La situation économique, sociale, politique en Afrique noire s'est encore
dégradée en cette année 2003. L'intervention militaire française dans
l'est du Congo, après celle en Côte d'Ivoire, le naufrage de plus de 200 clandestins au
large de la Tunisie au printemps, tous des jeunes hommes fuyant l'Égypte, le Maroc, le Niger, la
Somalie ou encore le Liberia plongé dans une guerre civile épouvantable : ces tragiques
événements mettent en avant la situation explosive en Afrique.
On ne peut parler de tout un continent en quelques lignes. Nous voudrions donc nous contenter de quelques
remarques qui portent avant tout sur la violence qui y règne. À chaque fois, on pourra
constater que ces régions écrasées par les guerres sont des cibles pour les capitalistes
occidentaux.
C'est là l'origine première de la violence endémique qui saigne
cette région. Le pillage des richesses de l'Afrique sub-saharienne s'est fait
schématiquement en trois étapes.
Dans les années 1950 et 60, les multinationales de l'agroalimentaire ont imposé à
nombre de pays africains de transformer leur agriculture vivrière en agriculture d'exportation.
Des pays comme la Côte d'Ivoire, le Ghana ou le Mali ont produit le cacao et l'arachide pour
les marchés et les trusts occidentaux, tandis qu'ils connaissaient les pénuries
alimentaires pour la première fois.
Dans un deuxième temps, le pillage s'est fait à travers la dette. Dans les premières
années de la décennie 1970, les banques et les capitalistes occidentaux ont proposé des
dettes à des taux assez bas. À partir de la deuxième moitié des années
1970, l'économie mondiale est entrée en crise, marquée en particulier par
l'inflation. Les dettes elles-mêmes ont gonflé très vite. Les revenus des pays
emprunteurs ont été consacrés au remboursement de ces dettes. Entre 1980 et 1996,
l'Afrique subsaharienne a remboursé deux fois plus qu'elle n'a emprunté. Et
pourtant en 2000, sa dette était 3,4 fois plus importante qu'en 1980 !
Et dans les années 1990 les prix des matières premières se sont effondrés. Par
exemple, en 1998, les cours des matières premières baissant de 15 à 40 %, la Zambie,
grand exportateur mondial de cuivre, a vu son revenu national chuter de 9 %.
À la fin des années 1980, beaucoup de régimes africains, parfois
poussés par des révoltes populaires, ont cherché à modifier leur système
politique. L'enjeu était le suivant : mettre une petite dose de démocratie et permettre aux
nantis de conserver la réalité du pouvoir. Et c'est ainsi que de nombreux pays depuis une
dizaine d'années procèdent à des consultations électorales. Mais ce ne sont
guère que des démocraties potiches.
Au Burundi par exemple, un Hutu a récemment succédé au pouvoir, devant
l'Assemblée nationale, à un Tutsi. Depuis des années les dirigeants du pays
étaient issus de la minorité tutsie contre la grande majorité des habitants, les Hutus
(85 %). Après dix ans de guerre civile (300 000 morts), on annonçait enfin des accords de paix,
mais récemment des quartiers populaires de la capitale, Bujumbura, ont été à
nouveau bombardés avec une centaine de mortiers. Deux minibus ont été mitraillés,
laissant huit morts.
Le processus électoral au Togo a été de nouveau confisqué par le
président actuel (au pouvoir depuis 1967), Eyadéma. Amnesty International parle de la traque de
la police contre toute forme d'opposition. Des dizaines d'opposants ont été
arrêtés, conduits dans des camps militaires, détenus au secret, torturés. Le
principal opposant Gilchrist Olympio n'a pas pu entrer au pays.
En Côte d'Ivoire la flambée de violence s'est déclenchée
à partir du coup d'État de Gueï contre le président Henri Konan
Bédié, le 24 décembre 1999, mais les tensions étaient perceptibles depuis des
mois. Dans la foulée du coup d'Etat, des élections ont été annoncées,
mais les deux principaux partis d'opposition ont été exclus de la consultation
électorale d'octobre 2000. Le principal opposant connu Alassane Ouattara a été
finalement écarté de la campagne électorale par le pouvoir qui lui reprochait une
« ivoirité » pas assez « pure ». Depuis, dans le cadre général
d'une économie à vau l'eau qui sacrifie les plus pauvres, les groupes armés ont
multiplié les exactions depuis septembre 2002, pendant que le gouvernement de Gbagbo, qui a
succédé à Gueï, laissait les escadrons de la mort terroriser les opposants et les
classes pauvres.
