Les questions abordées par le philosophe, sociologue et pédagogue
Oskar Negt sont au cœur des expériences et des préoccupations de toutes celles
et de tous ceux qui luttent d'une façon ou d'une autre contre le système de
domination capitaliste, que ce soit en Europe, aux Antilles, au Pérou, en Chine ou
actuellement en Iran. Sa pensée peut s'avérer très stimulante pour
dépasser la répétition et le ressassement de formules, de perceptions et de
pratiques politiques devenues inopérantes ou paralysantes.
Sous l'effet de la crise mondiale, quelques philosophes et sociologues critiques, y compris
disparus comme Michel Foucault, Pierre Bourdieu ou Cornélius Castoriadis, semblent
actuellement rencontrer une audience plus large et plus attentive. Marx est à nouveau lu et
étudié avec un regard neuf, en prise avec les problèmes de notre
époque. Cet intérêt vif mais encore modeste est une donnée cruciale pour
envisager la transformation de la société sur de nouvelles bases. Mais en France
Oskar Negt qui a publié une trentaine d'ouvrages traduits en de nombreuses langues reste
presque un inconnu. Être un penseur à la fois allemand, dialecticien et radical ne
facilite pas l'accueil dans l'hexagone où sont pourtant nombreux ceux qui se
réclament de Karl Marx. Ainsi l'intérêt pour des penseurs allemands majeurs du
XXe siècle tels que Walter Benjamin et Theodor W. Adorno aura été bien tardif
et limité en France où l'autosuffisance théorique est une tendance lourde dans
bien des sphères universitaires et militantes.
Quoi qu'il en soit, il est possible d'accéder de façon fructueuse à la
pensée d'Oskar Negt grâce aux extraits de plusieurs de ses ouvrages qui ont
été présentés et traduits par Alexander Neumann et regroupés
sous le titre L'espace public oppositionnel (éd Payot, mars 2007, 239 pages).
Avant de dégager quelques aspects de la pensée d'Oscar Negt, il
convient de le situer dans le courant de recherche toujours bien vivant qu'on a appelé
l'École de Francfort et qu'il est sans doute plus juste d'appeler la Théorie critique
[1]. En quelques mots de quoi s'agit-il ?
Dans la foulée de la Révolution allemande des conseils de 1918, un groupe de
chercheurs s'inspirant aussi bien des travaux de Marx que de ceux de la psychanalyse entre autres
fondèrent en 1923 un institut à Francfort pour étudier en particulier les
thèmes suivants : « Grève de masse, sabotage, vie internationale du
syndicalisme, analyse sociologique de l'antisémitisme, bolchevisme et marxisme, parti et
masse, modes de vie des différentes couches de la société. »
Les principaux initiateurs Max Horkheimer et Theodor W. Adorno entendaient mener des recherches
empiriques et théoriques mobilisant l'interdisciplinarité des sciences sociales ; et
cela en restant indépendants des partis se réclamant de la social-démocratie
ou du communisme. Ils estimaient que l'allégeance à un parti comportait le risque
d'avoir une vision figée des problèmes politiques et sociaux et d'être sous la
pression intellectuelle des intérêts étroits de ces partis. Leur autonomie
comportait le risque de l'isolement, de la coupure avec le mouvement ouvrier ou celui de s'adapter
à la société bourgeoise.
Les catastrophes historiques qui survinrent avec le sabotage du mouvement ouvrier par la
social-démocratie et le stalinisme et sa destruction par le nazisme, le génocide des
juifs d'Europe et des tziganes furent des défis majeurs mettant sérieusement à
l'épreuve le projet initial sans pour autant le réduire à néant. Adorno
et Horkheimer contraint de s'exiler aux Etats-Unis remirent en cause radicalement un marxisme
pétrifié ayant pour eux failli. Ils examinèrent la généalogie
d'une idéologie de la Raison instrumentale et du Progrès ayant contribué
à masquer les problèmes, à rendre aveugle face à la barbarie qui avait
surgi et déferlé dans les années trente et quarante et dont les racines
restaient à comprendre au prix de nouvelles analyses. Les formes de barbarie restaient pour
eux latentes y compris dans des pays apparemment démocratiques comme les États-Unis
ou comme l'Allemagne d'après 1945. La critique de l'économie politique ne pouvait,
moins que jamais, être dissociée d'une critique de l'industrie culturelle, des mass
medias et de tous les phénomènes de réification au sein des relations sociales
[2]. Ils engagèrent un vaste travail en
particulier sur les phénomènes psychologiques et sociaux conduisant à la
formation de personnalités autoritaires, y compris au sein des classes populaires.
