Mai 68 : deux livres

Il ne nous a pas été épargné les jeux de mots faciles lors de cette 40ème commémoration: « Sous, ou sur, les pavés la page », « la montagne de pavés », « une barricade de livres »... Le 30ème anniversaire avait été, paraît-il, un échec commercial. Cette année, le discours de Sarkozy semblant avoir provoqué un regain d'intérêt, les éditeurs se sont précipités et nous croulerions sous une avalanche de livres, il y en aurait une bonne centaine pour évoquer les évènements de 68.

On peut avoir la tentation de se détacher de ce qui apparaît comme un phénomène de mode, une simple entreprise médiatique et commerciale et de renvoyer dos à dos tous les ouvrages. On aurait tort.

Il y a des livres dont nous pouvons nous dispenser effectivement... parce que, à force d'entendre leurs auteurs en parler sur toutes les ondes, nous les connaissons quasiment par cœur ! Ils ont la particularité d'être le fait d'ex-soixante-huitards convertis au libéralisme et la loi du marché et ayant de ce fait la faveur des grands médias qui les ont érigés en porte-parole voire en icônes du mouvement.. Citons donc rapidement : Forget 68 de l'inévitable Daniel Cohn-Bendit, Mai 68 raconté à ceux qui ne l'ont pas vécu de Patrick Rotman, Génération d'Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les années 68 de Patrick Rotman (encore !) et de sa fille Charlotte, Mai 68 raconté à Nicolas Sarkozy d'André et Raphaël Glucksmann ( on notera cette nouveauté qui consiste à écrire en famille !), Mon mai 68 d'Alain Geismar, Mai 68, une histoire du mouvement par Laurent Joffrin... [1].

Mais pour nous qui nous inscrivons dans la lignée des mouvements révolutionnaires et qui plaçons l'étude des évènements passés, non dans le but de donner des leçons au présent, mais pour répondre à cette question « quel passé pour quel futur ? », plusieurs ouvrages méritent notre attention. En voici deux qui nous semblent ouvrir des pistes de réflexion intéressantes même si certaines sont discutables : La pensée anti-68, essai sur les origines d'une restauration intellectuelle de Serge Audier et Mai 68 et ses vies ultérieures de Kristin Ross.

La pensée anti-68, essai sur les origines d'une restauration intellectuelle de Serge Audier

La découverte, 2008, 380 pages, 21,50 euros

Ce n'est pas un livre facile d'accès pour qui n'est pas spécialiste des questions philosophiques. Certains lui ont reproché d'être avant tout un pamphlet, de manquer de rigueur, de porter des jugements lapidaires sur certains auteurs, d'être trop engagé pour un ouvrage universitaire. A l'inverse on peut reprocher à ce livre d'être avant tout un cours de fac, un ouvrage d'érudition dans lequel le monceau de citations remplace trop souvent l'argumentation, comme si elles se suffisaient à elles-mêmes. L'engagement personnel de l'auteur n'apparaît pas de manière évidente, une deuxième lecture est nécessaire parfois...impression confirmée lors de l'émission de France Culture, animée par Alain Finkielkraut au théâtre de l'Odéon le 10 mai. Serge Audier s'y est présenté comme un chercheur qui lit des livres mais n'a pas daigné indiquer clairement dans quel camp il se situait.

Malgré toutes ces réserves le livre mérite qu'on s'y accroche.

Serge Audier présente son essai comme une analyse nécessaire pour comprendre les mutations idéologiques de ces dernières années qui ont vu à la fois le retour du libéralisme et la légitimation du capitalisme et le rejet du communisme et du marxisme. Cette pensée s'est construite, au fil de ces 40 années, en réaction à mai 68, avec pour point d'orgue le discours lors de la campagne présidentielle de 2007 de Guainot-Sarkozy disant « il faut liquider 68 ». Le titre du livre fait référence à un autre livre : « La pensée 68 » de Luc Ferry et Alain Renaut [2].

