Aujourd'hui la
réduction de son budget la limite à 1600 copies. Sachant que chacune de ces copies
circule pendant une semaine dans huit salles de huit villes, 200 copies en moins c'est donc 1600
salles qui en sont privées.
L'espérance de vie d'un film dans les salles est de 2 semaines et demi en
moyenne. Les très grosses productions, avec plus de 900 copies, peuvent tenir 3 mois. Le
film documentaire, « le Cauchemar de Darwin », n'est sorti qu'avec 25 copies…
rendu donc ainsi inaccessible au plus grand nombre.
Or celles-ci ne cessent de diminuer. L'aide de l'Etat était pourtant
déjà fort modeste (5 millions d'euros en 2007) mais les services du Ministère
de la culture et de la communication et du CNC ont confirmé dès 2008 une forte baisse
des crédits déconcentrés disponibles en DRAC (directions régionales des
affaires culturelles). De son côté le Cnaca (collectif national de l'action
cinématographique et audiovisuelle) se plaint lui aussi d'une amputation de 18% des
crédits de l'Etat. Ce désengagement de l'Etat est dans la droite ligne des politiques
d'austérité et de diminution des dépenses publiques réclamées
par l'Union Européenne. La ministre, Christine Albanel, a beau multiplié les
déclarations rassurantes, c'est bien encore une fois « la culture qui trinque ».
La production de courts métrages, l'organisation de festivals sont mis en
difficultés. Ainsi que tous les projets d'éducation à l'image, pourtant si
importants pour faire des jeunes collégiens et lycéens des spectateurs avertis et
critiques. Ce sont aussi les emplois générés par ces diverses activités
qui sont menacés.
La réforme des collectivités locales en cours suscite bien des inquiétudes.
D'un côté on leur demande d'assumer certaines charges dont l'Etat s'est
désengagé, de l'autre on les prive de moyens financiers avec la suppression de la
taxe professionnelle (qui représentait la moitié de leurs recettes), et la diminution
des crédits alloués par l'Etat. Le gouvernement entend de plus retirer aux
départements et régions la clause de compétence générale qui
leur permettait jusque là d'agir, entre autres, sur le terrain culturel. L'alerte a
été lancée le 19 décembre dernier en Seine Saint Denis par le
président du conseil régional et 200 acteurs culturels du département. Le
SYNDEAC (syndicat national des entreprises artistiques et culturelles)s'y est associé.
Certains élus locaux ont déjà signalé aux divers responsables culturels
qu'ils allaient être contraints de diminuer de manière drastique leurs aides à
l'art et à la culture. Les exploitants des salles art et essai sont particulièrement
concernés. Sans subventions publiques, ils seront contraints de fermer leurs portes.
Pourtant à lire les divers journaux publiés par les régions et les
départements, on a souvent l'impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des
mondes, que l'art et la culture sont mis à l'honneur et favorisés par d'ambitieux
projets : n'est-ce pas là surtout un contrecoup de ce satané principe de concurrence
qui pousse à « vendre » le mieux possible sa région ?
La loi Lang de 1982 avait été une tentative pour réguler le
marché sauvage de l'activité cinématographique. La mise en place d'un
médiateur devait tenter de « moraliser » les relations commerciales entre
distributeurs et exploitants. Depuis, le marché a repris tous ses droits au nom de la sacro
sainte « concurrence libre et non faussée ». Les subventions publiques sont donc
considérées comme de la concurrence déloyale et certaines chaînes
n'hésitent plus à attaquer en justice les petites salles municipales ou les
cinémas privés indépendants lorsque ceux-ci se trouvent dans leur
périmètre. C'est ce qui est arrivé au Comoedia de Lyon, au Mélies de
Montreuil, au Jean Eustache (un cinéma associatif)à Pessac.
