Questions à propos de la génétique

Que les questions scientifiques ne soient pas le seul domaine des spécialistes : une exigence pour pouvoir changer le monde

Bien que fort compliquées, les questions que posent la génétique et les problèmes de bioéthique ne peuvent pas être réservées aux seuls spécialistes. Le citoyen attentif aux enjeux de son époque doit essayer de se faire une idée sur ces questions, s'y intéresser. Il peut même s'enthousiasmer ! Bien sûr, la prudence s'impose à lui, ne serait-ce que du fait du côté ardu de ces domaines scientifiques, mais aussi parce que les évolutions en matières de génétique sont rapides.

Ces questions sont aujourd'hui sur la place publique. Les OGM entrent dans les programmes électoraux. Quant à la recherche sur les maladies génétiques, elle fait même l'actualité première lors des soirées du téléthon, grand-messe médiatique, où la charité est d'ailleurs scandaleusement prônée pour une question de santé publique.

La recherche est ce qui est le plus fécond pour l'avenir de l'humanité, surtout si cet avenir n'est plus hypothéqué par la gabegie capitaliste. Peut-on nourrir le projet révolutionnaire sans prendre en compte les découvertes et les recherches actuelles en matière de génétique ? Évidemment non, et un nouveau programme révolutionnaire de transition devrait accorder une grande place à un plan d'urgence pour la recherche.

Cet article, fait par un non spécialiste, relève certains domaines qui font débat actuellement autour de la génétique.

Une question d'argent

Tout d'abord, cette question est contaminée par la course au profit capitaliste. Dans le cadre de l'économie de marché, les questions de génétique sont de fait immédiatement récupérées par les entreprises.

L'insémination artificielle avec le sperme d'un donneur est devenu un commerce aux États-Unis et sur le net, c'est-à-dire dans le monde entier. On peut aujourd'hui acheter des échantillons de sperme humain, choisis selon des critères physiques et biologiques. En France, il est interdit d'acheter des ovocytes (ovules) « frais » : il faut normalement attendre six mois pour vérifier que l'ovocyte n'est pas en incubation du sida ou d'une hépatite. Ce qui conduit à un « tourisme procréatif » vers la Belgique, l'Angleterre ou l'Italie, pays où on peut acheter des ovocytes féminins « frais ».

Le pendant de cette question d'argent, c'est la question du financement public de la recherche. Or, en France, les postes de chercheurs dans le public mis au concours, toutes disciplines confondues, ont baissé de moitié en 2003. Les moyens financiers aussi se sont effondrés, des crédits ont été annulés ou transférés. Ce qui a entraîné une mobilisation des chercheurs pour faire reculer le gouvernement. Le nouveau gouvernement Raffarin 3 semble avoir finalement reculé devant la mobilisation des chercheurs, et devant la débâcle électorale aux élections régionales du printemps 2004.

Aux États-Unis, Clinton, après avoir soutenu la compétition entre le public et le privé (essentiellement l'entreprise privée Celera Genomics) sur le séquençage du génome humain, s'était prononcé pour que la recherche sur les cellules souches soit le fait des entreprises privées essentiellement. Son successeur, George Bush, a serré encore plus le cordon du financement public dès son arrivée aux affaires. Ce qui a provoqué une baisse importante des actions des entreprises privées Geron, Stemcells et Aastrom, habituées à profiter des deniers de la recherche publique. Il reste aujourd'hui qu'en matière de sciences de la vie, on ne peut comparer le rôle de l'État aux États-Unis et en France. Le domaine du génie génétique est beaucoup plus subventionné aux États-Unis qu'il ne l'est en France. Même dans le débat politique, les questions sur la génétique ont une beaucoup plus grande place outre-Atlantique.

Le risque d'eugénisme moderne


La question de la génétique interroge aussi le raisonnement politique en matière de racisme et d'eugénisme. La question des manipulations génétiques a nourri les craintes, fondées, que ce domaine puisse être contrôlé par des régimes de type plus ou moins fasciste.