Ils ne renoncèrent donc pas à des recherches visant à l'émancipation,
même si elles étaient centrées fondamentalement sur les obstacles à
cette émancipation. Après la Deuxième guerre mondiale l'Institut de Francfort
fut donc refondé. A partir de ce centre de recherches qui influença en Allemagne
fédérale de nombreux étudiants, une nouvelle génération de
sociologues et de philosophes a émergé dont Oskar Negt (né en 1934) qui
écrivit sa thèse de philosophie sous la direction d'Adorno et travailla avec
Jürgen Habermas pendant plusieurs années.
Toutefois à partir des années soixante et jusqu'à aujourd'hui des orientations
différenciées voire opposées vont apparaître qui d'une certaine
façon cohabitaient de façon conflictuelle chez Adorno lui-même. La position de
neutralité académique et de retrait philosophique, à l'écart des
débats et actions collectives qui travaillaient la jeunesse et le monde salarié, sont
des postures qui vont l'emporter chez un certain nombre de chercheurs dont le principal d'entre
eux, Habermas qui abandonna délibérément l'héritage subversif de la
Théorie critique.
Par contre Oscar Negt et bien d'autres penseurs dans différents pays vont constituer de fait
ce qu'Alexander Neumann a appelé le « courant chaud » de la Théorie
critique. Comme il le relève, ce terme avait été utilisé
antérieurement par Ernst Bloch pour distinguer « la polarisation historique du
marxisme européen, entre un courant froid, doctrinaire, économiste et calculateur, et
un courant chaud, intéressé par la subjectivité politique et
l'imprévu. » [3]
Par définition la théorie critique dans son courant chaud ne cherche pas à se
stabiliser en un système. Elle est constamment critique d'elle-même, se situant dans
un espace mouvant, au carrefour entre philosophie, sciences sociales, esthétique,
littérature, mouvements politiques, associatifs et syndicaux. Elle ne prétend rien
dominer puisqu'elle s'efforce de mettre en évidence tous les dispositifs de domination
lesquels entraînent de façon complexe des réactions de soumission, de
régression, d'indignation ou de révolte ouverte.
Dans ces conditions on ne s'étonnera pas qu'Oskar Negt ait évolué depuis les
années soixante jusqu'à aujourd'hui, tout en travaillant inlassablement quelques
concepts fondamentaux tel que celui d'espace public oppositionnel ou prolétarien.
Tel est le titre du premier texte d'Oscar Negt proposé dans son livre
disponible en français. Il date de 1976. Il est une riposte à la polémique des
conservateurs opposant « la liberté » au « socialisme ».
Au-delà de cet aspect circonstanciel, la sagacité de Negt dans sa façon de
penser le rapport entre démocratie et socialisme n'a rien perdu de son actualité. Il
constate que le socialisme a été gravement discrédité par le
stalinisme. Il relève « la manière missionnaire dont les partis de droite
et d'extrême droite se sont approprié les notions de démocratie et de
liberté » ainsi que « l'usure totale de la notion de
démocratie » confrontée à la réalité. Sous le manteau
de la légitimation démocratique, les États occidentaux couvrent toutes sortes
d'oppressions, de discriminations et de restrictions des libertés publiques.
Un travail de réappropriation des concepts indissociables de socialisme et de
démocratie est nécessaire par chaque nouvelle génération «
dans le contexte spécifique du moment et sous les conditions sociales du temps
présent. ». Il s'agit de faire ressortir le contenu révolutionnaire de la
démocratie, son « noyau originaire : l'abolition de la domination de l'homme sur
l'homme et l'épanouissement complet de ses capacités » [page 32]
À l'inverse, au cœur des démocraties bourgeoises se retrouvent trois formes de
domination : « soit la domination légale appuyée sur l'emprise
bureaucratique, soit une domination traditionnelle, soit encore la domination charismatique
» (cette typologie a été formulée initialement par le sociologue Max
Weber).
