Au XIXème siècle, en Europe centrale, les guerres, la peste, les invasions ne cessent de remodeler la composition des sociétés et des populations. Des courants d’émigration et d’immigration se succèdent. Les couches populaires et petites bourgeoises jouent un rôle de plus en plus conscient et politique, cet essor aboutissant à la vague révolutionnaire européenne de 1848. Des peuples sans État se soulèvent : des Italiens, des Roumains, des Slovaques, des Ruthènes (autre nom des Ukrainiens), des Serbes. En Hongrie, ce sont précisément les minorités qui s’attaquent à l’État central qui les ignore voire les opprime. La crise est provoquée à la fois par des revendications nationalistes et démocratiques. Mais les questions sociales ne sont pas loin, et elles aussi peuvent prendre un tour politique. D’autant que dans tout le continent, on assiste à un éveil politique, depuis le mouvement chartiste anglais jusqu’aux soulèvements en Grèce contre l’Empire ottoman.
C’est peut-être en Europe centrale que l’oppression est la plus ancienne,
là où toutes les régions sont depuis longtemps dominées par des puissances
concurrentes, voire ennemies.
Tel est le cas de la Hongrie. En 1526, le pays est occupé puis divisé en trois morceaux : la
région de Buda est occupée par les Turcs, la Transylvanie conserve son autonomie, la Slovaquie
et la Croatie passent sous le contrôle des Habsbourg, la famille régnante de la monarchie
d’Autriche. Lorsqu’en 1711, les Autrichiens font reculer les armées ottomanes, ils
prennent pied dans toute l’ancienne Hongrie et y écrasent les révoltes nationalistes bien
souvent dirigées par la petite noblesse hongroise catholique. Quoique battus, ces petits nobles
préfèrent encore les Habsbourg aux Turcs.
Ces petits notables hongrois bénéficient en outre de quelques droits politiques et Vienne
n’a pratiquement aucune autorité sur les préfets et les juges locaux. Il existe un
Parlement, la Diète, dont la convocation est décidée par Vienne. Mais des
révoltes éclatent contre l’imposition de l’allemand comme langue officielle de
l’administration (en remplacement du hongrois), pour une certaine libéralisation contre
l’absolutisme (liberté de la presse, fin de la censure…), contre des mesures
économiques de pillage de type colonialiste de la part de Vienne, et contre l’arriération
du pays en général. Dans ce pays sans grande bourgeoisie, le mouvement libéral est
dominé par une fraction de la noblesse, mais les paysans eux-mêmes tentent de jouer leur
partition en se soulevant contre le régime seigneurial.
En 1815, le Congrès de Vienne redessine l’Europe centrale partagée entre
trois empires bureaucratiques et autoritaires : l’Autriche, la Russie et l’Empire ottoman. Les
peuples n’ont pas d’État, pas plus les Slaves (Tchèques, Slovaques, Polonais,
Serbes, Slovènes) que les Hongrois ou les Baltes. L’Italie est mise sous tutelle
autrichienne.
L’Allemagne est dominée par deux États, la Prusse et l’Autriche des Habsbourg,
qui prétendent continuer le Saint-Empire germanique. En fait, c’est un pays divisé en
trente-neuf principautés et, par bien des côtés, assez arriéré. La
bourgeoisie y est peu développée. Certes, depuis 1815, il existe une
Confédération germanique avec une Diète, mais ce regroupement consacre
l’émiettement de petits États féodaux et absolutistes. Certains États du
nord ont constitué une union douanière tournée vers l’Angleterre, mais c’est
la seule ouverture sur le reste du monde. A l’intérieur de la Confédération
germanique, les zones douanières sont innombrables : un voyageur se rendant de Hambourg à
Berlin doit traverser pas moins de soixante-trois postes frontières ! Face à cette
arriération, une partie des classes privilégiées comme des classes petites bourgeoises
commence à exprimer un désir de modernité et de liberté, qui se traduit par
l’aspiration à un certain libéralisme politique.
Dans ce cadre de monarchie absolue, les bourgeoisies d’Allemagne et d’Italie,
influencées par les idées des Lumières, veulent une société plus
libérale qui permette de laisser se développer un marché national. Toutes les
révoltes dont il va être maintenant question sont toutes plus ou moins liées à
l’influence de militants qui ont participé à la Révolution française, mais
aussi à celle d’officiers russes qui, lors de leur passage dans les principautés
allemandes ou autrichiennes lors des expéditions contre Napoléon ont répandu des
idées qu’ils avaient adoptées en occident. Jouent de surcroît le mouvement
décabriste russe (des officiers libéraux qui tentent un coup d’État en 1825), les
souvenirs du soulèvement nationaliste en Pologne (1830-1831) et, dans les universités,
l’influence d’intellectuels, notamment d’étudiants, qui défendent et
reprennent les idées de penseurs révolutionnaires. Tudor Diamant, par exemple,
élève de Fourier, essaye de fonder un phalanstère en 1832-33 près de Ploiesti, en
Roumanie. Il existe d’ailleurs à Paris, à partir de 1839, une Société des
Étudiants roumains qui milite en direction des intellectuels français pour faire
connaître la situation dans les principautés roumaines. Ces étudiants participent
à la création du journal Les Écoles, en 1845, avec Louis Blanc, tout en
influençant aussi des jeunes restés en Roumanie.