Une fois cependant, un petit cinéma Art et Essai l'a emporté ! L'El Dorado de Dijon
en décembre 2007, après une plainte déposée en 2003, a réussi
à faire condamner par le conseil de la concurrence, pour abus de position dominante, la
chaîne Ciné-Alpes (ou circuit Davoine, du nom de son dirigeant, un homme d'affaires
redoutable), 4ème circuit national de salles de cinéma, en situation de
quasi monopole dans les stations de ski des Alpes du Nord et qui menait une politique de chantage
à l'égard des distributeurs qui refusaient de lui accorder l'exclusivité de
leurs films. Pour une fois donc, la morale a été sauve, mais nous n'en avons
hélas pas d'autres exemples !>
Eh ! oui ! C'est ce qui est arrivé au réseau Utopia (un
réseau de cinémas Art et Essai dont nous parlerons plus loin) pour avoir fait une
présentation du film d'Elia Suleiman, « Le temps qu'il reste » dans laquelle il
était question, entre autres, des milices juives. Cela leur a valu un article de la part de
Yann Moix, dans la chronique du Figaro le 10 août 2009 , article d'une violence extrême
dans lequel avec hargne et mépris, le journaliste associe Utopia à des «
bobos ultra gauchisants », à des « alter bobos mondialistes utopistes
», qui « ne se déguisent plus en officiers allemands[…] mais
portent des sandalettes et se parfument au patchouli » et dont le public est
constitué de « babas cool cinéphiles et idiots ». L'association
culturelle juive des Alpilles qui avait accusé Utopia d'incitation à la
discrimination raciale vient d'être déboutée. Le procès d'Utopia contre
le Figaro et Yann Moix doit avoir lieu prochainement. A suivre donc (on peut se rendre sur le site
: www.cinemas-utopia.org/U-blog/avignon/)
Pour les grands circuits, aucune inquiétude, ils ont les moyens de
s'équiper ; il n'est pas sûr que ce sera le cas pour les plus petites salles.
« Après la prolifération des multiplexes et l'installation des cartes
illimitées, l'arrivée annoncée de la diffusion numérique peut se
révéler une étape de plus dans les processus de concentration et de
conquêtes de parts de marché »note le SCARE (Syndicat des Cinémas
d'Art de Répertoire et d'Essai). En effet si le numérique offre une meilleure
qualité d'image et un prix d'achat des copies moins élevé, les
matériels qui sont proposés aujourd'hui aux exploitants restent trop chers et ne
permettent pas de diffuser tout ce que le numérique peut offrir. C'est ce que regrettent
nombre d'exploitants pour qui « un matériel plus adapté aux petites salles
permettrait de surcroît un renouveau des salles de quartier et d'ainsi revitaliser le tissu
social. Internet et le numérique ont libéré partout dans le monde des
énergies créatrices extraordinaires. Il est essentiel de ne pas brider ces
énergies[…] »( voir sur le site du ISF, association des salles de
cinéma indépendantes)
À la lecture des différents critères, à la fois un peu
vagues et exigeants, on peut se dire que la catégorie Art et Essai n'est pas facile à
appréhender pour les spectateurs et qu'elle peut être vue comme une catégorie
fermée, un cinéma pour une élite, pour puristes, pour « intellos »
comme nous le disions en introduction, en opposition avec un cinéma populaire dit grand
public. Ce qui est bien dommage car l'Art et Essai est par définition une catégorie
très ouverte ! Elle fouille à la recherche de tout ce qui se crée partout dans
le monde, à la différence des cinémas généralistes qui donnent
largement la priorité, il est difficile de le nier, aux films français et
américains. C'est un cinéma en fait très curieux, qui donne sa chance aux
auteurs talentueux mais méconnus, qui relate des expériences diverses et donne une
vision du monde non formatée. L'image « d'intellos » qui pèse sur lui
joue hélas sans doute pour beaucoup comme un effet repoussoir : certains peuvent imaginer
qu'on ne va y voir que des films à thèse donc ennuyeux. Or, pas du tout : dans les
cinémas Art et Essai, on y pense souvent, certes, mais on s'y émeut et on y rit
très souvent aussi !
Autres manifestations de l'état d'esprit d'ouverture de ces cinémas, ce sont leurs
actions en direction des scolaires pour l'éducation à l'image, les rencontres avec
les réalisateurs, les débats organisés à la suite de certains films.