Au Rwanda, le Front patriotique rwandais, au pouvoir depuis la fin du génocide de
1994, organise certes des élections, mais sous prétexte de supprimer le problème de la
question ethnique, il réprime les partis d'opposition qui lui paraissent ne
s'intéresser qu'à une seule ethnie. Voilà pourquoi le pouvoir menace
d'interdiction le principal parti d'opposition, le Mouvement démocratique républicain,
sous le prétexte que ce parti ne s'occuperait que des Hutus (qui forment 85 % de la population du
Rwanda). Dans ce pays, les arrestations sans jugement se multiplient, sans compter les intimidations, les
disparitions, les assassinats. Et le gouvernement de Paul Kagamé en profite aussi pour tenter de
supprimer des partis multiethniques.
Sur le papier, ces régimes organisent donc des élections et des accords de paix. Cela a
l'avantage de présenter une façade, façade qui s'est avérée
bienvenue à un moment où les pays d'Europe, suite à la chute du Mur de Berlin,
prétendaient exiger une démocratisation... pour mieux y continuer leurs affaires.
La réalité sur la démocratie en Afrique est néanmoins double : d'une part
être démocrates pour les militants de bonne foi c'est bien souvent prendre des risques.
D'autre part, les régimes policiers en Afrique tolèrent très bien les consultations
électorales. Pour cela, il suffit de faire un habile mélange entre concussion et propagande
ethniste, tout en promouvant force partis tous plus ou moins à la botte du régime.
Cette région est, comme toutes les régions du globe, rattachée au
commerce et au marché mondiaux. Même si sans doute moins que dans d'autres régions du
monde les peuples en tirent avantage. Le Français Vincent Bolloré est un des capitalistes les
plus intéressés par l'Afrique. Après son rachat, en 1992, du groupe de transport
naval Delmas-Vieljeux il s'est mis à acheter des bateaux. Mais sur ses lignes africaines il a
trouvé très vite la concurrence d'un armateur danois, Maersk. Les prix de fret, sous
l'effet de leur concurrence, n'ont cessé de baisser. Une baisse d'un tiers du prix
d'un conteneur entre Le Havre et Abidjan en quelques années ne lui a pas fait peur. Bolloré
s'est d'ailleurs aussi implanté dans les plantations d'huile de palme au Liberia, dans le
café et le cacao en Côte d'Ivoire, dans les chemins de fer du Cameroun.
Les matières premières africaines intéressent les capitalistes du monde entier, à
commencer par les Américains. Ceux-ci veulent augmenter les quantités de pétrole venu
d'Afrique, à hauteur de celui qu'ils font venir du Moyen-Orient. Ils visent notamment le Golfe
de Guinée, en particulier celui de la Guinée équatoriale. C'est une région
maritime éloignée des régions de guerre, avec un pétrole d'excellente
qualité. Exxon-Mobil veut construire un oléoduc de 1000 kilomètres du Tchad jusqu'au
Cameroun.
En Côte d'Ivoire, les entreprises occidentales sont nombreuses. Il leur a fallu
s'adapter à une guerre qu'elles ne voulaient pas forcément. Les chefs des deux usines
du groupe Nestlé (présent dans 23 pays de la région) sont allés s'installer
à Accra, au Ghana voisin. Mais les affaires ont continué. Le cacao (la Côte d'Ivoire
produit 40 % des stocks mondiaux du cacao) est sorti du pays comme d'habitude. De fait les plantations et
les ports d'Abidjan et San Pedro étaient dans des régions dominées par le
gouvernement et protégées par les troupes françaises. Mais à terme la situation
est catastrophique pour les paysans : ils ont vendu le plus vite possible mais n'ont pas redonné
de fertilisants aux terres, ce qui prouve leurs craintes sur l'avenir.
En 1993-1994, la société Brenco, travaillant pour un groupe slovaque, a vendu
dans l'illégalité à l'Angola pour plus de 600 millions de
dollars d'armes. Le système informatique de Brenco était contrôlé par un
ancien chef du GIGN, Philippe Legorjus. Brenco avait le bras long, et dans cette affaire de vente d'armes
illégales, on a retrouvé à l'instruction en France des noms aussi divers que Charles
Pasqua, Jacques Attali, Paul-Loup Sulitzer, Jean-Christophe Mitterrand, Jean-Noël Tassez (ancien
directeur de RMC), et surtout Arcadi Gaydamack, aujourd'hui réfugié en Israël.
