Faire payer les riches en grec ancien

Ce court détour par l'antiquité grecque n'a pas pour but de proposer des solutions à la crise économique actuelle. Il vise plus simplement à évoquer une réalité qui nous paraît très éloignée, certes, mais qui de ce fait même pourrait stimuler notre imagination : la liturgie, du grec leitourgia, mot qui à l'époque ne contenait pas de valeur religieuse, contrairement à ce que deviendra par la suite la liturgie.

Les Grecs du temps de Périclès, au cinquième siècle avant Jésus-Christ, faisaient payer un certain nombre de charges et de services publics directement sur la fortune des citoyens riches, ainsi que des métèques, Grecs originaires d'autres cités, qui vivaient à Athènes, sans droit de vote, mais avec obligation de payer un autre impôt, le metoikon. Le système des liturgies concernait donc les plus riches habitants d'Athènes.

Ces contributions obligatoires et renouvelables chaque année étaient au nombre d'une soixantaine par an. Les citoyens riches étaient désignés à tour de rôle. On évalue leur nombre au cinquième siècle à 1 200 environ. À la fin de leur prestation, comme tous les magistrats, ces riches contributeurs devaient rendre des comptes devant l'assemblée du peuple.

Les chevaliers (cavaliers dans l'armée, négociants dans la vie publique) devaient s'acquitter des liturgies dites ordinaires. Parmi celles-ci il y avait l'histiasis, à savoir l'organisation de banquets pour les membres d'une tribu ou d'un dème (sorte de circonscription géographique). Son prix était de 750 drachmes environ. Pour donner un ordre de grandeur, on estime à 200 drachmes annuels le budget d'une famille moyenne à l'époque.

Les citoyens les plus riches, les pentacosiomédimnes, selon le classement de Solon (début du sixième siècle avant Jésus-Christ), devaient, pour 1200 drachmes environ, fournir le matériel du gymnase, l'entretenir, et organiser les concours et les cultes y afférant.

D'autres, les chorèges, finançaient les chorégies. Il leur fallait recruter et entraîner des choeurs qui se produisaient dans les concours lyriques ou dramatiques. On a un exemple de chorège qui dépensa 15 000 drachmes pour huit chorégies. Les magistrats qui avaient désigné les chorèges décidaient aussi qui devait écrire les oeuvres et qui devait les jouer.

De toutes les liturgies, la charge la plus onéreuse était la triérarchie. Le triérarque devait pendant un an équiper à ses frais une trière (ou trirème), bateau de guerre, et payer une solde supplémentaire aux matelots. Cette charge pouvait coûter 1 talent, c'est-à-dire 6 000 drachmes. C'est pourquoi deux triérarques pouvaient s'associer et leur charge n'était pas renouvelable avant une période de deux années.

Les tribunaux pouvaient condamner les triérarques à une amende s'ils ne procédaient pas aux frais imposés. La Boulè, assemblée de 500 citoyens chargée de préparer les projets de loi et de trouver les ressources nécessaires au budget de l'État, pouvait ensuite doubler la pénalité.

En période de guerre, un impôt direct était fixé, l'eisphora. Il concernait tous les citoyens riches, mais préalablement 300 d'entre eux devaient en avancer toute la somme : ils payaient le proeisphora, autre liturgie.

Les citoyens aisés ne pouvaient pas se défausser devant les liturgies. Il leur était néanmoins possible de... dénoncer un collègue, jugé plus riche. Cela pouvait même se terminer au tribunal, et aboutir à la procédure d'antidosis : l'échange des fortunes.

Évidemment on ne tirera pas de ce système des liturgies la conclusion que la Grèce de Périclès était favorable aux petits. N'oublions pas que la Grèce antique était un système esclavagiste, et que les services publics se limitaient à des grands travaux et quelques distributions de nourriture. Les maîtres d'école devaient être payés par les parents d'élèves. En outre, pendant la période dite démocratique les terres ne furent pas partagées, ni les dettes abolies. Enfin, en matière d'impôts indirects et de taxes, à en croire l'auteur de comédie Aristophane, Athènes avait une réputation d'État voleur. Sans compter les pillages à la suite des victoires militaires.

Pour se préparer à une éventuelle nouvelle guerre contre les Perses, les autres cités furent mises de plus en plus à contribution, les trières servant à l'origine à défendre toute la Grèce. Ces contributions furent alors versées dans un Trésor commun à Délos, au milieu des Cyclades. Cela constitua la « banque » de la Ligue de Délos. Jusqu'à ce qu'Athènes mette la main sur ce Trésor, vers –460, et l'installe au Parthénon.

Et puis en matière de construction navale, des entrepreneurs, des « professionnels », se mirent à proposer leurs services... À prix fort, ils se mirent à proposer d'ailleurs des bateaux de moins bonne qualité.

À partir du quatrième siècle, avec le développement de la flotte (400 trirèmes) les riches commencèrent à protester. Ils furent alors regroupés par symmories  : chaque riche ne devait plus payer qu'une fraction d'une somme demandée à toute la symmorie. Les impôts furent aussi élargis aux fortunes plus modestes, et allégés pour les plus riches.

Tel était le système de la liturgie. Il nous surprend car malgré son caractère de classe, on constate que la démocratie athénienne ne tolérait pas beaucoup de « libéralisme » économique pour les classes possédantes. Ce libéralisme qui règne aujourd'hui et qui fait que les possédants du XXIe siècle jouissent vraiment d'une liberté quasi illimitée, et d'une sollicitude sans faille de la part des décideurs politiques. Il est même devenu signe de modernité de baisser les impôts et les riches multiplient les combines pour ne pas en payer !

Octobre 2003

André Lepic

Sources :

Glotz Gustave La Cité grecque, Albin Michel, L'évolution de l'humanité, 1988
M.I. Finley L'économie antique, Les Éditions de Minuit, 1975
M.C. Howatson (dir.) Dictionnaire de l'Antiquité, Robert Laffont, Bouquins, 1993
Trassard François (dir.) La vie des Grecs au temps de Périclès, Larousse, 2003

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