La crise nous rend attentif à tout mouvement populaire de révolte.
Depuis décembre et les émeutes grecques nous avons assisté à une forme
de radicalisation de la contestation qui se manifeste plus dans les actes que dans les
revendications. Des lieux de pouvoir ont été pris à partie par des
manifestants : en Corée du sud, en Lettonie, en Islande, ce sont vers les parlements que la
foule s’est dirigée. Le 7 avril c’est celui de Chişinău en Moldavie
qui a été mis à sac.
La Moldavie fait toujours un peu sourire les ex-lecteurs de Tintin à qui revient en
mémoire la fameuse Syldavie, ce pays dont on se demandait s’il existait vraiment. Et
voilà que, pendant quelques courtes journées, en avril 2009, la Moldavie est apparue
dans les « unes » de l’actualité. On la retrouve sur la carte,
coincée entre la Roumanie et l’Ukraine. L’histoire mouvementée de ce
jeune État, indépendant depuis la fin de l’URSS, n’aide pas à sa
connaissance. Il lui revient le triste privilège d’être le pays le plus pauvre
d’Europe.
Le mouvement des jeunes qui se sont insurgés à la suite d’élections
qu’ils estimaient truquées a été bref mais suffisamment violent pour
nous interpeller et nous rappeler la rage des jeunes Grecs quelques mois auparavant. Nous avons
retrouvé, en dehors de revendications très différentes, le même
sentiment de « vies volées ».
La petite Moldavie n’a pas inspiré une légion d’analyses, d’autant
moins qu’il ne semble pas y exister des groupes qui se rapprocheraient de nos conceptions.
[1] Le NPA a publié un communiqué le 14 avril mais sans plus approfondir le sujet.
Cet article quant à lui n’a pas pour objectif de proposer une grille
d’interprétations bien ficelées et péremptoires mais d’essayer de
comprendre tout simplement un évènement, relativement mineur à première
vue, mais qui soulève bien d’autres problèmes : aussi va-t-il prendre surtout
la forme de questions.
C’est la suspicion de fraudes lors des élections législatives
du 5 avril qui a entraîné les violentes manifestations dans la capitale. La
présidence et le parlement ont été mis à sac, certaines salles
incendiées, des meubles et documents brûlés. Les manifestants, surtout des
étudiants, ont remis en cause la victoire du parti communiste, arrivé en tête
avec près de 50 % des voix ce qui lui assure 60 des 101 sièges de
l’assemblée qui doit élire le prochain président de la
République. D’après les opposants cette victoire écrasante des
communistes a été obtenue par la falsification des listes électorales,
certains citoyens, même morts, ayant pu voter plusieurs fois! Ils dénoncent aussi une
campagne électorale entachée de nombreuses irrégularités en particulier
un accès aux médias très inégal. De son côté l’OSCE
(organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) qui avait
envoyé plusieurs observateurs, a déclaré que « le scrutin avait
été globalement conforme aux normes internationales ». Il faut
reconnaître que cette déclaration est bien molle, tout étant dans le «
globalement » ! Un nouveau comptage des voix a été organisé mais sans
que les listes électorales soient soumises à vérification et il a donc sans
surprise confirmé le précédent résultat.
Qu’il y ait eu fraude semble donc assez évident ...ce qui nous
amène à une autre question : sans fraude, les communistes l’auraient-ils
emporté ? Eh bien, il semble tout à fait que oui ! Leur victoire n’a
d’ailleurs surpris personne même s’il y a eu un petit décalage avec les
chiffres annoncés par les sondages. Les partis d’opposition arrivent loin
derrière : le parti libéral (12,8%), le parti libéral-démocrate (12,2%)
et l’alliance Notre Moldavie (9,8%) .
Les communistes moldaves ont leurs fraudeurs mais ils ont aussi des
électeurs Qui sont ces derniers ? Surtout des agriculteurs, et des
retraités, semble-t-il. Voronine avait d’ailleurs dans sa campagne promis une
augmentation de 20% des pensions. Et puis tous ceux qui ne font tout simplement pas confiance
à l’opposition ! Il ne faut pas oublier que celle-ci a été au pouvoir
aux lendemains de l’indépendance, de 1992 jusqu’en 2001 : on lui doit des
salaires et pensions qui n’étaient jamais payées à temps, une corruption
galopante : l’aide humanitaire envoyée par l’UE s’est retrouvée en
vente sur les marchés de la capitale ou sur les comptes des dirigeants. Déçus
par la politique menée par la droite les Moldaves ont donc à nouveau porté au
pouvoir les communistes, en 2001 et 2005.
Faut-il croire à la théorie de l’incendie du Reichstag ?
L’opposition a émis l’hypothèse que les violences auraient
été provoquées par le gouvernement lui-même. Des vidéos
montreraient la présence de policiers parmi les manifestants ; les forces de l’ordre
étaient, d’après certains témoignages, en chaussures de ville et peu
nombreuses. Les assaillants auraient donc agi « sur commande » sous couvert de la
police. Le Monde.fr du 5 mai signale qu’ « à 200 mètres de la grande
manifestation, les bâtiments de la présidence et du Parlement [?c] sont subitement
attaqués, en fin de matinée, par des groupes de casseurs, qui entraînent des
étudiants avec eux[?c] Plusieurs casseurs ont les cheveux coupés ras, des vestes
sombres et des capuches qui leur masquent le visage[?c]Ils parviennent sur le toit avec
l’aide de policiers. Ils y déploient un drapeau roumain et un drapeau européen
». Qu’il y ait eu des « provocateurs » infiltrés dans les rangs des
jeunes manifestants, c’est fort possible, c’est aussi un scénario que nous
connaissons hélas fort bien. Que ce soit eux qui aient pénétré dans le
parlement afin de le mettre à sac, discréditer ainsi le mouvement étudiant et
justifier la répression, c’est également concevable. Mais cette
explication ne suffit pas : ce n’est pas seulement quelques dizaines de casseurs qui
s’en sont pris aux symboles du pouvoir. Des membres d’Amnesty International
présents sur les lieux, tout en signalant l’hypothèse de la provocation,
décrivent une foule de plusieurs milliers de personnes ( 15 000 ? 20 000 ?) lançant
des bouteilles en verre, en plastique, des œufs, des briques, des pavés et , nous les
citons, « malgré leur présence en force, les policiers anti-émeutes
ont fini par se retirer complètement et la foule a investi les deux bâtiments
» . La manifestation s’est transformée en véritable émeute
qui a fait un mort et une centaine de blessés. La répression s’est abattue
violemment contre les manifestants et journalistes indépendants, répression
dénoncée par diverses ONG.