Le contenu de la démocratie socialiste est tout autre. Son concept positif et offensif
« n'appelle pas uniquement à la raison des êtres humains », il «
s'adresse à leurs affects, leur image de la libération et leurs intérêts
immédiats ». Il s'y déploie une dialectique de la
spontanéité et de l'organisation, de l'autogestion et de la centralisation, la
rencontre de deux énergies, à savoir la capacité de la mémoire des
luttes d'émancipation et le potentiel de l'utopie.
Ce rapport vivant dans lequel chaque personnalité avec ses spécificités doit
pouvoir pleinement prendre sa place a aussi des conséquences sur la façon dont on
envisage les luttes et la façon dont on s'organise.
Oskar Negt formule des écueils qui sont loin d'avoir disparu. « Quand cette
dialectique ne se réalise pas, la formation des opinions continue à se faire de
façon mécanique : ou bien elle suit le cours - tantôt caché,
tantôt ouvert - d'une structure de commandement s'exerçant du haut vers le bas, dans
une sorte de platonisme administratif des grandes directions et des comités centraux qui
savent tout, ou bien elle soutient le discours accompagnant une pratique qui se veut
avant-gardiste, mais qui est en réalité sectaire. » [page 40]
La façon dont on s'organise indique la société que l'on veut. Il faut donc
« faire prévaloir le droit à l'expérimentation ouverte et à
la particularité dans le débat sur le contenu, les objectifs et la question
organisationnelle […] ». « Le pluralisme ne peut se déployer
réellement qu'au sein d'une société qui ne soumet plus les êtres humains
aux conditions de classe, en les réduisant à des annexes de la machinerie de
production, mais il devient alors une nécessité existentielle. » [page
52]
La notion d'espace public est aussi commune et banale dans son utilisation que
celle d'opinion publique qui lui est liée. Il est d'autant plus nécessaire de
l'interroger et d'en préciser le sens. Habermas y a consacré un travail approfondi. A
partir d'une étude de ses formes d'émergence comme celle de l'espace public bourgeois
de la République anglaise du XVIIe siècle où le pluralisme des partis et de la
presse apparaît, Habermas a dégagé un modèle d'espace public
idéal pouvant être le lieu de publicité des idées et savoirs, le lieu de
délibération par excellence et le lieu d'un consensus à rechercher entre
citoyens [4].
En fait, quand espace public il y a eu historiquement, les bourgeois l'ont utilisé pour
régler leurs divergences, certains de leur problèmes et défendre leurs
intérêts, en écartant ou en neutralisant des secteurs entiers de la
société. Sous leur contrôle, l'espace public est « une
synthèse sociale illusoire » [page 116].
Ces groupes sociaux écartés de la délibération publique agissent et
prennent la parole lors de révolutions et divers mouvements dans des lieux et des cadres
tels que les clubs, les comités, les coordinations ou conseils qu'ils inventent et font
vivre en dehors de l'espace public bourgeois qui a la prétention de représenter toute
la société.
À partir de telles expériences de démocratie directe et de prise de parole
autonome qu'on retrouve aussi bien en 1848, dans la Commune de Paris, dans les conseils de la
Révolution allemande de 1918, dans l'Espagne de 1936, la Hongrie d'octobre 1956 ou en 1968,
Oskar Negt a donc mis en cause le modèle d'Habermas et introduit la notion d'espace public
oppositionnel ou prolétarien. Il précise que ce terme « ne concerne pas
seulement l'expérience des travailleurs, [il] désigne tous les potentiels humains
rebelles, à la recherche d'un mode d'expression propre » [page 222]. C'est un
processus de débordement de l'espace public bourgeois, une instance de médiation
entre les êtres humains dont les vies sont gâchées, amoindries, brisées
par le procès de valorisation capitaliste. Ils peuvent y exprimer leurs subjectivités
qui sont d'ordinaire refoulées, humiliées, dévalorisées par ce
même procès du Capital qui mobilise à son profit une multitude de rouages dont
la visibilité n'est pas toujours évidente. Les êtres concernés sont
évidemment les travailleurs et les chômeurs comme les femmes, les jeunes, les
sans-abri et tout être ou groupe social ne supportant plus tel ou tel injustice ou violence
à son égard générée par la valorisation du capital.