Mais peut-être cela a-t-il aussi un effet pervers en accentuant l'idée que certains se
font d'un cinéma trop didactique…
Il y a donc de toute évidence une mutation du public. 40% des gens ne vont
jamais au cinéma. Plusieurs raisons à cela : la concurrence de la télé
ou d'internet, le téléchargement, le DVD, le prix parfois prohibitif des places et
puis aussi un peu sans doute cette habitude très individualiste de rester chez soi. Les
goûts tendent à se formater, la culture étant devenue une industrie et une
« mise en condition » comme l'écrivain allemand Enzensberger l'analysait
déjà en 1962. (Dans « Culture ou mise en condition ? » Collection 10 18).
Les enseignants, qui jusque là étaient pourtant censés faire partie de la
catégorie des intellectuels, sont de moins en moins nombreux à fréquenter les
salles Art et Essai mais de plus en plus nombreux à se précipiter pour voir le film
nouveau qu'un matraquage publicitaire nous dit qu'il ne faut pas rater.
Le public Art et Essai n'échappe pas à la mutation. « Sur 15 films qui sortent,
en général seuls 2 vont marcher », nous dit un directeur de cinéma.
Pourtant ce public est réputé pour être averti, fidèle et assidu.
D'après une étude publiée par le SCARE, c'est un public plus féminin,
plus âgé, plus urbain, de catégorie sociale supérieure. Volontariste(il
faut s'organiser car les films passent en horaires limités et sur une plus courte
période), exigeant (il préfère la version originale et lit les
critiques)…et satisfait.
Alors que « l'accroc » aux multiplexes ne fera pas la démarche inverse, ou
très rarement, le cinéphile quant à lui ne dédaigne pas se rendre
à l'occasion dans les salles UGC et Pathé parce qu'on y passe aussi de « bons
» films et que ses goûts sont bien plus larges qu'on ne croit. Il consomme lui aussi du
DVD et de la vidéo mais reste disponible pour les débats collectifs et les
festivals.
C'est à l'association des salles indépendantes ISF
(indépendants, solidaires et fédérés) que nous devons cette mise en
garde, nous en citons un large extrait : « Nous sommes opposés à cette loi
car elle ne résoudra en rien les difficultés du secteur de la création, elle
tend à opposer les créateurs et leur public et semble totalement ignorante des
implications des mutations technologiques actuelles sur nos pratiques culturelles. Non contente
d'être inefficace, la loi Hadopi aura pour conséquence directe de
rémunérer non pas les artistes mais les différentes sociétés
offrant des services payants permettant de télécharger anonymement (les fournisseurs
d'accès...)[…] Dans un futur proche, les films sont amenés à être
acheminés dans nos salles par le biais des fournisseurs d'accès. Or si ceux-ci
deviennent fournisseurs de contenus, quelle liberté de programmation aura-t-on ? Si les
fournisseurs d'accès deviennent fournisseurs de contenus, le filtrage des réseaux
sera la prochaine étape, et ce sera la mort de la diversité culturelle. On veut nous
transformer en télévision câblée, au même titre qu'on veut
transformer Internet en un média comme un autre, c'est-à-dire contrôlable. Ne
nous y trompons pas, la loi Hadopi n'est là que pour maintenir les pouvoirs en place et
favoriser une concentration des médias encore plus grande ».