De 1833 à 1844, en Italie sous domination autrichienne, ce sont les anciens « carbonari »,
membres de sociétés secrètes formées à l’époque
napoléonienne contre la présence française, qui se retrouvent dans le mouvement
Jeune-Italie, fondé par Giuseppe Mazzini. Ce dernier a d’ailleurs immédiatement
donné un contenu européen à son mouvement, en créant la Giovine Europa avec une
section en Allemagne et une autre en Suisse.
Les insurrections de la section italienne en faveur de l’unité nationale, le
« Risorgimento », se succèdent, mais sans jamais entraîner de larges couches
populaires. Le pays reste morcelé en dix États. Il y a quatre États principaux : le
Piémont-Sardaigne, la Lombardie-Vénétie, les États du Saint-Siège (ou
États pontificaux) et le Royaume de Naples (ou Royaume des Deux-Siciles), ainsi que des
principautés moins étendues : Parme, Modène, Florence (ou Grand Duché de
Toscane). Autant de régimes politiques, tous dominés plus ou moins directement par
l’Autriche. Leurs économies sont arriérées, cloisonnées, dominées
par le clergé et la noblesse. Les classes moyennes sont sans influence.
Du côté de la Roumanie, on perçoit aussi une certaine effervescence libérale, dans
les années 1839 et 1840, notamment en Moldavie et en Valachie, avec un comité secret
composé d’intellectuels, de négociants, d’artisans et d’ouvriers.
Influencés par les idées de la révolution française, ces révoltés
veulent la fin des privilèges des boyards, la distribution des terres aux serfs, la République.
Ils sont arrêtés. En Transylvanie, les révoltes de mineurs durent plusieurs
années. Et en 1843-45, la Valachie connaît une vague de révoltes et de
soulèvements.
De son côté, la bourgeoisie allemande à son tour commence à exprimer ses
velléités dans ce domaine de l’unité nationale. Mais voilà que les choses
semblent s’emballer lorsqu’en 1844 des ouvriers se révoltent en Silésie. Cette
année-là commence une grave crise alimentaire qui se double d’une crise financière
et touche l’ensemble des économies européennes. Cette révolte ouvrière en
Allemagne refroidit aussitôt la bourgeoisie, qui, par peur de la classe ouvrière, n’a
soudain plus autant envie de supprimer les nombreux États.
Dans l’Italie féodale, les campagnes sont justement en train de connaître une
montée des mécontentements. L’hiver 1845-46 est très froid, le printemps 1846 est
très pluvieux. Ces intempéries sont à l’origine de mauvaises récoltes, et
d’une crise économique et sociale. En Lombardie-Vénétie, le magistrat qui dirige
la ville de Milan, qu’on appelle podestat, préconise que les grains ne soient pas
exportés vers l’Autriche. Le gouvernement de Vienne refuse. En Toscane, dans les États
pontificaux et dans le Royaume des Deux-Siciles, les autorités décident carrément
d’empêcher les exportations de grains, mais le manque d’aliment crée des conditions
de famine. Les pauvres se révoltent contre les « accapareurs ». En
Lombardie-Vénétie, la crise a des répercussions financières : la Bourse de Milan
s’effondre.
Un vent de réforme et de radicalisme souffle sur toute la péninsule. La presse
et les clubs se développent, résistent à la surveillance et à la censure. En
Sardaigne, en décembre 1846, les autorités finissent par autoriser l’utilisation des mots
jusqu’alors interdits de « liberté », « révolution »,
« libéralisme » et « constitution ».
A Rome même, l’air du temps commence aussi sérieusement à être à la
contestation : le nouveau pape Pie IX, élu en 1846, suite à la mort de son
prédécesseur, le très obscurantiste et tyrannique Grégoire XVI, ose se montrer
plutôt bienveillant à l’égard des patriotes et des libéraux italiens. Pie IX
amnistie les prisonniers et les exilés politiques. Le 14 juin 1847, Pie IX engage des réformes.
Il crée un Conseil des ministres, ce qui est une grande innovation. Son édit du 5 juillet 1847
crée la garde civique de Rome, sur le modèle de la garde nationale en France. Cette garde est
composée de tous les hommes de 21 à 60 ans. Pie IX fait aussi installer un éclairage
public, des lignes de chemin de fer, il répand la vaccination, conclut une union douanière avec
le Piémont et la Toscane.
En quelques mois, la Rome papale est considérée comme « la capitale des
espérances libérales et nationales » (Jean Sigmann). A la fin de 1847, Metternich,
le Chancelier de Cour et d’État de la monarchie autrichienne, symbole à lui tout seul de
toute la réaction européenne, exprime ouvertement sa colère face à ce pape qui se
lance dans les réformes et en tire une grande popularité dans toute l’Italie.
L’esprit revendicatif se poursuit dans toute l’Italie, encouragé par les prises de
positions « libérales » du pape.
