À la découverte d'Oskar Negt et du courant chaud de la théorie critique

Texte paru dans le n°41 de la revue Carré rouge

Les questions abordées par le philosophe, sociologue et pédagogue Oskar Negt sont au cœur des expériences et des préoccupations de toutes celles et de tous ceux qui luttent d'une façon ou d'une autre contre le système de domination capitaliste, que ce soit en Europe, aux Antilles, au Pérou, en Chine ou actuellement en Iran. Sa pensée peut s'avérer très stimulante pour dépasser la répétition et le ressassement de formules, de perceptions et de pratiques politiques devenues inopérantes ou paralysantes.

Sous l'effet de la crise mondiale, quelques philosophes et sociologues critiques, y compris disparus comme Michel Foucault, Pierre Bourdieu ou Cornélius Castoriadis, semblent actuellement rencontrer une audience plus large et plus attentive. Marx est à nouveau lu et étudié avec un regard neuf, en prise avec les problèmes de notre époque. Cet intérêt vif mais encore modeste est une donnée cruciale pour envisager la transformation de la société sur de nouvelles bases. Mais en France Oskar Negt qui a publié une trentaine d'ouvrages traduits en de nombreuses langues reste presque un inconnu. Être un penseur à la fois allemand, dialecticien et radical ne facilite pas l'accueil dans l'hexagone où sont pourtant nombreux ceux qui se réclament de Karl Marx. Ainsi l'intérêt pour des penseurs allemands majeurs du XXe siècle tels que Walter Benjamin et Theodor W. Adorno aura été bien tardif et limité en France où l'autosuffisance théorique est une tendance lourde dans bien des sphères universitaires et militantes.

Quoi qu'il en soit, il est possible d'accéder de façon fructueuse à la pensée d'Oskar Negt grâce aux extraits de plusieurs de ses ouvrages qui ont été présentés et traduits par Alexander Neumann et regroupés sous le titre L'espace public oppositionnel (éd Payot, mars 2007, 239 pages).

Dans le « courant chaud » de la Théorie critique

Avant de dégager quelques aspects de la pensée d'Oscar Negt, il convient de le situer dans le courant de recherche toujours bien vivant qu'on a appelé l'École de Francfort et qu'il est sans doute plus juste d'appeler la Théorie critique [1]. En quelques mots de quoi s'agit-il ?

Dans la foulée de la Révolution allemande des conseils de 1918, un groupe de chercheurs s'inspirant aussi bien des travaux de Marx que de ceux de la psychanalyse entre autres fondèrent en 1923 un institut à Francfort pour étudier en particulier les thèmes suivants : « Grève de masse, sabotage, vie internationale du syndicalisme, analyse sociologique de l'antisémitisme, bolchevisme et marxisme, parti et masse, modes de vie des différentes couches de la société. »

Les principaux initiateurs Max Horkheimer et Theodor W. Adorno entendaient mener des recherches empiriques et théoriques mobilisant l'interdisciplinarité des sciences sociales ; et cela en restant indépendants des partis se réclamant de la social-démocratie ou du communisme. Ils estimaient que l'allégeance à un parti comportait le risque d'avoir une vision figée des problèmes politiques et sociaux et d'être sous la pression intellectuelle des intérêts étroits de ces partis. Leur autonomie comportait le risque de l'isolement, de la coupure avec le mouvement ouvrier ou celui de s'adapter à la société bourgeoise.

Les catastrophes historiques qui survinrent avec le sabotage du mouvement ouvrier par la social-démocratie et le stalinisme et sa destruction par le nazisme, le génocide des juifs d'Europe et des tziganes furent des défis majeurs mettant sérieusement à l'épreuve le projet initial sans pour autant le réduire à néant. Adorno et Horkheimer contraint de s'exiler aux Etats-Unis remirent en cause radicalement un marxisme pétrifié ayant pour eux failli. Ils examinèrent la généalogie d'une idéologie de la Raison instrumentale et du Progrès ayant contribué à masquer les problèmes, à rendre aveugle face à la barbarie qui avait surgi et déferlé dans les années trente et quarante et dont les racines restaient à comprendre au prix de nouvelles analyses. Les formes de barbarie restaient pour eux latentes y compris dans des pays apparemment démocratiques comme les États-Unis ou comme l'Allemagne d'après 1945. La critique de l'économie politique ne pouvait, moins que jamais, être dissociée d'une critique de l'industrie culturelle, des mass medias et de tous les phénomènes de réification au sein des relations sociales [2]. Ils engagèrent un vaste travail en particulier sur les phénomènes psychologiques et sociaux conduisant à la formation de personnalités autoritaires, y compris au sein des classes populaires.