La guerre civile au Sierra Leone, depuis 1991, avait pour toile de fond les diamants. Les
rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF), opposés au régime d'Ahmed Tejan Kabbal,
qui lui aussi utilisait des milices, ont mis le pays à feu et à sang. Ils n'ont pas
hésité à prendre en otage 500 casques bleus en 2000.Cette situation de guerre a
entraîné l'arrivée au Sierra Leone d'une importante armada militaire,
composée de 8 700 casques bleus et de six bateaux de guerre britanniques, dont un porte-avions.
À côté de ces troupes officielles, le Sierra Leone a aussi utilisé des troupes
privées, en particulier les mercenaires d'Executive Outcome, une entreprise sud-africaine.
Quant au RUF, son armement venait du Burkina Faso de Blaise Compaoré. Ce pays achetait des armes
à d'anciennes républiques soviétiques, en particulier l'Ukraine. Mais le
président du Liberia, Charles Taylor, a aussi fait parvenir pour 200 millions de dollars annuels
d'armes. Compaoré a rendu aussi ce genre de service auprès de la guérilla en Angola
de Jonas Savimbi, qui payait lui aussi en diamants.
Toutes les gemmes prenaient ensuite la direction des diamantaires d'Anvers et des entreprises les plus
puissantes dans le secteur : De Beers et la Lazare Kaplan International, qui les revendaient aux plus hauts
prix. Quant au gouvernement sierra leonais, il vendait au même moment ses diamants à
d'autres diamantaires, à savoir Global Exploration Corporation ou Rex Mining Co., un groupe belge.
Puis, il s'est séparé de Rex Mining pour lui préférer Branch Energy, groupe
canadien lié à Executive Outcome. Bref, tous les charmes de l'économie libre de
marché...
Des vétérans de la guerre en Sierra Leone se sont aussi rendus en Côte
d'Ivoire pour aider des groupes rebelles de leur choix.
L'interaction des pays occidentaux se fait souvent sous le couvert d'intervention des pays
limitrophes africains. C'est le cas pour la guerre civile en République
démocratique du Congo (RCD). Avant même la chute de Mobutu, les camps de
réfugiés hutus venus du Rwanda dans l'est du pays étaient attaqués par des
troupes venues du Rwanda, en particulier pendant la guerre d'octobre 1996 à mai 1997. À
cette date, Kabila père a accédé au pouvoir à la suite d'une longue guerre.
Dès son arrivée au pouvoir, il a été lâché par ses anciens
alliés, qui se sont retournés contre lui et ont cherché à profiter de leur
mainmise sur des territoires, souvent des sous-sols riches, pour s'enrichir. C'était le
début d'une nouvelle guerre, dont on ne peut pas dire qu'elle soit aujourd'hui
terminée. On a compté jusqu'à huit États impliqués dans cette guerre,
chaque État disposant de milices inféodées. Et chaque bande armée
contrôlant un territoire et bien souvent des ressources économiques, en particulier des minerais
précieux. Tel commandant militaire ougandais a créé une nouvelle province en RDC, non
loin de l'Ouganda, puis a ouvert les frontières entre cette frontière et l'Ouganda,
afin de faciliter le transport des extractions minières. Dans la province du Kivu, pourtant sur le
territoire congolais, les minerais rares ont été exploités sous le contrôle des
militaires venus du Rwanda.
À chaque fois, les mercenaires ou les milices jouent un rôle déterminant. Peu importe qui
les paie... Au Centrafrique le pouvoir repose depuis mars 2003 entre les mains du
général François Bozizé, entré en force à Bangui en octobre 2002.
Il a renversé le président Patassé, élu en 1993. Le pouvoir de Patassé
était soutenu essentiellement par des troupes venues de Libye et les enfants-soldats mercenaires de
Jean-Pierre Bemba, du Mouvement de Libération du Congo. Ces mercenaires de Bemba avaient quitté
le territoire voisin de la RDC où ils étaient opposants. Ils se sont réfugiés au
Centrafrique où ils ont eu l'aval de Patassé. Les uns les autres se sont
échangé une protection mutuelle. Mais la situation en RDC a évolué et le
mouvement armé de Bemba a fini par recevoir une reconnaissance de Kabila. On imagine l'effroi des
réfugiés fuyant le Congo de Kabila, trouvant refuge en Centrafrique, et se retrouvant dans un
pays où le pouvoir était maintenu par les violences d'anciens opposants à Kabila qui
sont ensuite devenus alliés de Kabila. Jusqu'à ce que le pouvoir en Centrafrique
échappe à ces mercenaires. Et que Patassé soit à son tour renversé, en
mars 2003.