A-t il existé une pensée 68 ? Non, nous démontre Serge Audier, en tous les cas pas au singulier. Par contre les convergences surprenantes entre intellectuels de droite et intellectuels de gauche montrent qu'il existe bien une pensée anti-68, plurielle évidemment, une volonté de réduire la portée de l'évènement et d'en occulter des pans entiers. Il y a plusieurs visions de Mai 68 : Soit vu comme porteur de tous les maux qui frappent nos sociétés actuelles, ce type de discours relève la plupart du temps de la caricature et de l'imprécation haineuse. Soit vu comme le moment qui a permis une transformation des mœurs indispensable à la modernisation du capitalisme. Soit enfin, avec Raymond Aron, comme une « révolution introuvable », un psychodrame, un « non-évènement ».

D'où viennent les offensives contre le mouvement de mai-juin 68 ?

De la droite traditionaliste et des néo-conservateurs :

D'après eux, Tocqueville lui-même aurait prévu les dérives de l'état-providence dans lequel l'individu se soustrait à ses responsabilités et où les droits l'emportent sur les devoirs. Ce thème de la décadence est fréquemment repris dans Le Figaro sous la plume de Alain-Gérard Slama. Le désir effréné de liberté individuelle qui se serait exprimé en 68 serait la cause de la perte des valeurs, du sens du bien et du mal...

Des « libéraux-libertaires »

Les années 70 ont vu apparaître ceux qu'on appelle les « nouveaux philosophes » (Bernard Henri-Lévy, André Glucksmann, etc.). Leurs discours sont d'autant plus ambigus qu'ils sont perçus comme des enfants de 68 et qu'ils en gardent une partie de l'héritage. Ils mettent l'accent, en positif, sur l'aspect individualiste et hédoniste du mouvement, sur la célébration de la liberté individuelle. Les soixante-huitards en luttant contre les contraintes de la tradition auraient permis l'indispensable modernisation du capitalisme. La conversion de ces anciens de mai n'est pas étonnante car dans la lignée de leurs conceptions anti-étatistes et libertaires.

Des communistes

Serge Audier rappelle qu'on a évacué un peu vite de nos mémoires les réactions du PCF (parti communiste français) en 1968. Georges Marchais, Duclos, Philippe Sollers dans « la nouvelle critique », ainsi que le guévariste Régis Debray s'en sont pris aux gauchistes fils de bourgeois dont le spontanéisme aurait été contre-révolutionnaire. Les étudiants auraient été des agents du capitalisme et de l'américanisation de la France.

De pourfendeurs de l'anti-humanisme

C'est Luc Ferry et Alain Renaut (c'est d'ailleurs le sous-titre de leur livre : Essai sur l'anti-humanisme contemporain) avec l'appui de la revue Le débat de Marcel Gauchet, qui ont décidé que mai 68 était un mouvement anti-humanisme dont les maîtres à penser des années 60 (Foucault, Althusser, Bourdieu, Lacan...) auraient contribué à préparer la révolte. L'anti-humanisme de mai 68 serait dû, une fois encore, à l'individu hédoniste et aurait marqué la « destruction du sujet conscient et la mort du moi comme sujet ».Alain Finkielkraut dans la défaite de la pensée va dans le même sens, il se désole de « la perte de l'idée de nature humaine » et du fait que « au nom de l'homme on a voulu en finir avec l'homme » Mais, démontre Serge Audier, cette thèse ne tient pas la route : Althusser était très malade, Foucault était en Tunisie, Bourdieu est resté très sceptique par rapport au mouvement... Par contre Ferry et Renaut omettent de citer les auteurs qui étaient lus et connus en 68 : Marx bien-sûr et Bakounine, Rosa Luxemburg, Wilhem Reich et Jean-Paul Sartre. Ils ne tiennent pas compte non plus de l'activité intellectuelle intense des groupes trotskistes, maoïstes, guévaristes, anarchistes et situationnistes. Si influences il y a eu sur le mouvement, elles ne sont donc pas à chercher du côté des penseurs anti-humanistes cités par Ferry et Renaut. Le mouvement a réhabilité l'action collective de « sujets pensant et agissant » : il a été profondément humaniste.

