Où va l'extrême gauche ?

« Il n'est pas de sauveur suprême,
Ni dieu, ni césar, ni tribun
 ».

L'Internationale est un chant dans lequel se reconnaissent depuis le début du XXe siècle les militants, les travailleurs et les jeunes qui aspirent à une émancipation complète du genre humain de toutes les formes d'oppression et d'exploitation. Si le rejet des césars qui écrasent et des dieux qui aliènent semble faire consensus, il n'est pas évident que le rejet des tribuns soit clairement et définitivement admis et assumé. C'est même tout le contraire auquel nous assistons à la faveur de la campagne actuelle pour les élections présidentielles.

Les péripéties d'une recherche de candidature à la gauche de la gauche ont occupé l'essentiel du temps et des préoccupations des membres des collectifs anti-libéraux pendant près de dix mois. La Ligue Communiste Révolutionnaire s'est dégagée dans sa majorité de ce processus pour proposer le même candidat qu'en 2002 et Lutte Ouvrière n'a pas osé prendre le risque de présenter une personnalité autre que celle qui a, au fil des campagnes électorales depuis 1973, eu le temps d'être connue d'un large public et d'être fortement médiatisée.

Il en ressort que aussi bien LO, la LCR que dorénavant les diverses composantes du mouvement anti-libéral à la gauche du PS, n'imaginent pas un seul instant ne pas avoir leur tribun connu, avec son capital de sympathie, pour porter leurs idées et les intérêts de leurs mouvements. Personne n'imagine intervenir efficacement dans l'arène politique avec des obscurs, des invisibles et des sans-grades, sans avoir « un bon client » ou « une bonne cliente » à proposer sur les plateaux télévisés ou les émissions de radio, sans plan média. Le piège de la personnalisation intrinsèque aux institutions de la Ve République et de son moment politique fort, fondateur et refondateur, les élections présidentielles, fonctionne donc avec une efficience particulièrement remarquable en 2007.

Comment l'extrême gauche en est-elle arrivée là ? Le présent article voudrait explorer cette question et tenter d'y apporter des réponses, ainsi qu'à la question corollaire : Et maintenant, où va-t-elle ?

Ayant milité un certain nombre d'années à Lutte Ouvrière avant d'en être exclus avec d'autres en mars 1997, ayant ensuite milité au sein de la tendance Voix des Travailleurs, puis au sein de la LCR pour l'un de nous ou à proximité d'elle pour l'autre, nous n'appartenons plus aujourd'hui à aucune organisation politique. Nous nous considérons cependant toujours comme membres et militants de cette extrême gauche au sens large qui inclut tous les courants et individus d'origines diverses (libertaires, trotskystes, ex-maoïstes, ex-« capitalistes d'Etat », altermondialistes...) qui considèrent que la destruction du système capitaliste est une nécessité vitale pour l'humanité.

Si notre texte est avant tout centré sur la LCR et LO, organisations que nous avons été amenés à connaître de près, cela ne signifie pas que nous tenions pour négligeables les autres composantes collectives ou individuelles de l'extrême gauche. Nous nous intéressons à ces organisations parce qu'elle occupent une place centrale et continuent de jouer un rôle important dans l'extrême gauche française.

Nous ne sommes pas tentés le moins du monde par un exercice dérisoire de règlements de compte ni par un travail d'approche de type universitaire qui se voudrait « neutre ». Notre problème est un problème militant : les deux organisations d'extrême gauche sont-elles susceptibles de jouer un rôle moteur dans l'émergence d'une nouvelle force politique pour le camp des exploités ? Notre diagnostic, concernant les organisations, est pessimiste. Mais il demeure fondamentalement optimiste quant à ce qui existe et se développe, à l'extérieur, au sein de l'extrême gauche et au-delà, dans la jeunesse et au sein du monde du travail.

Nous tentons dans ce texte une évaluation historique et critique de LO et de la LCR. Comme il s'agit d'organisations politiques se situant toujours officiellement sur le terrain de la révolution prolétarienne mondiale et non d'amicales de vieux camarades qu'il faudrait traiter avec ménagement, nous ne chercherons pas à atténuer la dimension critique de notre propos. Ajoutons que cette évaluation, que nous ne pouvons qu'esquisser ici, nous implique nous-mêmes et suppose donc une critique de ce qui a été notre propre façon de militer et de nous engager dans le champ politique.

Des intérêts historiques du prolétariat aux intérêts de boutique

La fonction d'une campagne n'a plus pour but de bousculer le paysage audio-visuel de la bourgeoisie, d'aider les travailleurs à comprendre les enjeux politiques et sociaux fondamentaux et de les appeler à se préparer à lutter pour mettre en oeuvre eux-mêmes la transformation de la société. Une campagne électorale, et tout particulièrement la campagne présidentielle, a insidieusement fini par avoir une fonction de conservation et de maintien en activité de ses militants et de son organisation. Cette fonction est d'autant plus prépondérante qu'elle s'effectue sur le mode de la concurrence avec l'organisation rivale de longue date.

En 2007 Lutte Ouvrière apparaît de façon encore plus flagrante qu'en 2002 comme une organisation routinière, cachant plus que jamais son absence de perspectives politiques derrière des dénonciations moralistes sur un ton pathétique contre le patronat inique, forcément inique. Il est révélateur que le premier slogan d'affiches de LO dans cette campagne soit, sur le mode de la fausse interrogation, un message méprisant à l'égard de la LCR : « Arlette Laguiller. Qui d'autre peut se dire sincèrement dans le camp des travailleurs ? » Que signifie ce credo d'autosuffisance qui est l'axe de la première campagne d'affiches de cette organisation ? De fait, LO prétend qu'elle détient le monopole de l'expression des intérêts politiques des travailleurs. Au passage, LO ne peut pas affirmer plus clairement qu'Olivier Besancenot n'est pas sincèrement dans le camp des travailleurs puisque seule la candidate de LO y est. 

La fausse fidélité qui consiste à rabâcher des évidences sur la malfaisance des capitalistes fait donc bon ménage avec l'esprit de boutique le plus mesquin. On peut porter des critiques sévères à la politique de la LCR, ce dont nous n'allons d'ailleurs pas nous priver dans ce texte. Mais contester implicitement, insidieusement, qu'Olivier Besancenot soit sincèrement dans le camp des travailleurs relève d'une mauvaise foi détestable. Non seulement Olivier Besancenot est un travailleur et un militant qui paie de sa personne aux côtés des salariés en lutte mais bien d'autres aussi fort heureusement, à la LCR et dans d'autres organisations ou collectifs d'extrême gauche.

Au-delà de l'aversion que peut provoquer cette anecdote, il faut prendre la mesure de ce qu'elle traduit de l'évolution de LO, de la LCR et de leurs relations depuis les années 1960. La perspective et l'activité des deux organisations ont considérablement changé. Jusqu'au milieu des années 80, LO et la LCR ont été immergées dans l'époque et les militants ont alors essayé de prendre la réalité à bras le corps en s'en donnant les moyens, en confrontant leurs méthodes et points de vue, en s'enrichissant mutuellement des expériences les uns des autres. La situation contraste très nettement avec celle que ces organisations ont connue depuis, où la vie organisationnelle s'est progressivement désynchronisée de la situation objective, et où les militants se sont repliés sur leurs organisations respectives. Avec une parenthèse de courte durée dans la seconde moitié des années 1990 dans les soubresauts consécutifs à la disparition de l'URSS – parenthèse sur laquelle nous reviendrons.

Par glissement, on est passé d'une perspective centrée sur les intérêts de classe des exploités, à une perspective centrée sur le microcosme organisationnel. Il n'y a pas de « point de vue de Dieu » transcendant et parfaitement objectif sur la réalité, et notre perception est nécessairement située donc subjective. La difficulté à laquelle chaque militant comme chaque courant est confronté, c'est d'échapper à une vision autocentrée pour se hisser, non pas à un point de vue universel, mais à un point de vue qui soit au moins « universel pour nous » : celui qui reflète les intérêts généraux de notre camp social. Tous les débats théoriques et pratiques qui ont traversé le mouvement ouvrier depuis un siècle et demi se sont placés dans cette optique, à plus forte raison les débats qui ont traversé le mouvement trotskyste à ses origines.

L'histoire des dernières décennies est l'histoire d'un décrochage, de cette lente involution qui a conduit les deux groupes à une vision organisationnellement autocentrée des choses, chacun dans son coin. C'est lié au vieillissement des cadres organisationnels, à une forme d'installation dans le monde environnant, au conservatisme que tout cela engendre.

1. Des origines à Mai 68, un héritage vivant mais malmené

Quel a été le projet historique du mouvement trotskyste ? Depuis la création de l'Opposition de gauche en URSS en 1923 par Trotsky et ses camarades et ensuite de l'Opposition de gauche internationale en 1929, le courant trotskyste s'est caractérisé lui-même comme un courant communiste prolétarien visant à jouer un rôle dans la transformation révolutionnaire de la société à l'échelle mondiale. C'est cette visée internationaliste en liaison avec les combats de la classe ouvrière et des masses opprimées dans différents pays qui a constamment maintenu une continuité et une vitalité indéniable au trotskysme jusqu'à la fin du vingtième siècle. En dépit des conjonctures ou des périodes marquées par des épreuves, des difficultés ou des vents idéologiques contraires, il se sera toujours trouvé, ne serait-ce qu'une poignée de jeunes femmes et hommes se reconnaissant dans les idées de ce courant.

De la fin des années vingt jusqu'à l'explosion du bloc soviétique, rejoindre une organisation trotskyste aura été pour plusieurs générations de militants, un choix de vie exaltant où l'on déclarait la guerre au capitalisme et au stalinisme qui avait trahi la révolution russe, saboté ou écrasé plusieurs révolutions ou grandes mobilisations du prolétariat de la Chine en 1927 à la Hongrie en 1956, de l'Espagne de 1937 aux mouvements de 1968 notamment en France et en Tchécoslovaquie. L'émancipation des travailleurs et l'avenir d'une société socialiste à l'échelle mondiale ne pouvaient se penser pour les militants jeunes ou chevronnés qu'en opposition aux partis et organisations contrôlés par les staliniens. Ceux-ci faisant obstacle à la prise de conscience du rôle historique du prolétariat, acculant les travailleurs dans les voies du réformisme et les anesthésiant avec de fortes doses d'électoralisme, le problème s'est constamment posé aux trotskystes de trouver les voies et les moyens d'affronter cet obstacle ou de le contourner. En fait la difficulté était dans certaines périodes notamment celle de la Seconde guerre mondiale et de la « guerre froide » de tout simplement parvenir à continuer à exister et à agir. Rappelons que plusieurs militants furent assassinés pendant la guerre et à « la Libération ».

Il est difficile de se faire une idée aujourd'hui de la puissance et de la prégnance du stalinisme au sein de la classe ouvrière mais aussi dans d'autres milieux, notamment celui des universités. Pour nous en tenir au cas de la France, c'est à un véritable monopole idéologique sur les travailleurs que le PCF s'est efforcé d'imposer constamment avec des résultats incontestables, surtout dans la période allant du milieu de la Seconde guerre mondiale jusqu'à Mai 68. Le PCF considérait la classe ouvrière comme sa chasse gardée, la CGT et l'intelligentsia comme des viviers de recrutement de ses cadres. Il ne tolérait pas la contestation sur sa gauche. Il a abondamment pratiqué les calomnies et les agressions physiques contre les trotskystes jusque dans les années soixante-dix. Le courant trotskyste en dépit de la diversité des organisations, analyses et choix militants qui l'ont toujours divisé apparaissait d'autant plus dangereux et intolérable qu'il se positionnait comme voulant construire un autre parti, authentiquement communiste, c'est-à-dire révolutionnaire et internationaliste.

Ce parti ne parvenant pas à prendre forme, malgré des succès dans le recrutement dans l'après-guerre du Parti Communiste Internationaliste et malgré le rôle décisif joué par l'Union Communiste (groupe Barta) dans la grève de Renault-Billancourt en 1947 qui obligea le PCF à être chassé du gouvernement, chaque organisation eut sa propre stratégie de survie.