Ailleurs, ce qui joue dans le sens de la révolte et même de la
révolution, c’est l’aspiration sociale. L’année 1847, c’est une
année d’émeutes contre le pain cher en France, mais aussi à Stuttgart, Ulm,
Vienne, en Bohême, en Silésie, conséquence de mauvaises récoltes, elles
mêmes liées à la maladie de la pomme de terre, qui la rend inconsommable. Ainsi que
l’écrit Karl Marx, dans Les Luttes de classes en France, « la crise
commerciale mondiale de 1847 [a] été la véritable mère des
révolutions de Février et de Mars. »
Dans leur roman Les Dames à la licorne, René Barjavel et Olenka de Veer
détaillent les conséquences de la maladie de la pomme de terre, de 1846 à 1850, venue
des États-Unis, passée en Belgique, en France, en Angleterre, pour aboutir en Irlande.
« Pour les paysans irlandais, dont la pomme de terre constituait toute la nourriture, ce fut la
famine. Ceux qui disposaient d’un peu d’argent achetèrent ce qu’ils purent.
Bientôt il n’y eut plus rien à acheter. Les céréales étaient
traditionnellement exportées en Angleterre. Les fermiers qui ne livraient pas leurs récoltes de
seigle, d’avoine ou de blé ne pouvaient pas payer leur fermage et étaient
expulsés, perdant ainsi toute possibilité de cultiver des pommes de terre pour eux et leur
famille. On vit en pleine famine des céréales, protégées par la troupe, gagner
à pleins chariots les ports irlandais, sous les regards des paysans qui les avaient fait pousser et
qui n’avaient rien à manger. (…)
Dans les campagnes, des mourants en haillons se traînaient sur la terre en friche. Dans les villes
les commerçant n’ouvraient plus leurs boutiques, les ordures et les cadavres encombraient les
rues. Le typhus et le choléra achevaient les moribonds. Le salut ne pouvait venir que de
l’extérieur. L’Angleterre, appelée au secours, au lieu d’envoyer des vivres
envoyait des soldats. L’association « Jeune Irlande » essayait de soulever le peuple. Des
groupes de demi-squelettes, armés de cailloux et de bâtons, montaient à l’assaut
des garnisons et mouraient d’épuisement avant de les atteindre. Les landlords expulsaient les
fermiers insolvables et faisaient abattre leurs maisons. Les familles allaient mourir dans les fossés
et les tourbières. Les Irlandais, si amoureux de leur pays, se mirent à le considérer
avec terreur et essayèrent de le fuir. Des trafiquants leur promirent le paradis en Amérique et
les entassèrent comme du bétail dans des bateaux surchargés. Certains coulaient à
la sortie du port. Dans ceux qui continuaient leur route, les émigrants, sans hygiène, presque
sans nourriture et parfois sans eau, mouraient en masse et étaient jetés à la mer.
Parfois le vent s’arrêtait, les voiles tombaient, le voyage devenait interminable, le navire
arrivait au Canada et aux États-Unis vide et noir comme une noix mangée par le ver.
»
A cela s’ajoute les révoltes contre l’humiliation et l’oppression
en général. Dans son texte « Principes du communisme », projet de programme pour
son parti, la Ligue des communistes, en novembre 1847, Engels écrit que les classes laborieuses de
Hongrie, de Pologne et de Russie sont comme au Moyen-âge les serfs de l’aristocratie
foncière. La classe ouvrière en tant que telle est encore très minoritaire : sur les 12
millions d’habitants de Hongrie et de Transylvanie, il n’y a que 23 000 ouvriers de fabrique et
35 000 mineurs. En revanche les serfs journaliers réduits à la misère car sous
employés (pas même deux mois par an) sont en Hongrie au nombre de 826 000. La noblesse compose
5 % de la population (680 000 personnes) et les gros propriétaires sont 1 500, vivant toute
l’année à Vienne.
La féodalité concerne encore tout l’est du continent : la Russie, l’Empire turc,
l’est de l’Allemagne, le sud de l’Italie, la Hongrie.
La petite bourgeoisie intellectuelle est alors une mince couche sociale, vivant des situations
contrastées. Si nombre d’intellectuels se tournent vers les idées
révolutionnaires, c’est à la fois du fait de leurs difficultés sociales, des
blocages qu’ils ne supportent plus dans la société, notamment l’absence de droits
démocratiques et de droits nationaux dans les pays opprimés. Joue aussi
l’émergence du romantisme social et du socialisme dit utopique. C’est l’ère
des « mazziniens » (du nom de Mazzini) et des Jeunes Hégéliens. L’image
répandue alors, c’est que les étudiants et les professeurs sont très favorables
aux idées révolutionnaires. Pour le parti de l’ordre, ce sont des
« meneurs ». En fait, les intellectuels d’Italie, d’Allemagne ou de Hongrie ne
veulent guère plus que la liberté de parole, d’écriture, de réunion,
d’association. En revanche, ces petits bourgeois, dès qu’ils s’engagent
politiquement, s’adressent au « Peuple » dans leurs journaux ou leurs pétitions,
souvent d‘abord rédigés dans des cafés dits « littéraires ».