De républicains

Mai 68, toujours à cause de son individualisme forcené et égoïste, serait à l'origine de la perte du sens civique qui met en péril la République. Régis Debray, grand admirateur de de Gaulle, persuadé d'avoir été le seul à dénoncer la révolution petite-bourgeoise qu'aurait été le mai étudiant, oppose la République à la démocratie vue comme une régression de l'idéal républicain issu de la Révolution française. Marcel Gauchet dénonce, dans le refus soixante-huitard de toute contrainte, la perte du sens des responsabilités sociales et politiques. Tous deux s'en prennent au culte des droits de l'homme. Quant à Annie Kriegel, ex-maoïste et assistante de Foucault, elle se veut la pionnière du retour au républicanisme puisque, selon elle, mai 68 aurait éradiqué le désir de révolution et montré l'impasse des pensées marxistes et auto-gestionnaires. Ce discours qui se réclame des valeurs de la république en vient à se faire le défenseur de l'idée de nation.

De l'ultra gauche

Il existe aussi, dans la gauche de la gauche, une critique contre le mouvement étudiant au nom d'un certain ouvriérisme. Même si ce n'est pas de ce côté-là que vient le rejet de mai 68, Serge Audier en profite pour égratigner au passage Guy Hocquenghem et Serge Halimi qui, dans leur dénonciation des « traîtres », de leurs reniements, de leurs stratégies de carrières et de leurs liens médiatiques, en oublient de montrer les contenus positifs de mai et contribuent à laisser dans l'ombre les millions d'autres acteurs du mouvement qui n'ont rien renié du tout. 

Il ressort de cette longue analyse de l'évolution de la pensée de ces quarante dernières années qu'elle s'est bien faite en réaction au legs de mai 68, sous forme de tentatives plus ou moins voilées de le liquider. L'insistance partagée sur le thème de l'avènement de l'individualisme a permis d'évacuer toute la dimension socio-politique du mouvement en le présentant comme « une débauche apolitique d'enfants gâtés ». S'appuyant entre autres sur Cornélius Castoriadis, Serge Audier conclut avec les « sédimentations positives » de 68 en particulier sur la volonté de participer au débat, sur un pied d'égalité, en portant le questionnement sur des sphères réservées jusque là aux spécialistes.

Quant à la mort du socialisme... Serge Audier adopte une position plutôt confuse que nous laissons à nos lecteurs le soin d'interpréter ! 

Notes

[1] Forget 68 de Cohn-Bendit : éditions de l'Aube & France Inter, 2008
Mai 68 raconté à ceux qui ne l'ont pas vécu de Patrick Rotman : Paris, Seuil, 2008
Génération d'Hervé Hamon et Patrick Rotman : Seuil, 1988, Réédition, Points, 1998
Les années 68 de Patrick et Charlotte Rotman : Pais, Seuil, 2008
Mai 68 raconté à Nicolas Sarkozy d'André et Raphaël Glucksmann : Paris, Denoël , 2008
Mon mai 68 d'Alain Geismar : Paris, Perrin, 2008
Mai 68, une histoire du mouvement par Laurent Joffrin. : Paris, Seuil, 2008
[2] Paris, Gallimard, 1985, réédité en 2008




Kristin Ross : Mai 68 et ses vies ultérieures

Aux éditions complexes. Monde Diplomatique. 2005, 249 pages, 19,90 euros.

Serge Audier dans son essai, La pensée anti-68, adresse quelques reproches à Kristin Ross qui ne sont pas vraiment justifiés ; à la différence du philosophe français, Kristin Ross, qui enseigne la littérature comparée à l'université de New York, n'a pas cherché à écrire un livre d'anthologie sur la philosophie des années 60 à nos jours. Il lui est reproché de n'avoir pas tout dit de Raymond Aron, de ne pas avoir cité certains intellectuels de droite et les réactions du Parti Communiste Français. Mais sa démonstration vaut largement la somme de références et de citations qui rend fastidieuse parfois la lecture du livre de Serge Audier. Elle a fait d'autres choix que de ne s'intéresser qu'à la pensée philosophique et à ses grands auteurs, ses universitaires. Elle se penche par contre longuement sur les recherches menées par des historiens après 68, elle donne la parole à des témoins et acteurs du mouvement non issus de l'intelligentsia, elle part de leurs tracts, elle étudie des films. Cela donne un autre souffle à son ouvrage d'autant plus qu'on ne s'interroge pas, à la lire, sur le sens de ses engagements ! Son livre mérite donc largement d'être mis en tête des lectures de tous ceux qui refusent d'enterrer Mai 68. En voici les idées-forces.