Encore est-il nécessaire de préciser qu'aucune tendance n'a jamais eu pour but de seulement survivre, de seulement durer en attendant des évènements ou des temps plus propices. De 1944 à 1968, la faiblesse des effectifs et parfois les moments où tel ou tel groupe a frôlé l'inexistence voire disparu pour quelques années, n'ont jamais découragé des militants trotskystes d'élaborer une politique à visée stratégique comme ce fut le cas par exemple du groupe Barta qui n'a jamais compté plus de dix-huit militants.

Ils se pensaient tous comme porteur d'une politique fondamentale pour l'avenir du prolétariat pas seulement français mais mondial et en même temps comme des éléments d'une avant-garde se voulant de type bolchevique. L'idée n'était pas celle, élitiste, défendue et mise en pratique par les staliniens d'une direction « infaillible » et autoritaire sur les travailleurs. L'avant-garde au sens léniniste est plutôt un rassemblement d'hommes et de femmes engagés dans le combat révolutionnaire avant la révolution, qui par là anticipent et tentent de constituer un intellectuel collectif à mettre au service de l'ensemble de la classe quand elle entre en mouvement. Les militants trotskystes étaient prêts à prendre de grands risques dans ce but. Sur un plan personnel, choisir de rejoindre une organisation trotskyste jusqu'en mai 68, c'était être à contre-courant, c'était vouloir relever un défi.

Quoi que l'on pense rétrospectivement du caractère profondément juste, discutable, erroné, ridicule ou aberrant des options politiques et organisationnelles de tel ou tel groupe, ce qu'ils partageaient malgré tout était la conviction que leurs idées révolutionnaires internationalistes et leurs actions pouvaient jouer un rôle historique même si leur nombre était faible. Pour les jeunes de cette période, le PCF illustrait de façon éloquente le fait que le nombre n'est pas un critère recevable pour qui se bat pour l'émancipation des travailleurs et le communisme authentique.

On ne comprendrait pas sinon le pouvoir d'attraction des différentes composantes du trotskysme qui ont toutes réussi à renaître de leurs cendres à plusieurs reprises. Les quelques jeunes et travailleurs qui rejoignaient ces groupes savaient qu'ils allaient se heurter à de grandes difficultés. Ils étaient convaincus à la fois qu'ils allaient jouer un rôle à plus ou moins brève échéance et évidemment connaître une répression plus ou moins brutale. Les groupes trotskystes jusqu'en 1968 ne constituaient donc en aucune manière des milieux dans lesquels on était amené à s'installer tranquillement et pour longtemps. Leurs divergences étaient suffisamment saillantes pour que chacun soit intellectuellement stimulé et ait envie de relever le défi : comprendre et si possible participer à l'élaboration de la politique la meilleure pour le prolétariat et les masses opprimées des colonies, avec des fondements théoriques adéquats et des applications pratiques efficaces.

Les divergences surgiront sur une foule de questions, l'appréciation du régime de Tito en Yougoslavie, la nature des États des pays d'Europe de l'Est, la signification de la « déstalinisation » de Khrouchtchev, la nature des révolutions chinoise en 1949 et cubaine en 1959, les formes du soutien à apporter aux combattants nationalistes algériens divisés entre le FLN et le MNA, l'analyse de la guerre froide et les risques d'éclatement d'une Troisième guerre mondiale à partir de l'escalade de la guerre en Corée... Cette situation au début des années cinquante avait profondément divisé et affaibli la IVe Internationale et en particulier le PCI après la proposition d'un de ses dirigeants Michel Raptis, dit Pablo, de procéder à l'entrisme de tous les militants dans les organisations staliniennes. Selon lui, devant l'urgence de la situation qui ne laissait plus le temps de construire des partis révolutionnaires, il fallait se trouver là où ne manquerait pas de se produire la radicalisation de la classe ouvrière. Dans la section française, une majorité constituée de l'essentiel des militants ouvriers s'opposa vigoureusement à cette politique suicidaire et ce fut la scission.

La propre analyse de ces militants regroupés dans l'Organisation Communiste Internationaliste (OCI dite « lambertiste » du pseudonyme de son dirigeant Lambert) les incita, après l'arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, évènement qu'ils considéraient comme une défaite historique du prolétariat, à collaborer avec le groupe Voix Ouvrière constitué en partie de militants issus de l'ancien groupe Barta. Cette collaboration se traduisit par la publication régulière de bulletins d'entreprises communs. Elle impliqua une attitude commune, solidaire et ferme, face aux nervis staliniens agressant les diffuseurs de ces bulletins. Les incidents les plus graves devant l'usine Saviem à Saint-Ouen furent relatés et commentés dans une brochure commune, « Pour la démocratie ouvrière » (mars 1962). Le travail commun entre l'OCI et Voix Ouvrière redonna de l'énergie aux militants d'entreprise de l'OCI et permit le développement de VO en province alors qu'elle n'existait jusqu'alors que sur la région parisienne. Bien plus, comme à chaque fois que des groupes trotskystes ont réussi à oeuvrer ensemble sur un terrain où un autre, tous les militants furent amenés à s'intéresser avec un intérêt plus vif aux analyses des autres et donc à progresser politiquement.

En s'interdisant de relever les moments de rapprochements, de collaborations voire d'unité dans l'histoire des différents groupes trotskystes et surtout en ne comprenant pas ce qu'ils ont apporté de positif, on s'installerait dans les confortables et déplaisants stéréotypes sur les trotskystes toujours divisés, les uns toujours « ouverts » et d'autres « sectaires » ou dans un « bunker » de toute éternité. La réalité a été infiniment plus complexe et plus riche, ce qui est toujours pénible pour les esprits réducteurs, qu'ils soient militants, historiens ou journalistes.

Les deux dernières années de la guerre d'Algérie et celles qui conduisent ensuite à Mai 68 ont été une période de politisation intense des jeunes salariés et encore plus des étudiants. La révolte contre les infamies de l'État français commises contre le peuple algérien et contre celles de l'impérialisme américain au Viêt-Nam a amené certains d'entre eux particulièrement exigeants à rechercher les organisations trotskystes qui indiquaient un horizon large, un cadre d'analyse global apparaissant à la fois rigoureux et enthousiasmant. La révolte secoua fortement les organisations de jeunesse contrôlées par le PCF et aboutit à des exclusions massives dans l'UEC en 1966 et à la création de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire. Cette toute jeune organisation allait rejoindre formellement en 1969 la section française officielle de la IVe Internationale, presque moribonde à la suite de la politique entriste dans le PCF pour former la Ligue Communiste.

L'émulation et la concurrence entre les trois principales organisations, OCI, Voix Ouvrière et la Ligue Communiste dans ces années effervescentes politiquement et bientôt socialement étaient fortes mais pas destructrices. L'isolement n'était possible pour personne. A l'université fréquemment, aux Auberges de Jeunesse, parfois dans les entreprises, dans les meetings suivis de débats, comme le Cercle Léon Trotsky organisé par VO, les militants des différentes tendances y compris anarchistes se retrouvaient et polémiquaient pied à pied. Ce climat où chacun était habité par des certitudes poussait néanmoins à acquérir une formation politique très étoffée aussi bien pour gagner des gens à son organisation que pour faire bonne figure dans les débats avec les rivaux. Au demeurant le sens de la moquerie des autres et de soi-même était un ingrédient assez commun aux différents groupes trotskystes et un indice de bonne santé. Il faut dire que dans ces années d'avant 68, on était déjà un militant très formé sur tous les plans à l'âge de 25 ans et évidemment un « vieux dirigeant » à 35 ou 40 ans ! Les militants les plus nombreux, toutes tendances confondues, avaient moins de 30 ans, une situation qui tranche nettement avec la figure de l'extrême gauche aujourd'hui.

A partir de notre évocation des années qui ont précédé Mai 68, on ne s'étonnera pas que les différents groupes d'extrême gauche notamment Voix Ouvrière et la Ligue Communiste avec leurs divergences et leur profil très différent, se soient retrouvés en mai 68 côte à côte dans une ambiance très fraternelle, que ce soit dans la cour de la Sorbonne, dans les facs et les bâtiments publics occupés, à la porte de certaines usines ou dans les manifestations.

2. De l'heure de gloire du « gauchisme » en 1968 au triomphe de la social-démocratie en 1981

En continu depuis 1968, les identités de LO et de la LCR se sont en partie construites et bien des choix se sont faits en fonction de l'autre organisation, aussi bien au travers de rapprochements, d'actions communes que de polémiques ou d'observations attentives de ce que faisait l'autre. Même si ces interactions n'expliquent pas tout, nous allons être amenés à insister sur elles.

Le grossissement des effectifs dans la foulée de 68 et la radicalité qui continuait à s'exprimer sur tous les terrains pendant plusieurs années vont progressivement modifier l'horizon des uns et des autres et donner un sens différent, plus gros de conséquences, aux rapprochements et aux polémiques. Ce furent des années d'apprentissage accéléré et de maturation politique pour tout le monde. La perspective de la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire à relativement brève échéance apparaissait crédible, à portée de main. Des rencontres LO-LCR nombreuses eurent lieu pour discuter d'un journal commun et des étapes préparatoires en vue d'une fusion des deux organisations. Si le processus n'est pas allé à son terme comme on le sait, il aura permis entre autres choses l'existence d'une grande manifestation célébrant la Commune de Paris, d'un grand meeting commun, d'une fête commune, d'un supplément commun dans les hebdomadaires respectifs, d'une campagne commune pour populariser des revendications susceptibles d'unir les travailleurs. Rétrospectivement, il peut sembler étonnant qu'il se soit passé autant de choses (largement oubliées ou ignorées aujourd'hui), sachant les différences et les divergences entre LO et la LCR dans les années d'après Mai 68. Il faut donc entrer un peu dans le détail.

La période « triomphaliste » d'une LCR qui se développe numériquement bien plus que LO n'aura pas eu que du mauvais. En présentant un candidat à l'élection présidentielle de 1969 sur des thèmes certes gauchistes1, qui ne pouvaient pas mordre sur une fraction significative de la classe ouvrière, la LCR a au moins prouvé que ce type de campagne n'était plus la chasse gardée des partis réformistes. LO décida d'être unitaire pour deux en faisant campagne activement pour Alain Krivine. Ce fut une excellente occasion pour ses militants de faire une campagne politique large, de gagner en compétence et d'élargir son audience. D'autant plus que la direction de LO était du coup bien décidée à présenter sa candidate aux présidentielles suivantes qui eurent lieu en 1974.

La LCR, que LO n'avait pas cessé de fustiger comme petite bourgeoise par sa composition sociale et ses secteurs d'interventions, commença surtout à partir de 1970 à mettre les bouchées doubles pour acquérir une implantation dans les entreprises, non sans succès. Son attention à cette implantation ne cessera ensuite de rester une de ses priorités. L'exemple et la pression de Lutte Ouvrière n'y a pas été pour rien.

LO, que la LCR n'avait pas cessé de fustiger comme secte repliée sur elle, économiste et ouvriériste, attirait des lycéens et des collégiens du technique, faisait une campagne commune avec le PSU dirigé alors par Michel Rocard sur les transports en commun et faisait des listes communes avec ce parti aux élections municipales à Paris. Celles et ceux qui s'imaginent que LO s'en est toujours tenu à s'implanter lentement et de façon besogneuse dans les entreprises sont assez loin de la réalité. LO fut présente avec la LCR à bien des manifestations notamment contre la guerre du Vietnam, contre la dictature de Franco ou pour le droit à l'avortement. Par ailleurs LO impulsa un mouvement de collégiens du technique (avec son journal « Ceux du Technique ») et un mouvement de comités d'usagers des transports en commun sur l'agglomération parisienne qui mena parfois des actions spectaculaires. Elle mena en banlieue parisienne une campagne très soutenue à la suite d'un crime raciste. En province les militants de LO animèrent des comités contre des logements insalubres, contre un projet de dépôt de chlore dans une usine Rhône-Poulenc et aussi des comités contre les insuffisances des transports en commun. Loin d'être indifférent aux questions écologiques, son hebdomadaire a consacré dans les années soixante-dix de nombreux dossiers, articles et interviews sur les centrales nucléaires, l'usine de retraitement de la Hague et les diverses formes de pollution par les industriels. Là encore l'esprit d'initiative permanent de la LCR n'a pas été sans stimuler celui de LO dans un certain nombre de domaines.