Ils ne renoncèrent donc pas à des recherches visant à l'émancipation, même si elles étaient centrées fondamentalement sur les obstacles à cette émancipation. Après la Deuxième guerre mondiale l'Institut de Francfort fut donc refondé. A partir de ce centre de recherches qui influença en Allemagne fédérale de nombreux étudiants, une nouvelle génération de sociologues et de philosophes a émergé dont Oskar Negt (né en 1934) qui écrivit sa thèse de philosophie sous la direction d'Adorno et travailla avec Jürgen Habermas pendant plusieurs années.

Toutefois à partir des années soixante et jusqu'à aujourd'hui des orientations différenciées voire opposées vont apparaître qui d'une certaine façon cohabitaient de façon conflictuelle chez Adorno lui-même. La position de neutralité académique et de retrait philosophique, à l'écart des débats et actions collectives qui travaillaient la jeunesse et le monde salarié, sont des postures qui vont l'emporter chez un certain nombre de chercheurs dont le principal d'entre eux, Habermas qui abandonna délibérément l'héritage subversif de la Théorie critique.

Par contre Oscar Negt et bien d'autres penseurs dans différents pays vont constituer de fait ce qu'Alexander Neumann a appelé le « courant chaud » de la Théorie critique. Comme il le relève, ce terme avait été utilisé antérieurement par Ernst Bloch pour distinguer « la polarisation historique du marxisme européen, entre un courant froid, doctrinaire, économiste et calculateur, et un courant chaud, intéressé par la subjectivité politique et l'imprévu. » [3]

Par définition la théorie critique dans son courant chaud ne cherche pas à se stabiliser en un système. Elle est constamment critique d'elle-même, se situant dans un espace mouvant, au carrefour entre philosophie, sciences sociales, esthétique, littérature, mouvements politiques, associatifs et syndicaux. Elle ne prétend rien dominer puisqu'elle s'efforce de mettre en évidence tous les dispositifs de domination lesquels entraînent de façon complexe des réactions de soumission, de régression, d'indignation ou de révolte ouverte.

Dans ces conditions on ne s'étonnera pas qu'Oskar Negt ait évolué depuis les années soixante jusqu'à aujourd'hui, tout en travaillant inlassablement quelques concepts fondamentaux tel que celui d'espace public oppositionnel ou prolétarien.

Pas de démocratie sans socialisme, pas de socialisme sans démocratie

Tel est le titre du premier texte d'Oscar Negt proposé dans son livre disponible en français. Il date de 1976. Il est une riposte à la polémique des conservateurs opposant « la liberté » au « socialisme ». Au-delà de cet aspect circonstanciel, la sagacité de Negt dans sa façon de penser le rapport entre démocratie et socialisme n'a rien perdu de son actualité. Il constate que le socialisme a été gravement discrédité par le stalinisme. Il relève « la manière missionnaire dont les partis de droite et d'extrême droite se sont approprié les notions de démocratie et de liberté » ainsi que « l'usure totale de la notion de démocratie » confrontée à la réalité. Sous le manteau de la légitimation démocratique, les États occidentaux couvrent toutes sortes d'oppressions, de discriminations et de restrictions des libertés publiques.

Un travail de réappropriation des concepts indissociables de socialisme et de démocratie est nécessaire par chaque nouvelle génération « dans le contexte spécifique du moment et sous les conditions sociales du temps présent. ». Il s'agit de faire ressortir le contenu révolutionnaire de la démocratie, son « noyau originaire : l'abolition de la domination de l'homme sur l'homme et l'épanouissement complet de ses capacités » [page 32]

À l'inverse, au cœur des démocraties bourgeoises se retrouvent trois formes de domination : « soit la domination légale appuyée sur l'emprise bureaucratique, soit une domination traditionnelle, soit encore la domination charismatique » (cette typologie a été formulée initialement par le sociologue Max Weber).

Le contenu de la démocratie socialiste est tout autre. Son concept positif et offensif « n'appelle pas uniquement à la raison des êtres humains », il « s'adresse à leurs affects, leur image de la libération et leurs intérêts immédiats ». Il s'y déploie une dialectique de la spontanéité et de l'organisation, de l'autogestion et de la centralisation, la rencontre de deux énergies, à savoir la capacité de la mémoire des luttes d'émancipation et le potentiel de l'utopie.

