La grève des traminots de Rouen qui a duré 38 jours a révélé à sa façon la complicité entre les politiciens municipaux de la Gauche plurielle et le groupe Vivendi. Elle a aussi montré les points faibles comme les points forts du mouvement ouvrier sur l'agglomération rouennaise. Sans prétendre tirer de cette lutte des conclusions générales sur l'état de la classe ouvrière en France, son analyse peut contribuer à mieux situer les enjeux et les obstacles à franchir dans d'autres luttes de salariés. Elle illustre aussi à sa façon la profondeur de la rupture entre les travailleurs et ceux qui se présentaient jusqu'alors sur le plan politique et syndical comme leurs représentants institutionnels inamovibles.
Les transports urbains de l'agglomération rouennaise (TCAR) étaient
jusqu'en 1994 sous régie communale. C'est à cette date que le SIVOM, devenu depuis
Communauté de l'Agglomération de Rouen ou CAR, a décidé de céder ces
transports à une filiale de Vivendi. Le SIVOM était dirigé alors par Laurent Fabius !
Cette mesure de privatisation sous prétexte de moderniser le réseau est passée comme une
lettre à la poste sans qu'aucun élu de la gauche plurielle ne proteste. Le fait
était si peu connu des habitants que c'est seulement au cours de la grève de cet hiver que
des militants d'extrême gauche ont révélé largement le pot aux roses.
C'est alors que certains Verts, qui avaient besoin de se démarquer en vue de présenter leur
propre liste aux élections municipales, protestèrent contre la cession du Zénith
décidée le 15 décembre dernier à la filiale Véga du même groupe
Vivendi. C'était en tout cas à leur actif d'avoir voté contre à la
Communauté d'Agglomération et d'être solidaires des traminots.
Dans le cas du Zénith, le maître d'œuvre de cette opération était Yvon
Robert, maire socialiste de Rouen (qui vient de perdre les élections municipales).
Arrêtons-nous un instant sur la carrière de cet ancien énarque. Il a été
responsable du cabinet de Michel Rocard lorsque celui-ci fut premier ministre. Ensuite selon les
déclarations d'Yvon Robert : « Alors que j'étais secrétaire national
à l'Education, Laurent Fabius dont j'ai été le conseiller, m'a
proposé en septembre 1988 un challenge intéressant :gagner le Sivom et construire une
agglomération, une vraie. » En la livrant au groupe Vivendi, faut-il ajouter.
Premier temps de la manœuvre, Yvon Robert est élu sur la liste PS à Grand-Quevilly, en
banlieue de Rouen, à l'époque où Fabius y est premier adjoint. Puis en 1989, il
devient vice-président du SIVOM. L'heure de gloire arrive en 1995 avec son élection comme
maire de Rouen, à la faveur des divisions au sein de la droite.
En 1994, le passage de la gestion de la TCAR au groupe Vivendi n'avait évidemment pas
échappé aux traminots qui constatèrent rapidement un durcissement de ton à
l'égard de leur nouveau patron. Le niet à leurs revendications était d'autant
plus choquant que les opérations de prestige sont allées bon train avec l'argent des
contribuables. Pour permettre à Fabius de choisir la couleur du métrobus, on lui
présenta deux wagons de couleurs différentes, envoyés ensuite à la casse.
D'un air boudeur, il avait choisi une troisième couleur. L'esthétique était une
priorité. La station TCAR de Sotteville-lès-Rouen dont le maire est socialiste fut d'une
architecture grandiose, digne d'une tribune du stade de France. Par contre les usagers se sont
retrouvés à maintes reprises dans des bus qui tombaient en panne, faute de personnel suffisant
pour les entretenir.