De leur côté les autorités communistes ont dénoncé une tentative
de coup d’état fomenté par la Roumanie, leur bouc émissaire
préféré. Les jeunes émeutiers ont été
présentés par le président Voronine comme « des bandes de fascistes
ivres de colère » manipulés par des puissances étrangères
pour déstabiliser le jeune état moldave. Le ministre russe des affaires
étrangères s’est empressé de lui emboîter le pas.
L’ambassadeur roumain a été expulsé du territoire moldave, les relations
se sont tendues entre les deux pays, l’obligation de visas rendant la circulation difficile.
La décision prise par Basescu, le président de Roumanie, d’alléger les
procédures afin de permettre que les Moldaves (ils pourraient être 800 000) «
abusivement privés de la citoyenneté roumaine puissent la recouvrer en urgence
s’ils le souhaitent » n’allait évidemment pas dans le sens de
l’apaisement.
Ces deux hypothèses, celle de la provocation policière et celle du coup
d’état réduisent toutes deux les jeunes à l’état de
marionnettes, jouets de forces obscures. Laisser entendre que leur mouvement de violente
colère relèverait d’un complot, c’est un pas que d’aucuns ont un
peu vite franchi. Ce point de vue a ses défenseurs en France aussi. L’hebdomadaire
Politis, dans son numéro du 16 avril, ne va pas jusqu’à assimiler les jeunes
Moldaves aux fascistes et leur reconnaît une certaine bonne foi mais il les présente
malgré tout sous l’angle d’émeutiers pro-américains
télécommandés par des fondations étrangères. Il n’en dit
pas plus : Quelles pourraient donc être ces fondations étrangères ? On songe
à OTPOR, une ex-organisation serbe. On songe aussi à la fondation Soros à qui
on doit l’invention du terme de « révolution twitter ». Les jeunes
Moldaves, comme les jeunes Grecs, ont été appelés à manifester via
leurs portables et ordinateurs : SMS en Grèce, plate-forme de socialisation facebook et
twitter en Moldavie ; chaque connecté peut lire en direct des messages très courts
envoyés par des « animateurs ». Plusieurs personnes auraient donc reçu un
texto disant «Venez lutter contre les communistes sur la place du gouvernement, faites
passer le message » (d’après l’AFP). Qui seraient ces «
animateurs » ? Mais encore une fois faut-il penser que la colère exprimée par
les jeunes Moldaves n’est que le fruit d’une manipulation ? Il est toujours difficile
de définir ce qui est complètement spontané. Dans le cas de la Moldavie,
le nombre de manifestants, la rancœur et le désespoir qu’ils ont
exprimés, tout cela montre que, même si le mouvement est quelque part lancé
« par en haut », il n’en reste pas moins qu’il a rencontré
spontanément un écho dans une frange de la population, de la jeunesse en
particulier. Les raisons restent donc à analyser.
Si nous continuons à suivre la piste des puissances étrangères qui de loin tirent les ficelles on en arrive vite à se demander s’il n’y a pas une certaine continuité de la guerre froide. Bien sûr nous ne pouvons plus associer les deux blocs à deux idéologies opposées puisque les dirigeants russes se sont convertis au capitalisme et que les ex-démocraties populaires se sont empressées de rejoindre la très libérale Union européenne. Mais les deux grands « empires », l’américain et le russe, sont toujours là, en perte de vitesse, c’est un fait, leurs relations sont en zig zag, tantôt proches, tantôt adverses, mais ils se donnent encore les moyens de peser sur leurs sphères d’influence respective, même si celle-ci s’est réduite comme peau de chagrin du côté russe.
En décembre 2004 un article paru dans Rinascita, journal communiste
italien, dénonçaitdéjà l’ingérence américaine et
titrait : « Les Fondations Soros et Ford, la Freedom House et la CIA financent les
“révolutions démocratiques” dans le monde ». L’article
nous donnait au passage le montant des sommes allouées par la CIA à la
révolution Orange en Ukraine.
Le 20 avril dernier un article paru sur le site LPAC[2] sous le titre : « La main
comportementaliste de Soros derrière la révolution twitter » expliquait
comment Twitter pouvait servir à fomenter des émeutes-éclairs «
spontanées » via le réseautage, comment « Internet ne permet pas
seulement d’attaquer les dictatures, [?c], mais aussi de bousculer les habitudes quelques peu
vieillottes de nos chers altermondialistes de l’ancienne époque, toujours nostalgiques
de leurs mobilisations contre le sommet de Seattle et de Gênes ». Et de citer une
étude qui constate que « la probabilité qu’un gouvernement se fasse
renverser par des moyens violents, est en corrélation avec l’accès aux
téléphones mobiles ». Georges Soros est un personnage ambigu. Financier et
milliardaire américain né en Hongrie, il est connu pour être à la fois
un spéculateur redoutable ( c’est « l’homme qui a fait sauter la banque
d’Angleterre » en 1992) et un philanthrope attaché à combattre les
dictatures en particulier celles issues de l’ex-URSS.
La main de la CIA est indéniable en ce qui concerne le tandem serbe Maric et Lazendic.
Michel Collon sur son site Investig’Action en octobre 2004 avait fait paraître un
article intitulé « Besoin d’une révolution ? Appelez Otpor !