Sur ce point, selon mon interprétation personnelle, Negt nous évite de nous engager
dans des impasses qui ont la vie dure en ce qui concerne la compréhension des luttes et d'un
projet de société humaine débarrassée du fatras capitaliste.
Les travailleurs ne peuvent plus être considérés comme une force messianique
appelée à devenir de toute évidence le sujet historique libérant
l'humanité de ses chaînes à la suite d'une prise de conscience de classe. Cette
approche est abstraite et réductrice. Elle n'aide en rien les travailleurs à
développer leurs capacités actuelles et futures. Elle dévalorise a priori
toutes les autres formes de révoltes et contestations individuelles ou collectives contre la
domination capitaliste comme étant secondaires. Sous couvert d'investir les travailleurs
d'une mission historique grandiose, on s'enlise dans la démagogie ouvriériste, on
réifie le prolétariat et on ne porte qu'une attention superficielle à
l'expérience totale et diversifiée des travailleurs eux-mêmes dans le monde
entier. On perd de vue ce que les expériences multiples des travailleurs portent
contradictoirement comme éléments d'émancipation mais aussi d'aveuglement
à leurs propres intérêts pour des raisons qui doivent être
étudiées rigoureusement. Negt relève d'ailleurs une difficulté à
laquelle il nous faut faire face : « Les sociétés offrant un sol fertile
aux peurs existentielles produisent toutes le suivisme conformiste et la soumission à
l'autorité » [page 185].
L'autre impasse consiste à noyer tous les acteurs des mouvements dans un grand tout
indifférencié, les citoyens ou la société civile, (Negri parle de son
côté de la Multitude), avec toute les notions abstraites et mythifiantes qui
vont avec, la République, la Démocratie, la Communauté internationale ou
l'Etat social. Au passage cette position néglige complètement ce qu'a de
décisif le procès de valorisation du capital dans la reproduction des rapports
sociaux.
Les développements très riches de Negt à ce propos intègrent dans un
même mouvement de la pensée une compréhension de la formation des
personnalités dans le cadre de la famille, de l'école et de l'entreprise. Il explique
par exemple que la temporalité spontané de l'enfant au travers laquelle il exprime
ses besoins entre en contradiction avec la temporalité du capital mettant en route un
processus disciplinaire auquel tout travailleur devra ensuite continuer à se soumettre
pendant toute son existence.
Loin de sous-estimer l'importance des salariés, Oskar Negt aborde toutes
les dimensions de leur existence en particulier dans Travail et dignité humaine
ainsi que dans Histoire et subjectivité rebelle ouvrageréalisé en
commun avec l'écrivain et cinéaste Alexander Kluge dont nous avons ici des chapitres
[5].
Entre autres expériences, Negt a conduit un long travail de formation sociologique
auprès du syndicat IG Metall qui lui a fourni une matière abondante sur l'existence
ouvrière et sur l'évolution des méthodes d'exploitation de la force de
travail. Son analyse notamment du temps de travail et du très restreint temps de non travail
s'inscrit dans sa conviction que le « travail vivant » est au cœur de la question
de la compréhension du capitalisme et de son dépassement. « […] il
faut remplacer l'économie politique du travail mort, c'est-à-dire du capital et de la
propriété, par une économie politique du travail vivant, partout où la
nécessité de l'émancipation humaine est en jeu, et ce afin d'approcher d'une
forme d'organisation raisonnable du bien commun » [page 190]. La finalité du
travail vivant doit être liée à un bien commun. « Une telle
économie, comment serait-elle possible, sinon en faisant appel à la participation
politique d'êtres autonomes et capables d'agir par eux-mêmes ? »
Corrélativement la perte d'emploi signifie une perte totale de réalité, avec
ses effets anxiogènes et sa violence intériorisée finissant
éventuellement par s'exprimer contre soi, dans la famille, le cadre scolaire ou n'importe
où contre un bouc émissaire. « La peur de cette perte de
réalité implique à son tour une disposition plus grande à l'adaptation,
voir à la suradaptation conformiste. »
La vitalité de pratiques démocratiques dignes de ce nom et la perspective d'une
société harmonieuse sans guerre et sans violence est fortement connecté pour
Oskar Negt au poids et à la richesse humaine au sein du travail salarié qui permet
des formes de respect de soi et de reconnaissance sociale qui sont balayés par le
basculement dans le chômage.
