Le système capitaliste n'a inventé ni les guerres ni la misère,
mais il les a décuplés. En revanche, il est bien le principal créateur des catastrophes
écologiques qui frappent la planète et ses habitants. Et le drame pour ceux qui aspirent
à une société débarrassée de la concurrence et de la course au profit,
c'est que, s'il semble accessible à la force des travailleurs de forger un monde sans guerre
ni misère, les atteintes actuelles à l'environnement pourraient être à
même d'hypothéquer tout avenir durable, y compris lorsque le capitalisme sera
renversé. Dans ce domaine rien n'est encore prouvé, mais la question du
réchauffement de la planète, que nous allons essayer d'aborder ici, ne peut que susciter
les craintes les plus vives quant à l'avenir de la planète elle-même.
Il est maintenant reconnu par à peu près tous les spécialistes de cette
question que le réchauffement de la Terre est aggravé par la pollution industrielle et en
particulier les rejets dans l'atmosphère de gaz à effet de serre comme le gaz carbonique et
le méthane.
Pourtant la Terre a connu dans son histoire des taux de gaz carbonique jusqu'à 15 fois
supérieurs à ce qu'elle connaît aujourd'hui. Il y a 100 millions
d'année il y avait, pense-t-on, 4 à 6 fois plus de gaz carbonique qu'aujourd'hui
dans l'atmosphère, concentration due aux éruptions. Et si on recule encore plus loin dans
le temps, la Terre a perdu sa croûte de glace grâce à ces éruptions volcaniques, et
seule une concentration de gaz carbonique très importante (350 fois plus grande qu'actuellement,
pensent certains scientifiques) a permis la fonte des neiges et de la glace, qui faisaient jusque-là
de la Terre une boule toute blanche réfléchissant la lumière du soleil sans pouvoir
absorber de chaleur. Tout cela pour dire que « l'effet de serre » ne doit pas être une
formule générant la panique. Ce phénomène naturel de l'effet de serre a
permis l'apparition de la vie. Ce n'est pas le phénomène naturel qui doit être
combattu, mais l'organisation humaine qui dégrade sciemment son rapport avec la nature. Il faut
donc précisément montrer du doigt les responsables qui hypothèquent l'avenir
même de la planète et se moquent bien des conséquences actuelles de son
réchauffement.
D'ailleurs la notion de gaz à effet de serre doit être précisée. On sait que
ces gaz constituent une infime partie de l'atmosphère : 1 %, contre 79 % pour l'azote et 20 %
pour l'oxygène. Parmi eux, il y a le gaz carbonique, qui reste 50 à 100 ans dans
l'atmosphère avant d'être absorbé par les océans, ou le méthane,
qui ne reste que 12 ans dans l'atmosphère mais retient 20 fois plus les rayonnements infrarouges
(qui sont réfléchis par ce gaz à effet de serre vers la Terre, et donc la
réchauffent). Mais il y a aussi un gaz qui n'existe pas à l'état naturel et qui
a été complètement inventé par les industriels, les CFC (chlorofluorocarbones),
qui retiennent 20 000 fois plus les rayonnements infrarouges que le gaz carbonique et restent 50 000 ans dans
l'atmosphère. Sans compter que ces gaz CFC ont largement contribué à la constitution
de trous dans la couche d'ozone. On a peine à croire que les industriels ne savaient pas quels
dommages ils allaient créer sur la planète en diffusant ces gaz.
C'est là une grande partie du problème : les dégradations de l'environnement
sont-elles un effet secondaire, un « excès » du capitalisme, ou sont-elles totalement
intégrées au capitalisme, comme faisant partie de son fonctionnement ? En fait, cette
économie capitaliste, fondée sur la concurrence et la recherche du profit, est incompatible
avec toute planification, toute projection à long terme, ce que demande évidemment la
« santé » de la Terre (et de ses habitants).
La force d'inertie des capitalistes en matière environnementale est le pendant de leur rage
à faire de l'argent. Leur lenteur pour lutter contre les CFC, ou les farines animales, ou encore
l'amiante, est un moyen de faire durer les profits. Dans ces conditions, le concept de « principe
de précaution » apparaît bien fumeux...
