La question des transports est sans aucun doute une question clé actuellement car à la confluence de plusieurs sujets qui nous préoccupent. Elle nous amène à nous interroger à la fois sur les contraintes imposées par le système capitaliste mondialisé et sa recherche du profit avant toute chose mais aussi sur cette urgence écologique dont nous entendons tant parler en ce moment à la veille du sommet de Copenhague sans que nous voyions poindre à l'horizon les vraies solutions et pour cause : cette crise écologique majeure est générée par le système capitaliste lui-même. Les politiques de transport sont aussi corrélées à l'aménagement du territoire, à l'urbanisme; bref, elles concernent à la fois notre vie quotidienne (qui ne s'est pas senti un jour étouffé entre deux files de camions ou malmené dans les transports en commun aux heures de pointe, qui n'a pas senti ses nerfs craquer au bout de plusieurs heures d'embouteillages ?) et les grands « problèmes de société ». Le fret ferroviaire, c'est-à-dire le transport des marchandises par trains, est de façon très consensuelle présenté comme une des solutions à privilégier pour lutter contre le réchauffement climatique.
Le récent rapport du Programme des Nations Unies pour l'Environnement
confirme les pires craintes des scientifiques: les glaces signalent un réchauffement
d'intensité inattendue, l'Arctique pourrait être dépourvu de banquise vers 2030
au lieu de 2100 prévu, la hausse du niveau des mers pourrait atteindre les deux
mètres en 2100… C'est dire qu'il y a urgence à réduire fortement les
émissions des gaz à effet de serre qui croissent comme jamais (3,5 % par an).
Or les activités de transports sont parmi les plus contributrices aux émissions de
gaz à effet de serre. La Mission interministérielle de l'effet de serre nous a
livré des chiffres sans appel. En France, c'est le secteur des transports qui a
été le premier responsable en 2007 des émissions de gaz à effets de
serre (26,6 %), bien devant l'industrie manufacturière (20,2 %), l'agriculture (19,7 %), le
résidentiel tertiaire (17,7 %), l'industrie de l'énergie (13,8 %) et le traitement
des déchets (1,9 %).
Comment s'en étonner ? Les politiques de transport conditionnent et organisent la
façon dont les détenteurs du capital vont pouvoir réaliser la plus-value
tirée de l'exploitation de travailleurs mis en concurrence au niveau mondial en
réduisant au maximum les coûts salariaux. Tant pis si cela se traduit par des
aberrations. Nous avons tous en tête les pérégrinations sur les routes du petit
pot de yaourt aux fraises (dont les ingrédients ne sont réunis qu'au bout de 3500 km)
ou des crevettes danoises, acheminées jusqu'au Maroc pour y être
décortiquées à bas prix avant de prendre le chemin du retour pour le Danemark
! Le système capitaliste a ses propres logiques !!!
En ce qui concerne le transport de marchandises, deux grands moyens sont privilégiés
par les entreprises, multinationales et autres : le transport maritime par conteneurs peu
coûteux, vu que les marchandises sont transportées dans des navires-poubelles aux
équipages de galériens que les armateurs n'hésitent pas à abandonner
dans les ports si besoin est ; et le transport routier. En effet c'est au prix de la circulation
d'un flux ininterrompu de poids lourds que la gestion en « flux tendu » permet aux
entreprises d'économiser sur la gestion de leurs stocks ou de délocaliser
différents maillons de leurs chaînes de production. C'est au prix aussi de la mise en
place d'un véritable dumping social qui a débuté en France dès 1985 par
la suppression de la tarification routière obligatoire et qui s'est
accéléré avec l'ouverture de l'Union européenne aux pays d'Europe
centrale. Comme nous pouvons le lire sur le site d'Attac dans un article publié en octobre
2004 : « Contrairement au discours récurrent du lobby patronal routier, variation
sur le thème ancien « Je roule pour vous ! », c'est au profit quasi-exclusif des
industries productrices, et non pas des consommateurs, qu'a eu lieu la baisse relative du prix des
transports routiers. »
Encore une fois les chiffres sont sans appel : En France, parmi les différents modes de
transport, c'est le transport routier, en constante augmentation, qui obtient la palme dans les
émissions de gaz à effet de serre : il a pesé à lui seul pour 91 %
alors que les transports aérien, maritime, ferroviaire n'ont pesé respectivement que
de 3,3 %, 2,1 et 0,4 %.