Les travailleurs de la TCAR n'avaient pas fait grève en novembre-décembre
1995, essentiellement du fait de l'opposition de certains dirigeants syndicaux. Mais en 1996 ils
emboîtèrent le pas aux chauffeurs routiers pour obtenir la retraite à 55 ans, une
réduction du temps de travail et des embauches massives. Le mouvement de grève qui se
déroula en deux temps dura 17 jours. L'année suivante ils repartirent en grève
toujours pour les mêmes raisons car la direction se retranchait derrière le fait que la loi
Robien sur la RTT ne permettait pas l'application de l'accord conclu en 1996. Le Conseil d'Etat
trancha le débat en faveur des grévistes. Un camouflet pour le patron qui poussa les manettes
contre les traminots sur tous les plans : harcèlement contre des salariés combatifs,
augmentation dérisoire de 0,5% par an, prime d'intéressement minorée en cas
« d'absentéisme et de dégradations ». De 7000 francs promis en janvier, on
arrivait ainsi à 1500 francs en novembre !
En 2000, la direction fit traîner les négociations salariales de juin à novembre. En
décembre, on en était toujours au même point : les syndicats CGT et FO exigeaient 5%
d'augmentation pour l'année 2000. Les traminots qui s'étaient prononcés pour
un préavis de grève étaient 643 sur 900 salariés en CDI. Le 19 décembre la
grève démarrait. A l'approche des fêtes elle n'était guère
populaire mais à ce stade de blocage de la direction, les traminots n'avaient pas envie de
reporter la riposte à plus tard.
Ils n'étaient pas d'humeur à lutter tandis que des non grévistes continueraient
à faire circuler des véhicules en attendant tranquillement l'augmentation obtenue par les
grévistes. Des piquets furent mis en place pour empêcher la sortie des bus et des rames. Au bout
de cinq jours la direction ne proposait que 0,8% d'augmentation en janvier et 0,55% en septembre. Onze
jours plus tard, le 29 décembre, la direction avait un peu reculé. Les syndicats signaient un
accord prévoyant 1,85% d'augmentation en janvier et 0,5% au 1er septembre. Mais
l'accord était assorti de l'annonce que des mesures disciplinaires seraient prises contre des
grévistes. La grève ne pouvait que repartir aussitôt, même si des traminots
commençaient progressivement à reprendre le travail.
Le 5 janvier le couperet tombait : cinq traminots recevaient une lettre de licenciement et deux autres des
mises à pied de 21 et 15 jours.
La direction invoquait des actes de sabotage et « des procédés
dignes d'une guérilla sociale » au moment où les piquets étaient encore
en place avant qu'ils soient levés à la suite d'un référé du
tribunal. Ce délire provocateur à propos de quelques bus aux pneus
dégonflés ou d'une porte de bus noircie par des pneus brûlés visait au passage
à rendre la grève encore plus impopulaire et à désamorcer la solidarité
avec les grévistes de la TCAR qui « seraient allés trop loin ». Il est
indéniable que ces calomnies ont renforcé des réactions de rancœur à
l'égard des grévistes en particulier dans les quartiers déshérités des
hauts de Rouen. Mais le but principal de la direction était de s'attaquer au droit de grève
en licenciant au hasard cinq travailleurs du rang ayant participé à un piquet de grève.
La direction locale, en accord avec celle de Vivendi, voulait casser une bonne fois pour toute ce secteur
très combatif. L'agression patronale était ciblée et avait valeur
« d'exemple » : ces cinq grévistes, connus pour leur combativité, n'avaient
plus de mandat syndical depuis peu de temps.
La colère générale se mélangeait à un sentiment d'impuissance. Une
nouvelle donne est apparue à l'initiative de sept grévistes. Ils décidèrent
immédiatement de leur propre chef d'entamer une grève de la faim pour annuler les
sanctions. Ils reçurent un appui très chaleureux de la part des autres grévistes. Le
message était clair pour tout le monde : pas de bradage possible du mouvement et annulation des
licenciements. Ce mode d'action ne signifiait donc pas que le mouvement était à bout de
souffle, au contraire.