Dans treize des seize villes universitaires d’Allemagne, on trouve des groupes républicains, qui
ne regroupent pas plus de 8 à 16 % des effectifs estudiantins.
Le 9 janvier 1848, en Sicile, à Palerme, une insurrection populaire donne le signal
d’un mouvement qui concerne très vite toute la Sicile, avec pour principale revendication le
séparatisme. Un gouvernement insurrectionnel proclame de fait, le 12, l’autonomie de la Sicile.
Le 29 janvier, le roi des Deux-Siciles, Ferdinand II, est le premier des monarques d’Europe à
proclamer une constitution de nature plutôt libérale. Ensuite, sous la pression populaire, les
souverains à Naples, à Turin et en Toscane se mettent à accorder des constitutions. Des
gouvernements provisoires se forment à Parme, Modène, Reggio nell'Emilia, Plaisance, tandis
que des constitutions sont promulguées à Florence (7 février) et Naples (10
février).
Le gouvernement autrichien, en réaction, renforce ses garnisons en Lombardie-Vénétie,
arrête des leaders de l’opposition à Venise et Milan, et écrase des manifestations
étudiantes à Padoue et Pavie.
Les 22, 23 et 24 février, une insurrection populaire à Paris renverse la monarchie de
Louis-Philippe. Le petit peuple est à l’offensive ! Benedetto Croce (1866-1952), philosophe et
historien italien, parle au sujet de la révolution de Février « d’impression
d’ivresse, de rêve, de juvénile folie ». En un an, 450 nouveaux journaux
paraissent : les idées tracent leurs chemins. Les événements de Paris sont
fiévreusement discutés, notamment en Italie, mais pas seulement, car jusqu’en Russie la
révolution de Février va enflammer l’enthousiasme et les espoirs de ceux et celles qui
refusent l’absolutisme et rêvent de République, qui, pour tous les progressistes de
l’époque, ne peut qu’être la République bourgeoise.
Pourtant la bourgeoisie n’est pas des plus audacieuses : lorsque la nouvelle de la chute du
régime orléaniste parvient à Presbourg (aujourd’hui Bratislava, en Slovaquie),
capitale législative de Hongrie, dans la nuit du 29 février au 1er mars, la
réaction première, c’est la panique financière. Comme après les
révolutions de 1789 et 1830, qui avaient à chaque fois conduit à la banqueroute de la
Banque de Vienne, de nombreuses personnes se précipitent dans les banques pour échanger leurs
billets contre des pièces.
A la suite immédiate de la révolution démocratique bourgeoise en France, en Italie,
Turin se donne une constitution le 5 mars.
En Allemagne, il y a des réunions publiques et des manifestations dans les rues ; radicaux et
libéraux venus du sud et de l’ouest se réunissent le 5 mars à Heidelberg dans une
Conférence qui convoque un pré-Parlement à Francfort ; dans le pays de Bade, le
Wurtemberg et la Saxe, on se presse dans les rues pour réclamer la liberté de la presse, la
présence de jurés dans les tribunaux et la fin des charges féodales.
En Autriche, les ouvriers et les étudiants viennois se soulèvent le 13 mars. Ni la Diète
de Francfort, ni les autorités prussiennes ou autrichiennes ne parviennent à endiguer le
mouvement, et finalement Metternich démissionne ce 13 mars et s’enfuit. L’empereur
Ferdinand doit octroyer une constitution. Là aussi, c’est l’explosion éditoriale :
300 nouveaux journaux vont apparaître en quelques mois.
Le 14 mars à Rome, une toute nouvelle constitution accorde le droit de vote consultatif à la
Chambre ainsi que la liberté de la presse. Mais les cardinaux obtiennent aussi un droit de veto et la
censure ecclésiastique est maintenue.
En Hongrie, à l’annonce de la chute de Metternich, le poète Sandor
Petöfi, leader de la jeunesse estudiantine de Pest, lance un appel à la révolte. Le
mouvement se radicalise, avec notamment le groupe formé autour de Lajos Kossuth, député
à la Diète, chaleureux partisan de la réforme antiféodale, combat qui lui a
déjà valu un séjour en prison. Kossuth se prononce pour la création d’une
Hongrie indépendante, contre la Vienne de Metternich. Le discours de Kossuth à la Diète
est envoyé à Vienne, où un étudiant libéral, Fischhof, le lit à
l’Université avec un grand succès. A Vienne, la Cour recule, quelques libertés
sont promises, ainsi qu’une certaine indépendance politique. Est-ce la révolution, que
pourtant Kossuth, qui n’est que le porte-parole de toute la Diète nobiliaire, n’avait pas
prônée ?
D’ailleurs, à Pest, dans les cafés, on trouve la Diète de Presbourg trop molle.