». Il y était expliqué que les deux amis dont «le curriculum vitae
professionnel présente d’étranges spécialités :
entraînement au coup d'État, management des révolutions » ont
participé activement au groupe OTPOR[3] qui a contribué à renverser Milosevic
et qu’ils ont été engagés par la suite par Freedom House[4] (dont le
président, James Woolsey, a été directeur de la CIA de 1993 à 1995)
comme conseillers spéciaux pour les mouvements de jeunes en Ukraine. Rien ne prouve
qu’ils se soient mêlés des affaires moldaves mais rien n’interdit de
penser que l’ombre de la CIA ne plane aussi en Moldavie. Cela n’autorise pas cependant
les diatribes violentes contre les étudiants moldaves comme nous avons pu en lire sur
certains sites (Agora Vox, site du PC d’Istres). Ils ne seraient que des
privilégiés « ignorants des souffrances du bon peuple », agissant pour le
compte de la City ou de Wall Street, voire carrément des fascistes. Derrière
ces discours qui se veulent « de classe », anticapitalistes, anti-impérialistes,
que voyons- nous poindre si ce n’est un méprisant refus d’entendre ce que la
jeunesse moldave cherche à exprimer. Qu’il y ait du Soros, du twitter, du
Freedom House dans les évènements moldaves, c’est possible mais
réduire la colère et le désespoir de milliers de jeunes à un complot de
droite voire d’extrême-droite c’est adopter la solution de facilité qui
consiste à classer « par camps » sans la moindre nuance.
La main mise russe est moins violemment dénoncée comme si
c’était un fait acquis que la Moldavie relevait de Moscou à qui est
accordé tacitement le droit d’exercer son exclusivité dans l’espace CEI
(Communauté des États Indépendants que la Moldavie a rejoint dès 1991).
Pour ménager Gazprom on fait silence sur la guerre en Tchétchénie, la
répression dans le Caucase du nord, les assassinats de militants et de journalistes à
Moscou !
Pourtant la question de la Transnistrie est là pour nous rappeler que dans cette
région aux confins de l’Europe, il n’y a pas que l’œil de
Moscou, il y a aussi ses bottes ! La Transnistrie est cette étroite bande de terres
sur la rive gauche du Dniestr que le Kremlin a toujours favorisée du temps où elle
faisait partie de la République socialiste moldave et qu’il a aidée
militairement à faire sécession en 1991. Depuis les Russes y maintiennent toujours un
bon millier de soldats, ils y gardent également 35 000 tonnes d’armes et de
munitions?c lesquelles, vendues au marché noir, ont donné lieu à un trafic
juteux. La Transnistrie est donc non seulement un non-État (elle n’a pas
été reconnue par la communauté internationale) qui vit essentiellement
grâce à l’aide financière russe mais c’est aussi une zone de
non-droit devenue la plaque tournante de trafics en tous genres (voitures volées, drogue,
prostitution, trafics d’organes?c) où même le Guide du Routard
déconseille de séjourner !
La petite Moldavie, voisine de la turbulente Ukraine, n’a pas vraiment les moyens
d’échapper à l’œil de Moscou qui avec ses embargos sur ses produits
agricoles et ses menaces sur les livraisons de gaz la rappelle vite à l’ordre. On
l’a vu dernièrement encore à propos des manœuvres de l’OTAN en
Géorgie. Le président russe, Medvedev, les a qualifiés de provocations
grossières arguant du fait qu’on n’organisait pas de tels exercices sur un
territoire qui venait d’être le théâtre d’une guerre. Preuve que la
Russie maintient encore sous pression ses ex-républiques, plusieurs d’entre elles ont
renoncé à participer aux manœuvres : la Lettonie , l’Estonie et
l’Arménie ont invoqué un manque de personnel et des raisons économiques
mais le Kazahstan, la Moldavie (plus la Serbie) ont reconnu avoir changé d’avis suite
aux consultations avec Moscou. On ne peut être plus clair !
Elle a prudemment tenté de se donner le rôle de médiateur en
se faisant le champion de « l'État de droit » et en laissant entendre
qu’elle pourrait conditionner ses aides financières à des réformes
démocratiques. Les ministres des affaires étrangères ont
réfléchi à l’envoi d’une mission d’enquête mais
Voronine a opposé une fin de non recevoir à leur requête.
Il ne s’est pas déplacé non plus le 7 mai pour assister à Prague au
sommet de l’UE qui devait lancer le partenariat oriental. Ce partenariat qui
se donne pour objectif d’aider six pays de l’ex-URSS ( l’Ukraine, la
Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Biélorussie et la
Moldavie) à renforcer chez eux les droits de l’homme et l’économie de
marché, inquiète évidemment la Russie qui voit là un empiètement
sur ce qu’elle appelle « sa zone d’intérêts
privilégiés » ; le chef de la diplomatie russe a dit craindre que «
certains puissent vouloir offrir aux pays participants le choix suivant : vous êtes soit
avec la Russie, soit avec l’Union européenne ». Les craintes russes
sont-elles vraiment fondées et peut-on aller jusqu’à dire, comme le fait
« Courrier International » le 6 mai, que « Bruxelles lance un défi
à Moscou » et que le partenariat « vise à
désintégrer l’espace postsoviétique » ? Le partenariat est
plutôt un moyen de faire patienter les 6 pays. Toute négociation
d’adhésion est pour l’instant exclue et les visas restent obligatoires, tout au
plus seront-ils facilités au cas par cas. On leur promet, pour un budget dérisoire de
600 millions d’euros, une coopération renforcée dans les domaines
économiques, sociaux et politiques mais cela reste bien vague ! Un peu plus de
libre-échange, ça va de soi, un peu plus de contrôle aux frontières,
ça va de soi aussi de la part de l’Europe- forteresse. Une coopération en
matière de sécurisation de l’énergie cela va de soi également
lorsqu’on se rappelle la guerre du gaz entre Moscou et Kiev et l’interruption pendant
deux semaines cet hiver des livraisons vers l’Europe, ce qui avait fait avouer à un
diplomate européen que « ces tensions montrent bien que le partenariat est
indispensable » ( cité par le Monde du 8 mai).