La volonté de défendre ses idées devant un public populaire large, bien au-delà du cadre des entreprises se concrétisa par la première fête nationale de Lutte Ouvrière en 1971, et en 1973 par sa participation aux législatives dans 171 circonscriptions avec pour la première fois Arlette Laguiller comme porte-parole. De son côté la LCR se présenta dans 91 autres circonscriptions suite à un accord de répartition des circonscriptions avec LO. L'expérience des campagnes communes LO-LCR aux municipales de 1977 et de 1983 et aux Européennes de 1979 (et ultérieurement de 1999) ont été bénéfiques pour la LCR comme le reconnaît Alain Krivine dans son livre Ça te passera avec l'âge (éd. Flammarion) : « Personnellement, j'ai pas mal appris au cours de campagnes communes, changeant complètement le type de discours que je faisais dans les années soixante-dix. » (page 218).

La LCR eut de son côté de multiples terrains d'intervention qui attestaient sa volonté d'être présente sur tous les fronts, dans tous les secteurs de la lutte, même si elle n'en avait pas toujours les forces et les capacités politiques : travail dans l'armée avec des jeunes du contingent, lutte physique contre l'extrême droite, implication dans le Secours Rouge, soutien aux travailleurs de LIP en 1973, publication d'un quotidien, présence active dans le mouvement féministe et pour les droits des homosexuels, et bien sûr présence dans toutes les manifestations suscitées par les guerres impérialistes et la répression dans le monde.

Tout ce que faisait l'autre organisation était naturellement matière à des critiques vives et à des analyses fouillées. On n'en était pas encore au « chacun chez soi » d'aujourd'hui du style « on se connaît, inutile de discuter », sauf un jour par an lors d'un débat à la fête nationale de LO avec quelques piques convenues. Et en dehors de cela, quand c'est possible des deux côtés, une campagne... électorale, forcément électorale.

La LCR et LO se sont trouvées sur un même terrain mais dans une position de forte rivalité au cours des mouvements qui ont concerné la jeunesse scolarisée. Ce fut en particulier le cas au cours du mouvement étudiant de 1973 contre la loi Debré visant à supprimer les sursis pour le service militaire. La LCR, qui avait des positions fortes dans les lycées, défendait une ligne unitaire au risque de mettre les collégiens du techniques à la remorque du mouvement des lycéens tandis que LO qui avait développé tout un travail fructueux en direction des collèges techniques se battait pour l'autonomie du mouvement des jeunes du technique. LO se battait en particulier pour la coordination des jeunes du technique et pour qu'ils aient leurs revendications politiques, contre l'armée et pas seulement pour le maintien des sursis (qui ne les concernait d'ailleurs pas). Cela dans un contexte éloigné de ce qui est connu aujourd'hui, où la sélection sociale à l'entrée des lycées était beaucoup plus forte et où les enfants des couches populaires étaient massivement scolarisés dans les collèges techniques.

Ces positionnements découlaient d'une divergence politique importante qui remontait aux origines de ces deux mouvements et sur laquelle il faut s'arrêter car elle va perdurer jusqu'à aujourd'hui sous des formes diverses et de façon plus ou moins appuyée selon les circonstances.

Indépendance de classe, unité et suivisme

On a vu que pendant la Seconde guerre mondiale et les années qui ont suivi, le PCF avait bloqué efficacement toute possibilité d'émergence d'un mouvement ouvrier révolutionnaire même numériquement faible. Face à cette situation, les trotskystes se sont divisés en deux orientations fondamentalement différentes. Schématiquement, les uns (l'Union communiste de Barta et à sa suite Voix Ouvrière) considéraient qu'il fallait chercher au sein même de la classe ouvrière les éléments susceptibles de constituer une avant-garde révolutionnaire avec de jeunes « cadres » intellectuels entièrement dévoués à la construction d'une telle avant-garde. Les autres (le PCI qui sera le cadre politique de référence pour la LCR) estimaient que les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, principalement staliniennes, comptaient dans leurs rangs et même à leurs directions des travailleurs trompés, susceptibles d'être ébranlés et gagnés aux idées révolutionnaires plus facilement que des travailleurs du rang. Ces deux orientations différentes n'étaient pas en elles-mêmes contradictoires mais elles pouvaient le devenir au travers de leurs mises en oeuvre.

La première position calait clairement et d'entrée de jeu une position d'indépendance de classe et de confiance a priori dans les capacités de travailleurs du rang à comprendre les enjeux d'une grande lutte et à y jouer un rôle décisif en franchissant l'obstacle des bureaucraties syndicales et des directions politiques réformistes. C'est cette politique qui s'est avérée convaincante à Renault-Billancourt en 1947. Dans le contexte de l'époque, une petite « secte ouvriériste » n'aurait pas pu jouer un rôle aussi important dans une grève de cette ampleur.

La recherche prioritaire d'éléments d'avant-garde « trompés » à défaut d'avoir soi-même des forces faisant levier pouvait facilement déraper en diverses illusions et formes de suivismes ce qui n'a pas manqué de se produire à maintes reprises. En prenant ses désirs pour des réalités, tout dirigeant nationaliste ou réformiste, en délicatesse ou en rupture a pu être facilement paré de vertus avant-gardiste potentielles. Et bien sûr cela commandait de rechercher l'unité à tout prix avec ce type de dirigeants au nom du Front Unique, de l'unité, etc. On ne fera pas ici la liste beaucoup trop longue des personnes qui ont été courtisées, qui ont suscité des espoirs puis des déconvenues de Tito à Ben Bella, de Tillon à Juquin et au-delà. Le tropisme unitaire sans lucidité ni maîtrise du processus a conduit tout naturellement à ce qu'on a appelé le « campisme », le choix impératif et prioritaire d'un camp, comprenant en règle générale des associés étrangers aux intérêts du prolétariat, contre un adversaire suprême.

En s'inspirant de la première orientation, LO a attaché une importance primordiale à la perspective d'aider à la création de comités de grève élus et contrôlés par les assemblées de grévistes. Elle a pu mettre en application cette orientation dans plusieurs grèves importantes, notamment au Crédit Lyonnais, chez Chausson, à Jeumont-Schneider, etc.

La LCR ne s'est positionnée en faveur des comités de grève que dans les cas rares où le comité de grève était bien accepté par les syndicats influents de l'entreprise considérée (par exemple à l'EGF de Brest). Sinon la LCR, par souci unitaire au niveau des directions syndicales, préférait pousser à la mise en place d'une intersyndicale au cours des grèves, ce qui n'a évidemment pas la même signification qu'un comité de grève élu comprenant des travailleurs du rang et des syndicalistes parmi les plus estimés.

De la fin des années quatre-vingt jusqu'à nos jours, LO ne cherchera plus aussi systématiquement et avec la même détermination à favoriser la mise en place de comités de grève. De même elle sera beaucoup moins réticente à ce que tous ses militants d'entreprises accèdent à des responsabilités syndicales diverses et finira par les encourager à le faire.

L'examen des deux orientations que nous venons de faire était nécessaire pour comprendre la différence de politique de LO et de la LCR à l'égard de l'Union de la Gauche, et plus précisément du PCF et du PS relancé depuis le congrès d'Épinay vers des perspectives électorales riantes par François Mitterrand. La LCR et LO ont critiqué impitoyablement le caractère décoloré et réformiste du programme de gouvernement du PCF de 1972 puis Programme Commun de l'Union de la Gauche mis au point en 19722.

La récession économique survint en 1974-1975. Le climat vira petit à petit à l'inquiétude dans les entreprises.

La LCR plaquant artificiellement et à contre sens le schéma d'analyse de Trotsky du Front Populaire et de la grève générale de Juin 1936, appela à partir de 1978 à « l'union dans les luttes » et à « un gouvernement PC-PS, sans ministres Radicaux de gauche ». LO mit ouvertement en garde les travailleurs qu'ils n'obtiendraient rien des partis de gauche s'ils accédaient au gouvernement, d'autant moins qu'ils ne s'engageaient à satisfaire aucune revendication importante pour les travailleurs. Toutefois, en raison de l'attitude belliqueuse du PCF à l'égard du PS à partir de 1977 et du gauchissement de son langage, LO fit l'hypothèse que cette attitude traduisait peut-être une radicalisation dans les classes populaires. Elle voudra le vérifier en présentant des candidats dans presque toutes les circonscriptions aux législatives de 1978 et constatera qu'il n'en est rien. En dépit de la faiblesse de son score (1%), LO a particulièrement réussi cette campagne qui renforcera durablement le maillage de son implantation locale. Le succès était dû au fait que la direction de LO avait fait pleinement confiance à ses militants et à ses sympathisants pour improviser et faire tout ce qui était nécessaire sur le terrain avec les moyens du bord, c'est-à-dire avant tout le soutien d'ouvriers, d'employés, d'enseignants et d'agriculteurs inconnus jusqu'alors qui sympathisaient avec les idées défendues par LO.

L'année suivante en 1979, en dépit de leurs divergences de vue sur la situation politique française, LO et la LCR se présentaient ensemble aux élections européennes sur une liste intitulée « Pour les États-Unis socialistes d'Europe » qui obtint 3,08% des voix. La fête nationale de LO fut transformée en fête Ligue-LO à cette occasion. Précisons que depuis Mai 68, c'était toujours LO qui avait eu l'initiative des campagnes électorales communes. Ajoutons que la LCR avait aussi proposé à LO des campagnes politiques ou des actions ponctuelles communes qui avaient été refusées par LO.

Dans les dernières années du septennat de Giscard d'Estaing, la LCR estimait qu'une victoire de la Gauche serait un encouragement pour les luttes tandis que LO combattait, à contre courant, les illusions des classes populaires tout en appelant malgré tout à voter Mitterrand au deuxième tour en 1981 par solidarité avec les travailleurs qui voulaient en faire l'expérience. La victoire de la Gauche et de Mitterrand n'allait pas déclencher une dynamique des luttes, contrairement aux attentes de la LCR.

3. 1981-1994 : faire face à l'offensive contre les travailleurs et à l'effondrement du bloc soviétique et du stalinisme

Dans les premiers mois du gouvernement de la gauche, l'attitude des travailleurs était confiante et attentiste : « Il faut leur laisser du temps... » était la réflexion la plus fréquente quand les militants révolutionnaires critiquaient le gouvernement.

Après quelques mois d'« état de grâce » pour le gouvernement, les attaques de la bourgeoisie lancées depuis le milieu des années soixante-dix reprirent de plus belle. Le gouvernement rebaptisa « rigueur » l'austérité de l'ancien premier ministre Raymond Barre. Les plans de licenciements se multiplièrent et le pouvoir d'achat des salariés continua à s'éroder. De fortes résistances s'exprimèrent en 1982 et 1983 au sein de grandes concentrations ouvrières, notamment dans le secteur de l'automobile : usines Citroën, Chausson, Renault-Billancourt, Renault-Flins, Talbot... Des grèves puissantes éclatèrent mobilisant avant tout des O.S. (ouvriers spécialisés). Parmi eux, les travailleurs immigrés étaient particulièrement actifs. La déclaration calomnieuse du premier ministre socialiste Maurois contre « les grèves organisées par les Ayatollahs » aura des conséquences désastreuses et durables sur les ouvriers immigrés. Le lâchage des grévistes de Talbot par la confédération CGT marquera également les esprits dans les usines. Le sentiment fut le suivant : « Non seulement le gouvernement de gauche est contre nous mais les syndicats nous laisseront tomber si nous nous mettons en grève à fond. » Les ultimes explosions de colère dans la sidérurgie lorraine en 1983-84 seront impuissantes à empêcher la liquidation de dizaines de milliers d'emplois sous l'égide du gouvernement.