Les grévistes de la faim en s'installant ostensiblement dans le hall de l'hôtel de ville
de Rouen mettaient très mal à l'aise Yvon Robert et ses coéquipiers. La campagne des
municipales commençaient à battre son plein. L'implication du maire socialiste de Rouen
était directe en tant que président de la Communauté d'Agglomération et donc
« donneur d'ordres » en matière de transports en commun. Son vice-président est
le maire socialiste de Canteleu, commune en banlieue de Rouen. L'action des grévistes de la faim
mettait également certains dirigeants CGT de la TCAR dans une situation délicate. Par bien des
attitudes, ils montraient qu'ils ne voulaient pas mettre en difficulté les élus municipaux
de la gauche plurielle. Lors d'un conseil municipal où un groupe de grévistes et de
syndicalistes de la région étaient présents, les dirigeants de la grève se
gardèrent bien d'interpeller Yvon Robert et ses amis pour leur demander dans quel camp ils
étaient, celui de Vivendi ou celui des grévistes. La possibilité de créer un
clivage entre les élus de gauche en les interpellant clairement ne fut pas tentée.
Mais la lutte était relancée car le mauvais coup portée par les patrons de la TCAR avait
indigné de nombreux travailleurs et syndicalistes, surtout ceux proches de l'extrême gauche.
La CGT du dépôt SNCF de Sotteville appela à une grève de 24heures.
L'idée d'une manifestation de rue avait été proposée à
l'assemblée qui avait suivi l'annonce des sanctions par des militants d'extrême
gauche. Les responsables syndicaux les moins chauds n'avaient pu s'y opposer car elle coulait de
source pour les grévistes. Le mardi 9 janvier plus de mille personnes manifestaient dans les rues de
Rouen avec beaucoup de dynamisme. La présence d'Alain Krivine dans le hall de l'hôtel de
ville et ensuite dans le cortège fut appréciée par les grévistes. Les militants
d'extrême gauche dans leur ensemble contribuèrent à donner un tour offensif à
la manifestation. Le slogan lancé par la LCR « Vivendi licencie, licencions Vivendi » fut
très repris, en particulier sous forme d'autocollants.
Pour toute la suite du conflit, il est apparu souvent une tension et des désaccords
au sein de l'équipe dirigeante CGT. Tout en étant totalement impliqués dans le
mouvement, certains étaient hésitants, ne sachant pas trop quoi proposer, sans doute
désemparés devant l'absence de coup de main de l'UL et de l'UD. Ils voyaient
d'un mauvais œil, surtout au début, les actions de solidarité nombreuses localement.
Ils espéraient une issue positive par les négociations et entretenaient des illusions sur les
interventions d'un médiateur ou du « conciliateur » Yvon Robert. Ils avaient parfois
tendance à verrouiller les débats au cours des assemblées générales, assez
peu démocratiques dans l'ensemble. Le secrétaire du CE Yves Herment, le principal
responsable CGT, répondait ainsi en AG quand des propositions ne lui convenaient pas : « Si
vous n'êtes pas d'accord, je m'en vais. » Ce sont les mêmes qui
étaient réticents ou hostiles face à une agitation soutenue des traminots sur
l'agglomération. Agitation qui s'est faite cependant en direction des entreprises et de la
population mais de façon dispersée et parfois à l'insu du syndicat.
D'autres responsables syndicaux dont Jean-Claude Blot, secrétaire du syndicat CGT, allaient
davantage dans le sens de la lutte, étaient à l'écoute des grévistes et
n'étaient pas prêts à négocier dans n'importe quelles conditions. Leurs
limites étaient d'ordre politique. Que chacun voit dans cette remarque un constat et non un
reproche. En invoquant le fait que seules des entreprises comme Vivendi disposent des capitaux
nécessaires pour de gros investissements, ils ne contestent pas sur le fond la légitimé
de Vivendi d'exploiter la TCAR et donc de faire des profits sur le dos des traminots et des usagers (voir
l'interview de Jean-Claude Blot dans Rouge du 11 janvier 2001). Du coup ils ne pouvaient pas non
plus mettre en cause les notables socialistes et leurs liens d'intérêt avec Vivendi. Ce sont
les limites du syndicalisme même le plus combatif.
Ce qui est remarquable dans cette grève et le mouvement de solidarité qui
l'a accompagné est l'absence totale d'intervention de l'UL et de l'UD CGT. Des
traminots disaient avec une ironie féroce : « Ils sont comme nous, ils sont en
grève. » Les syndicalistes liés à la gauche plurielle ou ayant une vision
étroitement corporatiste (l'un n'excluant pas l'autre) ne bougèrent pas. Le
syndicat Sud du dépôt de Sotteville se refusa à appeler à la grève de
soutien avec la CGT animée par des mitants d'extrême gauche.