La dégradation des équilibres de la nature a des effets directs sur les femmes
et les hommes de cette planète, de la même manière que la diplomatie qui paraît
parfois si éloignée des peuples peut entraîner des guerres, ou que l'évolution
des cours de la bourse peut conduire à des vagues de licenciements. Et il faut relier ces
conséquences aux réalités sociales : les pauvres sont plus touchés que les riches
par les problèmes écologiques. Près de 20 % des 452 personnes
décédées en 2003 à Paris suite à la canicule vivaient dans des logements
insalubres, dont nombre dans des chambres de bonne, où il pouvait faire entre 36 et 40 degrés
C. Les personnes âgées pauvres ont donc été les premières victimes de la
canicule.
De même, si la Terre connaissait un réchauffement de plus de 2,5 degrés dans les
décennies à venir, la production agricole mondiale baisserait dramatiquement, les prix
augmenteraient et dans les pays pauvres, les populations qui ne périraient pas de faim devraient alors
quitter les régions désertifiées et migrer pour aller chercher de quoi manger. Elles
pourraient alors se diriger vers des mégalopoles déjà surpeuplées d'habitants
pauvres.
De même, la hausse du niveau des mers (dix fois plus importante au vingtième siècle que
durant les derniers trois mille ans) frappe d'abord les pays très pauvres, comme le
Bangladesh.
Ces prospectives ne sont pas le fruit de l'imagination d'auteurs de science fiction mais les
conclusions d'un rapport récent du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat
(GIEC), organisme scientifique fondé par l'ONU, et animé par des chercheurs du monde
entier.
La question précise ne doit donc pas porter sur l'effet de serre ou le
réchauffement en tant que tels. Ce qui compte c'est la part que l'organisation sociale
détient dans ces évolutions, « l'organisation sociale » plutôt que
« l'Homme », qui est un terme qui ne vise pas à montrer les vrais faiseurs de
catastrophes ni d'ailleurs ceux et celles qui pourront initier des changements fondamentaux dans la
manière de produire et gérer les richesses.
Il est encore difficile de prouver précisément le rôle exact et l'importance de
l'industrie humaine dans le processus du réchauffement de la planète. En ce domaine, les
chercheurs n'ont jamais cessé d'affiner les modélisations.
A commencer par celles qui tentent de comprendre le fonctionnement du climat par lui-même, sans
l'intervention de la pollution issue de l'activité humaine. Nous sommes aujourd'hui bien
loin des premiers modèles des années 1960, qui considéraient que la Terre était
une sorte de boîte où entrait et d'où sortait une certaine quantité
d'énergie. Aujourd'hui, il est question de divers modèles qui prennent en compte les
vents, les couches diverses de l'atmosphère, le rôle des océans, les cycles
hydrologiques, les transformations de la molécule d'eau, mais aussi les divers états des
végétaux, qui « transforment » le gaz carbonique en oxygène, et donc
atténuent l'effet de serre. Rien que pour apprécier ce rôle des
végétaux, les modèles scientifiques utilisent jusqu'à cinquante types de
végétaux différents.
Quant à la molécule d'eau, elle peut prendre la forme de vapeur, qui est un gaz à
effet de serre, mais si elle reste à 1 ou 2 kilomètres du sol, elle aura peu d'effet sur le
réchauffement, alors qu'en montant dans la troposphère, entre 9 et 16 kilomètres de
la surface de la Terre, elle accroît considérablement le mécanisme de l'effet de
serre.
Comment évaluer ensuite la part de l'influence de l'industrie dans le réchauffement de
la Terre ? Il est intéressant de constater la prudence des scientifiques sur cette question.