L'amertume suscitée par ces défaites et par la montée du chômage de masse va se traduire sur le plan politique par une désaffection à l'égard du PCF et bientôt par une inquiétante progression des résultats électoraux du Front National dans certaines agglomérations ouvrières. Le Pen qui avait obtenu 0,74% aux présidentielles de 1974 et n'avait pas pu se présenter à celles de 1981 obtiendra 14,4% à celles de 1988.

Dans ce contexte de plus en plus difficile, comment LO et la LCR vont-elles réagir ? Bien que la LCR, qui n'avait pas pu présenter Alain Krivine en 1981 faute d'un nombre suffisant de parrainages, n'ait pas appelé préférentiellement à voter pour Arlette Laguiller, la direction de LO, sans rancune, proposa à la LCR de constituer des listes communes aux élections municipales de 1983. Des listes s'intitulant « La Voix des Travailleurs contre l'austérité » purent se présenter dans 80 villes (contre 56 aux municipales de 1977 avec des listes LO-LCR-OCT). Cette campagne contribua fortement à l'enracinement local des deux organisations. Les militants de la LCR s'étaient impliqués avec beaucoup plus de conviction qu'en 77. Au reste la LCR eut deux élus. Les conditions semblaient à nouveau favorables pour un rapprochement au-delà des élections, ce qui se traduisit par une fête commune en 1985, des réunions entre militants à tous les niveaux et en particulier pendant des mois par la tenue de cellules communes. Cela permit de mieux comprendre comment militaient les uns et les autres. Dans leur for intérieur, certains militants de LO et de la LCR touchèrent du doigt au travers de cette expérience ce que pouvait avoir de caduque ou de valide telle ou telle habitude ou pratique propre à leur organisation. La plupart, bien sûr, en tirèrent probablement la confirmation qu'ils avaient choisi la meilleure des organisations et qu'il ne fallait rien y changer. Si l'expérience avait continué, les perceptions auraient évolué car jamais les militants de LO et de la LCR n'ont été aussi proches que dans la période allant de 1983 à 1985. Ce qui ne signifie pas que toute méfiance avait disparu de part et d'autre.

En 1986 les relations se dégradèrent assez vite entre la direction de LO et celle de la LCR. LO reprocha à la Ligue de vouloir l'impliquer, mine de rien, dans sa tentative de construction d'une « alternative » constituée de gens ne se situant pas sur le terrain de la classe ouvrière. Les échanges allaient s'envenimer à la suite d'un incident à la fin d'un meeting à Strasbourg avec Arlette Laguiller où des militants locaux de la LCR avaient protesté vigoureusement contre l'absence de débat décidé par LO en voulant s'approcher de la tribune pour prendre malgré tout la parole. La direction de LO exigea des excuses de la part de la direction de la LCR. Ne les obtenant pas, elle décida de la rupture des relations à tous les niveaux, envoyant même ses militants localement demander à ceux de la LCR de désavouer leur direction. Ce qu'aucun ne fit évidemment, y compris ceux qui avaient tissé des liens étroits avec les militants locaux de LO.

Une des tendances de la LCR, la T3, y trouvait évidemment son compte puisqu'elle était hostile à l'unité LO-LCR. La LCR se lança à nouveau de façon éperdue et vaine dans la quête de personnes en rupture avec les partis de gauche pour constituer la mythique « alternative ». LO estimait pouvoir se passer sans dommages de ses bonnes relations avec la LCR. Illusions croisées. Le « froid » instauré fut préjudiciable aux deux organisations sur plusieurs plans, en renforçant certaines de leurs faiblesses spécifiques et en ne leur permettant pas d'analyser ensemble, avec leurs différences, les transformations importantes qui allaient affecter le monde à la fin des années 80.

Du repli sur soi de LO...

La thématique chère à la direction de LO du «  comportement inadmissible qu'on ne peut laisser passer » était promise à un grand et triste avenir. Le psychodrame moraliste sera un moyen de plus en plus récurrent pour affronter les divergences ou les interrogations qui surgiront au sein de LO. Aller à la rupture avec la LCR sur un incident déplaisant mais tout de même mineur, avait un caractère inédit. L'épisode n'a certes pas une portée historique mais il est significatif d'une évolution inquiétante.

Il faut tenter de l'éclairer par les transformations internes à l'oeuvre au sein de LO à partir du milieu des années quatre-vingts. Ces changements sont à la fois d'ordre politique et d'ordre organisationnel. Au départ il y avait une analyse de la situation politique et sociale comme marquée par un recul et une démoralisation croissante et probablement durable de la classe ouvrière. L'analyse était juste mais le sera nettement moins plus tard quand les traits noirs de la situation seront exagérément accentués et les éléments positifs systématiquement minorés. Les évènements de 1995 exploseront à la figure de la direction de LO comme on le verra plus loin, en contradiction avec sa vision d'une période de recul continu. Conséquence de cette analyse unilatérale, la direction de LO va estimer qu'il faut resserrer les rangs et inviter les militants qui ne seraient pas prêts à affronter une dure répression à accepter le statut de sympathisants avant qu'il ne soit trop tard.

Parallèlement le constat était fait que l'organisation vieillissait et qu'elle n'aurait pas d'avenir si elle ne consentait pas un effort de recrutement permanent et intensif pour gagner des jeunes. Cette orientation faisait l'unanimité. Une méthode de recrutement par paliers progressifs fut mise en oeuvre pour gagner des lycéens susceptibles d'avoir la stature de « militants professionnels ». Les résultats étaient comptabilisés et les statistiques suivies de près. Cet effort volontariste, concerté et organisé aura des résultats positifs indiscutables. Tout le monde pourra constater dans ces années-là que LO était la seule organisation capable de gagner des jeunes en nombre et de les garder. La méthode dans ses modalités comparatives avait aussi son revers. Elle créa un esprit de commando. Elle créa un malaise en introduisant des éléments de concurrence entre les groupes et les militants « accrochant » les lycéens, les uns ayant des succès (qui leur montaient parfois à la tête) et les autres se décourageant de ne pas arriver à grand-chose.

D'autant plus que les cibles visées dans le recrutement étaient « les meilleurs élèves des meilleures classes des meilleurs lycées ». D'où une accentuation de l'orientation consistant à vouloir gagner des jeunes intellectuels pour constituer une élite sélectionnée à qui l'on va faire subir une série de tests pour éprouver leurs capacités.

Plus tard le constat du nombre faible de jeunes travailleurs dans les rangs de LO provoquera la mise au point d'un processus très élaboré dit « tapis roulant » où on ne cherchait pas à gagner les jeunes travailleurs d'emblée sur le côté attractif des idées révolutionnaires, contrairement aux lycéens. Des paliers relationnels furent conçus pour que les plus jeunes militants se lient humainement aux jeunes travailleurs et repèrent ensuite ceux à même d'être cultivés puis ultérieurement politisés et formés. Ceci dit, les efforts déployés auront permis à un nombre assez important de jeunes travailleurs de se lier au milieu de LO, même si très peu d'entre eux ont eu une vocation militante pleine et entière.

Sans entrer dans le détail, ce processus complexe au phases calibrées et quantifiées avec précision renforça l'idée implicite déjà présente suite à la campagne en direction des lycéens, que le recrutement est au fond affaire de « méthodologie organisationnelle » plutôt que de politique. Mais aussi plus généralement que l'on peut construire une organisation de « cadres révolutionnaires » par une culture, certes très consistante, des militants, mais au travers de ce qui s'avère être une sorte de culture hors sol.

L'environnement culturel et militant interne à LO finit de fait par être conçu comme devant et pouvant fournir le capital d'expériences suffisant à la formation d'un jeune militant. L'accent était alors mis sur une culture politique en grande partie livresque et romanesque, le jeune militant étant invité à se nourrir de l'expérience (inévitablement plus grandiose) des précurseurs bolcheviks. Il manquait à cette formation de forger sa propre expérience au contact de la lutte et de la confrontation politique vivante. Alors que c'était encore le cas quelques années plus tôt quand LO envoyait, quand cela était possible, ses nouveaux recrutés pour un temps aux Jeunesses Communistes pour découvrir un autre milieu militant, et pour les prémunir contre un anticommunisme n'ayant rien à voir avec le trotskysme ; ou encore quand les jeunes militants de LO discutaient d'arrache-pied avec les jeunes militants de la LCR de Cuba, des Démocraties Populaires ou de la façon d'intervenir dans les entreprises.

La formation LO devint pendant ces années quatre-vingts plus étroitement « idéologique » et « activiste », dans le sens péjoratif du terme. Elle se doubla d'un moralisme de plus en plus prégnant, d'une méfiance renforcée à l'égard des « comportements petits-bourgeois inadmissibles » dont on considérait qu'ils menaçaient l'identité de classe de l'organisation. Les années passant, cette formation eut aussi le défaut de maintenir en grande partie les jeunes militants organisés dans des cellules spécifiques dédiées au recrutement à l'écart du reste de l'organisation et vice versa. Ce qui ne pouvait aboutir qu'à un appauvrissement mutuel alors qu'un des points forts de LO jusqu'alors avait été de réussir à collectiviser les expériences et la culture des uns et des autres, qu'ils ou elles travaillent en entreprise ou pas.

Ces années-là que des journalistes ont appelés « les années Tapie » et qui correspondent à une décennie où les « Yuppies » étaient présentées comme des héros, et les idées progressistes et a fortiori communistes comme conduisant au totalitarisme, n'étaient pas du tout favorables à la diffusion des idées révolutionnaires au sein de la jeunesse et de la classe ouvrière. LO a mieux réussi que d'autres organisations à maintenir ces idées et à les transmettre. Pour ce faire elle a été tiraillée entre deux tendances à l'oeuvre en permanence : s'ouvrir aux autres et se refermer sur soi. L'ouverture s'est traduite par exemple par la volonté de faire participer ses jeunes militants étudiants ou lycéens au mouvement contre la réforme Devaquet. Bien plus, elle leur a donné le champ libre, ce qui était inédit pour LO, de jouer un rôle dirigeant là où ils le pouvaient dans ce « mouvement de petits bourgeois ». Elle s'est traduite par son effort pour concevoir de nouveaux stages de formation incluant par exemple un vaste corpus d'ouvrages analysant la crise du capitalisme depuis la crise du dollar en 1969 et la récession de 1974-1975, les thèmes en débat dans le champ scientifique (biologie, physique, paléontologie, etc.) ou encore des stages faisant découvrir un vaste ensemble de romans d'écrivains du monde entier et de différentes époques. L'expérience d'une radio libre, « Radio La Bulle », a même été tentée pendant quelques mois par LO.

La direction de LO était également consciente de son risque d'enfermement humain et politique dans les frontières de l'hexagone. Pour y remédier elle a demandé en 1985 au Secrétariat Unifié (SU) de la IVe Internationale d'être intégrée comme organisation observatrice. Après le refus du SU, LO a engagé une collaboration avec le MAS (Mouvement pour le socialisme) argentin dirigé par Nahuel Moreno qui s'est traduite en particulier par un échange de militants participant aux activités de l'autre organisation. Enfin LO a envoyé pour des périodes plus ou moins longues des militants dans des organisations trotskystes membres de son regroupement international, l'Union Communiste Internationaliste. Ces expériences, de même que le recrutement de jeunes discutant de tout à perte de vue, ont à la fois créé un appel d'air salutaire et des difficultés organisationnelles et politiques. Intégrer la nouveauté du contenu de ces expériences lui a finalement posé des problèmes insurmontables qui entraîneront des réponses de plus en plus rigides et disciplinaires.