La guerre du gaz entre l’UE et la Russie aura-t-elle lieu ? Jusque là
les principaux gouvernements de l’UE avaient privilégié les bonnes relations
avec Moscou et avaient accordé peu d’importance au GUAM, une structure fondée
en 1996, regroupant la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, la Moldavie puis
l’Ouzbékistan qui, pour sauvegarder leur fraîche indépendance par rapport
à la Russie, proposaient le renforcement d’un corridor énergétique qui
échapperait à l’emprise russe. Ce projet vient d’être repris
à Prague lors du sommet sur l’énergie qui a suivi celui du partenariat
oriental. Il y a été envisagé d’ouvrir un « corridor sud »
qui assurerait une source d’approvisionnement alternative à la Russie (via la
Turquie). Un gazoduc devrait relier les gisements gaziers de la mer Caspienne aux marchés
européens. Ce sera « la nouvelle route de la soie » a-t-il été dit
poétiquement !
L’UE ne fait donc pas illusion... Elle reste une entreprise essentiellement
commerciale, attachée à défendre l’idéologie de marché
plus que les droits de l’homme et les droits des peuples ! Le président
Voronine avec un certain humour l’a accusée le 29 avril de créer un «
nouveau rideau de fer ». « Ce que l'Union européenne fait avec la Moldavie
n'est pas bon. Ouvrir l'Europe pour les citoyens moldaves moyennant l'obtention de passeports
roumains, c'est humiliant pour le peuple moldave. On ne doit pas nous humilier ainsi, en nous
permettant de nous rendre en Europe uniquement via la Roumanie. C'est pire que le "rideau de fer"
» ( cité par Ria Novosti)
Pour Nicu Popescu, chercheur au Centre for European Policy Studies à
Bruxelles (Le Courrier des Balkans le 4 avril), c’est non : « La démocratie
se détériore mais ce n’est pas une dictature ». Pour Dorin
Chirtoaca, le maire de Chişinău et vice-président du parti libéral,
interrogé par le Courrier des Balkans (mis en ligne le 16 avril ) c’est oui :
« La justice n’est pas indépendante, l’administration centrale manque
complètement de transparence, la décentralisation fiscale est défaillante et
les collectivités locales ne bénéficient pas d’une véritable
autonomie. Par ailleurs, la presse n’est pas du tout libre. Ainsi, la
télévision et la radio publiques, qui sont les seules à couvrir
l’ensemble du pays, relaient depuis des années la propagande communiste [?c]. La
population n’est donc pas du tout informée comme elle le devrait »
Effectivement, les témoignages concordent pour signaler l’information sous
contrôle, les atteintes aux droits de l’homme, les arrestations arbitraires. De
nombreuses ONG ainsi qu’une délégation du Parlement européen
dénoncent les brutalités policières, les conditions de détention
inhumaines au lendemain des manifestations. Dans un rapport confidentiel l’OSCE confirme ces
témoignages. Amnesty International de son côté signale les harcèlements,
intimidations et sanctions que les autorités moldaves leur infligent ainsi qu’à
d’autres ONG. Mais tout cela ne suffit pas pour faire de la Moldavie une dictature. Les
partis d’opposition peuvent s’exprimer et participer à la vie politique
institutionnelle, il existe des journaux « libres » même s’ils sont de
parution peu fréquente et des cybercafés très fréquentés. Nous
n’avons pas eu connaissance d’assassinats de journalistes ou autres opposants comme
c’est le cas en Russie. Nous avons connu des dictatures sanguinaires qui faisaient
disparaître par milliers leurs opposants et souvent par la torture. Soyons honnête : ce
n’est pas le cas de la Moldavie.
Le PCRM (Parti des Communistes de la République de Moldavie) est
l’héritier du parti Communiste de la République socialiste de Moldavie et il y
a tout lieu de supposer qu’il compte encore dans ses rangs des membres rompus aux bonnes
vieilles méthodes staliniennes ! Il est revenu au pouvoir il y a 8 ans sur un programme
pro-russe puis en 2005 sur un programme pro-européen. La Moldavie est donc devenue la
première république de l’ancien bloc soviétique à être
à nouveau dirigée par un communiste, à la suite de votes démocratiques,
ce qui a surpris bien des commentateurs occidentaux prêts à jeter le
bébé avec l’eau du bain : le communisme avec l’URSS ! Et pourtant ils
auraient été en partie rassurés s’ils avaient mieux observé ces
drôles de communistes moldaves, convertis au libéralisme, des gens très
pragmatiques somme toute : pro-européens pour recevoir des aides financières
de l’UE, pro-Russes pour recevoir leur gaz ! D’ailleurs en mai 2001
l’Express rapportait ces propos de Voronine : « Les Français n’ont
rien à craindre d’un retour du communisme en Moldavie. C’est une question
dépassée. Tous les dirigeants de l’ancien bloc socialiste sont
d’ex-communistes. La différence, c’est que moi, je ne m’en cache pas
» et l’article précisait que « La Moldavie vient
d’adhérer à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et Voronine assure
qu’il privatisera le tabac et le vin « si c’est l’intérêt de
la patrie » ».
Comment expliquer que le PC moldave ait été une nouvelle fois porté au pouvoir
?
Le site Télos a publié cette analyse le 20 avril [5] : « La
victoire électorale du PC a plutôt consacré un parti installé qu'un
parti révolutionnaire [...]. Le paradoxe veut même, en Moldavie, que les
communistes soient les candidats les plus riches. Cette grande bourgeoisie d'affaires semble contre
toute attente attirer aux urnes une proportion importante de ruraux, de minorités et de
retraités, effrayés par les conséquences des années 1990 durant
lesquelles la population s'est considérablement paupérisée. Le
programme des communistes insistait ainsi largement sur la libéralisation économique,
les privatisations et les investissements étrangers [...]».
L’auteur de ce texte tend à penser que les communistes au pouvoir ont formé une
nouvelle bourgeoisie. C’est allé un peu vite en besogne ! Parlons plutôt
de parasites qui ont su se maintenir au pouvoir, ce que nous confirmera dans la suite de
cet article l’analyse de la décollectivisation des terres.