Ce constat devrait inciter à passer d'urgence à la réalisation d'un transfert
massif des trafics routiers et aériens vers la voie navigable, le cabotage maritime et le
train, beaucoup plus sobres en énergie et respectueux de l'environnement. Qu'en est-il
exactement ?
En France, le gouvernement a annoncé le 16 septembre 2009 une enveloppe de
sept milliards d'euros pour aider « au développement du fret ferroviaire d'ici
à 2020 », afin de réduire l'impact écologique du transport routier de
marchandises et en ramener une partie sur le rail. Cet engagement, présenté par le
ministre de l'Écologie Jean-Louis Borloo, entre dans le cadre du Grenelle de l'environnement
qui a fixé pour objectif de porter à 25 % d'ici 2020 la part des transports de
marchandises alternatifs à la route, contre 14 % aujourd'hui. Les objectifs sont loin
d'être ambitieux au regard de l'enjeu. Il n'est pas inutile de rappeler combien le puissant
lobby routier a pesé sur les décisions (aides financières aux transporteurs
routiers pour investir dans des tracteurs moins polluants, poursuite du maillage autoroutier
etc…)
Parallèlement, la SNCF devra contribuer à hauteur d'au moins un milliard d'euros
"dans des investissements innovants dans les cinq prochaines années", le schéma
directeur de la SNCF "pour un nouveau transport écologique de marchandises" a
été rendu public le 23 septembre.
On peut penser que, avec l'annonce de son « engagement », le gouvernement veuille
tenter de désamorcer par avance la grogne sociale provoquée par le plan de
réorganisation du fret SNCF. On peut penser aussi que le gouvernement a voulu caresser les
Verts dans le sens du poil. On peut surtout estimer que les récents plans conjoints
gouvernement/SNCF constituent une supercherie écologique en même temps qu'ils se
situent dans le droit fil des politiques antérieures de démantèlement. Ce que
nous allons tenter de démontrer maintenant.
Cela fait des années que le fret ferroviaire en France est en
déclin. En 1974, il captait encore 46 % des marchandises transportées en France,
aujourd'hui, il n'en représente plus que 14 %.
La logique de marché et de profit ayant supplanté celle de service
public, l'activité fret de la SNCF est désormais appréhendée comme
« non rentable » et ses déficits montrés du doigt: pour le premier
semestre 2009, Pierre Blayau, le
patron de la branche transports et logistique à la SNCF annonce une perte de- 600 millions
d'euros. "Ce que la SNCF gagne avec le TGV, elle le perd en faisant rouler des trains de
marchandises", résume-t-il.
Dès sa création la Communauté Économique Européenne, devenue par
la suite l'Union Européenne, s'est donné pour objectifs la libre circulation des
capitaux, des personnes et des marchandises et la libre concurrence. Les transports sont donc
depuis longtemps dans la ligne de mire de la commission européenne qui, en en 2001, a fait
paraître un Livre Blanc intitulé: « La politique européenne des
transports à l'horizon 2010 : l'heure des choix ». « Il est difficile de
concevoir une croissance économique forte, créatrice d'emplois et de richesses sans
un système de transport efficace permettant de profiter pleinement du marché
intérieur et de l'effet de la mondialisation des échanges… y est-il
écrit et de brosser un tableau cynique de la situation : « Tel Janus, le
ferroviaire présente une image ambivalente où se côtoient modernité et
archaïsme. D'un côté les performances du réseau et des trains à
grande vitesse, l'accueil des voyageurs dans des gares modernes, de l'autre l'archaïsme des
services de fret et la vétusté de certaines lignes saturées, les banlieusards
entassés dans des rames bondées et chroniquement en retard qui déversent leurs
flots de voyageurs dans des gares parfois délabrées et peu sûres. ».
« La dégradation récente de la qualité du service de fret
ferroviaire place certains de ces transports en situation difficile et certains constructeurs
automobiles ont suspendu les expériences ferroviaires pour revenir à la route. Outre
le problème de différence d'écartement des voies, la pénurie de
locomotives ou de conducteurs, la persistance de problèmes d'organisation interne et
certains conflits sociaux sont à l'origine de cette évolution.