Les efforts des militants de LO sur le terrain de recrutement s'ajoutèrent à ceux qu'ils poursuivaient dans les régions et les entreprises en permanence et à l'occasion des campagnes électorales, des fêtes et des caravanes d'été. LO fut en position de jouer un rôle déterminant ou important dans quelques grèves notamment dans celle des cheminots à l'hiver 1986-87 et à la SNECMA en 1988 où ils impulsèrent des coordinations de grévistes.

... aux errements droitiers de la LCR

De son côté la LCR tentait de combattre l'érosion de ses effectifs par d'autre voies, en s'investissant toujours dans le syndicalisme étudiant, dans SOS Racisme et dans les mouvements de lycéens et d'étudiants tel que celui contre la réforme Devaquet en novembre-décembre 1986.

La fronde des rénovateurs dans le PCF redonna des couleurs aux espoirs de la LCR de réaliser l'unité avec des secteurs, sinon des pans entiers de militants se détachant de l'appareil. Le rêve de la « grande unité » avec des partenaires influents dans la classe ouvrière reprenait corps et amenuisait à nouveau son intérêt pour la « petite unité » avec seulement les révolutionnaires de Lutte Ouvrière. Résultat, ce fut en vue des élections présidentielles de 1988, la campagne derrière Pierre Juquin, un ancien dirigeant du PCF exclu du Bureau Politique en 1984 et en dissidence ouverte l'année suivante. Juquin se proposa pour oeuvrer autour de sa personne à un rassemblement « unitaire » et « à la gauche de la gauche ». L'essentiel de l'énergie dans cette campagne avait été fournie par les militants de la LCR. Le score de Juquin (2,08%) comme les résultats politiques furent très décevants pour la LCR même si elle chercha à se persuader du contraire. Les travailleurs influencés encore par le PCF ou déçus par ce parti, ne s'étaient pas massivement sentis représentés par Juquin.

Les militants d'entreprise de la LCR furent particulièrement en pointe dans le secteur de la Santé et de la Poste, eux aussi partie prenante de coordinations et à l'origine de la création de syndicats SUD (Solidaire Unitaire Démocratique) suite à des conflits jusqu'à l'exclusion de la CFDT de plus en plus hostile au recours à la grève.

A la LCR comme à LO, les responsabilités syndicales prirent dans ces années-là une place de plus en plus importante avec des conséquences positives et d'autres plus embarrassantes. Le découragement, l'érosion du recrutement et la perte de crédibilité du PCF se répercutaient sur la CGT. Des places de responsabilités se libéraient et ne pouvaient être défendues de façon aussi farouche par l'appareil qu'au cours de la décennie précédente. Un certain nombre de militants de LO et de la LCR accédaient à des responsabilités au sein de la CGT dans un contexte où la combativité ouvrière déclinait sensiblement. Il devenait difficile d'avoir une perception politique qui aille au-delà d'un positionnement revendicatif et de défense des droits acquis, lié au seul contexte de l'entreprise. Parfois les liens tissés avec des équipes cégétistes liées à l'appareil ne permettaient pas toujours d'avoir le recul nécessaire face aux manipulations de l'appareil confédéral. On en eut un exemple à la fin de la grève à Renault-Cléon en 1991 où les militants LCR de cette entreprise ne parvinrent pas à garder leur autonomie par rapport au syndicat CGT voulant faire reprendre le travail sous la pression de la direction confédérale, contre l'avis majoritaire des grévistes.

L'impact de la chute du bloc soviétique

Pour comprendre les spécificités de la deuxième moitié des années 80 et de la première moitié des années 1990, il faut avoir à l'esprit que l'offensive mondiale du Capital contre le Travail et le démantèlement des protections sociales déjà bien entamés se sont accompagnés d'une campagne multiforme de dénigrement des idées communistes et progressistes et de valorisation des idées individualistes et des « gagneurs » dans la sphère de l'entreprise et de la finance. L'effondrement du bloc soviétique sans que le prolétariat n'intervienne pour son propre compte va déjouer toutes les attentes ou les espoirs des différents groupes trotskystes. C'est finalement ce fait international majeur qui va provoquer au sein de la direction de LO une crise importante qui va empoisonner durablement les relations internes dans toute cette organisation.

Dans des périodes antérieures, à plusieurs reprises des militants de LO avaient remis en cause l'analyse de l'URSS comme État ouvrier dégénéré. A chaque fois les discussions furent violentes et se soldèrent par des départs ou des exclusions. Il était habituellement entendu par la direction de LO qu'une divergence sur l'URSS était une fausse barbe de petit-bourgeois ayant d'autres divergences qu'il n'osait exprimer. Quand des militants de la direction suggérèrent que la nature de l'URSS était en train de changer au travers de la « perestroïka » de Gorbatchev et qu'on assistait à une contre-révolution, la majorité de la direction s'empressa de plomber la discussion en mettant en cause des « comportements inadmissibles et hypocrites ». Au lieu de chercher à y voir clair collectivement, y compris au travers de discussions polémiques, on assista à un effondrement des relations fraternelles au sein de la direction, les minoritaires étant accusés d'avoir voulu au travers de cette question déclencher une lutte de pouvoir et ébranler la cohésion de l'organisation en réfractant en son sein des pressions de la petite bourgeoisie intellectuelle. La discussion se poursuivit malgré tout vaille que vaille comme l'attestent de nombreux textes mais dans un climat de suspicion permanent, avec des épisodes psychodramatiques et des exclusions individuelles de minoritaires pour « manquement aux principes », à la « discipline », pour « attitudes mensongères »...

Les années 90 installèrent donc LO dans un état de crise permanent qui renforça une approche pessimiste et moraliste de tous les problèmes. Mais la crise déclenchée par le débat sur l'URSS est avant tout le révélateur d'une authentique limite atteinte par cette organisation après plus de trente années de développement : l'incapacité à débattre collectivement de l'un des piliers fondamentaux de l'héritage trotskyste, alors même que cette discussion est rendue nécessaire par l'évolution du monde environnant. Tout se passe alors comme si LO, s'étant constituée comme organisation trotskyste, ne pouvait pas renoncer à la nature ouvrière de l'État soviétique puis russe sous peine de s'effondrer3. S'il est évidemment infantile de découvrir une situation nouvelle chaque matin, la tendance inverse qui consiste à appréhender l'actualité exclusivement sous ses aspects de continuité avec le passé est quant à elle totalement rétrograde. Le conservatisme idéologique est ici fondé dans un conservatisme organisationnel. Pour ne pas mettre en cause la routine, le fonctionnement rythmé par ses congrès et autres échéances internes, rien de tel que la vision cyclique d'un temps répétitif voire éternisé, en dehors de l'histoire.

4. 1995/2000 : début d'un renouveau

La seconde moitié des années 1990 allait voir surgir les prémices d'une situation nouvelle pour le courant révolutionnaire. Plusieurs éléments en ont été les indicateurs. Sans avoir totalement, loin de là, tiré toutes les conséquences de l'écroulement du bloc soviétique et du mouvement stalinien, les organisations trotskystes françaises ont su utiliser le cadre électoral pour mener campagne sur des axes sociaux qui touchaient juste.

Les révolutionnaires dans les élections

Le premier phénomène marquant pour l'extrême gauche française dans cette période c'est en effet le score inédit de LO aux présidentielles de 1995. Pour la première fois en France, une candidature issue du mouvement trotskyste sortait de la marginalité pour atteindre un score comparable à celui des candidats du PCF. C'est cependant un peu l'ironie de l'histoire que d'avoir fait de l'arène électorale celle où l'extrême gauche française allait percer.

Il est utile ici de rappeler la position originaire du mouvement trotskyste vis-à-vis des élections. Le mouvement marxiste révolutionnaire a longuement et intensément débattu la question du positionnement vis-à-vis des institutions. Entre la conviction que l'État et ses institutions sont les instruments de domination par excellence du système et le spectacle affligeant des partis ouvriers venus s'embourgeoiser au contact des postes de pouvoir, la tentation a toujours été grande de rejeter purement et simplement la participation au jeu électoral.

La ligne des organisations trotskystes s'est constituée dans le sillage du positionnement de Lénine, fustigeant le « gauchisme » et les positions anarchisantes : il s'agissait alors d'être pragmatique avec la question des élections plutôt que de se cantonner à une position moralement pure, loin du pouvoir corrupteur, mais inefficiente. Évidemment, les révolutionnaires n'ont jamais cru que les élections allaient changer la vie – du moins ceux qui ont fini par le croire ont-ils cessé d'être révolutionnaires. L'idée de se présenter aux élections, voire d'avoir des élus, n'a jamais été qu'on allait pouvoir ainsi transformer de l'intérieur et graduellement le système. L'idée était plutôt d'utiliser les élections, la campagne mais aussi, le cas échéant, les postes d'élus, comme point d'appui pour les luttes, seules à même de peser contre le système.

La campagne menée par LO en 19954 a ainsi été centrée sur « le troisième tour social ». Le premier tour pour compter les forces, rien de décisif ne devant se jouer au deuxième tour, restait la période post-élections, donc les luttes. L'enjeu de la campagne, cantonnée au premier tour, était alors de populariser des revendications sociales radicales articulées en « plan d'urgence ». Le principe n'était pas alors celui d'un catalogue revendicatif de type syndical radical, mais bien d'un programme politique inspiré du programme de transition : pas un « programme minimum » sur la répartition des richesses, mais une série de revendications s'en prenant au capital assorti d'une méthodologie : le contrôle ouvrier.

Le succès a été – pour l'époque – époustouflant. Il était l'expression d'une radicalisation chez les salariés notamment qui s'était déjà exprimée sur le terrain des grèves dès la fin de 1994 et au printemps 95, notamment à Air France et chez Renault. Le thème du « troisième tour social » avait une telle pertinence qu'il s'est traduit très concrètement par le mouvement de novembre-décembre 95 ! Sur le terrain revendicatif ce mouvement défensif fut victorieux. Mais il apporta bien davantage que la mise en échec du plan Juppé. Nous ne reprendrons pas ici une analyse de fond de ce mouvement. Mais avec douze ans de recul, il apparaît de façon encore plus évidente comme un mouvement qui a ouvert plusieurs brèches. Il a redonné le goût de la lutte collective et de la contestation sous des formes plus démocratiques et plus méfiantes à l'égard des directions syndicales et politiques traditionnelles. Il a fait reculer en partie pour toute une période le fatalisme et le sentiment d'impuissance qui avaient fini par atteindre bien des travailleurs et des militants. Dans la lancée du mouvement de 1995, des jeunes vinrent sur la scène politique et sociale et des anciens y revinrent avec une énergie renouvelée. Les effets politiques et sociaux furent de longue durée et de longue portée.

Ainsi le succès électoral de LO de 95 qui était pour bien des gens celui de l'extrême gauche s'est confirmé quatre ans plus tard, quand la liste LO-LCR aux élections européennes a décroché cinq postes de députés au parlement européen. Ce qu'il a manifesté, c'est bien une nouveauté dans la situation objective. Les élections peuvent constituer un reflet partiel des transformations politiques. Elles sont souvent vues et interprétées, par les révolutionnaires qui mènent campagne eux-mêmes, comme un baromètre, un thermomètre, un sondage grandeur nature – on reviendra plus loin sur les limites et les pièges de cette métaphore. Toujours est-il qu'elles traduisent à leur façon certaines réalités politiques. En l'occurrence, on a assisté à partir de 1995 à la maturation politique d'une frange de salariés et de jeunes, un processus qui ne s'est pas démenti depuis.

On est en effet passé d'une situation – de 1968, voire de l'après-guerre aux années 1990 – où le mouvement ouvrier et les mobilisations sociales au sens large étaient presque entièrement dominés par les partis réformistes (PS et PCF, et aussi parfois investis par le PSU dans les années 1960-1970), à une situation où une frange radicale en était émancipée. C'est-à-dire émancipée des illusions dans la gauche institutionnelle, et émancipée de la stratégie électoraliste qui va avec. Entre-deux, Mitterrand était passé par là, la grande désillusion consécutive aux années de la rigueur à partir de 1982, l'émergence électorale de Le Pen en 1984, et le gigantesque recul militant du PCF tout au long des années 1980 et 1990.