Inutile d'insister sur le fait qu'au niveau fédéral ou confédéral,
personne n'a levé le petit doigt pour soutenir les traminots rouennais. Une grève dans les
Transports avait été programmée pour le 26 janvier. Les bureaucrates syndicaux avaient
choisi une date suffisamment lointaine pour que le mouvement de la TCAR se soit terminé entre temps.
Il n'était pas de saison, dans la conjoncture électorale, d'appuyer et d'essayer
d'étendre un mouvement dynamique contre la multinationale Vivendi qui a
bénéficié de toutes sortes de cadeaux au niveau de municipalités de grandes
villes (de gauche comme de droite d'ailleurs) mais aussi de l'appui du gouvernement Jospin qui a
facilité les fusions souhaitées par Jean-Marie Messier, P-DG de Vivendi. Il est significatif
que lorsque les traminots montèrent à Paris pour manifester au ministère des Transports,
ils furent reçus par un sous-fifre du ministre des Transports PCF, Gayssot, qui ne pris aucun
engagement.
De leur côté les patrons de la TCAR avaient continué, quelques jours avant, à
tester la détermination des grévistes par une proposition qui étaient une provocation
flagrante : une prime de 50 000 francs aux licenciés à conditions qu'ils renoncent à
toute procédure contre la TCAR devant les prud'hommes ! Les travailleurs concernés
refusèrent avec mépris et les grévistes de la faim affichèrent plus que jamais
leur détermination. Il étai inutile de spéculer sur un pourrissement du mouvement. Une
deuxième manifestation avec à nouveau un millier de personnes se déroula le 17
janvier.
La mission d'un médiateur officiel ayant échoué, ce fut Yvon Robert qui joua les messieurs bons offices « pour rapprocher les positions des parties en présence ». On imagine sans peine que le maire de Rouen était en communication permanente avec Jospin et Jean-Marie Messier pour gérer le dossier avec doigté, au mieux des intérêts communs du gouvernement, de Vivendi et accessoirement du maire de Rouen. Tandis que la solidarité du côté des traminots continuait à s'exprimer sous forme de collectes, d'une intervention des sans-papiers, d'une manifestation de 150 motars, Yvon Robert tentait de faire accepter aux licenciés une mutation dans d'autres filiales de Vivendi pour trois d'entre eux et pour l'un une embauche en CDI dans le cadre de la CAR. Le cinquième avait accepté de prendre son compte avec une prime de 250 000 francs. Dans un premier temps les mutations furent refusées. Les grévistes avaient à l'esprit des « arrangements » de ce genre qui s'étaient soldés ultérieurement par des déqualifications ou des licenciements en toute discrétion. Si Yvon Robert commençait à sérieusement se discréditer avec sa proposition soufflée en catimini en haut lieu, il était de plus en plus évident que l'on ne pouvait plus espérer de nulle part un appui qui modifierait le rapport des forces. La rage et le découragement chez les grévistes permettaient d'espérer du côté du maire de Rouen et de Vivendi que le travail aurait repris avant la journée nationale sur les retraites du 25 janvier. Que les bus et métrobus fonctionnent ce jour-là aurait été une victoire morale pour la direction de la TCAR. Peine perdue. Elle avait tellement voulu finasser et manœuvrer la veille au niveau des négociations que les grévistes avaient pris le coup de sang dans l'après-midi. Ce furent leurs femmes et les personnes présentes solidaires de leur combat, qui bloquèrent tous les bus de la place de l'hôtel de ville pendant plusieurs heures. Bien plus, le blocage des deux dépôts le lendemain, dès trois heures matin, fut décidé et mis en œuvre par les mêmes « éléments extérieurs » afin que les traminots ne soient pas frappés de nouvelles sanctions. Le secrétaire du CE CGT vint sur place essayer de les convaincre de quitter les barrages mais ce fut en pure perte. Ce dernier rebond du mouvement permit aux traminots de manifester la tête haute le 25 janvier avec 10 000 salariés dans les rues de Rouen contre les menaces sur les retraites et de ne reprendre le travail que le lendemain.