(souligné par nous). Malgré les références au développement
durable et les injonctions à reporter le trafic routier vers le rail, ce qui était en
projet c'était bel et bien l'ouverture à la concurrence du marché des
transports et sa déréglementation . Laissons aux « experts » de Bruxelles
le soin de nous l'annoncer (souligné par nous) : « La revitalisation de
ce secteur passe par une concurrence entre les compagnies ferroviaires
elles-mêmes. L'arrivée de nouvelles entreprises ferroviaires pourrait contribuer
à renforcer la compétitivité de ce secteur […] Les barrières
techniques et réglementaires qui existent favorisent les compagnies existantes et
freinent toujours l'entrée de nouveaux opérateurs. C'est la raison pour laquelle
l'application correcte des règles communautaires en matière de concurrence jouera un
rôle important afin d'empêcher des pratiques anticoncurrentielles et assurer une
ouverture effective du marché du transport ferroviaire dans la
Communauté.». D'ailleurs dès décembre 2000, avait
été prise « la décision historique d'ouverture complète en
2008 du marché du fret ferroviaire. ». En 2005, lorsque nous avons combattu le
projet de traité constitutionnel, nous avions mis le doigt sur ce qu'il tentait de cacher :
dumping social généralisé, afin de contenir les tarifs en permettant aux
marchandises de circuler des pays à bas coûts, sociaux et environnementaux, vers les
marchés de consommation.
Le transport routier, de par son organisation (grandes ou petites entreprises privées),
s'est adapté sans rechigner à la logique de la concurrence, avec son cortège
de détériorations des conditions de travail et de rémunération des
routiers. Il n'en est pas allé de même pour le secteur ferroviaire qui est le seul
à avoir résisté à l' « ouverture ». Car il s'agit d'une
part d'un secteur traditionnel de résistances et de luttes sociales et d'autre part, par
définition, d'un secteur réglementé, soumis à des contraintes fortes de
sécurité et qui, du fait de son ampleur stratégique et technique
(complexité de la gestion et de l'entretien de l'ensemble du réseau ferroviaire)
s'avère particulièrement inadapté à la gestion privée.
Malgré les vertueuses recommandations du livre blanc à «
rééquilibrer les modes de transport et revitaliser le rail », force est de
reconnaître qu'en France, en 20 ans, le transfert modal s'est opéré à
l'envers, les marchandises allant du mode ferroviaire vers le mode routier (en 1988 : 67 % pour la
route , 19 % pour le fer ; en 2008 : 81 % pour la route, 10 % pour le fer). Les trafics routiers
ont doublé en volume quand les trafics ferroviaires diminuaient de 20 %.(en 1988 161,1
milliards de tonnes/km pour les trafics routiers, 52,9 pour les ferroviaires ; en 2008 : 323,3 pour
les routiers, 42,6 pour les ferroviaires).
État de fait constaté par deux sénateurs… UMP, Hubert Haenel et François Gerbaud, dans un
rapport remis en 2003 : « Stimulé par le développement du réseau
autoroutier, soumis à une réglementation "assez peu contraignante et [...])
insuffisamment respectée", le transport routier a taillé des croupières au
rail. »
Le transport routier s'est trouvé d'autant plus favorisé que, par un tour de
passe-passe, on « omet » d'imputer à chaque mode de transport les coûts
externes. Que sont les coûts externes ? Ce sont des coûts non pris en compte dans le
prix payé par l'utilisateur d'un moyen de transport et reportés sur l'ensemble de la
collectivité. L'étude sur les coûts externes des transports en Europe
réalisée en 2004 (au titre de l'année 2000) par les instituts INFRAS et IWW
couvre huit domaines comme les accidents, la pollution atmosphérique (dont les maladies et
décès prématurés dus à cette pollution), le bruit, les
changements climatiques, les dégradations du paysage. Cette étude établit que
le transport routier représente 83,7 % des coûts externes totaux (hors congestion), le
transport aérien, 14 %, alors que le rail et la voie navigable génèrent
respectivement 1,9 % et 0,4 % de coûts externes.