« Nouveaux mouvements sociaux »

Autre manifestation de cette maturation : les années 1990 ont vu l'émergence de mouvements sociaux massifs, se situant à la périphérie du mouvement ouvrier traditionnel et posant de fait la question de l'alternative sociale et politique. Les années 1970 avaient déjà vu l'apparition de mouvements sociaux, souvent très politisés – notamment du fait de la présence importante de militants d'extrême gauche – et se situant à l'écart des sentiers traditionnellement battus : mouvements anti-coloniaux, écologistes, féministes. Le fait est que, peut-être du fait de la situation des années 1970, le débat au sein de ces mouvements était entièrement « balisé » par des délimitations venant de l'extérieur, entre positionnements « gauchistes » et « réformistes » post-staliniens ou social-démocrates. Les organisations existantes ont certainement enrichi leurs programmes respectifs d'expériences et de problématiques nouvelles, mais ces mouvements n'ont pas en tant que tels produit un besoin nouveau de politique.

La situation était en apparence différente pendant les années 1990. Ce sont les mouvements des « sans » qui ont marqué tout d'abord le paysage, sans-logis avec le DAL, travailleurs sans-papiers et travailleurs sans-emploi (notamment le mouvement des chômeurs à l'hiver 1997). Les « exclus », ces sacrifiés des restructurations et de la mondialisation capitalistes, qui n'avaient suscité jusqu'ici que des oeuvres caritatives, ceux-là même relevaient la tête, investissant le champ politique et faisant la Une de l'actualité. La nouveauté ne résidait pas tant dans les méthodes de lutte que dans le fait que dans ces secteurs on assistait à ce qu'on n'avait plus connu depuis des décennies dans les secteurs traditionnels de la classe ouvrière : des travailleurs qui s'organisent eux-mêmes, prennent leur sort en main et travaillent à l'amélioration de leur sort.

Vers la fin des années 1990, on assista aussi à l'émergence du mouvement altermondialiste et du mouvement antiguerre. Ce furent les premières réactions d'ampleur au nouvel ordre impérialiste mondial. Elles se sont manifestées sous différentes formes, depuis le succès d'associations comme Attac (créée en 1998) aux contre-sommets qui ont égrené le tournant du siècle (Seattle 1999, sommets anti-G8 comme Gênes 2001, changements de présidence de l'UE...), en passant par la tenue des forums sociaux mondiaux et de leurs variantes continentales et locales, ou par les mobilisations contre les croisades états-uniennes (Afghanistan, Irak). Du point de vue politique, l'apparition du mouvement altermondialiste est certainement le fait le plus marquant des dix dernières années. Il a posé d'emblée, explicitement la question d'« un autre monde ». Dix ans après la Chute du Mur et l'annonce de la fin de l'histoire par les chantres du capitalisme, une nouvelle génération militante s'est dressée et a posé le problème sans détour : sommes-nous condamnés à vivre dans ce monde, ou pouvons-nous en changer ?

La LCR a été attentive et à l'affût de ces mouvements de chômeurs (marches européennes), sans-papiers, précaires, elle a joué un rôle très actif dans la création et/ou l'animation de Sud et d'AC!, des Forums sociaux, d'ATTAC, etc., ce qui était juste ; mais elle n'avait pas d'autonomie et d'orientation propre en tant qu'organisation révolutionnaire dans ces collectifs et mouvements dont elle était partie prenante. En caricaturant à peine on peut résumer le positionnement des deux organisations vis-à-vis de ces mouvements : pour LO « On a une orientation donc on ne participe pas à ces trucs », et pour la LCR : « On participe donc on s'abstient d'avoir une orientation  ».

Ces mouvements ont renouvelé pourtant la question, lancinante pour l'extrême gauche, du « débouché politique » pour les luttes. Les « nouveaux mouvements sociaux » se développaient sur fond de transformations économiques et sociales profondes, avec les délocalisations, la déstructuration de la classe ouvrière et la décomposition du mouvement ouvrier traditionnel, notamment une intégration de plus en plus poussée des appareils syndicaux au jeu institutionnel. Les luttes concernées se déroulaient ainsi loin du noyau dur historique de la classe ouvrière, d'où des difficultés à les appréhender : doit-on passer avec armes et bagages du côté des nouveaux mouvements sociaux, et abandonner l'idée que la lutte des classes sera le facteur central de la révolution socialiste ? Ou bien au contraire mépriser l'agitation périphérique et poursuivre le travail de fourmi (tout) contre les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, syndicats et partis ? Il semble que beaucoup n'aient pas su échapper à cette fausse alternative.

5. 1995/2000 : la question de l'unité des marxistes révolutionnaires

La nouveauté de la décennie 1990 ne pouvait pas ne pas avoir d'impact sur le microcosme de l'extrême gauche. Les choses se sont réfractées différemment selon les environnements organisationnels. Nous allons continuer à concentrer notre attention sur les deux organisations d'extrême gauche ayant pignon sur rue en France, LO et la LCR5.

Nous synthétisons à nouveau leurs parcours respectifs pour mieux comprendre les faiblesses de ces deux organisations face aux possibilités qui se sont développées tout particulièrement entre 1995 et 2003. Les stratégies de construction des deux organisations ont, malgré les apparences, convergé dans les années post-68. Il s'agissait alors, des deux côtés, de stratégies relativement élitistes basées sur le recrutement et la formation de « cadres » révolutionnaires. Le niveau d'engagement moyen exigé des militants était alors particulièrement élevé. Chacune avec son optique, les deux organisations s'armaient alors dans un contexte de rivalité avec un PCF ayant une situation de quasi monopole sur le mouvement ouvrier comme sur toute forme de contestation sociale. Le diagnostic commun aux organisations trotskystes depuis les années 30 était celui de la « crise de direction » : les directions du mouvement ouvrier socialiste et communiste ont trahi, elles sont passées du côté de la bourgeoisie ; l'objectif est de construire une nouvelle internationale ouvrière qui en soit débarrassée, la tâche principale étant alors de construire une direction de rechange. C'est dire que le mouvement trotskyste ne s'est pas seulement positionné par contraste (l'Opposition de gauche) au stalinisme : toute sa stratégie de construction a été conçue, pendant des décennies, à partir de la réalité d'un mouvement ouvrier politique massivement organisé au sein des partis social-démocrates et staliniens.

Là où LO et la LCR divergeaient, c'était – au-delà des différences de positionnement politique sur les conflits coloniaux, les pays de l'Est, etc. – dans la méthode de construction des organisations : à ce qui est devenu la stratégie du bunker de LO répondait celle de l'ouverture à tous vents de la LCR. Quand la première est restée rivée sur sa « priorité », à savoir l'implantation dans les secteurs industriels traditionnels de la classe ouvrière, la seconde s'est activée sur tous les fronts au risque de sombrer dans le mouvementisme. Il a résulté de ces fonctionnements divergents des régimes internes assez différents (monolithisme du côté de LO, multiplicité de tendances centrifuges à la LCR), et une attitude différente à l'encontre du programme (dogmatisme dictatorial à LO, révisionnisme démocratique à la LCR).

Quoi qu'il en soit, ces défauts ne doivent pas masquer l'essentiel, à savoir que les deux organisations ont réussi, chacune à sa manière, à préserver et transmettre le capital politique du trotskysme en milieu hostile pendant un demi-siècle. Mais dans les années 1990, la question est alors devenue : ces organisations sont-elles aptes à propager leur capital politique, à le transformer et le mettre au service de la constitution du nouveau mouvement ouvrier ? Rien n'est moins sûr.

LO a, assez logiquement, subi l'impact des transformations objectives avec une relative violence. Le monolithisme impliquant une certaine rigidité, le contraire eût été étonnant. Avec la Chute du Mur, les premières mises en cause de l'analyse trotskyste historique de l'URSS comme État ouvrier dégénérés ont donc tourné au psychodrame et à l'apparition d'une fraction publique, l'Étincelle, en 1996. En apparence l'épisode finit par être relativement bien digéré par l'organisation : ladite Fraction ne mordant jamais au-delà de 2 ou 3% des votes lors des congrès annuels, elle va servir de caution démocratique à la direction majoritaire.

L'effet 1995 sera plus violent : il faudra alors faire face au succès et répondre à un nouveau public ayant voté LO et prêt à aller plus loin. Au soir du premier tour des présidentielles, la candidate de LO lança un appel à la création d'un grand parti défendant les intérêts politiques des travailleurs ; à la Tendance Révolution ! de la LCR qui répondit « chiche ! », elle rétorqua que chacun était libre de ratisser dans son coin. Le bilan interne, ce fut après six mois de débat violent et empoisonné sur la faisabilité ou non dudit parti, une majorité qui décréta que c'était infaisable ; LO rompit comme un monolithe, excluant près de 200 militants et sympathisants : deux villes quasi complètes et elles seules (à quelques individus près). Autrement dit, LO a fait montre d'une totale incapacité à assumer la moindre différence d'appréciation politique et en conséquence à se mettre en phase avec la situation.

L'approche étroite et, pour dire les choses nettement, boutiquière de LO et de la LCR par rapport aux évènements politiques et sociaux de 1995 indique les limites inquiétantes de ces deux organisations. La majorité de la LCR a été prise à contre-pied par le succès de LO dont elle ne pouvait rien tirer comme bénéfice organisationnel. Elle ne comprendra pas le sens général des 5 % recueillis par LO. Elle va s'obstiner pendant encore trois ans dans son cours « droitier » à la recherche de « forces » politisées susceptibles de constituer une « alternative 100 % à gauche ».

De son côté, LO, non seulement va sous-estimer la portée des 5 % obtenus par Arlette Laguiller mais aussi celle du mouvement de novembre-décembre 95 ! Certes les militants de LO comme ceux de la LCR y ont participé activement mais sans orientation proposée par leur direction. Le caractère démocratique vivant émanant des assemblées, comités et coordinations était systématiquement sous-évalué par la direction de LO qui y voyait avant tout un mouvement défensif permis par les directions de FO et de la CGT et un mouvement anti-Maastricht. En guise d'« analyse », le mouvement ne donnera lieu qu'à une chronologie développée dans la revue Lutte de classe.

En 1995 il est clair que LO et la LCR se sont refusées à comprendre la logique d'ensemble qui relie l'expression politique de la radicalisation sur le terrain électoral à celle qui est survenue quelques mois plus tard dans les grèves et dans la rue.

Le groupe exclu de LO au printemps 1997, qui a pris le nom de Voix des Travailleurs (VDT), va pendant trois ans défendre la ligne de l'unité des marxistes révolutionnaires avant d'intégrer majoritairement les rangs de la LCR. L'idée était qu'il fallait abandonner les vieilles stratégies organisationnelles car la période avait changé, et que le nouveau public de l'extrême gauche, l'attente d'un débouché politique exigeaient de créer un cadre large dont les organisations révolutionnaires puissent être partie prenante. Elle s'est traduite par quelques initiatives notables par leurs dimensions comme par leur contenu. La perspective de l'unité n'était pas alors seulement le sous-titre d'un hebdomadaire militant, mais elle rencontra un écho chez de nombreux militants révolutionnaires dans différentes villes : Paris, Bordeaux, Rouen, Nancy, Lille et un intérêt auprès de militants dans d'autres pays notamment en Amérique Latine et en Grande Bretagne.