Après tout, l'histoire est riche de cas où des scientifiques mettent leurs découvertes ou leurs recherches au service des conceptions les plus arriérées. Si le chirurgien et neurophysiologiste Alexis Carrel (1873-1944), prix Nobel pour ses travaux de chirurgie vasculaire en 1912, a soutenu le régime de Vichy ce n'était pas du fait du contenu de ses découvertes scientifiques, mais c'était par pression sociale, dans le climat politique réactionnaire ambiant. Et ce courant réactionnaire, avant de se répandre dans la France de la collaboration, s'était déjà largement étendu aux États-Unis, où il vivait, États-Unis dont une dizaine d'états avaient adopté des lois eugénistes, avec même parfois des stérilisations forcées. Dans ce contexte de déchaînement raciste des années d'avant-guerre, Alexis Carrel prônait la défense d'une « aristocratie biologique héréditaire par eugénisme ».

Tout cela montre que les scientifiques ne sont pas les derniers à tomber dans l'hystérie raciste et la folie réactionnaire. Leurs idées scientifiques elles-mêmes peuvent être récupérées par les pires régimes. Et quand les recherches et les découvertes échappent au contrôle des chercheurs et des découvreurs elles peuvent finir par nourrir les régimes et les conceptions les plus réactionnaires.

La génétique, on le sent bien, est un domaine idéal pour relancer les pires conceptions eugénistes. Et souvent on pense aux clones.

Mais on présente pourtant maladroitement la question, en laissant entendre que créer des clones serait comme créer des petits soldats. Le clone est présenté comme un monstre avec une rapidité un peu sommaire. Car cloner un individu ne conduirait pas à créer une copie ou une photocopie sociale de l'individu cloné, avec les mêmes goûts, les mêmes opinions : les individus sont aussi façonnés par l'environnement social et historique. Ils ne sont pas seulement des assemblages de chromosomes.

Rappelons au passage que chacun des 30 000 gènes contenus dans le noyau de chaque cellule ne produit pas une fonction précise. Ce qui semble compter avant tout, ce sont les relations entre les gènes. Le gène appartient à un réseau d'interactions. Ce sont les protéines, activées par les gènes, qui agissent de telle ou telle manière. Et il n'a pas été prouvé que les gènes d'un être cloné auraient les mêmes interactions entre eux que pour le « donneur ».

Comme le dit Axel Kahn, généticien, directeur de l'Institut de génétique moléculaire à Cochin, et membre du Comité consultatif national d'éthique, les biotechnologies ne sont pas des dangers, l'agriculture toute entière d'ailleurs est une biotechnologie, et le problème, c'est le clonage... des esprits. Néanmoins le même Axel Kahn se montre très prudent sur la question du clonage à but thérapeutique, et tout à fait opposé au clonage humain.

Et nous ne pouvons que l'approuver car le clonage humain reste porteur des plus grands dangers dans le contexte politique et économique actuel. Rien dans le cadre d'une société de classes ne pourrait garantir que le clonage ne soit pas une fabrique de monstres, fondées sur l'eugénisme et le racisme. L'expérimentation actuelle fait déjà parfois froid dans le dos : la presse relate que début 2004, dans un laboratoire au Japon, trois embryons humains ont été obtenus en insérant des noyaux de cellules somatiques humains (les cellules somatiques sont les cellules autres que sexuelles) dans des ovocytes de... lapins !

Mais que considère-t-on comme de l'eugénisme ? Aujourd'hui, on a dépassé le stade du diagnostic prénatal, qui portait sur l'observation du foetus. On pratique maintenant le diagnostic pré-implantatoire sur l'embryon, c'est-à-dire au moment des premières divisions cellulaires. Il s'agit de surveiller des cellules embryonnaires in vitro, et de ne les implanter dans la muqueuse utérine de la femme qu'après assurance de leur bonne « santé », au bout de quatre ou cinq jours d'observation. L'embryon va alors devenir foetus.

Mais les personnes porteuses de maladies génétiques aujourd'hui doivent-elles se sentir « en trop », parce que suite à des observations in vitro, on ne leur donnerait plus, à l'avenir, le droit à naître ? Et que signifie être porteur de maladie génétique ? Une maladie génétique de se décline pas de la même manière selon les individus, n'a pas la même profondeur, la même gravité. Par exemple, on connaît aujourd'hui l'origine moléculaire de la maladie génétique héréditaire dite de Marfan. Puisqu'on sait repérer cette maladie, faut-il empêcher la naissance de toute personne qui en serait porteuse, lorsqu'on sait que les compositeurs Rachmaninov et Liszt en étaient précisément porteurs ? Devait-on les empêcher de naître ?