Faut-il voir plutôt un bras de fer entre une intelligentsia des villes pro-libérale et
des travailleurs des campagnes procommunistes ? C’est ce que semble penser A. Billette dans
Le Monde du 14 avril : « Le nationalisme pro-roumain est perçu comme étant
l’apanage de l’élite intellectuelle de Chişinău, proche de
l’opposition, tandis que la Moldavie rurale, davantage tournée vers Moscou, soutient
majoritairement les communistes. » Nicu Popescu propose une autre explication dans le
Courrier des Balkans (11 février) : «Ce n’est pas, la faute des
électeurs si et les partis changent de ligne politique comme ils changent de
chemises : aujourd’hui ils sont pro-européens, demain pro-russe, aujourd’hui ils
sont procommunistes, demain anticommunistes. Paradoxalement, c’est le PCRM qui a le
plus évolué ces dernières années comparé aux forces
d’oppositions [...] Les électeurs moldaves ont des comportements politiques
relativement adultes. Ils pénalisent les forces politiques qui les
déçoivent [...] L’électorat pénalise également
les partis qui sont au gouvernement. »
Les dernières élections ont montré que l’électorat ne
pénalisait pas systématiquement les partis au gouvernement mais ils pénalisent
sans aucun doute ceux qui les déçoivent. Force est de constater que
l’opposition moldave n’a pas convaincu ! Nous avons déjà rappelé
au début de cet article que, lorsque la droite libérale s’est
retrouvée au gouvernement après l’indépendance, elle a mené une
politique catastrophique qui a appauvri encore plus la population à
l’exception des élites politiques et oligarchiques: augmentation du prix du
pain, salaires et pensions non payées, écoles et hôpitaux en ruine, corruption
généralisée... Les communistes eux, malgré leur politique de
privatisations, ont malgré tout gardé certaines traditions de services publics.
C’est ce qu’explique aussi Octavian Ticu [6], à propos du retour au pouvoir des
communistes en 2001 : « l’arrivée au pouvoir du Parti communiste en
République moldave est moins un succès des communistes qu’un
échec de la démocratie, ou de ceux qui se disent démocrates.
La société moldave a sanctionné durement [...],
l’inefficacité des systèmes judiciaires, la réduction du niveau de vie
et la diminution du degré de la protection sociale [...] L’incohérence
des reformes économiques a généré une grave crise sociale dans la
République moldave, avec, pour principales conséquences, l’augmentation du
chômage et de l’émigration illégale. [...] Or, le retour du Parti
communiste marque le renouveau d’une certaine sécurité, de salaires modestes
mais payés régulièrement, de services à la population gratuits ou
à faible coût, c’est-à-dire une relative protection sociale
négligée jusque-là par les autres gouvernements...
»
D’après un article de Natalia Sineaeva-Pankowska mis en ligne le 14
avril par le Courrier des Balkans et repris par Rue 89 les partis d’opposition moldaves ne
sont « pas exempts de dangereux dérapages : hostilité aux minorités
nationales, exaltation du nationalisme roumain. Certains flirtent même avec des positions
révisionnistes, exaltant le régime fascisant du Maréchal Antonescu et niant
l’holocauste des Juifs de Roumanie et de Moldavie. » . Que des idées
d’extrême-droite circulent en Moldavie, cela ne nous surprend pas, cela ne permet pas
cependant d’assimiler tous les opposants à des fascistes.
Pour l’instant l’opposition maintient sa stratégie de boycott, il manque une
voix aux communistes pour disposer de la majorité parlementaire nécessaire à
l’élection du chef de l’Etat. Le parlement doit procéder à un
second vote le 26 mai. En cas de nouvel échec il devra être dissous et de nouvelles
élections législatives organisées.
La Moldavie fait partie de ces pays où la question identitaire surgit
régulièrement et où des revendications de type « nationalistes »
supplantent celles de « classes ».
Une revendication a été émise par certains manifestants lors des
évènements d’Avril : le rattachement à la Roumanie. Nous avons pu voir
sur les pancartes complaisamment photographiées par les journalistes : « Nous sommes
Roumains », « Nous voulons être dans l’Europe », « Europe, help
us ». Nous avons là en réalité deux revendications et celle du
rattachement à la Roumanie ne peut pas être complètement assimilée
à celle de rejoindre l’Europe. Dans l’état actuel de nos
connaissances, il semblerait que la première ne représente pas la volonté
générale, par contre la seconde trouve un certain écho dans la population.
La Moldavie est un État multiculturel et multilingue avec une longue tradition de mariages
mixtes. Près du quart de la population est constituée de minorités ethniques
(Gagaouzes, Ukrainiens, Russes, Bulgares, Polonais, Arméniens, Juifs, Roms...). Le groupe
majoritaire est constitué des Moldaves (64, % %) de religion orthodoxe grecque. La presse,
qu’elle soit européenne, russe ou moldave, a mis en exergue le thème du
rattachement à la Roumanie, insistant sur la présence de drapeaux roumains lors des
manifestations et sur les slogans « unionistes » L’attitude de la Roumanie ,
proposant d’offrir la citoyenneté quasiment à un cinquième de la
population moldave, a entretenu la confusion. Mais pour Alexandre Billette dans Le Monde du 14
avril : « Pour les jeunes protestataires, il s’agissait davantage
d’un appel du pied vers l’Europe que d’un cri nationaliste pro-roumain
véritablement mûri ». En effet la détention de multiples
passeports est surtout une façon d’accéder à l’espace Schengen
dans ce pays où l’immigration illégale atteint des proportions
alarmantes.
Nous allons tenter de la résumer et de nous y retrouver entre ces trois
entités géographiques aux limites mouvantes : la Bessarabie, la Moldavie, la
Roumanie.