Le regroupement des révolutionnaires s'est traduit par la fusion du groupe initial VDT avec celui de la Ligue Internationale des Travailleurs (LIT) issu du courant moreniste et par une collaboration permanente avec le collectif publiant la revue Carré Rouge (CR), composé de militants issus du courant lambertiste. Cette fusion et cette collaboration élargissaient l'horizon des participants et enrichissaient les débats. Sur Bordeaux et sur Rouen des fêtes communes et une campagne commune aux élections régionales de 1998 auront lieu (entre VDT, la LCR, la Gauche Révolutionnaire, l'Association pour le Regroupement des Travailleurs). Les collaborations les plus poussées par ailleurs se feront à Rouen où les groupes ci-dessus publieront des bulletins d'entreprises communs et se réuniront régulièrement en assemblées générales communes. L'unité des révolutionnaires aura eu un effet également bénéfique au cours du long mouvement et de la grève avec occupation à l'usine Ralston près de Rouen en 1998 où les militants de la LCR et de VDT ont agi ensemble fraternellement, ce qui a permis la mise en place d'un comité de grève élu et contrôlé par l'assemblée générale des grévistes et d'optimiser les forces des travailleurs contre leur patron. Ce que nous venons de mentionner rapidement est suffisamment probant sur la valeur d'une orientation visant à une unité active, dans la clarté et le respect des différences de chacun. Il ne s'agissait pas d'additionner des petits groupes et de pratiquer une unité de façade sans conséquences. L'unité n'avait de sens et de portée que si elle engageait tous les participants entre eux et vis-à-vis des travailleurs et si elle les amenait à fonctionner démocratiquement, sans manoeuvres et coups d'éclat qui pèsent lourdement dans l'héritage des groupes d'extrême gauche. L'unité ne pouvait prendre toute sa signification qu'en permettant d'attirer dans les débats et dans les actions des jeunes et des salariés attirés non seulement par les idées révolutionnaires mais aussi par la probité et l'attitude respectueuse de ceux prétendants défendre ces idées. L'unité ne pouvait permettre de franchir d'autres étapes que par une aspiration de tous les militants à renoncer aux comportements de petits chefs et/ou sottement avant-gardistes.

Simultanément aux expériences concrètes évoquées plus haut, VDT a également mené des discussions avec d'autres groupes encore, notamment Workers Liberty, Partisan ! et Pouvoir Ouvrier. Mais les échanges qui pouvaient s'avérer les plus importants étaient ceux avec la Fraction minoritaire de LO et avec la Tendance Révolution ! (TR!) de la LCR. Car si rien ne réussissait à faire bouger ni LO ni la LCR, les perspectives ouvertes depuis 1995 ne pouvaient que difficilement prendre corps pour jeter les bases d'un parti révolutionnaire démocratique des travailleurs. L'objectif le plus audacieux et le plus fructueux des rencontres entre VDT, la Fraction et la TR! aurait été de parvenir à la fusion de ces trois tendances assez rapidement, ce qui aurait inévitablement obligé LO et la LCR à changer, à beaucoup changer, dans le bon sens si on s'en tient au seul critère qui vaille : l'intérêt des travailleurs.

Les trois tendances ont réussi à co-organiser une conférence ouvrière qui a été un succès et a rassemblé plusieurs centaines de personnes. Les choses n'iront pas plus loin. VDT refusa de participer à une revue commune où son droit de pouvoir critiquer librement les directions de LO et de la LCR serait a priori bridé. Cette divergence indiquait que sur le fond les camarades de la Fraction et de la TR! voulaient faire évoluer leur organisation respective progressivement et prudemment, sans risque de rupture avec leur majorité. C'était une autre conception de l'unité des révolutionnaires que celle défendue activement par VDT au début, et qui aura de toute façon des conséquences indéniables bien que fort limitées.

Ironie de l'histoire, la volonté unitaire s'est traduite au niveau des directions majoritaires de LO et de la LCR... mais sur le terrain électoral. Après le succès de LO aux régionales de 1998, la majorité de la LCR semblait s'être convaincue qu'une propagande de classe et non pas « à gauche vraiment » pouvait rencontrer l'adhésion d'une frange non négligeable des milieux populaires. En a résulté l'alliance électorale de 1999, pour les européennes, strict accord d'appareil qui n'a débouché sur quasiment aucune activité commune en dehors du parlement européen. Des succès électoraux des années 1995-1999 semble provenir cette sorte d'obsession électoraliste qui affecte depuis l'extrême gauche. Les élections ne sont plus simplement un moyen, une occasion de mener campagne pour les luttes, elles sont devenues l'alpha et l'oméga de la vie politique des organisations révolutionnaires.

Les anciennes stratégies de construction n'en ont pas été ébranlées. Elles ont tout au plus été « enrichies », si l'on peut dire, de la frénésie des campagnes électorales. Les majorités de LO et de la LCR qui observaient l'agitation unitaire de VDT, de la Fraction, de la TR !, de Carré Rouge et de la GR avec un mélange d'inquiétude et de condescendance, on finalement fait l'unité... entre elles seulement, presque exclusivement sur le terrain électoral et sans sortir du ronron habituel6. En 2000, la majorité des militants de VDT ont intégré la LCR.

L'auto-construction paraît bien être la maladie sénile du gauchisme. Plutôt que d'auto-construction, on devrait en fait parler d'auto-conservation de cercles de dirigeants historiques7. Mais les dirigeants, s'ils ne sont pas massivement contestés, sont à l'image des organisations qu'ils dirigent. LO et la LCR ont chacune généré un milieu installé dans des stratégies routinières, stérilisant le neuf quand il ne le fait pas fuir.

L'unité des révolutionnaires avait un sens politique au tournant des années 1990. Il était juste de miser sur la capacité des organisations révolutionnaires à faire leur propre révolution, pour se mettre en situation de féconder la lutte des classes. Cette stratégie s'est avérée un échec, parce qu'elle a buté sur le conservatisme des organisations en question. Les années qui ont suivi 1999 donnent le sentiment d'un gâchis d'énergie militante, et d'une grande perte de temps.

6. 2000/2007 : les dernières occasions manquées...

En 2002 l'exploit électoral de 1999 est réédité. En mieux, puisque c'est la première fois que les candidatures d'extrême gauche atteignent 10 % des suffrages exprimés8, et c'est également la première fois que l'extrême gauche dépasse le PCF : la candidature de Robert Hue obtient 3,37% des voix, quand celles d'Arlette Laguiller et Olivier Besancenot en rassemblent respectivement 5,72 et 4,25 %. Au-delà de l'échec calamiteux de la gauche plurielle – Jospin étant évincé du second tour au profit de Le Pen –, on est confronté à l'inversion du rapport de force historique entre stalinisme et trotskysme. L'extrême gauche possède désormais un électorat populaire, y compris dans des zones qui n'étaient pas des bastions du PCF.

Ces résultats sont l'expression d'une radicalité grandissante dans le salariat. Comme après les élections présidentielles de 1995, le « troisième tour social » suivra celles de 2002 avec le très massif mouvement de mai-juin 2003 contre la réforme des retraites. Mais la situation est alors plus riche de possibilités quand la gauche institutionnelle a cessé de passer pour une alternative crédible au gouvernement Raffarin : la réforme Fillon avait été scellée main dans la main par Jospin et Chirac, par la signature de la prolongation des cotisations de retraite (et accessoirement la libéralisation des services publics...) à Barcelone en mars 2002. Le mouvement de grève piétine faute d'organisation et de direction à la hauteur – dit autrement : du fait du freinage continu des directions confédérales, notamment CFDT et CGT – et il échoue finalement, mais les leçons politiques restent. A l'été qui suit, un énorme rassemblement altermondialiste voit converger des milliers de grévistes, syndicalistes et militants, ainsi que des milliers de jeunes, sur le plateau du Larzac. Avec en toile de fond le mouvement tenace et dynamique des intermittents du spectacle qui resteront mobilisés pendant plusieurs mois.

Les résultats du premier tour des présidentielles de 2002 ont donc été en partie l'expression de cette radicalisation. Mais le « thermomètre » électoral n'est pas neutre, il reflète aussi le rayonnement propre des organisations. Quand 2,8 millions d'électeurs apportent leur suffrage à Arlette Laguiller et Olivier Besancenot, il ne s'agit évidemment pas d'une adhésion au marxisme révolutionnaire. Mais de quoi s'agit-il ? Tout dépend des contenus de campagne, dira-t-on. Or ces contenus sont extrêmement faibles. LO ressasse depuis 1995 son « plan d'urgence », série de mesures syndicales radicales assorties du « contrôle » exercé par les travailleurs et de la nécessité de « l'ouverture des livres de comptes » ; voyant que la recette fonctionne, et l'ayant reprise à son compte à l'occasion de la campagne commune de 1999, la LCR dégaine elle aussi ses mesures d'urgence assorties de quelques revendications sociétales (écologistes, féministes, antiracistes...) absente à LO.

Tout cela ressemble fort au « programme minimum » vilipendé par Trotsky dans le programme de transition. Le rituel rappel du contrôle n'y change pas grand chose. Le trait est renforcé quand sur la forme, loin des premières campagnes d'Alain Krivine ou Arlette Laguiller « crevant l'écran », les candidats assagis se prêtent au jeu médiatique des émissions people pour faire passer, au mieux, quelques bribes de leur programme. Il est indiscutablement utile de marteler un certain nombre de revendications importantes pour le monde du travail, comme l'interdiction des licenciements, l'augmentation des salaires et la défense des services publics. Mais est-ce à cela que doit se réduire la finalité de l'intervention d'organisations révolutionnaires ?

Les organisations d'extrême gauche n'ont pas formulé ni exprimé ce qui seul peut offrir un « débouché politique » authentique aux luttes : la perspective d'un gouvernement des travailleurs, appuyé sur la mobilisation et l'auto-organisation des salariés et des chômeurs sur les lieux de travail et dans les quartiers, résolu à s'en prendre aux intérêts des multinationales et du CAC 40 pour satisfaire les droits sociaux fondamentaux.

On trouve donc une explication immédiate du phénomène des « vases communicants » entre PCF et extrême gauche. Faute de formuler un projet de gouvernement par en bas, l'extrême gauche semble s'en remettre aux gouvernements habituels, à l'alternance gauche–droite. Le sens du vote à l'extrême gauche au premier tour ne peut alors être que d'affirmer ses revendications pour peser sur la politique du gouvernement de gauche qui sortira au second tour. L'extrême gauche a ainsi fini par jouer le rôle électoral que le PCF était en difficulté de jouer après cinq ans de gouvernement de gauche plurielle.

Les élections, et puis rien

Il n'est finalement pas étonnant que rien ne soit sorti de ces campagnes. En 2002, la LCR a vécu à son tour ce que LO avait connu en 1995 : une campagne à grand succès, des meetings de masse avec un public populaire, jeune, et un résultat à la hauteur. Le crédit dont les deux organisations ont bénéficié aurait dû offrir des perspectives inédites de construction et d'implantation militante de l'extrême gauche. Encore aurait-il fallu qu'il y ait la maturité et la volonté politique d'aller dans ce sens. Or la LCR a géré son succès en 2002 à la manière de LO en 1995 : après avoir lancé un Appel au rassemblement de la gauche anticapitaliste à l'automne 2003, la majorité de la LCR s'est empressée de l'enterrer. De fait, au-delà des déclarations d'intention pour la galerie, LO et la LCR n'ont jamais pris aucune initiative sérieuse pour impulser la construction d'une nouvelle force politique.

Faut-il en conclure que les organisations d'extrême gauche sont restées immatures, à se complaire au stade gauchiste et groupusculaire ? Certainement pas. Mais elles ont vieilli en suivant la mauvaise pente, celle à laquelle les politologues destinent généralement les radicaux : l'adaptation aux institutions de la démocratie bourgeoise. Certains (l'aile droite de la LCR notamment) font le chemin explicitement et en appellent à la formulation d'un projet de gouvernement du type de ce que préconise le PCF, en rupture avec le social-libéralisme, pour une majorité de gauche vraiment à gauche. Moins consciente et programmatique, l'intégration des majorités de LO et de la LCR au système n'en est pas moins effective. Elles se sont « coulées dans le moule ».