Le chiffrage pour les coûts externes du fret en 2000 est le suivant :
Ainsi, chaque tonne transportée sur 1 000 Km migrant de la route vers le transport ferroviaire fait économiser 59,9 euros (base année 2000) à la collectivité. Un document de SUD Rail en tire cette conclusion : « Cette politique des transports aboutit donc à un subventionnement indirect moyen des transports routiers, payé par la collectivité de 965 Millions d'Euros par an depuis 8 ans et ça continue !»
Dans le même temps qu'ils donnaient la priorité au « tout
camion », les gouvernements qui se sont succédé se sont employés
à remettre en cause le système ferroviaire public. Petite chronologie
La directive européenne de 1991 qui réclamait une séparation comptable entre
l'infrastructure et l'exploitation du service ferroviaire a été appliquée
à la lettre puisqu'en en 1997 une séparation entre la propriété des
infrastructures (relevant de RFF) et l'exploitation (relevant de la SNCF) a été
instituée. Le but étant de permettre à des opérateurs privés,
moyennement redevances, d'utiliser les infrastructures ferroviaires. La date a son importance :
1997, c'est deux ans après décembre 1995 année du dur conflit des cheminots.
La création de RFF est donc à la fois une soumission au dogme
néolibéral mais aussi, en quelque sorte, un élément de réponse
de classe « institutionnelle » à ce conflit.
En mars 2003, toujours en application des directives européennes, les trafics de fret
ferroviaire internationaux sont ouverts à la concurrence. Le fret SNCF continue à
être déficitaire et à subir des pertes (7,5 milliards de tonnes/km en 3
ans).
En 2004, un « plan de sauvetage », dit plan Véron, prévoit une
recapitalisation 1.5 milliards d'euros, (dont moins de la moitié seront versés par
l'État). Mais le versement de ces sommes est conditionné par la Commission de
Bruxelles à l'obligation faite à la SNCF de réduire sa capacité de
production sur le réseau ferroviaire afin de permettre l'émergence rapide de la
concurrence.
En janvier 2006, la responsabilité globale de la sécurité sur le réseau
ferroviaire est retirée à la SNCF et transférée à un organisme
ad-hoc (Établissement Public de Sécurité Ferroviaire), Après la
création de RFF, c'est la deuxième étape de la déstructuration du
système ferroviaire intégré. Fin mars 2006, le marché du transport de
Fret ferroviaire est totalement ouvert, la concurrence jusque là marginale prend son essor,
notamment sous l'impulsion de Veolia Cargo et EWSI. Ces nouvelles entreprises
bénéficient du refus du gouvernement d'étendre l'application de la
réglementation du travail de la SNCF à tous les salariés du secteur
ferroviaire… Le trafic fret SNCF continue à se réduire comme peau de chagrin
alors que les entreprises ferroviaires privées prennent des parts de marché.
Décembre 2006, est présenté un nouveau "plan de la dernière chance"
pour le Fret SNCF : 262 gares de dessertes seront fermées pour fin 2007 et les
réductions d'emplois de cheminots travaillant pour l'activité Fret se poursuivront
pour atteindre - 30 % sur la période 2003 à 2007.
En Avril 2008, c'est à Pierre Blayau, président de Géodis (filiale de fret
maritime, aérien et de transport routier de la SNCF) ex liquidateur de Moulinex qu'est
confiée la charge de piloter la toute nouvelle branche Transports et Logistique… Le
trafic fret de la SNCF continue à chuter alors que les opérateurs privés se
sont déjà emparés de 14 % du trafic pour les trains complets, avec des tarifs
20 % plus bas que ceux de la SNCF.
Fin 2008, le projet du Président Pépy (Horizon 2012) prévoit d'éclater
l'entreprise SNCF en branches d'activités autonomes et le lancement d'une campagne de
recrutement de cheminots volontaires pour casser la réglementation du travail. La
restructuration par activité a déjà d'ailleurs atteint les organismes sociaux
: pour la première fois en 2008 sont institués des Comités
d'Établissement SNCF par activité et non plus par régions ; apparaît un
CE fret séparé de celui de la SNCF.
On assiste bien là à une privatisation programmée mais qui bien sûr ne
veut pas dire son nom. En tous les cas c'est tout un réseau et des infrastructures,
financés par de l'argent public, c'est-à-dire par toute la collectivité, qui
est ainsi offerte aux opérateurs privés. Cela se fait habilement, par étapes.