Cette question de l'eugénisme ne doit pas pourtant empêcher de considérer tout ce que cette méthode du diagnostic pré-implantatoire apporte de positif. Elle sert en effet aussi à pratiquer les fécondations in vitro, immense progrès, qui a permis la naissance de centaines de milliers d'enfants depuis 1978, 40 000 en France par an.

Le problème, ce n'est pas la science, mais son utilisation. Connaître le capital génétique d'un embryon peut être une excellent chose. Mais cela deviendrait contraire à tout progrès si, dans un avenir plus proche, imagine la juriste Monique Chemillier-Gendreau, les assureurs disposaient de la carte génétique de leurs clients. Les contrats d'assurance seraient modifiés en fonction de cette carte génétique. L'eugénisme n'est donc pas si éloigné que cela...

En outre se pose d'année en année la question des embryons surnuméraires, ces embryons dont les parents ne veulent plus. Ces embryons étaient au départ destinés à concevoir des enfants par fécondation in vitro. Mais ils permettent aussi, lorsqu'il n'y a plus de projet d'avoir un enfant, de mettre en culture des cellules souches humaines. En 1999, en France, on comptait 10 à 20 000 embryons surnuméraires, en 2001, ils étaient entre 60 et 150 000. La loi interdit la conception in vitro d'embryon humain pour la recherche, mais autorise une recherche ponctuelle sur des embryons déjà congelés.

Exaltantes promesses des cellules souches !

Les cellules souches, qui constituent les premières cellules de l'embryon dans ses toutes premières divisions cellulaires et que l'on trouve aussi dans le placenta, se reproduisent toujours à l'identique, sauf lorsque des signaux biologiques déclenchent leur développement en cellules spécialisées de différents types. Et les chercheurs voudraient, grâce à ces cellules souches pouvoir produire à volonté des cellules spécialisées en fonction des carences, des maladies. Ce serait un moyen par exemple de lutter contre le diabète, la maladie de Parkinson, les cancers... Une équipe de chercheurs israéliens a mis dans une solution particulière les cellules souches d'un embryon humain, qui se sont transformées en cellules constitutives des vaisseaux sanguins, qui ont été ensuite injectées avec succès dans des souris.

Dans le même domaine, que penser des « bébés médicaments » ? Lorsque des parents ont un bébé qui vient de naître avec une anomalie génétique, la maman pourrait donner naissance à un autre bébé. On puiserait dans le sang du cordon ombilical des cellules souches que l'on transférerait sur le bébé malade. Mais fait-on un bébé pour l'utiliser comme médicament ? Cela ne reviendrait-il pas à concevoir un bébé sur des critères génétiques ?

Les méthodes scientifiques actuelles laissent aussi penser qu'on pourrait prendre le noyau d'une cellule d'un malade, le transférer dans un ovocyte énucléé provenant d'une femme donneuse, ce qui entraînerait la production en laboratoire de cellules souches, qui pourraient ensuite être « spécialisées » dans des cellules dont le patient aurait besoin, par exemple dans le cadre d'une maladie neurodégénérative. Les cellules nouvelles seraient alors greffées sur le patient, sans problème de compatibilité. Cela reste aujourd'hui théorique, mais très enthousiasmant !

Néanmoins, Axel Kahn s'est montré récemment très réservé face à la première production de cellules souches sur un embryon humain cloné. C'est l'équipe du professeur Woo Suk Hwang, en Corée du sud, qui a en effet réalisé cette première au début de l'année 2004 : produire un embryon humain par clonage, puis produire des cellules souches à partir de cet embryon. Seize femmes ont donc donné, après stimulation ovarienne, 246 ovocytes. Chaque ovocyte a été « vidé » de son noyau, et remplacé par le noyau d'une cellule de la même donneuse. Sur 246 ovocytes, un seul a donné un embryon. À ce stade, le clonage humain –c'est-à-dire la reproduction d'êtres humains avec le même capital génétique que la mère – devenait possible. Les chercheurs ont arrêté le processus de division des cellules au stade embryonnaire, pour cultiver des cellules souches, qui pourraient ensuite donner des cellules plus spécialisées, comme les cellules cardiaques, nerveuses, rénales... Cette manipulation est interdite aujourd'hui dans plus de cinquante pays, dont la France, depuis décembre 2003.