Elles peuvent prendre plusieurs formes. Nous avons déjà
évoqué les pétitions et les associations de défense des cinémas
menacés de fermeture. Il y a eu aussi constitution de groupes et sociétés
consacrés à l'Art et Essai, création d'associations pour le cinéma
indépendant. Nous tentons ci-dessous d'en dresser la liste sachant qu'elle est
peut-être incomplète…
Marin Karmitz en est à l'origine. Il a dans un premier temps
créé sa propre maison de production consacrée aux courts métrages puis,
des problèmes de diffusion se posant, il a décidé de devenir lui-même
exploitant. Sa société a d'abord pris le nom de la première salle ouverte dans
Paris, le 14 juillet-Bastille. Il s'est ensuite implanté dans des quartiers
défavorisés pour y mener une politique d'ouverture à la culture. Le groupe qui
a pris le nom de MK2 en 1998 s'est spécialisé dans les films type Art et Essai, films
d'auteurs, films étrangers et produit maintenant aussi des documentaires pour la
télévision. Avec 11 complexes cinématographiques, des restaurants, des
cafés, des librairies, des boutiques, il est devenu le troisième réseau sur la
région parisienne. Mais d'avoir accédé à la cour des grands n'a pas
été sans conséquences. Alors que Marin Karmitz s'était jusque là
toujours prononcé contre l'hégémonie des circuits et pour le pluralisme, la
stratégie de son groupe a évolué dans le sens d'un rapprochement avec les
autres grands circuits, par le biais d'accords parfois surprenants : avec les Europalaces, (accords
sur les cartes rompus par la suite) et en 2007 avec les UGC pour attaquer le Georges-Mélies
de Montreuil ! C'est vrai que lors de sa passation de pouvoir à son fils, Marin Karmitz ne
parlait déjà plus dans un interviewe donné au Monde le 4 octobre 2005 que de
« malentendus entre les soucis du marché et les soucis de la création
» !
Le réseau Utopia est un réseau français de cinémas
indépendants, membres fondateurs de l'association « Indépendants Solidaires
Fédérés ». Il est implanté à Avignon, Bordeaux,
Montpellier, Saint-Ouen l'Aumône et Pontoise, Toulouse et Tournefeuille et ses cinémas
sont dotés des trois labels Art et Essai. Ils se sont donnés pour objectifs non
seulement d'échapper à la règle du profit, avec un faible budget publicitaire
ils tentent de maintenir le prix de leurs places en dessous de 6 euros, mais aussi l'animation
culturelle de quartier et le lien social. Ils collaborent avec les scolaires mais aussi avec des
associations s'occupant d'autistes ou d'analphabètes. Avec « les
séances-bébés », ils permettent aux jeunes parents de venir avec leurs
nouveaux-nés : on baisse juste un peu le son !
La société d'exploitation cinématographique d'Art et Essai
possède 4 salles à Paris intra-muros, le Racine-Odéon, le Saint-Germain des
Prés, le Balzac, la Pagode regroupées dans le réseau de salles
indépendantes « Etoile cinémas » , le nom commun a été
créé dans l'objectif de développement et de pérennisation des salles
parisiennes . La société tente de se développer en périphérie et
en province (participation dans 5 cinémas). Elle contrôle aussi 2
sociétés de distribution et une société de production de
longs-métrages. Fondée par un ancien restaurateur devenu cinéphile, Jean
Henochsberg, elle est maintenant le 4ème groupe d'exploitants de salles dans la
capitale , après les UGC, Gaumont et MK2 et s'est vu confier le nouveau multiplexe de la
porte des Lilas. « Attention, ce ne sera pas une usine à pop-corn ! » a
prévenu son patriarche qui peut se targuer d'avoir fait découvrir aux Français
Kusturica et Almodovar ( cité par Le Parisien 24 septembre 2008). Espérons qu'il
tiendra bon …
C'est une association qui regroupe des salles de cinéma
indépendantes, les Utopia, Pandora, l'Alhambra, Diagonal et d'autres. « Elles se
situent dans une réponse alternative aux phénomènes de concentration et donc
de normalisation qui ne cessent de croître dans le domaine du cinéma comme ailleurs.
Elles ont en commun d'avoir une programmation exigeante et subjective, de refuser les produits
annexes et la pub, d'assurer la promotion de leur travail par des petits journaux
personnalisés où chaque salle présente ses actions, ses points de vue, ses
programmes.