Il y a deux façons d'aborder Mai 68 : soit comme un évènement, un moment où il s'est passé quelque chose ; soit comme une période allant du milieu des années 50 au milieu des années 70 ce qui donne alors à l'évènement une longue gestation et des « vies ultérieures ».

C'est la violence qui marque l'avant-68 : violence de la guerre d'Algérie qui vient juste de se terminer et qui est la première grande occultation de notre histoire du XXème siècle, violence de la répression des manifestations ( Octobre 61 puis Charonne,) violence des grèves sauvages des années 60, sauvages car autant dirigées contre les responsables syndicaux que contre le patronat , violence incarnée par Papon et les CRS qu'on a épurés de leurs éléments issus de la résistance ; violence des bagarres avec les fascistes du groupe Occident. Deuxième caractéristique de cet avant 68 : la politisation et la radicalisation de nombreux étudiants autour de la question du Vietnam qui permet la fusion de l'anti-impérialisme et de l'anticapitalisme. L'affluence à la librairie Maspero et aux meetings à la salle de la Mutualité en sont la preuve. Troisième caractéristique : le PCF est de plus en plus discrédité auprès des jeunes « gauchistes » antistaliniens qui contribuent à ce que le marxisme reste bien vivant ( rôle du groupe Socialisme ou Barbarie en particulier).

C'est l'intervention policière qui a joué le rôle de catalyseur et qui a contribué à la formation d'un mouvement de masse : poussant les étudiants à se détacher des revendications corporatives sur la réforme de l'université, poussant les ouvriers à se politiser lorsque les CRS interviendront à la porte des usines occupées. Ce sont les affrontements avec les forces de l'ordre qui vont permettre la solidarité entre étudiants et ouvriers, solidarité que les deux polices, celle de l'état et celle de la CGT, n'auront de cesse de briser : étudiants enfermés dans leur ghetto du quartier latin, ouvriers enfermés dans leurs usines sous prétexte de les occuper. C'est donc la rue qui devient le principal lieu de brassage et de rencontre. Mai 68 a été une formidable aspiration à l'égalité et Kristin Ross le résume ainsi : « Mai 68 ne fut ni une grande réforme culturelle ni une poussée vers la modernisation ni l'aube d'un nouvel individualisme. Ce ne fut surtout pas une révolte de cette catégorie sociale appelée « jeunes ». Ce fut la révolte simultanée de travailleurs et d'étudiants qui se déclencha dans le contexte particulier de la fin de la guerre d'Algérie. ». Pour Kristin Ross Mai 68 est un évènement avant tout politique, le plus grand mouvement de masse de l'histoire de France, la grève la plus importante, et « l'unique insurrection « générale » qu'aient connue les pays occidentaux surdéveloppés depuis la seconde guerre mondiale ».

Et la question du pouvoir ? Elle n'a pas été posée dans l'immédiat mais elle était sous-jacente dans la remise en cause des institutions, dans l'aspiration à réaliser des formes de démocratie directe et d'auto organisation collective, ce qui était particulièrement visible dans les comités d'action dont la structure souple a favorisé la circulation de la parole.

La fête ? oui, il y a eu fête mais pas telle qu'on la décrit aujourd'hui. K. Ross la voit comme un vrai « bonheur public », un moment où chacun vivait « au-dessus de soi-même», c'était un plaisir que de courir d'AG en AG, l'oreille collée au transistor, de se trouver là où ne devrait pas être, d'entrer en contact avec des gens qu'on n'était pas destiné à rencontrer, sans chefs, mais avec le sens du collectif dans lequel l'individu ne disparaît pas parce qu'il n'est pas un mouton : il pense !

Et après ? la contre-offensive commence mais il y a des résistances. Aron décrète que mai 68 est un « non-évènement », un psychodrame. K. Ross se montre très critique envers les sociologues mais s'étend sur un aspect peu connu : les tentatives de petits groupes d'historiens de faire une histoire militante dont la finalité ne soit pas l'érudition (le Peuple français, Forum-Histoire, Révoltes-logiques). Elle accorde beaucoup d'importance aux films documentaires comme celui d'Hervé Le Roux (La Reprise) et au travail de Nicolas Daum qui a fait le choix d'interroger les anonymes, des personnes de tous âges, avec pour objectif de contrer le processus de personnalisation-récupération-spectacularisation.