Axel Kahn considère que cette manipulation en Corée du sud arrive trop tôt. Les médecins et chercheurs ne maîtrisent pas encore les risques de cancers consécutifs à ces expériences, sans compter le côté très éprouvant pour les femmes, pour lesquelles il a fallu procéder à des stimulations ovariennes de manière à obtenir une dizaine d'ovules chacune en un temps record. Mais Hervé Chneiweiss, chercheur à l'INSERM, lui, s'est montré plus enthousiaste, remarquant que beaucoup de précautions avait été prises par l'équipe coréenne, ajoutant : « Il serait criminel d'implanter des embryons clonés chez une femme ».

Pour l'instant la question des cellules souches est encore théorique. Les chercheurs semblent montrer à la fois de la prudence, et en même temps de grandes raisons d'espérer. Ils ont pour eux quelques succès notables en matière de thérapie génique, notamment la guérison, en 2000, de deux enfants bulles, par introduction d'un gène sain dans les cellules de leur moelle épinière.

Quand la recherche stimule de concert le progrès radical et la prudence

Un des aspects les plus subversifs de ces questions de génétique est le remise en cause des définitions traditionnelles, qui donnent les bases mêmes de certains raisonnements. C'est ainsi que les recherches sur les cellules souches prises sur les cellules de l'embryon posent la question de définir ce qu'est un être vivant.

La médecine moderne et ses prouesses donnent naissance à de nombreuses questions philosophiques importantes. Les concepts sont bousculés... Par exemple, quelle définition donner à la vie ? Où commence-t-elle ? Le coma profond et irréversible, avec cessation d'activité du cerveau, c'est bien une forme de mort... mais le don d'organe prélevé sur ce corps fait vivre une autre personne...

Et la question de l'intégrité de la personne humaine est repoussée encore un peu plus loin avec les manipulations génétiques. En effet, les recherches actuelles permettent de sélectionner un ovule, de lui ôter son noyau, et de remplacer ce noyau par un nouveau noyau, comportant un capital génétique différent. On peut aussi, on l'a vu plus haut, faire une autre manipulation sur les cellules de l'embryon, lorsqu'elles sont encore capables de générer tous les tissus de l'organisme humain. La manipulation qui consiste à conserver ces cellules dites souches à 160 degrés au-dessous de zéro pour les utiliser ensuite à des soins thérapeutiques, cette manipulation génétique se fait-elle sur un être vivant ? Ce serait alors inacceptable : on ne peut accepter n'importe quelle « expérience » sur le vivant. Mais ne se trouve-t-il pas que 90 % des oeufs fécondés se détruisent déjà naturellement, des millions de fois par jour sur Terre... sans que cela ne crée la moindre émotion ? C'est donc qu'on ne considère pas les embryons comme des êtres humains. Un embryon serait-il un être vivant sans être encore un être humain ?

Ces questions récentes poussent le chercheur à adopter des définitions plus poussées. On ne doit pas confondre les lignées de cellules embryonnaires de l'embryon, jusqu'à la huitième semaine, de la même manière qu'on distingue le foetus, à partir de la huitième semaine. Le concept d'être vivant n'est donc pas si facile à définir.

Les questions d'éthique ne peuvent pas par définition être tranchées unilatéralement et définitivement. Voilà pourquoi les questions de progrès génétique invitent à la fois à l'enthousiasme, aux idées les plus novatrices, quand elles ne sont pas porteuses d'aventure, et en même temps à la prudence. Une bonne école de pensée pour tous ceux qui veulent changer la société : la plus grande audace doit aller de pair avec un esprit scrupuleux ; la plus grande prudence peut animer et renforcer les programmes et les combats les plus contestataires.

Avril 2004

André Lepic

Références bibliographiques :

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Hazebroucq, Théophile « Une science culturellement modifiée » L'Humanité, 5 décembre 2003
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Lenseele, Ursula « L'Embryon » La Recherche, mars 2003
Nau, Jean-Yves « La Grande-Bretagne en passe d'autoriser le clonage humain thérapeutique » Le Monde, 18 août 2000
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Testart, Jacques « Glissements progressifs de la bioéthique » Le Monde, 25 et 26 janvier 2004
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