Cette question nous ramène à celle de la dialectique qui se produit
en permanence entre un espace public bourgeois qui s'est profondément transformé ces
dernières décennies au travers de la manipulation des esprits par les mass
médias, et l'espace public prolétarien qui selon les moments se rétracte,
frôle l'inexistence ou se déploie en entraînant de nombreux groupes sociaux.
Les intérêts des travailleurs et de toutes les catégories opprimées ne
peuvent se déployer et déboucher sur une autre société qu'en
s'organisant dans un espace qui leur est propre et qui déborde nécessairement les
organisations ayant pignon sur rue. Dans ce processus de constitution, ses acteurs sont
amenés bien sûr à utiliser les ressources de l'espace public bourgeois qui sont
à leur portée et éventuellement à subvertir certaines de ses
formes.
Mais les obstacles doivent être bien saisis. Les mass médias livrent une
réalité seconde, opèrent un tris et une déformation des informations,
fournissent des fictions calibrées, objets de désir pour alimenter les affects des
spectateurs. Tout cela a un impact prégnant dans le cadre d'un mode de vie qui ne laisse
à personne le temps de la critique et de la réflexion. Le virtuel tend à se
substituer aux expériences vécues par les sujets sociaux.
De leur côté les organisations politiques, syndicales et associatives ne cristallisent
qu'une petite partie des expériences vécues des travailleurs. Elles constituent pour
nombre d'entre elles un obstacle à la compréhension de la réalité et
à la mobilisation de la mémoire des expériences passées. Les effets de
la concurrence entre les organisations restreignent encore plus le champ de compréhension et
de possibles interventions et prises de parole par des travailleurs, des femmes ou des jeunes par
exemple. Les subjectivités rebelles, éléments fondamentaux de tout changement,
ne trouvent guère leur place dans ces cadres routiniers.
Ces obstacles perdent de leur intensité ou s'effondrent lorsqu'un espace oppositionnel se
déploie dans les rues, les entreprises, les universités ou sur internet. Dans le
cadre de mouvements comme la grève de novembre-décembre 1995, celui des jeunes contre
le CPE ou la grève générale en Guadeloupe au début de l'année
2009, la possibilité est enfin offerte à chaque participant de déployer ses
ressources d'énergie et d'imagination, ce que ne permettent pas les cadres organisés
installés et plus ou moins bureaucratisés.
Le point d'origine d'un espace public oppositionnel peut être une simple revendication ne
concernant qu'une partie de la population mais la dynamique de cet espace peut le faire muter en un
espace propositionnel d'une autre société non marchande. L'exemple du mouvement en
Guadeloupe qui est parti du problème de la hausse des produits pétroliers et a
débouché sur la question « comment bien vivre ensemble ? » est
particulièrement éloquent à cet égard.
Cette perspective ne se fabrique pas en petit comité entre quatre murs mais
elle se prépare et peut être fécondée par des analyses adéquates,
constamment renouvelées, dégageant des tendances à l'œuvre dans cette
société et tous ses dispositifs. Tout dépend de la capacité à se
libérer de ce que j'appellerais la dictature de l'immédiat consistant à
seulement dénoncer les derniers coups qui nous sont portés par l'adversaire, sans
imaginer un horizon global aux luttes et diverses contestations.
Laissons la parole à Oskar Negt pour conclure : « Celui qui se livre
complètement au présent est condamné à réagir sans cesse
à des faits accomplis » [...].
« Par ailleurs, celui qui ne trouve pas la force de rêver ne trouvera point la
force de lutter. L'encouragement quotidien à viser au-delà de l'horizon d'une seule
journée s'applique aussi à la science. Celui qui n'a pas la force de rêver ne
trouvera pas non plus la force de vraiment saisir les choses. »
Le 25 juin 2009
Samuel Holder
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