Et puis arrivent les nouveaux philosophes. Serge July entre au club de la presse d'Europe 1 et seul le courrier des lecteurs sert d'alibi à Libération lorsqu'il prétend donner encore une voix au peuple. Mai 68 est désormais raconté par des « stars », des gardiens officiels de la mémoire dont les intérêts et opinions coïncident avec les élites au pouvoir et les groupes propriétaires de médias. Furet revoit la Révolution française et décide que la terreur suit inéluctablement la révolution. Ferry et Renaut labellisent « pensée 68 » un ensemble d'auteurs parfaitement inconnus des participants de l'époque !

Mai 68 passe alors en procès : on convoque des « jurys » de jeunes pour le juger ou bien le jugement se passe sous la forme d'une autocritique publique comme l'a fait Bernard Kouchner qui par l'utilisation du pronom « nous » transforme son propre parcours en destin collectif et fait taire ainsi tous ceux qui n'ont rien renié du tout ! On a façonné une génération à partir d'une petite clique d'individus en faisant abstraction de l'expérience de milliers d'autres. L'histoire de Mai est revue et corrigée, le Mai étudiant et du quartier latin éclipse la grève générale, le mouvement présenté comme une étape vers la modernisation est complètement dépolitisé. K.Ross note qu'il suffit de changer deux lettres pour que « génération » devienne « rénégation ». Les reconversions sont déguisées en révolution culturelle ou spirituelle.

Jacques Julliard, dans la lignée des nouveaux philosophes, prédit la fin des vieux dogmes, le retour à la démocratie de marché et aux droits de l'homme, le socialisme ne pouvant être que totalitaire. Le totalitarisme devient le thème à la mode, on découvre le goulag dont les camps étaient pourtant connus depuis longtemps grâce à Trotski et Victor Serge. Mais avec le dissident de l'Est on détourne l'attention du travailleur algérien des banlieues.

Le discours tiers-mondiste qui analysait les causes, qui s'ouvrait aux idées et revendications du peuple colonisé est supplanté par le discours sur les droits de l'homme : priorité à la victime qui souffre, à l'émotion, ce qui passe bien dans les médias, place à l'humanitaire qui conduit souvent à l'intervention militaire. C'est à ce moment que l'exigence de liberté l'emporte sur celle d'égalité.

D'anti totalitaire le néo philosophe devient néo libertaire puis néo libéral et anti marxiste acharné ; le critère à remplir pour être reconnu désormais comme un nouveau philosophe est ...de bien passer à la télé ! En effet ils sont de plus en plus nombreux à se retrouver à la tête de journaux, de radios, de maisons d'édition.

L'intellectuel qui en 68 se noyait dans la foule prête désormais son prestige pour défendre les « bonnes » causes ; les militants gauchistes, après l'interdiction de leurs groupes, se transforment en militants professionnels. L'esprit de mai se désagrège, on en fabrique un nouveau : on ne retient que quelques slogans poétiques, on oublie les morts et les nombreux suicides de l'après Mai et on se replie sur une société sans conflits adaptée à la nouvelle phase du capitalisme. Mai 68, présenté comme un retour à l'individualisme, n'est plus vu comme une tentative de forme sociale alternative mais comme une simple révolte de la jeunesse puisque d'après Cohn-Bendit « la révolte fait partie de la jeunesse » ; la société est divisée non plus en classes sociales mais en classes d'âges.

Kristin Ross conclut son livre par un message d'espoir en évoquant le mouvement de 1995 où l'ordre établi est perturbé à nouveau. Pendant les grèves contre le plan Juppé les travailleurs de différents secteurs se rencontrent, comme à Rouen où les cheminots ont accueilli les assemblées de grévistes. 1995 « a transformé l'évènement de 68 en une force, à présent libre d'être déplacée et de manifester à nouveau[...]Il a brisé l'image de Mai en tant que grande réforme culturelle[...] naissance d'un nouvel individualisme. Il a mis fin, en d'autres termes, à la fin de Mai, en lui offrant une vie ultérieure »

le 21 mai 2008

Nadine Floury

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