On a commencé par éclater l'entreprise de service public en deux entités mises
en concurrence et à mettre en place des partenariats public/privé.
La création de RFF (Réseaux ferrés de France) a été
effectuée sans traiter sur le fond la question de la dette héritée
essentiellement de la quasi-absence de financement par l'État des lignes à grande
vitesse dans les années 1980/1990. Un rapport de la commission des affaires
économiques et de la mission d'information du sénat, déposé le 6
février 2008, est particulièrement éloquent. En voici de courts extraits :
« Un constat s'impose : la France néglige depuis de trop longues années
l'investissement en infrastructures de transport […] Le réseau ferré principal
a été la première victime de cette raréfaction des investissements,
notamment à cause d'une dette massive […] Le poids de la dette de RFF et les
coûts d'entretien d'un réseau ferré à bout de souffle obèrent les
capacités d'investissement de l'établissement public ». Ainsi, RFF
(propriétaire des infrastructures) a des intérêts contradictoires à ceux
de la SNCF (exploitation du réseau). L'actualité récente éclaire cette
contradiction : la SNCF se plaint à nouveau de l'augmentation des tarifs de péage
imposés par RFF. Ces péages payés par la compagnie ferroviaire pour faire
rouler ses trains sur le réseau, devraient augmenter de 75 % entre 2008 et 2013. Sur dix
ans, la hausse serait de 145 %. "Dans les conditions économiques actuelles, le
résultat courant de TGV sera nul d'ici à trois ans si on continue dans cette
voie", s'est alarmée Mireille Faugère, directrice générale
déléguée en charge des grandes lignes, citée par le quotidien Les
Échos. Il est clair qu'il y a là une politique d'étranglement financier
de la SNCF afin d'assurer la solvabilité de RFF qui pourra ainsi financer des
aménagements qui profiteront à des groupes privés.
On retrouve là le schéma qui vise à mettre les services publics en
difficulté afin de mieux justifier leur privatisation. C'est ce qui est arrivé aussi
pour les hôpitaux et la poste. Dans le cas de la SNCF la politique de sous-investissement a
conduit à une dégradation rapide du fonctionnement du service public comme nous le
montre un document de SUD Rail : « L'entretien du réseau conventionnel est
délaissé et l'on assiste à un accroissement spectaculaire du nombre de
kilomètres de ligne où la vitesse des trains est réduite à cause du
mauvais état de l'infrastructure. Il en est de même pour le renouvellement des
matériels, l'âge moyen du parc des wagons du réseau étant de 30 ans.
Pire encore, l'âge moyen des locomotives diesel atteint 37 ans, et de trop nombreux trains
sont encore assurés par des locomotives électriques flirtant ou dépassant les
40 années de service. »
Si les voyageurs ont de plus en plus des raisons de se plaindre des retards
répétés, tout semble avoir été mis en place aussi pour
dégoûter les utilisateurs du fret SNCF : gestion bureaucratique (« RFF et le
gouvernement ont fait le choix de mettre en œuvre des règles d'attribution des sillons
(passages) très lourdes et inadaptées au trafic de marchandises » nous
signale SUD rail), , incapacité à gérer les aléas donc
nombreux retards. Dans un article intitulé « Les retards de la SNCF gênent les
professionnels » paru dans L'Usine nouvelle, on peut lire le point de vue des chargeurs
(c'est-à-dire des entreprises utilisatrices) : « Même si nombre
d'industriels utilisent encore le rail, ils sont loin d'être satisfaits des prestations de la
SNCF, leur principal interlocuteur. Beaucoup ont préféré se tourner vers la
route ou les opérateurs privés, après la réorganisation de 2007, qui
s'était traduite par une augmentation des prix d'environ 30 %. C'est le cas de Bosch-Siemens
Electroménager (BSH), approvisionné depuis cette date en trains complets par Euro
Cargo Rail (filiale de la Deutsche Bahn), depuis les usines allemandes. »
Le projet gouvernemental intitulé « Engagement national pour le fret
- Relancer le fret ferroviaire pour atteindre les objectifs du Grenelle Environnement »
entend mettre en œuvre « un plan d'actions jugé «ambitieux ».