Aujourd'hui si un(e) inconnu(e) intervenait de façon suffisamment vigoureuse sur le fond comme dans la forme, comme un(e) salarié(e) parmi d'autres ne jouant pas le jeu médiatico-politique, il ou elle se verrait refouler promptement des plateaux télévisés comme « mauvais client », irrécupérable par le système. Indépendamment de leurs qualités personnelles et du contenu de leurs interventions, le formatage des porte-parole de l'extrême gauche a fini par s'effectuer insidieusement au point qu'ils ne sont plus en mesure de prendre ce risque.

Nous ne pointons pas ici seulement le formatage quasi inévitable de l'image mais aussi et avant tout du discours de candidats comme Arlette Laguiller et Olivier Besancenot. La sphère médiatique n'est pas moins prégnante et déformante pour des révolutionnaires que la sphère parlementaire l'a été à d'autres époques de l'histoire du mouvement ouvrier pour des députés se réclamant de la Révolution sociale. Les directions de LO et de la LCR sont manifestement inconscientes des pressions qui s'exercent à ce niveau sur elles-mêmes et par voie de conséquence sur la façon d'intervenir de leurs porte-parole. Ils s'y accrochent sans se poser de questions puisqu'ils « passent bien » à la télé et à la radio et que « les retours » du côté des travailleurs sont positifs, ce qui est incontestable. La personnalisation sans mesure et la routine d'arguments banalisés n'entraînent dès lors aucun questionnement, aucune inquiétude sur le bien fondé de campagnes présidentielles auxquelles elles sont bien rodées.

Le régime de la Ve République, avec ses institutions et ses médias dominants, aura progressivement amené LO et la LCR à s'y adapter jusqu'à un point inattendu. Les appréciations péjoratives de certains journalistes ou des représentants d'instituts de sondage qualifiant les candidatures d'extrême gauche de candidatures « protestataires » ou « de témoignage » finissent par acquérir une certaine pertinence. Elles font partie du paysage convenu d'une campagne présidentielle à la française. La preuve évidente de la façon efficace dont la bourgeoisie est parvenue à canaliser les « trublions » d'extrême gauche sur le terrain électoral est la façon dont la direction de la LCR a finalement été amenée, en dépit de ses propres singularités, à mener des campagnes semblables à celles de LO, avec des argumentaires extrêmement proches et un souci prononcé de l'effet médiatique produit par leur candidat9. Cette adaptation va jusqu'à s'exprimer dans le caractère très hexagonal des axes de campagnes électorales quand les uns et les autres basent leurs revendications sur les chiffres nationaux et critiquent ce que fait ou ne fait pas l'État.

Nous sommes conscients que se dégager de ce piège alors que LO et la LCR ont chacun un candidat connu et apprécié, défendant des idées dans lesquelles un grand nombre de salariés se reconnaissent, n'aurait rien de facile. Le problème de fond est que ces organisations n'estiment pas qu'il y ait là un piège et une dérive de leur part. Problème de fond car plus on se focalise sur les campagnes électorales et leur médiatisation, plus les militants y consacrent d'énergie et de préoccupations pendant des mois, et moins on est en mesure de faire fond sur les capacités des travailleurs à transformer la société par leur intervention propre dans la lutte des classes.

La perspective : en finir avec le capitalisme

Le quinquennat 2002-2007 a été riche en luttes. Outre le mouvement de mai-juin 2003 évoqué plus haut, les années 2005 et 2006 ont connu des mobilisations sans précédent dans plusieurs secteurs de la jeunesse : mouvement lycéen au printemps 2005, émeutes des banlieues à l'automne 2005, mouvement contre le CPE et la loi dite d'égalité des chances au printemps 2006. D'autres secteurs se sont mobilisés en opposition au gouvernement, depuis le mouvement des chercheurs jusqu'à la campagne de solidarité avec les enfants sans-papiers conduite par le Réseau Éducation Sans Frontières (RESF). Électoralement, les deux faits marquants sur cette période ont été la sanction du gouvernement aux régionales de 2004, et surtout le rejet du traité constitutionnel européen le 29 mai 2005, en rupture avec le positionnement de l'UMP et du PS.

Cette série, qui fait écho aux mobilisations ailleurs, en Amérique latine notamment, témoigne à elle seule de la persistance de fortes tensions sociales et politiques. Le capitalisme mondialisé, le Medef et ses alliés libéraux de droite et de gauche n'ont pas encore emporté la partie. Les capacités de résistance du monde du travail sont sérieusement amoindries après des années de restructurations, de plans de licenciements et de précarisation forcenée. Les perspectives politiques sont obscurcies par les avancées idéologiques d'un système qui promeut la frénésie consumériste, « la croissance », les valeurs morales traditionnelles, « l'ordre juste », « la République » et « l'identité française ». Mais les capacités de lutte et les perspectives n'ont pas été annihilées. En France comme ailleurs, en Amérique latine notamment, la résistance populaire se manifeste à différents endroits.

L'accession de Le Pen au second tour des présidentielles de 2002 a brutalement confirmé ce que l'extrême gauche analysait depuis plusieurs années : une course de fond est engagée avec le capitalisme, qui va reposer à plus ou moins long terme l'alternative socialisme ou barbarie. La faillite du stalinisme a laissé un vide politique sans précédent, posant la nécessité de la construction d'une nouvelle force politique ancrée dans la lutte des classes, pour en finir avec le capitalisme.

L'extrême gauche organisée n'a pas été à la hauteur de la situation. Piégée par ses succès électoraux, elle s'est progressivement déphasée du mouvement réel, elle s'est installée dans les institutions alors même qu'une fraction grandissante de la population s'en détache, s'abstient d'aller voter sans pour autant s'abstenir de lutter, ou alors vote sans se sentir engagée : pour faire obstacle à Le Pen ou à la Constitution européenne hier, à Sarkozy demain. Les militants de LO et de la LCR ont acquis une fâcheuse tendance à surévaluer les élections, à la mesure de leur investissement militant, alors que leurs électeurs en ont un usage bien plus pragmatique et pondéré.

Il semble que la « fenêtre d'opportunités » ouverte pour l'extrême gauche autour de 1995 se soit refermée depuis 2003. Faute d'avoir su faire vivre une perspective anticapitaliste crédible, utile dans les luttes, les organisations révolutionnaires ont cédé le devant de la scène aux nouveaux partisans du réformisme de gauche. Le débat sur la constitution européenne, en mobilisant des dizaines de milliers d'individus, militants syndicaux, associatifs, politiques et non encartés, sur la base d'un rejet du libéralisme sans préjugé, a en effet relancé quelques vieilles barbes réformistes en perte de vitesse sur la ligne d'un « antilibéralisme » assumé : la ligne d'une gestion sociale du capitalisme, plutôt que de la rupture avec le système.

Il est pour nous évident que l'antilibéralisme version Bové ou Buffet ne peut que préparer des lendemains qui déchantent. Le capitalisme mondialisé a sapé les bases matérielles qui ont permis, tout au long du vingtième siècle, aux illusions réformistes de perdurer dans les métropoles impérialistes. La liquidation des interventions sociales de l'État, des institutions du salaire socialisé (Sécurité sociale, retraites), la marchandisation effrénée de tous les secteurs de la vie indiquent que le capitalisme du 21e siècle n'est plus prêt à tolérer les marges de manoeuvre du passé. L'illusion de l'antilibéralisme ne fera pas longtemps écran.

L'enjeu posé depuis des décennies, mais posé avec une acuité renforcée depuis une quinzaine d'années, est de rassembler une nouvelle force politique ancrée dans les luttes, défendant jusqu'au bout les intérêts du camp social majoritaire, autrement dit d'une force disposée à en finir avec le capitalisme. Nous avons longtemps cru que les organisations révolutionnaires auraient un rôle crucial à jouer dans cette construction. Mais l'histoire récente de l'extrême gauche française montre que cela ne sera vraisemblablement pas le cas : LO et la LCR sont avant tout préoccupées par la préservation de l'existant, par la gestion de leur capital politique, voire électoral, en phase avec les institutions plutôt qu'avec la lutte des classes.

Cette perspective est encore en gestation en sein de l'extrême gauche, parmi les militants des organisations trotskystes mais aussi ailleurs, chez les syndicalistes révolutionnaires, dans la mouvance anarchiste ou altermondialiste, et parmi de nombreux militants non-encartés. L'avenir de l'anticapitalisme n'est pas écrit, il reste à tracer. L'enjeu demeure, aujourd'hui plus que jamais, de reconstruire sur les décombres du siècle passé la perspective d'une société sans exploitation, sans oppression, sans classe et sans État.

Le 24 mars 2007

Léo Picard (piccard@no-log.org) & Samuel Holder

Notes

1 Le gauchisme, dénoncé par Lénine comme « maladie infantile du communisme », est cette orientation politique guidée par l'impatience révolutionnaire qui conduit à envisager des thèmes de propagande et des modes d'action radicaux au risque de se couper de la majorité des travailleurs (refus de militer dans les syndicats réformistes, refus de participer aux élections, etc.). Le qualificatif, adressé par Lénine aux jeunes Partis communistes en pleine vague révolutionnaire, a été repris par le vieux PCF devenu réformiste à l'encontre des militants d'extrême gauche en Mai 68.

2 Lire ou relire les textes en question plonge évidemment le lecteur dans une autre époque mais indique aussi à quel point LO et la LCR ont bien changé.

3 En 2006 (!), LO considère toujours officiellement qu'il s'agit d'un État ouvrier : « malgré le développement d'une classe bourgeoise, la catégorie sociale dominant la société reste la bureaucratie. Nous n'avons aucune raison de changer notre caractérisation de la société russe car bien de ses singularités demeurent liées au passé, à l'émergence de l'Etat ouvrier, à sa bureaucratisation puis à sa décomposition, sous le coup des rivalités internes de la bureaucratie. » (Textes de congrès de LO publiés dans Lutte de classe n°101, décembre 2006-janvier 2007)

4 La LCR de l'époque, tout à ses errements droitiers, n'a pas présenté de candidat. Elle a appelé à choisir entre la candidature de LO et les candidatures du PCF et des Verts, partis qui allaient être partie prenante de la « gauche plurielle » gouvernementale deux ans plus tard. Critiquée en interne par sa tendance minoritaire, « Révolution ! », la majorité de la LCR fera un revirement à gauche après les régionales de 1998, jusqu'à s'allier électoralement avec LO pour les européennes de 1999.

5 Nous n'abordons pas ici le cas du PT, ce qui est regrettable, car nous ne le connaissons pas suffisamment à titre personnel, mais surtout parce que le courant lambertiste ne s'affiche plus de longue date comme étant d'extrême gauche.

6 Une autre convergence s'est faite en octobre 1999... sur le terrain du conformisme et de la soif de reconnaissance des appareils. Alors que le PCF – qui participait au gouvernement ! – avait initié une manifestation contre le chômage, le 16 octobre, qualifiée de « «manif» pour et contre le gouvernement » par Le Monde, LO et la LCR y sont allées et ont envoyé leurs porte-parole dans le « carré des personnalités », en tête de cortège. Dans la foulée, les députés communistes (sauf deux d'entre eux) votaient la seconde loi Aubry.

7 Une illustration consternante de ce mécanisme a été offerte par la direction de la LCR au sujet du Brésil. Début 2003 la majorité de la section brésilienne du SU, Démocratie Socialiste, a décidé de participer au gouvernement de Lula aux ordres du FMI, par l'envoi d'un ministre chargé de la réforme agraire, Miguel Rossetto. La majorité de la LCR s'est alors refusée à dénoncer cette participation à un gouvernement bourgeois qui allait pourtant à l'encontre des intérêts des travailleurs brésiliens et de tous les principes élémentaires du marxisme révolutionnaire.

8 9,97 % pour LO et la LCR donc sans compter le PT, 10,44 % avec le PT.

9 L'épisode du soutien inattendu de Sarkozy à la quête de parrainages d'Olivier Besancenot est un autre révélateur du fait qu'une telle candidature ne gêne en rien le système.

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