La Roumanie qui doit son nom aux Romains est restée une enclave latine dans un monde devenu
slave. La Moldavie apparaît comme principauté au XIVème siècle. En 1812
l’empire russe annexe sa partie orientale (entre la rivière Prut à
l’ouest, le Dniestr à l’est et la mer noire au sud) et l’appelle la
Bessarabie. En 1856 la principauté de Moldavie récupère le sud de la
Bessarabie et quelques années plus tard, en 1859, s’unit à celle de Valachie
pour constituer la Roumanie. Puis la Russie reprend la partie sud de la Bessarabie et c’est
donc toute la Bessarabie qui fait partie de l’empire des tsars jusqu’en décembre
1917, date à laquelle elle proclame son indépendance, et élit un parlement qui
vote le rattachement à la Roumanie. Les Bolchéviks en 1924 créent alors une
république socialiste soviétique autonome de Moldavie dont le territoire est pris sur
celui de l’Ukraine et qui correspond en fait à l’actuelle Transnistrie. La
Bessarabie continue de faire partie de la Roumanie jusqu’en 1940. Après le pacte
germano-soviétique les Russes exigent qu’elle leur soit rendue et commencent par
déporter environ 50 000 personnes. En 1941 la Roumanie dirigée par le dictateur
fasciste Ion Antonescu la reprend pour 4 ans et procède à l’élimination
de milliers de Roms et de Juifs. En 1944 elle fait à nouveau partie de l’URSS et les
Russes, tirant partie de cette période où la Roumanie est tombée sous la coupe
des fascistes, se présentent comme des libérateurs face aux Roumains qu’ils
font apparaître comme des oppresseurs étrangers... ce qui n’empêchent pas
les « libérateurs » de tuer ou déporter des centaines de milliers de
Moldaves lors des grandes purges de 44-45. Après la dislocation de l’URSS, la Moldavie
proclame son indépendance en Août 1991, celle-ci est présentée au
Parlement comme « un premier pas vers la réunion avec la Roumanie ».
À la lecture de cette histoire il apparaît donc que la revendication de
réunification à la Roumanie n’est pas sans fondements et que c’est bien
de par la volonté de l’impérialisme russe qu’il y a eu, à partir
de 1812, deux Moldavies, une occidentale, une orientale. La Roumanie possède toujours
actuellement la Moldavie occidentale, la République de Moldavie regroupant la partie
orientale et la fameuse Transnistrie. Quant à la Bessarabie elle a été
partagée en 1991 entre la République de Moldavie et l’Ukraine qui en a pris le
nord et le sud, privant ainsi la Moldavie d’un accès à la mer noire.
Le moldave et le roumain constituent une seule et même langue appelée roumain en
Roumanie et moldave en Moldavie. Ceux qui veulent à tout prix distinguer ces deux langues
présentent le moldave comme une sorte de patois parlé par des paysans mal
dégrossis. Pour d’autres le roumain parlé en Moldavie aurait été
très influencé par le russe. D’autres encore insistent sur le fait que cette
distinction n’est qu’une invention soviétique dans le but de faire oublier aux
Moldaves leurs origines et leur « colonisation ». En Moldavie cette question a
donné lieu à cette blague: «Qu'est-ce que le moldave? C'est notre langue en
fait, sauf que nous, on ne savait pas qu'elle s'appelait comme ça, parce qu'on ne parle pas
russe.»
Reste à savoir si ce désir de réunion est profondément ancré
parmi les couches populaires ou si c’est celui d’une élite intellectuelle,
lié au jeu des partis politiques. D’après les sondages, dont on sait
qu’ils valent ce qu’ils valent, il semblerait que la grande majorité de
la population moldave désire aujourd’hui garder un État
indépendant. En mars 1994 elle s’était d’ailleurs
déjà prononcée par référendum pour le maintien d’une
«Moldavie indépendante» de la Roumanie.
La politique expansionniste de l’empire russe remonte aux premiers tsars. Le
grand problème russe a toujours été d’échapper à
l’enclavement. Pour avoir accès à la Méditerranée via la mer
noire il leur était donc nécessaire de contrôler le delta du Danube et la
région des détroits. Staline a poursuivi la politique des tsars, d’abord en
tant que commissaire du peuple aux nationalités puis en tant que chef de l'État.
Les créations des républiques socialistes moldaves (RASSM et RSSM) sont des
créations d’en haut, ne correspondant à aucune volonté
populaire (je n’en ai trouvé aucune mention en tout cas). On peut sans
exagérer parler de politique de colonisation menée par les Russes
qui s’est traduite par un apport massif de Russes et d’Ukrainiens à qui
revenaient les hautes fonctions. Pour les paysans moldaves l’appartenance à
l’URSS commence par la famine de 1946-1947. Voici un témoignage trouvé sur le
site de la Moldavie francophone : « La famine des années 1946-1947 a été
une famine organisée : en effet, il y avait eu auparavant des sécheresses terribles
de deux à trois années, mais personne n’en était mort. Les gens avaient
des réserves des produits alimentaires. Puis, il s’est produit deux années de
grande sécheresse, mais l’impôt était prélevé de la
même façon que s’il y avait eu une très bonne récolte. En plus, on
payait plusieurs fois le même impôt. On collectait aussi dans notre village [...]un
fonds dit "fond oborony" (le fonds pour la défense). Les villageois, comme ils ne
comprenaient pas le russe, l’appelaient "fondul boroanei" (le fonds de la herse). »
Le russe est sans conteste à l’origine la langue des élites et des
maîtres, une langue imposée. Après la deuxième guerre le russe
se donnant le statut de langue de communication inter ethnique, il faut l’utiliser pour
entrer dans la fonction publique et l'administration. Seul l'alphabet cyrillique est
autorisé. Tout est « russifié » : les toponymes locaux, les noms des
villes et des villages. L'histoire officielle soviétique enseignait que les Moldaves
formaient un peuple distinct (de la Roumanie), avec une langue distincte. Ce n’est que vers
la fin des années quatre-vingt que le moldave-roumain redevint langue officielle,
écrit en alphabet latin. Lorsqu’en 2003 les autorités communistes ont
réintroduit la langue russe dans les écoles moldaves et un manuel d’histoire
rappelant favorablement l’époque soviétique de violentes manifestations ont
éclaté les obligeant à accepter un moratoire.