Elles se proposent d'unir leurs forces, d'intensifier leur réflexion et leur concertation,
de se trouver des outils commun et de rechercher par tous les moyens à renforcer leurs
solidarités tout en suscitant de nouvelles vocations. Elles se donnent pour mot d'ordre
« Cultiver la différence »
La fédération des associations de spectateurs de cinéma, créée en 2004, a pour but « de défendre et de promouvoir un cinéma non-mercantile, favorisant la diversité culturelle et la personnalité des auteurs et créateurs » et « la lutte contre l'uniformisation de la pensée, la globalisation ». Soutenue par Bertrand Tavernier et Ken Loach elle organise la journée du cinéma indépendant pour « revendiquer un espace contre les grandes sociétés qui contrôlent, de la production à la diffusion, toute la chaîne cinématographique »
L'ARP (la société civile des auteurs réalisateurs producteurs), créé en 1987, exploite depuis une dizaine d'années le Cinéma des cinéastes à deux pas de la place Clichy. Cet ancien cabaret qui accueillait les artistes de la Butte « se veut une maison pour le cinéma d'auteur au sens large », « alliant diversité indépendance et qualité, avec une programmation ouvertement tournée vers l'Art et Essai européen et mondial, et le refus de tout sectarisme ».
Sur le site « brassicanigra.org », les auteurs de l'article : « Les cinémas en France : bref état de l'art » citent des expériences diverses, en particulier celles menées dans l'Angleterre des années 90 : « en plein boom des mouvements d'actions directes, le collectif Undercurrents a commencé à distribuer des caméras et à former des militants pour qu'ils/elles puissent filmer eux-elles-mêmes des blocages de route et occupations de forêt, des campagnes de longue haleine, des exposés pédagogiques et des expulsions spectaculaires. Diffusées à travers tout le pays, les compilations documentaires Undercurrents ont permis de dépasser le blackout médiatique et de faire émerger une voix autonome dans le monde des images, jusqu'à être courtisées par certaines chaînes télé comme la BBC. Depuis, le vidéoactivisme a explosé et a multiplié sa diffusion avec l'ère numérique et internet »
Le cinéma est depuis bien longtemps une entreprise commerciale avec ses
stars et ses paillettes, et ses fortunes colossales. La concurrence n'est pas nouvelle. Mais avec
le néo-libéralisme il a franchi un nouveau stade pour devenir une industrie qui doit
cibler son public, défendre ses parts de marché et la concentration en grandes
chaînes est un rouleau compresseur impitoyable qui étouffe la création. Non pas
qu'elle ne soit plus là, le nombre important de films réalisés chaque
année le montre, mais le goulet d'étranglement se fait au niveau de l'accès en
salle : avec la fermeture des salles Art et Essai c'est l'offre qui se réduit. On objectera
que c'est la demande qui s'est appauvrie. Mais à qui devons-nous ce formatage des
goûts, ce manque d'esprit critique et d'ouverture à la culture ? Certainement pas aux
exploitants des salles Art et Essai qui maintiennent, envers et contre tous, un espace public
indispensable pour ne pas sombrer dans la pensée unique, pour défendre le droit de
penser, de dire et de voir autrement, le droit à la réflexion comme au
divertissement. Pour maintenir aussi une vie de quartier, des espaces de rencontres, des moments de
vie collective. Il y a là un engagement quasiment « militant » qui
dépasse la simple exigence de gagner sa vie.
Il n'est pas toujours facile d'échapper aux clichés et aux oppositions simplistes.
Tous les films dits commerciaux ne sont pas nuls, toutes les séries télé ne
sont pas à jeter à la poubelle. Tous les spectateurs de l'Art et Essai ne sont pas
des intellos nostalgiques. On peut éprouver autant de plaisir à regarder un film
grand public, sur le grand écran de la grande chaîne, qu'à regarder un film
d'un auteur inconnu d'un tout petit pays sur le petit écran du petit cinéma !
Les cinémas Art et Essai ont moins de spectateurs et il n'y a parfois qu'une ou deux
personnes dans la salle. Oui, et alors ?! Cela arrive aussi dans les salles géantes des
Pathé ou UGC. A l'heure où toute activité est mesurée à l'aune
de la rentabilité, il va bien-sûr sembler utopique de dire qu'il faudrait
considérer certaines salles de cinéma comme quasi publiques et donc
subventionnées comme il se doit par la collectivité. Comment donc préserver
autrement « la diversité culturelle » ?
Une salle de cinéma qui disparaît, c'est des voix qu'on étouffe, c'est des yeux
que l'on ferme…
Le 19 février 2010
Nadine Floury
URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/en_question/2010-02-22-Cinema_art_et_essai.html