Alors on écoute attentivement Petöfi, et au banquet du 15, organisé à la
manière des traditions françaises, sont proclamées les douze revendications de la
réforme : liberté de la presse, égalité de tous devant la loi, suppression des
droits féodaux…
Dans tout le pays, les minorités nationales soutiennent la révolution qui donne leur
liberté aux serfs, mais constatent très vite que les dirigeants révolutionnaires magyars
ne veulent pas leur accorder de nouveaux droits en tant que minorités. Le nationalisme hongrois
apparaît aux yeux d’une minorité (Serbes, Roumains, Slovaques, Croates) comme, ainsi que
l’écrit François Fejto, « un mouvement de la noblesse, une querelle de famille
entre seigneurs hongrois et dirigeants de Vienne ».
Et puis très vite, les paysans pauvres de Hongrie constatent que certaines redevances sont maintenues
(dans les vignobles notamment) et qu’il leur sera très difficile de trouver l’argent pour
les racheter.
En Allemagne aussi, l’heure est au soulèvement contre l’aristocratie. Le
15 mars, les autorités de Berlin font tirer sur la foule, puis, le 17, elles reculent et se disent
prêtes à des concessions. Mais le soulèvement est resté ailleurs bien modeste, se
limitant bien souvent au dépôt de pétitions dans quelques centres urbains. Les petits
bourgeois se montrent très réticents à imiter les ouvriers qui ici ou là
manifestent dans les rues contre la misère et le chômage. Le 17 mars, à Hechingen, le roi
Frédéric-Guillaume IV Hohenzollern, roi de Prusse, abolit la censure et annonce la formation
d’un nouveau ministère et l’élaboration d’une nouvelle constitution
comportant un parlement de quinze membres. Le 18, l’armée prussienne tire à Berlin sur
des manifestants, faisant trois cents morts en quelques jours. Les libéraux se rendent maîtres
de Berlin et forcent à leur tour Frédéric-Guillaume IV à accorder une
constitution. En Bavière, le roi Louis Ier, se prononce pour un Reich fédéral avec
Parlement, puis finalement devant la foule qui se heurte aux soldats, notamment la petite bourgeoisie
berlinoise qui s’est organisée en milice, il abdique le 21 mars. En Prusse, le gouvernement est
maintenant aux mains de la bourgeoisie, avec à sa tête deux riches commerçants :
Camphausen et Hansemann. Mais en Prusse comme en Autriche, la bourgeoisie a à peine renversé le
féodalisme qu’elle se retrouve opposée aux classes plus radicalisées,
c’est-à-dire aux travailleurs et aux ouvriers pauvres, bien souvent sortis dans la rue pour
exiger du pain.
Marx, qui vient d’être expulsé de Bruxelles, conseille alors aux militants ouvriers
allemands réfugiés à Paris de regagner individuellement l’Allemagne, afin
d’y créer chacun des organisations prolétariennes. Pour sa part, il s’installe
à Cologne, où il fonde la Nouvelle Gazette Rhénane, qui va être
l’organe d’agitation révolutionnaire le plus populaire de cette époque. Marx et
Engels estiment alors que le prolétariat ne doit pas s’isoler : « il doit, si dur que
cela puisse paraître, repousser tout ce qui pourrait le séparer de ses alliés
», c’est-à-dire la bourgeoisie.
En Italie, du 18 au 22 mars, la population se soulève à Milan contre les
Autrichiens qu’elle chasse de la ville ponctuellement. C’est le risorgimento. Venise
connaît le même type d’insurrection. Dans la foulée de la révolution
milanaise, Charles-Albert, roi de Piémont-Sardaigne, déclare la guerre aux Autrichiens à
partir du 24 mars. Dans l’émergence du nationalisme italien, Charles-Albert joue un rôle
important : il est ouvertement favorable à une politique indépendante de l’Autriche,
pratique de lourds impôts pour se forger sa propre armée, prône la libre circulation des
marchandises et de idées, veut développer l’éducation et les chemins de fer. On
assiste donc à un (timide) début de guerre d’Indépendance contre l’Autriche,
guerre dirigée par un roi qui rêve de faire l’unité italienne.
En Autriche même, la bourgeoisie parvient à dominer le mouvement libéral, profitant
d’une mobilisation populaire plutôt timide. L’aristocratie n’aura plus de souci
à se faire de ce côté-là. Stabilisé, le pouvoir commence à tenter
d’organiser la répression partout où il est remis en question.
En Moldavie (Roumanie), un soulèvement le 27 mars est immédiatement réprimé.
Fin mars, les Serbes engagent à leur tour des mouvements insurrectionnels anti-féodaux,
dirigés par des étudiants, des intellectuels, des avocats et des prêtres. En Croatie,
région moins soumise à Vienne, on se bat contre l’hégémonie…
hongroise, notamment contre l’introduction de la langue hongroise « en remplacement du latin
qui, jusqu’alors, jouait le rôle d’un espéranto entre les peuples de l’Empire
austro-hongrois » (Fejto).
En Allemagne, du 31 mars au 3 avril se réunit le pré-Parlement pour jeter les bases
d’une… monarchie constitutionnelle dans le cadre d’une Allemagne unifiée. Ce
pré-Parlement négocie avec la Diète de Francfort pour réunir un Parlement. Rien
de bien radical donc. Certes, l’Assemblée concerne toute l’Allemagne, mais les
barrières douanières qui séparent Hanovre, la Prusse et l’Autriche subsistent.