Au Liberia, les armes parviennent au président Charles Taylor, en dépit de
l'embargo de l'ONU. Les passeurs sont des Serbes et des Chinois. Là encore les diamants
servent de monnaie d'échange. Quant aux troupes rebelles de LURD, elles ont été
discrètement soutenues par les Britanniques.
La malaria a tué en Afrique dix fois plus de personnes que le SRAS dans le même
temps. En une année, 1 million d'Africains, âgés de moins de 5 ans pour la plupart,
sont emportés par cette maladie. Les « scores » du sida sont pires encore. Au Ghana, les
familles pauvres consacrent un tiers de leur revenu au traitement de la malaria. Cette maladie se
développe tout particulièrement dans les bidonvilles. Celui d'Iwaya, à Lagos
(Nigeria) est idéal pour le développement des moustiques porteurs de la maladie : Iwaya est
construit sur pilotis, au-dessus de mares stagnantes, aux eaux sales. Pour protéger les enfants, il
faudrait les faire dormir sous une moustiquaire de tulle traitée à l'insecticide.
Coût par enfant : 5 dollars. Et encore, 26 États africains trouvent le moyen de mettre des taxes
sur ces simples protections. Quant au vaccin, les trusts de la pharmacie ne voient pas
l'intérêt de faire des recherches sur lui, puisque les éventuels acheteurs sont tous
pauvres.
Ce sont ces mêmes trusts qui en Occident préfèrent produire et commercialiser des
médicaments, dont tous d'ailleurs n'ont pas de réelle efficacité.
Au Kenya, des travailleurs du textile travaillant pour des filiales de
grands groupes américains ont fait grève en janvier 2003. Ils ont été
licenciés par milliers au bout d'une seule journée de grève : ils revendiquaient le
droit de monter leurs propres syndicats.
Au Zimbabwe les travailleurs ont été capables par la grève de paralyser
les villes du pays, fin avril, pendant trois jours. Le mois précédent, deux jours de
grève générale avaient déjà été un succès. Ces
grèves avaient un caractère politique, puisqu'elles étaient en soutien au parti
Movement for Democratic Change, ainsi qu'en soutien aux syndicats. Là-bas, les militants savent
qu'ils risquent d'être torturés, ainsi que le prouvent des photographies reproduites
dans des journaux d'opposition et des affiches.
Au Nigeria, les ouvriers dans le pétrole se battent pour des améliorations ou
pour défendre des travailleurs licenciés. Certains travailleurs détournent le
pétrole pour faire vivre leurs familles. Shell estime que cela représente 10 % de la production
mais passe l'éponge, en raison du faible prix (5 dollars le baril) du pétrole
nigérian.
Au début de l'année 2003, toujours au Nigeria, les travailleurs de l'entreprise de
télécommunication Nitel ont manifesté à Abuja et dans d'autres villes contre
la privatisation de leur entreprise et de sa vente à un groupe hollandais. Des routes ont
été coupées.
En juillet dernier, le pays a connu une grève générale de deux semaines contre la hausse
du prix du carburant. La lutte était aussi radicale que l'augmentation (+ 54 % !) : la police a
tiré et fait des blessés.
Ces travailleurs africains connaissent des conditions de lutte de classe extrêmement dures, mais
pourtant ils ne nous sont pas si étrangers. Certes, ils sont victimes d'une misère sans
égale en Occident, écrasés qu'ils sont par les dictats du FMI et de la Banque
mondiale. Un pays comme le Tchad, par exemple, doit rembourser d'ici le 31 octobre 2003 7,6 millions de
dollars (ce qui correspond en gros au revenu annuel de plus de 20 000 paysans).
Mais les travailleurs d'Afrique ont aussi les mêmes patrons, liés aux mêmes banquiers,
que nous. D'autre part, en Europe même les travailleurs sont entourés de collègues ou
de voisins qui viennent de ces régions. Il est essentiel de faire le lien avec ces
réalités diverses du capitalisme international et de la classe ouvrière mondiale. Cela
permettra de sortir des poncifs sur l' « Afrique sacrifiée » et autre
« continent à la dérive ». Aucune situation, même les plus tragiques, ne doit
apparaître comme sans solution. Faire cet effort sur la question africaine est aussi un moyen de
remettre à l'ordre du jour le programme communiste internationaliste, trop souvent laissé
aux envolées lyriques des fins de meetings. Au regard de la situation en Afrique, le programme de la
prise du pouvoir par les travailleurs et de l'expropriation des capitalistes dans le cadre d'une
économie mondiale démocratiquement planifiée est la base de toute perspective
d'avenir.
André Lepic
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