Ce rapport vivant dans lequel chaque personnalité avec ses spécificités doit pouvoir pleinement prendre sa place a aussi des conséquences sur la façon dont on envisage les luttes et la façon dont on s'organise.

Oskar Negt formule des écueils qui sont loin d'avoir disparu. « Quand cette dialectique ne se réalise pas, la formation des opinions continue à se faire de façon mécanique : ou bien elle suit le cours - tantôt caché, tantôt ouvert - d'une structure de commandement s'exerçant du haut vers le bas, dans une sorte de platonisme administratif des grandes directions et des comités centraux qui savent tout, ou bien elle soutient le discours accompagnant une pratique qui se veut avant-gardiste, mais qui est en réalité sectaire. » [page 40]

La façon dont on s'organise indique la société que l'on veut. Il faut donc « faire prévaloir le droit à l'expérimentation ouverte et à la particularité dans le débat sur le contenu, les objectifs et la question organisationnelle […] ». « Le pluralisme ne peut se déployer réellement qu'au sein d'une société qui ne soumet plus les êtres humains aux conditions de classe, en les réduisant à des annexes de la machinerie de production, mais il devient alors une nécessité existentielle. » [page 52]

Espace public et expérience

La notion d'espace public est aussi commune et banale dans son utilisation que celle d'opinion publique qui lui est liée. Il est d'autant plus nécessaire de l'interroger et d'en préciser le sens. Habermas y a consacré un travail approfondi. A partir d'une étude de ses formes d'émergence comme celle de l'espace public bourgeois de la République anglaise du XVIIe siècle où le pluralisme des partis et de la presse apparaît, Habermas a dégagé un modèle d'espace public idéal pouvant être le lieu de publicité des idées et savoirs, le lieu de délibération par excellence et le lieu d'un consensus à rechercher entre citoyens [4].

En fait, quand espace public il y a eu historiquement, les bourgeois l'ont utilisé pour régler leurs divergences, certains de leur problèmes et défendre leurs intérêts, en écartant ou en neutralisant des secteurs entiers de la société. Sous leur contrôle, l'espace public est « une synthèse sociale illusoire » [page 116].

Ces groupes sociaux écartés de la délibération publique agissent et prennent la parole lors de révolutions et divers mouvements dans des lieux et des cadres tels que les clubs, les comités, les coordinations ou conseils qu'ils inventent et font vivre en dehors de l'espace public bourgeois qui a la prétention de représenter toute la société.

À partir de telles expériences de démocratie directe et de prise de parole autonome qu'on retrouve aussi bien en 1848, dans la Commune de Paris, dans les conseils de la Révolution allemande de 1918, dans l'Espagne de 1936, la Hongrie d'octobre 1956 ou en 1968, Oskar Negt a donc mis en cause le modèle d'Habermas et introduit la notion d'espace public oppositionnel ou prolétarien. Il précise que ce terme « ne concerne pas seulement l'expérience des travailleurs, [il] désigne tous les potentiels humains rebelles, à la recherche d'un mode d'expression propre » [page 222]. C'est un processus de débordement de l'espace public bourgeois, une instance de médiation entre les êtres humains dont les vies sont gâchées, amoindries, brisées par le procès de valorisation capitaliste. Ils peuvent y exprimer leurs subjectivités qui sont d'ordinaire refoulées, humiliées, dévalorisées par ce même procès du Capital qui mobilise à son profit une multitude de rouages dont la visibilité n'est pas toujours évidente. Les êtres concernés sont évidemment les travailleurs et les chômeurs comme les femmes, les jeunes, les sans-abri et tout être ou groupe social ne supportant plus tel ou tel injustice ou violence à son égard générée par la valorisation du capital.

Sur ce point, selon mon interprétation personnelle, Negt nous évite de nous engager dans des impasses qui ont la vie dure en ce qui concerne la compréhension des luttes et d'un projet de société humaine débarrassée du fatras capitaliste.