Cela n’empêche que les révolutionnaires allemands sont considérés dans toute
cette Europe centrale comme les représentants des aspirations démocratiques. Les bourgeois
allemands progressistes sont en fait à la fois pangermanistes et démocrates.
En Hongrie, le 7 avril, le roi Ferdinand nomme le comte Batthyány chef d’un nouveau
gouvernement, auquel participe Kossuth en tant que ministre des Finances, ainsi que le prince Paul Esterhazy,
un pro-Autrichien convaincu. L’Empereur enverra quelques jours plus tard une note pour indiquer que
Vienne veut reprendre le contrôle des Finances et de l’armée. Mais cette lettre ravive la
combativité des habitants de Pest. Le Conseil municipal de la ville et les étudiants de
l’Université convoquent, par le truchement d’un Comité de l’Ordre public
qu’ils ont créé, une réunion qui menace de former un gouvernement provisoire.
Vienne, à nouveau recule. En ce mois d’avril 1848, le maître de la Diète de
Presbourg, en fait, est l’archiduc Etienne, le neveu de l’Empereur. Les aristocrates lui
reprochent de n’avoir pas envoyé la troupe et de s’être laissé effrayer par
« le bruit fait pas les gamins du quartier Pilvax », c’est-à-dire les amis
de Petöfi. En fait Etienne souhaite pour un temps abandonner la Hongrie, soit dans le but de
négocier avec Batthyány, soit dans celui de faire intervenir l’armée autrichienne.
Mais Vienne préfère négocier. De fait, beaucoup de soldats hongrois sont alors en
Italie, à se battre pour le compte de l’Autriche. Une invasion de leur pays dans leur dos
pourrait provoquer une vague considérable de désertions. Vienne s’impose donc une
certaine modération, mais elle a tout le loisir de constater quand même l’affaiblissement
du mouvement révolutionnaire en Hongrie, notamment suite à la transformation des luttes
antiféodales des Serbes en lutte contre les Hongrois, conséquence du refus de ces derniers de
reconnaître une nation serbe. Dorénavant, pour les serfs serbes, le Hongrois devient le
hobereau.
Du côté tchèque, le gouvernement impérial réussit aussi à
désamorcer l’explosion. La Charte de Bohème du 8 avril établit
l’égalité des langues tchèques et allemandes dans l’enseignement et
l’administration, tout en repoussant la question de l’indépendance nationale et celle de
la libération des paysans. C’est un intellectuel modéré, l’historien
Frantisek Palacky, qui domine le Comité national. Il refuse de soutenir les éléments
révolutionnaires de Vienne et choisit de se montrer dévoué à l’empereur. Il
écrit une lettre au Parlement de Francfort dans laquelle il refuse l’invitation qui lui a
été faite d’unir ses forces à celles des Allemands. Il refuse à la fois la
démocratie dans le cadre germanique et le panslavisme.
L’Italie connaît son « printemps des peuples »… et, à partir de la fin
d’avril une certaine retombée de la ferveur nationale. Le pape en profite, en particulier le 29
avril, pour annoncer son refus de soutenir une guerre contre d’autres catholiques (les Autrichiens). Le
profil progressiste de Pie IX commence à perdre de son panache.
Marx et Engels constatent ces reflux, mais ils lancent le 1er juin un quotidien pour peser dans le
sens du socialisme, afin que se dégage une perspective pour les classes populaires qui se battent ou
se sont battues. C’est la Nouvelle Gazette rhénane. Ce journal est officiellement issu
du parti démocrate, qui est un vague rassemblement républicain. Mais ses débuts dans son
numéro 2, l’éditorial donne le ton : « On exige d’ordinaire de tout
nouvel organe de l’opinion publique qu’il s’enthousiasme pour le parti dont il professe les
principes, qu’il ait une confiance absolue en sa force, qu’il soit toujours prêt soit
à couvrir le principe avec une puissance effective, soit à enjoliver la faiblesse avec
l’éclat du principe. Nous ne répondrons pas à ce désir. Nous ne
chercherons pas à parer de l’or des illusions trompeuses les défaites subies.
» Au fil des numéros, Engels et Marx reprochent aux démocrates de ne pas militer
ouvertement pour la République une et indivisible et de vouloir s’en tenir à une vague
fédération de monarchies constitutionnelles. L’unité de l’Allemagne et sa
centralisation sont pour Marx et Engels les seuls moyens de résoudre les problèmes sociaux dus
à l’arriération des campagnes, de lancer l’industrialisation, tout en pouvant
s’opposer au régime contre-révolutionnaire de Russie.
L’enjeu de l’industrialisation, pour les deux militants communistes, est
politique : en créant des usines, les patrons créent les bataillons de la classe
ouvrière qui, au cœur du processus de production des richesses, seront les mieux à
même, par la lutte de classe, de renverser la bourgeoisie et de collectiviser les moyens de
production.