Le russe reste la langue de communication, parlé par plus de 26% de la
population (Transnistrie comprise), la langue de la classe privilégiée, vivant dans
les grandes villes. Elle est devenue pour les Moldaves eux-mêmes plus qu’une langue
étrangère. Mais aujourd’hui les choses ont basculé : le «
moldave-roumain » est devenu la langue d’une nouvelle élite, celle des
intellectuels et des jeunes de la capitale qui s’identifient comme Roumains.
Heureusement, il y a un bon sens populaire ! Les Moldaves ont fini par laisser les élites
s’entredéchirer et sont devenus bilingues tout simplement, voire
polyglottes. En fouillant dans les différents articles on s’aperçoit que
le cosmopolitisme est tout à fait accepté et que les deux
communautés se sont influencées mutuellement. Il semblerait bien qu’en
s’appropriant la langue russe et en la faisant coexister avec la roumaine une grande partie
de la population moldave a dépassé le réflexe nationaliste de
l’enfermement dans un seul schéma de parler-penser et que, si elle n’a pas
oublié que le russe a été la langue des anciens maîtres, une langue
coercitive au service d’un pouvoir, elle est aussi, comme le note Ana Gutu (Courrier
des Balkans, 3 avril). « celle d’un grand peuple avec ses écrivains,
ses poètes, ses philosophes »
Lorsque la Roumanie en 2007 est entrée avec la Bulgarie dans l’UE,
pour bien des Moldaves l’Europe a commencé à Bucarest et la citoyenneté
roumaine est devenue le passeport pour se déplacer librement dans l’espace
européen. Le discours identitaire n’entre en résonance avec le discours
nationaliste de certains intellectuels et hommes politiques que parce qu’il laisse entrevoir
la possibilité d’échapper à une vie sans espoir. Un peu comme
l’Amérique au XIXème siècle, les pays de l’UE sont
rêvés comme le nouvel eldorado. La question identitaire, celle de la
réunification avec la Roumanie ou la Transnistrie, cela passionne certains journalistes et
intellectuels mais pas vraiment la population moldave ! « Les gens sont plus
préoccupés par le chômage, le bas niveau de vie et la mauvaise qualité
des soins. Des deux côtés du Dniestr , il n’y a pas de haine entre les gens.
C’est un conflit entre les élites » dit le politologue moldave Vladislav
Koulminski (cité par Cyber presse le 12 avril). C’est ce que dit aussi Nicu Popescu
(Courrier des Balkans, 11 février) : « « Si le dossier transnistrien occupe
le devant de la scène politique, il n’en est rien pour les citoyens du pays.
[...]Les principales questions qui intéressent les électeurs sont la
corruption, l’inflation, la situation économique du pays, la criminalité et le
chômage. [...] l’électorat moldave [...] est
préoccupé, avant tout, par ce qui l’affecte de façon directe,
l’économie notamment, et non les batailles symboliques liées à
l’histoire ou aux mythes de la nation. [...] Les citoyens moldaves s’intéressent
plus à l’intégration européenne, soutenue par environ 70% de la
population, qu’au règlement du dossier Transnistrie.»
Nous venons de découvrir que la Moldavie est comme un « trou
noir » à la périphérie de l’UE, un pays en
déshérence, en proie à la misère et au crime organisé, lieu de
tous les trafics (armes, drogues et êtres humains), avec un PIB par habitant de 2930
$, (moitié moins que celui de l’Albanie) , que l’indicateur de
développement humain (IDH) place au 111ème rang mondial, derrière le
Nicaragua, juste avant l'Égypte. (sources : PNUD, Banque mondiale, chiffres de 2007) et
où 54% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Olivier Ticu, que nous
avons déjà cité, complète ainsi ce sombre tableau : « La
République moldave reste le pays le plus pauvre de l’Europe avec un revenu
salarié de 0,32 euro par heure de travail (selon la Fédération
européenne d’engagement).De surcroît, la République de Moldavie vit
depuis quelques années sous la menace d’une cessation de paiement. La dette
extérieure cumulée par le pays représente 1,43 milliard de
dollars. Or, contrairement aux pays de l’Europe centrale et orientale, les
pays post-soviétiques ont été libérés de toute dette
extérieure, car celle-ci a été prise en charge en totalité par la
Russie. Le chiffre de 1,43 milliard de dollars correspond donc exclusivement à des emprunts
effectués au cours de la dernière décennie de l’indépendance
[...].Le seul espoir est d’obtenir une restructuration de la dette et des crédits
extérieurs, espoirs eux-mêmes conditionnés par une appréciation positive
du FMI. En conséquence, la politique économique, et notamment
budgétaire, est strictement encadrée par le FMI, qui participe à
l’élaboration des budgets, réduisant la marge de manoeuvre du gouvernement.
»
Le joli nom de « jardin de l’URSS » lui avait été
attribué. Mais si la Moldavie est resté un pays essentiellement
agricole c’est en raison des calculs politiques des maîtres du
Kremlin qui avaient fait le choix de favoriser et d’industrialiser la Transnistrie
plus docile. La Moldavie manque donc d’industries, hormis quelques industries
agro-alimentaires, de sources d’énergie (d’où sa dépendance du gaz
russe) et d’accès à la mer puisque c’est à l’Ukraine que
cela a été donné . La politique actuelle de Moscou qui a mis l’embargo
sur divers produits agricoles qu’elle achetait autrefois ruine l’économie
moldave. C’est ainsi qu’en 2006 environ 200 voitures de train et des dizaines de
camions chargés avec du vin moldave (la Moldavie partage une longue tradition de viticulture
avec l’Arménie) ont été bloqués dans les douanes russes sous le
prétexte fallacieux de présence de pesticides.
L’héritage de la politique de collectivisation est lourd à
porter. Les kolkhozes, créés à l’époque
soviétique, ainsi que les grandes exploitations spécialisées dans la
production de fruits et de vin ne se sont jamais révélés efficaces en termes
de productivité. Lorsqu’il s’est agi de les privatiser à partir de 1991,
nouvel échec. Voici le point de vue de Viorel Chirviga, économiste à
l’institut pour le développement et les initiatives sociales de Chişinău
(article paru sur le site de la Moldavie francophone) : « Quand nous sommes devenus
indépendants, la plupart des exploitations agricoles étaient au seuil de la faillite.