Les travailleurs ne peuvent plus être considérés comme une force messianique appelée à devenir de toute évidence le sujet historique libérant l'humanité de ses chaînes à la suite d'une prise de conscience de classe. Cette approche est abstraite et réductrice. Elle n'aide en rien les travailleurs à développer leurs capacités actuelles et futures. Elle dévalorise a priori toutes les autres formes de révoltes et contestations individuelles ou collectives contre la domination capitaliste comme étant secondaires. Sous couvert d'investir les travailleurs d'une mission historique grandiose, on s'enlise dans la démagogie ouvriériste, on réifie le prolétariat et on ne porte qu'une attention superficielle à l'expérience totale et diversifiée des travailleurs eux-mêmes dans le monde entier. On perd de vue ce que les expériences multiples des travailleurs portent contradictoirement comme éléments d'émancipation mais aussi d'aveuglement à leurs propres intérêts pour des raisons qui doivent être étudiées rigoureusement. Negt relève d'ailleurs une difficulté à laquelle il nous faut faire face : « Les sociétés offrant un sol fertile aux peurs existentielles produisent toutes le suivisme conformiste et la soumission à l'autorité » [page 185].

L'autre impasse consiste à noyer tous les acteurs des mouvements dans un grand tout indifférencié, les citoyens ou la société civile, (Negri parle de son côté de la Multitude), avec toute les notions abstraites et mythifiantes qui vont avec, la République, la Démocratie, la Communauté internationale ou l'Etat social. Au passage cette position néglige complètement ce qu'a de décisif le procès de valorisation du capital dans la reproduction des rapports sociaux.

Les développements très riches de Negt à ce propos intègrent dans un même mouvement de la pensée une compréhension de la formation des personnalités dans le cadre de la famille, de l'école et de l'entreprise. Il explique par exemple que la temporalité spontané de l'enfant au travers laquelle il exprime ses besoins entre en contradiction avec la temporalité du capital mettant en route un processus disciplinaire auquel tout travailleur devra ensuite continuer à se soumettre pendant toute son existence.

Travail et dignité humaine

Loin de sous-estimer l'importance des salariés, Oskar Negt aborde toutes les dimensions de leur existence en particulier dans Travail et dignité humaine ainsi que dans Histoire et subjectivité rebelle ouvrageréalisé en commun avec l'écrivain et cinéaste Alexander Kluge dont nous avons ici des chapitres [5].

Entre autres expériences, Negt a conduit un long travail de formation sociologique auprès du syndicat IG Metall qui lui a fourni une matière abondante sur l'existence ouvrière et sur l'évolution des méthodes d'exploitation de la force de travail. Son analyse notamment du temps de travail et du très restreint temps de non travail s'inscrit dans sa conviction que le « travail vivant » est au cœur de la question de la compréhension du capitalisme et de son dépassement. « […] il faut remplacer l'économie politique du travail mort, c'est-à-dire du capital et de la propriété, par une économie politique du travail vivant, partout où la nécessité de l'émancipation humaine est en jeu, et ce afin d'approcher d'une forme d'organisation raisonnable du bien commun » [page 190]. La finalité du travail vivant doit être liée à un bien commun. « Une telle économie, comment serait-elle possible, sinon en faisant appel à la participation politique d'êtres autonomes et capables d'agir par eux-mêmes ? »

Corrélativement la perte d'emploi signifie une perte totale de réalité, avec ses effets anxiogènes et sa violence intériorisée finissant éventuellement par s'exprimer contre soi, dans la famille, le cadre scolaire ou n'importe où contre un bouc émissaire. « La peur de cette perte de réalité implique à son tour une disposition plus grande à l'adaptation, voir à la suradaptation conformiste. »

La vitalité de pratiques démocratiques dignes de ce nom et la perspective d'une société harmonieuse sans guerre et sans violence est fortement connecté pour Oskar Negt au poids et à la richesse humaine au sein du travail salarié qui permet des formes de respect de soi et de reconnaissance sociale qui sont balayés par le basculement dans le chômage.

Dialectique des espaces publics bourgeois et prolétarien

Cette question nous ramène à celle de la dialectique qui se produit en permanence entre un espace public bourgeois qui s'est profondément transformé ces dernières décennies au travers de la manipulation des esprits par les mass médias, et l'espace public prolétarien qui selon les moments se rétracte, frôle l'inexistence ou se déploie en entraînant de nombreux groupes sociaux.

Les intérêts des travailleurs et de toutes les catégories opprimées ne peuvent se déployer et déboucher sur une autre société qu'en s'organisant dans un espace qui leur est propre et qui déborde nécessairement les organisations ayant pignon sur rue. Dans ce processus de constitution, ses acteurs sont amenés bien sûr à utiliser les ressources de l'espace public bourgeois qui sont à leur portée et éventuellement à subvertir certaines de ses formes.