A Paris, la bourgeoisie commence à revenir sur les mesures sociales qu’elle avait dû accorder après la révolution de Février. La Commission exécutive (nom du gouvernement) remplace le salaire à la journée par le salaire aux pièces, bannit en province tous les ouvriers de la capitale non natifs de Paris et dissout les Ateliers nationaux, le 21 juin. Le lendemain, les ouvriers (environ 40 000) se soulèvent contre cette attaque contre un acquis de Février jugé fondamental. Avec un courage exemplaire, sans chefs, sans plan commun, sans ressources, pour la plupart manquant d’armes, ils tiennent en échec, cinq jours durant, l’armée, la garde mobile, et la garde nationale de Paris ainsi que la garde nationale venue de province. Cette fois, la classe ouvrière affronte l’ancienne alliée, la bourgeoisie. En gros Paris est partagé en deux. L’est est ouvrier, hérissé de barricades, elles-mêmes couvertes de drapeaux rouges. L’ouest de la capitale, c’est le Paris bourgeois. Les 23, 24 et 25 juin, la classe ouvrière se bat et se défend. L’armée bourgeoise (150 000 à 200 000 hommes) est commandée par Cavaignac, choisi pour avoir établi le pouvoir colonial en Algérie par le sang de la population locale. Il reprend Paris avec les mêmes méthodes. Dans les villes de province où la classe ouvrière s’est pareillement révoltée, c’est la même répression.
Retour en Italie. En juillet, la vague révolutionnaire subit de lourds revers par les
Autrichiens. Charles-Albert est battu à Custoza le 25 juillet, mais ailleurs dans la péninsule,
on continue la lutte. Le 8 août, à Bologne, ville qui appartient aux États de
l’Église, les habitants repoussent, avec l’aide de quelques gendarmes pontificaux, les
Autrichiens qui tentaient d’occuper la ville. Pourtant, Charles-Albert doit signer l’armistice
avec l’Autriche le 9 août à Salasco. Les constitutions sont abolies, les partisans de la
liberté sont condamnés à mort ou à l’exil. Pendant
l’été 1848, l’heure est à la répression, aux dénonciations et
aux règlements de compte.
Ce n’est pas la fin de la révolution en Europe. De fait, en Hongrie, pour ne pas se couper de la
population, le gouvernement de Batthyány et de Kossuth rompt avec l’Autriche en octobre. Les
minorités roumaines, serbes et croates se lancent aussi dans la bataille. Kossuth dirige la
résistance. En septembre 1848, Kossuth devient président du Comité de défense
nationale et remplace Batthyány à la tête du gouvernement hongrois. Le pouvoir radical
libère les serfs, dont il a alors la faveur, mais il n’accorde pas la moindre concession
nationale aux minorités croate, serbe, slovaque, roumaine, ukrainienne ou allemande, qui forment plus
de la moitié de la population hongroise.
La cour de Vienne parvient alors à retourner une partie des opprimés de ces nationalités
minoritaires. La cour ne peut pas longtemps se réjouir de ce retournement, car voilà que, le 6
octobre, des étudiants, des bourgeois et de ouvriers prennent la ville de Vienne ! L’empereur
s’enfuit. La ville est reprise dans un bain de sang par l’armée et les nobles : le 31
octobre 1848, le prince Schwarzenberg prend le pouvoir à Vienne et y installe un régime
absolutiste et centralisé. Grâce aux troupes russes, Schwarzenberg réimpose le joug de la
domination autrichienne.
Parmi les morts de la répression de Vienne, il y a la figure de Robert Blum dont le parcours est intéressant. Jeune homme, il est d’abord apprenti joaillier et sertisseur à Cologne. Il voyage beaucoup, et fait son service militaire. On le retrouve comme auditeur libre à l’Université de Berlin, et, dans les années 1830-1832, écrivain de théâtre à Cologne. Sans cesser d’écrire, il s’engage en politique en 1841, et circule dans une bonne partie de l’Allemagne pour diffuser ses idées. Il participe à un Cercle de lecture à Leipzig en 1841, et organise diverses fêtes littéraires et politiques. A partir de 1842, ses articles de presse lui valent des séjours en prison. En 1846, il est élu conseiller municipal, en 1848 il est élu au Parlement de Francfort. Au mois d’octobre, il participe au soulèvement de Vienne. Il est condamné à mort et exécuté le 9 novembre 1848. Ce sont des hommes comme lui qui ont fait les révolutions de 1848, et, à lire, ce curriculum vitae, on comprend que cette révolution européenne ait eu de nombreuses facettes et moult rebondissements.
A partir de l’automne 1848, la révolution connaît des aléas
divers.
En Hongrie, une armée croate, sous les ordres du baron Josip Jelacic, attaque les
révolutionnaires. Josip Jelacic, chef de cette armée croate est battu, mais fait alliance avec
les réactionnaires monarchistes autrichiens et les aide à reprendre la ville de Vienne en
novembre.
L’heure de la réaction en Europe est-elle venue ? Non, car le 15 novembre 1848, le petit peuple
romain se soulève à nouveau. Il y encore des dizaines de nouveaux journaux
révolutionnaires qui se créent en Italie. Le 24, le pape s’enfuit à Gaète,
en territoire napolitain. Le 8 février 1849, Garibaldi et ses volontaires lombards, romagnols,
niçois et sud-américains entrent à Rome et proclament la République. Le roi
Charles-Albert rompt le 12 mars l’armistice passé avec les Autrichiens, mais il est battu le 23
mars 1849, et abdique en la faveur de son fils Victor Emmanuel II.