Comme on le voit, un fort noyau de grévistes avait fait preuve d'une remarquable
combativité et d'une grande réactivité. Surtout compte tenu des nombreux obstacles
que leur ont opposé ouvertement ou insidieusement leurs patrons, des politiciens de gauche et un
certain nombre de responsables syndicaux.
Des militants de diverses tendances révolutionnaires, notamment de la Ligue Communiste
Révolutionnaire, de la Gauche Révolutionnaire et de la Fraction minoritaire de Lutte
Ouvrière, ont fortement contribué à surmonter ces obstacles. La plupart des formes de
soutien se sont faites à leur initiative : collectes importantes sur les entreprises, mobilisation en
vue des manifestations, tracts pour populariser le mouvement et dénoncer le
« Vivendiland » rouennais, grève de 24 heures au dépôt SNCF, etc.
Ce que l'UL et l'UD CGT se sont refusées à faire, l'extrême gauche l'a
accompli à la mesure de ses forces qui se sont révélées n'être pas
négligeables sur l'agglomération. A cela il faut ajouter que, devant les carences de leurs
propres responsables syndicaux, les grévistes de la TCAR, non seulement appréciaient toutes les
formes de solidarité, mais étaient preneurs de toutes les idées et suggestions des
militants révolutionnaires pour renforcer leur lutte. Sur le terrain, devant les entreprises, sur les
marchés, devant les grandes surfaces ou à la fac, les grévistes ont pu compter sur la
présence active de militants d'extrême gauche et de syndicalistes combatifs, ce qui leur a
permis de s'adresser directement à une bonne partie de la population.
Le bilan ne serait pas complet et ne préparerait pas les luttes futures, si on ne relevait pas aussi
ce qui a été la faiblesse de l'extrême gauche et des associations anti-capitalistes
ou anti-mondialisation. Au niveau national, personne n'a pris l'initiative d'un mouvement de
solidarité alors que le droit de grève était en cause.
Bien que le mouvement ait fini par être assez fortement médiatisé, le licenciement pour
fait de grève de cinq salariés anonymes à Rouen n'a suscité qu'une faible
indignation en comparaison de celle provoquée par la poursuite en justice de José Bové
à Millau. Je me réjouis sans réserve que les attaques contre des syndicalistes de la
Confédération paysanne entraînent de fortes mobilisations. Je souhaite simplement
qu'il en soit de même à l'avenir, concernant des ouvriers inconnus, se battant contre
une multinationale française comme Vivendi dont le pouvoir de malfaisance n'est pas moindre que
celle de la multinationale américaine McDonald.
Les faiblesses locales que les militants des associations et des groupes révolutionnaires de Rouen se
doivent de relever ensemble ne sont pas sans rapport avec les faiblesses nationales : l'état de
division et des préoccupations encore beaucoup trop centrées sur ses propres
intérêts d'organisation sont le lot commun de l'extrême gauche et du mouvement
associatif.
Les révolutionnaires n'ont pas encore pris pleinement conscience qu'il est de plus en plus
à leur portée de penser une politique dans des luttes telles que celle de la TCAR, d'en
dégager tous les enseignements après coup. Nous ne pouvons plus nous satisfaire et nous
contenter d'avoir été « bien dans le coup », réactifs et efficaces dans
les actions de solidarité. Plus aucune lutte ne peut être abordée seulement en termes de
soutien ni comme s'il s'agissait seulement d'une lutte locale. Les travailleurs qui se battent
attendent davantage de nous.
Pendant toute une longue période les révolutionnaires ont été condamnés
à avoir un rôle « d'opposants de service » aux directions réformistes et
bureaucratiques ou de supplétifs en matière de solidarité. Ce positionnement n'est
plus de mise devant le recul du PCF et la défection de l'appareil de la CGT qui libère un
espace d'intervention politique, dans un dialogue permanent entre révolutionnaires et travailleurs
en lutte. Cela doit aussi conduire les révolutionnaires à établir d'autres relations
entre eux.