Néanmoins, le GIEC restait sur son interrogation dans son rapport de 1995, puis au sommet de Kyoto, en
1997, il a établi la responsabilité humaine de l'aggravation de l'effet de serre. Parmi
les preuves irréfutables, semble-t-il, il y a la question de l'origine sous-terrestre du gaz
carbonique présent dans l'atmosphère. On sait que les gisements de carbone souterrain ne
possèdent plus de carbone 14, qui a la particularité d'être instable. Or on constate
que les cernes des arbres qui ont grandi au début du vingtième siècle montrent une
absence de carbone 14 hors de proportion normale. Ces cernes possèdent par contre du carbone qui
s'est appauvri au fil des siècles, qui vient du charbon extrait des profondeurs du sol pendant la
révolution industrielle et qui a été brûlé. C'est ce carbone venu du
sol que l'on retrouve dans les cernes des arbres. Ainsi les arbres témoignent-ils de
l'influence déterminante de l'industrie sur l'air ambiant. Cette démonstration
demande des recherches et des analyses scientifiques très poussées, dictées par la
prudence de ces mêmes scientifiques.
Cette prudence n'est pas simplement formatrice pour les novices en la matière que nous sommes.
Elle est un moyen de ne jamais s'arrêter à une vérité
révélée, et d'essayer d'approfondir les analyses, de ne pas s'en tenir aux
formules toutes faites, qui relèvent du credo mais pas de la rigueur scientifique. Et elle
est certainement une nécessité pour pouvoir aborder les problèmes écologiques qui
subsisteront après la Révolution. Il est nécessaire en effet que de plus en plus de
jeunes et de travailleurs intègrent ces questions pour, demain, pouvoir anticiper sur les
problèmes environnementaux, à l'opposé des bourgeois qui, partisans du fait accompli
et de l'adage ‘après nous le déluge', ne soulèvent les problèmes
que lorsqu'ils sont devenus des catastrophes. Parfois d'ailleurs dans le but de constituer de
nouvelles industries (gestion des eaux, nouvelles normes de construction, mise aux enchères des
‘droits à polluer'...). Le marché mondial des biens et services liés à
l'environnement, établi à 250 milliards de dollars au début des années 1990,
a augmenté depuis de 5 % par an.
Du coup, de temps en temps les représentants de la bourgeoisie mondiale se
réunissent et font semblant de vouloir prendre des mesures (conférences de Rio en 1992, Kyoto
en 1997, La Haye en 2000). Ils font grossièrement mine de prendre des décisions, mais comment
aller à l'encontre d'un système productiviste fondé sur le gâchis et la
course à la concurrence tout en défendant les industriels et les banquiers ? En France, le
gouvernement Jospin a en effet créé une Ecotaxe en 1999 sur les entreprises qui produisent le
plus de gaz carbonique. Or l'argent récolté ne servait pas à financer des mesures
écologiques mais à financer les aides versées aux patrons pour le passage aux 35
heures ! Lorsque le gouvernement voulut élargir les entreprises taxées aux producteurs
d'électricité nucléaire, qui ne produisent pas de gaz polluants mais des
déchets très dangereux, le Conseil constitutionnel interdit cette extension.
Quant au gouvernement Raffarin, il a annoncé au début de l'année 2003 un
« Plan climat », qui n'a été rendu public qu'en juillet 2004, et dont on a
surtout parlé pour tout ce qu'il ne contenait pas : flou des mesures de bonus-malus pour
encourager à l'achat d'une voiture « propre » et sanctionner les possesseurs de
voitures polluantes (comme les véhicules tout terrain), rien sur la politique des transports, rien
contre la pollution des poids lourds, rien non plus qui aille dans le sens du bridage des automobiles
particulières. Ce plan prévoit néanmoins d'encourager les biocarburants pour les
voitures et les énergies renouvelables dans les logements.
En fait, malgré la timidité gouvernementale, les idées ne manquent pas
pour lutter contre le réchauffement de la planète parmi les écologistes ou les
spécialistes du climat. Il est vrai que les drames ne manquent pas non plus, et ils pourraient
être de plus en plus nombreux. Si, comme l'estime le GIEC, le réchauffement de l'Europe
de l'ouest entre 1990 et 2100 était de 4 à 5 degrés, dans la seconde moitié
du vingt-et-unième siècle, une vingtaine d'étés seraient plus chauds que la
canicule de 2003.