Pour la mise en œuvre de cet « engagement », le gouvernement a annoncé
vouloir investir 7 milliards d'euros à la relance du fret ferroviaire afin d'atteindre
l'objectif de 25 % de transport de marchandises par le train en 2020 (contre 14 % aujourd'hui) et
ce, dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Le gouvernement n'a pas encore donné
d'indication sur le financement de ce plan à 7 milliards d'euros, il étudierait la
possibilité de lui consacrer une partie du grand emprunt national.
Le titre pourrait tromper mais il ne s'agit pas de redresser (et a fortiori pas de
développer) le fret national SNCF, mais dans la lignée des politiques
antérieures de mise en concurrence systématique, il s'agit d'un engagement national
pour le fret ….privé. C'est ce qui ressort de la lecture des différents
éléments du « plan d'actions ambitieux » qu'énumère le
document officiel puisqu'il est prévu que les divers projets (autoroutes ferroviaires, TGV
fret, opérateurs ferroviaires de proximité...) soient développés via
des filiales (de droit privé) à l'intérieur du groupe SNCF ou à
l'extérieur par des sociétés privées.
En fait d'ambitions ce plan reprend pour l'essentiel des objectifs déjà contenus dans
les plans antérieurs et non réalisés encore à ce jour : c'est le cas
par exemple de la traversée des Pyrénées, mais aussi des travaux
d'infrastructures portuaires, de la création d'un réseau à haut débit
pour le Fret ferroviaire ou des contournements d'agglomérations (Lyon, Montpellier…).
Loin de constituer des « innovations technologiques », nombre de ces travaux sont en
projet depuis des années, il s'agit là de rattraper un retard irresponsable et les 7
milliards d'euros sont loin de couvrir tous les besoins.
La SNCF va investir 1 milliard pour réorganiser son activité fret.
Voici ce qu'elle propose :
Penchons-nous donc sur ces divers projets :
L'autoroute ferroviaire est un concept de transport combiné consistant à transporter des camions sur des trains spéciaux. Bien que ce système puisse en théorie délester le réseau routier d'une partie du trafic poids lourds, il ne s'est que peu appliqué en France et les deux autoroutes existantes sont considérées comme des fiascos. Les conditions à remplir sont en effet assez contraignantes puisqu'il faut utiliser des wagons spécifiques dont les dimensions nécessitent le forage de nouveaux tunnels. Certains estiment que ce système peut avoir un sens dans le cas du franchissement d'un obstacle ponctuel (Tunnel sous la Manche, traversée des Alpes) ou pour des longs parcours en raison de la réglementation routière (limitations de vitesse, circulation interdite les week-ends, etc.). D'autres remettent totalement en cause le concept même en démontrant que le meilleur système, d'un point de vue économique et environnemental, est celui qui consiste à transporter par wagons, non pas les camions, mais les conteneurs et caisses mobiles. Pour eux, le camion sur train est avant tout un moyen de satisfaire un lobby industrialo-ferroviaire qui a ses entrées chez Jean-Louis Borloo.
La réorganisation du trafic de wagons isolés (quantités
limitées pour un seul client)- le principal foyer de pertes de Fret SNCF - constitue le
deuxième volet important de la stratégie du groupe public. Les 380 000 "wagons
isolés", qui représentent 6 % du chiffre d'affaires SNCF, mais engendrent 65 % des
pertes, seront "massifiés" autant que possible dans le but d'obtenir une meilleure
rentabilité. Il est prévu d'augmenter les prix de 30 %.
Les conséquences de cette réorganisation c'est la suppression de 6000 à 8000
emplois de cheminots, qui devraient être reclassés (mais avec quels statuts ?) dans
les différentes entités du groupe SNCF : comment ne pas évoquer les suicides
à France Télécom où les employés ont subi eux aussi les drames
des changements de poste, de lieux de travail ? Autre conséquence tout à fait
prévisible et évidente : c'est le retour vers la route de « un million de
camions supplémentaires sur les artères françaises » (selon
l'Association des Utilisateurs de Transport de Fret). Belle façon d'appliquer le Grenelle de
l'environnement !
Pour "améliorer la performance de fret SNCF (fiabilité, compétitivité)", il est prévu de constituer "quatre entités spécialisées" par marchés (transport combiné et autoroutes ferroviaires, produits agricoles, charbon et acier, et enfin hydrocarbures, automobile et chimie) en lesquelles les syndicats voient de futures filiales de droit privé et la privatisation rapide par "morceaux" de l'entreprise publique SNCF. Des cheminots volontaires seraient "détachés", "le temps d'une mission" avec "des contreparties sérieuses" : Le flou de ces propositions a bien de quoi inquiéter. Le risque de dumping social ne peut être nié.