Pendant les années suivantes, on s’attendait à des changements, mais la
puissante nomenklatura communiste ne souhaitait pas des changements dans l’organisation des
kolkhozes. Le premier Parlement moldave réunissait un grand nombre de chefs
de kolkhozes et d’entreprises agricoles qui plaidaient pour le maintien des structures
anciennes. [...] Un point faible de la Moldavie est qu’ici les
réformes n’ont pas des noms et des responsables. Le pays n’a
pas eu sa vision de développement, sa conception de reforme [...], la privatisation
s’est faite de la sorte : [...] on attribuait aux paysans des terrains agricoles, des
parcelles de plantations pluriannuelles et des biens de la propriété des anciennes
entreprises agricoles. Comme ça, on recevait trois ou quatre types de
propriétés dispersées. Il y a eu des problèmes sérieux
concernant la répartition des terrains - les meilleures terres ont certainement
été attribuées aux anciens nomenklaturistes, chefs de kolkhozes, responsables
qui disposaient d’information relative à la fertilité du sol. D’ailleurs,
on utilisait des données périmées, car on n’avait pas de ressources pour
de nouvelles analyses du sol... [...] Il y a aussi des petites exploitations agricoles, mais elles
ne sont pas efficaces. Nous avons environ 1,6 millions d’hectares de terrains agricoles et,
en même temps, nous avons plus d’un million de propriétaires. [...] ! Pour cette
raison, on ne gagne pas bien de l’agriculture. Un phénomène répandu est
à présent l’abandon des terrains. Leurs propriétaires ont
immigré en Italie, Espagne, Russie, etc. Dans la plupart de cas, on ne souhaite pas vendre
les terrains. Tout simplement, on les laisse en friche.»
Les villages de Roms semblent particulièrement souffrir de la situation, le site du Portail
de la Moldavie décrit celui de Schinoasa, où « Même les
voleurs s’enfuient à cause de la pauvreté » !
Il a vu partir ces dernières années un quart de sa population.
C’est énorme ! On compte actuellement 1 million de Moldaves vivant à
l’étranger, de façon illégale pour 90% d’entre eux. Les virements
bancaires de ces travailleurs représentaient jusque là 38% du PIB de la Moldavie
(dans le premier semestre 2006 ils représentaient la somme d’environ 360 millions
dollars américains) mais, nous explique Le Monde dans son édition du 8 avril
, « avec la crise économique, la diminution des transferts de fonds, voire
le retour des travailleurs migrants, pourraient déstabiliser ce pays ».
On mesure une fois encore l’effet boule de neige de la crise mondiale et ses
conséquences sur les travailleurs les plus précaires qui errent d’un pays
à l’autre. Le Monde cite G. Credu de l’organisation internationale pour les
migrations : « C’est une bombe sociale à retardement, les moldaves qui ont
pris la route de l’Europe vont probablement y rester, mais 60% des migrants travaillent en
Russie et en Ukraine, surtout dans le secteur de la construction. Ils sont revenus cet hiver, et
avec la crise qui frappe là-bas, ils risquent de rester ici faute de mieux. ».
22/04/2009)
Cette immigration massive, si elle a permis un apport financier appréciable, a eu par
ailleurs des conséquences humaines très négatives. Non seulement elle
a privé la Moldavie de « cerveaux » qui sont partis à la
recherche de meilleures rémunérations mais qui lui étaient indispensables pour
faire fonctionner des services vitaux, elle manque donc cruellement de médecins et
d’enseignants, en particulier en milieu rural; elle a aussi privé des milliers
d’enfants de leurs parents. Dans les villages il n’est pas rare qu’une
famille sur trois soit concernée par le problème de l’exode et que les petits
aient été confiés à leurs grands-parents. Après plusieurs
années d’absence certains enfants ne se rappellent plus comment sont leurs parents.
C’est encore sur le portail de la Moldavie francophone que j’ai trouvé des
témoignages bouleversants comme celui de cette vieille dame de 80 ans : «
J’ai 5 petits-fils qui sont restés sans mère ni père. Trois sont
à l’internat, les plus petits sont restés chez moi. Il y a 7 ans que ma fille
est partie au travail en Russie et, depuis ce moment-là, on n’a aucune nouvelle
d’elle. Elle est partie, ma petite, dans le monde, car elle n’avait pas d’homme,
pas de travail, et 5 enfants l’attendaient à la maison. Je prie Dieu qu’elle me
donne un signe de vie et qu’elle revienne à la maison ». N’ayant
aucune source de revenus beaucoup de grands-parents, malgré la charité des voisins,
n’ont d’autres solutions que de mettre les enfants à l’école
d’internat auxiliaire. A leur mort, ces enfants n’appartiennent plus à
personne.
Le Bureau National pour la Migration a été supprimé en 2006.
C’était la seule institution qui tentait de réglementer la protection sociale
des émigrés moldaves livrés dorénavant sans contrôle, à
tous les trafics !
L’Association « Médecins du Monde » a estimé que
ces dix dernières années il s’est fait le trafic d’environ 100 000,
peut-être 200 000 jeunes femmes entre 15 et 25 ans, fragiles, mal informées, ayant
connu la violence dans leurs propres familles et qui, pour fuir une triste réalité ,
deviennent des proies faciles pour les mafias de la prostitution. « Aguichées par
des rabatteurs de village, ces gamines naïves s’expatrient contre la promesse d’un
travail à 500 ou 600 dollars », explique la présidente de l’ONG
Salvati Copiii. « Séquestrées, violées, battues, vendues sept ou
huit fois, elles travaillent aujourd’hui dans des bordels d’Italie,
d’Israël, de Grèce, de Turquie, mais aussi du Kosovo. » Presque tous
les villages pleurent ainsi la disparition d’une de leurs jolies jeunes filles.
Nadine Floury
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