Les scientifiques proposent de nombreuses pistes pour les problèmes du monde entier. Pour une ville
comme Chicago, régulièrement frappée par la canicule, des experts proposent de tracer de
nouvelles rues, construites dans le sens du vent, couvertes d'espaces verts pour faire de l'ombre,
avec des toits peints en blanc pour réfléchir la lumière, et avec un
développement très important des transports collectifs. Dans les déserts, on pourrait
construire des murs pour arrêter l'avancée des déserts et couvrir de vastes espaces
de panneaux solaires.
Il va de soi que de tels projets sont inimaginables dans le cadre du capitalisme, que ce soit dans le cadre
d'une municipalité comme Chicago, ou une région pauvre comme le Sahara. Et il est de plus
inconcevable que les problèmes écologiques planétaires soient traités ou
même envisagés à l'échelle de villes ou même de régions.
Ceux qui aspirent en France à changer le monde ne peuvent pas davantage regarder cette question
à l'échelle de la France. Voilà pourquoi il ne sert à rien de constater, pour
soi-disant démontrer que le pays a progressé en économie d'énergie, que,
entre 1973 et 1996, la richesse nationale a augmenté de 60 % et que la consommation
d'énergie n'a augmenté que de 10 %. Il n'est pas non plus très convaincant
de souligner qu'un appareil télé numérique à écran plat consomme 25
fois moins d'électricité que les postes des années 50, ou qu'on construit
aujourd'hui une maison ou une voiture avec 20 à 40 % moins d'énergie qu'en 1950. En
effet, à l'échelle occidentale tous ces appareils sont de plus en plus utilisés et
de plus en plus nombreux. Partout dans le monde, les nouvelles maisons sont toujours plus consommatrices
d'électricité. Entre 1995 et 2020, la consommation d'électricité sur la
planète va être multipliée par deux. La consommation de charbon, loin de baisser comme en
Europe de l'ouest va augmenter ailleurs, notamment dans les pays d'Asie.
Il ne peut donc pas y avoir de discours sur l'environnement à partir d'un seul pays, de la
même manière qu'il n'y a pas de politique économique possible dans les
frontières d'un seul pays. Il faut des solutions mondiales. Et puis comment
réfléchir à la limitation de la consommation d'énergie lorsque, suite au
bouleversement dû à l'effet de serre, le Gulf Stream de l'Atlantique pourrait
s'affaiblir et apporter en Europe des températures beaucoup plus froides ?
C'est dans ce contexte que la pensée dominante en France est obnubilée par
le nucléaire, que ce soit ses promoteurs, notamment l'Etat et EDF, ou ses opposants. Ces derniers
notamment ont souvent tendance à découpler la question du réchauffement climatique,
puisqu'en effet le nucléaire est indépendant de l'effet de serre, mis à part
dans le cas (qui devrait être de moins en moins exceptionnel) où les centrales sont victimes de
surchauffe, comme pendant l'été 2003, ou menacées par les inondations, comme
à Blaye en 2000.
Il n'y aura pas de changement d'organisation sociale sans mise à plat et rejet de tout ce qui
est porteur de pollution. Dans l'état actuel des recherches, il semble qu'il soit
préférable de favoriser l'exploitation de l'énergie solaire, qui correspond
à la production de 30 millions de réacteurs nucléaires. Il faudrait aussi
sur-développer l'exploitation de l'énergie des vents (éoliennes) et la
géothermie (exploitation de la chaleur de la Terre). On ne sait pas encore comment faire pour des
circonstances pas si rares que cela sur la planète de nuit de grand froid sans vent. Peut-être
faudra-t-il des centrales thermiques et nucléaires d'appoint (un nucléaire obtenu par
fusion des atomes et non par fission, qui ne pose pas de grave problème en matière de
déchets) ? Encore un exemple de problème que seule une société fondée sur
la prise collective de décision à tous les niveaux, et débarrassée de la course
au profit, pourra aborder en se donnant le maximum de chances de le traiter au mieux des
intérêts de l'humanité.
août 2004
André Lepic
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