Avec le TGV Fret, l'objectif annoncé est de développer le fret
à grande vitesse dans le but d'organiser le "report de 100 000 camions et 1 000 avions sur
le ferroviaire". Il s'agit d'utiliser les voies TGV la nuit pour faire passer les marchandises.
Projet peu innovant, puisque ce trafic existe depuis plus de dix ans (ex TGV postal) et qui pose un
problème énorme, puisque l'entretien des voies TGV s'effectue justement…la
nuit ! On peut aussi s'interroger sur cette obsession de la vitesse : pourquoi 300 km/h alors que
le réseau classique rénové permettrait des transports de Fret à une
vitesse de 160 km/h ? Ouvrons à ce sujet une courte parenthèse : il y a un transport
qui est particulièrement négligé en France, c'est le transport fluvial : la
Seine, qui est un axe majeur de communication entre les grandes régions agricoles, la
région parisienne et le port du Havre est sous-utilisée. Pourtant les transports par
barges permettraient de désengorger bien des routes. C'est le transport le moins
coûteux, il ne risque pas de provoquer embouteillages et accidents, il permet de faire des
économies d'énergie, de réduire les émissions de CO 2 et les nuisances
sonores, mais voilà : il est lent !
Cette obsession de la « très grande vitesse » se retrouve avec un autre projet,
soutenu par le gouvernement, celui de l'association
Carex qui vise à mettre en place un service européen de fret ferroviaire à
très grande vitesse reliant les grandes villes aéroportuaires européennes
situées à deux ou trois heures de l'aéroport Charles de Gaulle.
Ce projet reflète le choix politique de subventionner avec de l'argent public des intérêts privés, plutôt que d'inscrire dans les missions de la SNCF, le trafic de wagons isolés comme une activité de service public et d'intérêt général. C'est à ces OFP (collectivités locales ou petites et moyennes entreprises privées) que la SNCF entend laisser la partie des « wagons isolés » qu'elle veut abandonner car déficitaire. Fin mars 2009, a été annoncée la création prochaine d'une société de « portage » destinée à aider la création d'OFP. Autour de la table de cette future société on trouve, à côté de RFF et de la Caisse des dépôts et consignations, un investisseur privé américain, Henry Posner III, PDG du groupe Rail Road Development Corporation et qui se présente comme un spécialiste de l'investissement rentable dans les « shortlines ferroviaires ».
D'autres questions ne vont pas tarder à se poser puisqu'en décembre 2009, la
concurrence au transport international de voyageurs sera ouverte. Rien n'empêchera plus les
concurrents de la SNCF de faire rouler leurs trains sur les lignes qui relient des villes
françaises à des gares étrangères.
La plupart des directions syndicales de cheminots ne remettent pas fondamentalement en question les
projets de réforme qu'elles voient comme « présentant un intérêt
» pour reprendre la formule de la CGT. Elles entendent s'opposer à la suppression des
6000 à 8000 emplois et s'apprêtent vraisemblablement à négocier ce qu'un
représentant de la CGT a nommé un plan social.
Il y a urgence oui ! Face à cette mise en concurrence généralisée,
cette rupture de solidarités qu'organise le capitalisme dans sa phase
néo-libérale et singulièrement quand il se pare de « vert » pour
poursuivre la logique d'accumulation qui lui est consubstantielle, face à des médias
qui tentent de formater une opinion publique à grands coups de « prises d'otages des
usagers », il y a urgence à mettre la question des transports, du réchauffement
climatique, de la notion de service public au débat public et à ce que la population,
salariés, usagers, se l'approprie. Car soyons assurés que tant que le système
capitaliste imposera ses propres logiques, il n'y aura pas de vraies solutions aux menaces qui
pèsent sur notre planète. Le sommet de Copenhague va bientôt, sans nul doute,
nous en faire la démonstration !
le 17 novembre 2009
Christiane Fourgeaud et Nadine Floury
URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/en_question/2009-11-20-transport_fret_ferroviaire.html