Mais les obstacles doivent être bien saisis. Les mass médias livrent une réalité seconde, opèrent un tris et une déformation des informations, fournissent des fictions calibrées, objets de désir pour alimenter les affects des spectateurs. Tout cela a un impact prégnant dans le cadre d'un mode de vie qui ne laisse à personne le temps de la critique et de la réflexion. Le virtuel tend à se substituer aux expériences vécues par les sujets sociaux.

De leur côté les organisations politiques, syndicales et associatives ne cristallisent qu'une petite partie des expériences vécues des travailleurs. Elles constituent pour nombre d'entre elles un obstacle à la compréhension de la réalité et à la mobilisation de la mémoire des expériences passées. Les effets de la concurrence entre les organisations restreignent encore plus le champ de compréhension et de possibles interventions et prises de parole par des travailleurs, des femmes ou des jeunes par exemple. Les subjectivités rebelles, éléments fondamentaux de tout changement, ne trouvent guère leur place dans ces cadres routiniers.

Ces obstacles perdent de leur intensité ou s'effondrent lorsqu'un espace oppositionnel se déploie dans les rues, les entreprises, les universités ou sur internet. Dans le cadre de mouvements comme la grève de novembre-décembre 1995, celui des jeunes contre le CPE ou la grève générale en Guadeloupe au début de l'année 2009, la possibilité est enfin offerte à chaque participant de déployer ses ressources d'énergie et d'imagination, ce que ne permettent pas les cadres organisés installés et plus ou moins bureaucratisés.

Le point d'origine d'un espace public oppositionnel peut être une simple revendication ne concernant qu'une partie de la population mais la dynamique de cet espace peut le faire muter en un espace propositionnel d'une autre société non marchande. L'exemple du mouvement en Guadeloupe qui est parti du problème de la hausse des produits pétroliers et a débouché sur la question « comment bien vivre ensemble ? » est particulièrement éloquent à cet égard.

La force de rêver

Cette perspective ne se fabrique pas en petit comité entre quatre murs mais elle se prépare et peut être fécondée par des analyses adéquates, constamment renouvelées, dégageant des tendances à l'œuvre dans cette société et tous ses dispositifs. Tout dépend de la capacité à se libérer de ce que j'appellerais la dictature de l'immédiat consistant à seulement dénoncer les derniers coups qui nous sont portés par l'adversaire, sans imaginer un horizon global aux luttes et diverses contestations.

Laissons la parole à Oskar Negt pour conclure : « Celui qui se livre complètement au présent est condamné à réagir sans cesse à des faits accomplis » [...].
« Par ailleurs, celui qui ne trouve pas la force de rêver ne trouvera point la force de lutter. L'encouragement quotidien à viser au-delà de l'horizon d'une seule journée s'applique aussi à la science. Celui qui n'a pas la force de rêver ne trouvera pas non plus la force de vraiment saisir les choses. »

Le 25 juin 2009

Samuel Holder

Notes

[1] Pour une présentation historique et une critique pertinente de ce courant, on lira de Jean-Marie Vincent, La théorie critique de l'école de Francfort (éd galilée, 1976) et plusieurs de ses contributions dans la revue Variations fondée par lui, notamment La Théorie critique n'a pas dit son dernier mot (n° 11). Les dernières livraisons de cette revue sont téléchargeables gratuitement sur le site www.theoriecritique.com

[2] Le livre d'Adorno, Minima Moralia, Réflexions sur la vie mutilée (Petite Bibliothèque Payot, 2005) est une critique sociale des phénomènes de la vie quotidienne.

[3] Alexander Neumann, Le courant chaud de l'école de Francfort (n°12 de la revue Variations).

[4] Habermas a construit ce modèle dans une période où, ironie de l'histoire, l'espace public bourgeois réel commence à devenir de plus en plus un espace virtuel de manipulation des esprits au travers des mass media, et un espace où les débats tournent de plus en plus à la foire des opinions au sein du monde restreint des politiciens, des bureaucrates syndicaux et des experts officiels en économie, « sécurité », sondages, bioéthique, etc.

[5] Ce titre Histoire et subjectivité rebelle a un contenu ironique et polémique par rapport au célèbre ouvrage du philosophe Georg Lukacs paru en 1923, Histoire et conscience de classe.

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