À Rouen, spontanément, les militants qui tenaient à aider les grévistes se sont
retrouvés « tous ensemble », oeuvrant dans le même sens, indépendamment de
leur appartenance ou non-appartenance à tel ou tel groupe. Il en est ainsi surtout depuis
novembre-décembre 1995. Et cela s'est vérifié dans tous les mouvements importants
sur l'agglomération (ceux des cheminots, des routiers, des ouvriers de Ralston et l'an dernier
celui des parents et des enseignants). L'habitude qui avaient été prise en 1997 et 1998 de
faire des assemblées communes au diverses tendances doit être à l'avenir reprise afin
de permettre la mise en commun des informations et des idées, à chaud pour renforcer les luttes
en cours, et après pour en dégager toutes les leçons.
Cela vaut pour toutes les villes et les régions. Il est évident que de telles assemblées
au cours des luttes à venir devront être ouvertes à tous les acteurs du mouvement ouvrier
et du mouvement social qui souhaiteraient y participer. Il est très juste de crier dans la rue
« Tous ensemble, tous ensemble », surtout si on se préoccupe d'en donner une
traduction efficace au travers d'idées, d'actions et d'assemblées adéquates.
C'est évidemment à la portée de tous ceux qui veulent changer la
société et défendre les droits fondamentaux du monde du travail et de la
société. N'attendons pas que les divers groupes d'extrême gauche parviennent
à se regrouper dans une formation commune à l'échelle nationale. Ce serait
peut-être attendre trop longtemps et rater des opportunités de reconstruire, au travers des
luttes, un mouvement ouvrier fort et démocratique.
A Rouen, comme dans quelques autres villes, des maires liés à la gauche gouvernementale et capitaliste ont perdu les élections dans un contexte social combatif sur leurs villes. La grève de la TCAR n'est sans doute pas la seule cause de l'échec d'Yvon Robert au deuxième tour. Sa liste n'a obtenu que 48,75% des voix contre 51,25% au candidat de droite Albertini. Mais elle a pesé incontestablement. Les Verts qui avaient obtenu 10,35% au premier tour, ont eu beau fusionner avec le PS au second, la défaite cuisante de la gauche plurielle n'a pu être évitée. Les voix d'extrême gauche de LO et de la LCR (5,34% au total) se sont transformées pour une large part en abstentions au deuxième tour. Au grand dam du PS, la liste de la LCR de Rouen n'a pas changé de position ; elle n'a pas appelé à « battre la droite » au deuxième tour. Une bonne partie de l'électorat des salariés et des chômeurs, à Rouen comme ailleurs, sont en rupture de plus en plus flagrante avec les partis de la gauche plurielle. Ces partis s'imaginaient les « représenter » éternellement, même s'ils agissaient sur tous les terrains en faveur des groupes capitalistes.
Cette évolution est extrêmement positive. La force des travailleurs ne peut
être pleinement efficace que dans la mesure où ses « avocats » autoproclamés,
qu'ils soient politiciens ou bureaucrates syndicaux, ne font plus recette. Ils ne sont plus
respectés puisqu'il est devenu évident aux yeux d'un nombre croissant de travailleurs,
qu'ils ont partie liée avec les capitalistes.
D'un autre côté les révolutionnaires sont en situation de gagner du crédit
auprès des travailleurs, surtout s'ils comprennent que les électeurs d'extrême
gauche se moquent de leurs divisions, de leurs étiquettes et de leurs bannières
différentes. Les travailleurs sont preneurs des idées renforçant leurs luttes et ouvrant
des perspectives, d'où qu'elles viennent. Ils ne sont pas seulement en rupture ouverte avec
les partis de gauche et les appareils syndicaux sclérosés, ils sont réceptifs à
une orientation politique nouvelle, clairement formulée, qu'on leur proposerait pour changer la
société.
Les militants qui luttent pour une alternative au capitalisme doivent percevoir ce phénomène de
rupture et d'attente dans toute son ampleur, dans sa globalité et dans tous ses aspects. Ce
travail de compréhension est la tâche de l'heure.
Le 27 mars 2001
Samuel Holder
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