La réaction semble reprendre l’avantage partout, mais pas encore en Hongrie, au Piémont
ni à Rome. Celle-ci est défendue par les troupes de Garibaldi et dirigée par un
triumvirat, composé de Mazzini, Armellini et Saffi. En Hongrie, au printemps 1849,
l’armée nationale bat les troupes du nouvel empereur d’Autriche, François-Joseph.
Kossuth proclame l’indépendance de la Hongrie et la déchéance des Habsbourg.
Or au printemps 1849, les élections en France donnent une majorité de droite et
Louis-Napoléon Bonaparte est porté à la tête du gouvernement. Il proclame son
désir d’aller au secours du pape, ce qui signifie prendre Rome. Le 30 avril 1849, les
garibaldiens sont battus par les troupes françaises commandées par le général
Oudinot. Celles-ci entreprennent le siège de Rome, qui tombe le 30 juin 1849. Les troupes
françaises rétablissent le pape et chassent les révolutionnaires en juillet. Le dernier
bastion progressiste, Venise, capitule le 23 août 1849.
Entre temps, une insurrection à Dresde, à laquelle ont participé Michel Bakounine et
Richard Wagner, du 3 au 9 mai 1849, a été noyée dans le sang.
Pendant ce même été 1849, les troupes russes commandées par Paskevitch envahissent
la Hongrie pour le compte des puissants d’Autriche (juin) et avec l’aide des Croates de Jelacic.
Les Hongrois sont écrasés et se rendent à Vilàgos (13 août). En Hongrie, ce
sont donc les Russes qui imposent l’ordre réactionnaire. Les révolutionnaires comme
Kossuth doivent fuir en Turquie.
Toujours au même moment (juin), l’armée prussienne, rangée à la
réaction, intervient dans le grand duché de Bade, un des États allemands, pour renverser
le gouvernement révolutionnaire et rétablir Léopold. Cette intervention provoque un
soulèvement auquel participe le jeune révolutionnaire de 23 ans, Wilhelm Liebknecht.
Au même moment, les bourgeoisies européennes sont en train de connaître une
amélioration de leurs affaires. En écho à ce qu’il écrivait sur
l’origine des révolutions de 1848, Marx, toujours dans Les Luttes de classes en France,
écrit cette fois : « La prospérité matérielle, revenue peu à peu
dès le milieu de 1848 et parvenue à son apogée en 1849 et 1850, fut la force vivifiante
où la réaction européenne puisa une nouvelle vigueur. »
Dans un récent livre sur les correspondances en Europe, Marie-Claire Hoock-Demarle
résume en quelques lignes l’état de la société d’après
l’échec de la révolution de 1848 : « Sur le plan politique, les nationalismes
s’affirment, qui bientôt se dresseront les uns contre les autres. Sur le plan social, les
mouvements ouvriers, mal remis des massacres de Berlin en mars 1848 ou de Paris en février 1848 et en
juin 1848 comme des mesures répressives prises à leur encontre, commencent à peine
à se regrouper dans ce qui deviendra en septembre 1864 la Première Internationale.
(…) Quant aux instigateurs des révolutions de 1848, ils sont soit en prison comme Ferdinand
Lassalle, soit déjà aux États-Unis comme Carl Schurz qui y fera une carrière
politique fulgurante et sera sénateur du Missouri et ministre de l’Intérieur de 1877
à 1881. D’autres, comme Marx, se trouvent en exil d’abord à Paris,
d’où ils sont contraints de repartir pour Bruxelles puis pour Londres. C’est là que
se retrouvent la plupart des exilés allemands qui forment des groupes très
éclatés, peu coopératifs entre eux. » L’auteure poursuit en montrant
la fidélité des quarante-huitards à leurs idées, après les
événements, et même un développement du cosmopolitisme dans ces milieux.
Frédéric Engels, témoin et acteur de cette vague révolutionnaire
européenne, tire pour sa part, d’autres enseignements. Pour lui, en 1850, « le mode de
lutte de 1848 est périmé aujourd’hui sous tous les rapports ». Depuis la
révolution anglaise jusqu’à 1848 comprise, la révolution était une
succession de mouvements minoritaires qui se saisissaient tour à tour de l’appareil
d’État. Mais pour ce qui est du prolétariat, 1848 est un échec. L’heure
n’est pas à la prise du pouvoir par les ouvriers. L’heure est bien plutôt à
la grande industrie et à son expansion à venir. L’heure est à la révolution
industrielle.
Ce n’est pas indifférent pour la classe ouvrière en formation. Le combat, un temps
freiné, devra bien reprendre un jour ! Lorsque Marx et Engels écrivent leur Adresse du
Comité central à la Ligue des communistes, en mars 1850, c’est pour conclure par :
les ouvriers allemands « contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive
bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront
dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner - par
les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques - de l’organisation autonome du parti
du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : la révolution en
permanence ! »
Octobre 2008
André Lepic
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