La revue « Carré Rouge » a publié un supplément spécial de 10 pages le 25 février 2001 à l'occasion de la campagne des élections municipales. Nous en reproduisons ci-dessous le texte intégral.

Les enjeux des élections municipales pour les travailleurs

Cette année, le vote aux élections municipales pose aux électeurs de gauche, comme aux militants, aux courants et aux organisations révolutionnaires des problèmes nouveaux à plus d'un égard. Il s'agit bien sûr d'élire des exécutifs municipaux, qui ont à prendre des décisions de portée locale, mais cette année, les élections municipales sont déjà une sorte de premier tour des présidentielles et législatives de 2002. Elles font suite à trois années de gouvernement de la « gauche plurielle » et à des combats importants, notamment dans l'enseignement, contre la politique d'une majorité élue grâce aux voix des salariés et des exploités. Cette situation a fait l'objet de longues discussions à Carré Rouge. Voici l'état de notre réflexion.

Le local et le national

Les élections municipales de mars concernent plus de 36 000 communes, sans oublier les élections qui se dérouleront le même jour, dans près de 2 000 cantons. Les élections municipales sont traditionnellement celles où le salarié-citoyen a un rapport plus proche, plus direct avec les candidats, avec la « politique », c'est sa cité.

Les considérations locales l'emporteront souvent au moment du vote, en particulier au second tour. Quelle que soit la politique du gouvernement au plan national, dont certains candidats sont membres ; quelles que soient les décisions prises au Parlement, dont les députés sont souvent en même temps des maires ou des candidats à ce poste, chaque nuance dans la politique locale que les candidats des différentes listes se proposent de mener a une importance pratique souvent non négligeable dans la vie quotidienne au sein d'une commune. Tel député de « gauche » a peut-être voté à l'Assemblée nationale les lois les plus anti-ouvrières, il n'en est pas moins vrai qu'il est préférable d'avoir des colonies de vacances au tarif abordable pour les enfants des salariés, une politique de construction de crèches qui va adoucir le quotidien des couples de travailleurs, un soin plus grand apporté à la rénovation de l'école publique de la commune plutôt qu'à l'amélioration de l'école privée payante.

Mais dans de nombreuses communes, les salariés seront sans doute surtout sensibles à la cession à des entreprises privées de la gestion de l'eau, des transports, des cantines, etc. Cette privatisation rampante au niveau local est un phénomène qui a pris une grande extension, en parallèle avec les mesures de privatisations des entreprises du secteur public sous le gouvernement d'Alain Juppé et encore plus sous celui de Lionel Jospin. Cela offre bien sûr des facilités pour les groupes bénéficiaires de corrompre les élus, jetant une lumière particulière sur la « démocratie » telle qu'elle est pratiquée dans la plupart des villes grandes et moyennes. C'est ainsi qu'à Rouen, à l'occasion de la grève récente des traminots, les Rouennais ont appris que l'entreprise municipale avait été cédée à une filiale de Vivendi en 1994 avec l'aval de Laurent Fabius qui était alors à la tête du conseil intercommunal.

Toutes ces questions, qui ne relèvent pas de la « grande politique », ne peuvent être méprisées, et elles guideront les choix des électeurs dans bien des cas. Certains iront voter, parfois la mort dans l'âme et à contrecœur, pour la liste menée par le député ou le ministre dont, par ailleurs, ils condamnent sans appel l'attitude politique au Parlement ou au gouvernement, et contre lequel ils ont dû, parfois, manifester en diverses occasions ces derniers mois...

L'effondrement de la « Chiraquie » laisse les travailleurs face au Parti socialiste

Cependant, le calendrier politique est ainsi fait que ces élections municipales ont inévitablement une portée nationale. La perte annoncée de la mairie de Paris par le RPR, alors qu'elle en a été si longtemps la forteresse et le trésor de guerre, va encore accélérer l'agonie de la « Chiraquie ». Même si une partie des salariés, des chômeurs et des opprimés participeront par leur vote à cette défaite, c'est d'abord parce qu'ils sont abandonnés par leur propre électorat que Jacques Chirac, Philippe Séguin et Jean Tiberi vont être battus. Le soir du second tour, les salariés, les chômeurs et les opprimés se trouveront plus que jamais face au gouvernement de la « gauche plurielle ».

Pour Lionel Jospin et le Parti socialiste, comme pour les partis qui gouvernent avec eux, les élections municipales seront dans les grandes villes, un test pour la suite de leur action. Ils vont surtout y puiser des enseignements pour les élections présidentielle et législative de 2002.

Il n'est pas exceptionnel que le Premier ministre s'engage dans les élections. Il n'a pas à se plier, comme le Président de la République, à la farce de l'« impartialité » : il ne représente pas l'« intérêt national » ni à prétendre être le Premier ministre de « tous les Français » : il représente un camp. Mais l'engagement de Lionel Jospin est tout à fait particulier. Tout indique qu'il suit avec la plus grande attention les préparatifs de ces élections municipales, qu'il y intervient. Et si les sondages, en particulier parisiens, semblent extrêmement favorables, tout indique qu'ils pourraient bien masquer des réalités qui le sont beaucoup moins.

Jospin n'est évidemment pas indifférent au sort électoral des ministres de son gouvernement. Une défaite de Élisabeth Guigou, de Jean-Pierre Gayssot, de Pierre Moscovici, voire même de Dominique Voynet ne serait évidemment pas de bon augure pour la suite des opérations... Mais l'enjeu est pour lui d'une tout autre portée, et il faut, pour l'apprécier pleinement, considérer toute une série d'éléments.

20 ans de pouvoir à peu près ininterrompu du Parti Socialiste

Depuis l'élection de François Mitterrand en 1981, le Parti Socialiste a progressivement pris en charge la totalité de l'État. À l'exception de trois années de gouvernement complet de la « droite » (le gouvernement d'Alain Juppé de 1995 à la dissolution de 1997) et de deux épisodes de cohabitation (avec Jacques Chirac entre 86 et 88, et Édouard Balladur entre 93 et 95), périodes où il a dû « partager » ce pouvoir, le PS, soutenu en permanence par le PCF (à part quelques péripéties qui ne changeaient rien au soutien de fond, et n'empêchaient pas, en particulier, que les députés de ce parti votent l'essentiel ce qui leur était proposé), est responsable des évolutions qui se sont produites.

Quelles sont ces évolutions ? Sous le vocable de « modernisation », l'« œuvre » mitterrandienne peut être qualifiée de véritable « coup d'État à froid » contre les intérêts des salariés. De l'austérité de l'époque de Pierre Bérégovoy à la normalisation de la « question scolaire » (c'est-à-dire à la privatisation rampante de l'École publique), de la dislocation de l'appareil de production de la sidérurgie et des mines à la désindexation des salaires, du blocage de ces mêmes salaires (la perte pour les fonctionnaires doit avoisiner dans cette période les 20 % !) au grignotage du Droit du travail, ce que la « droite » n'avait pas pu réaliser, François Mitterrand l'a fait. En outre, le prodigieux cadeau des « indemnisations » des nationalisations a engendré une dette qui gonfle mécaniquement, atteint aujourd'hui près de 25 % des sommes perçues au titre de l'impôt, dette qui est en permanence invoquée pour « réduire le train de vie de l'État », c'est-à-dire pour démanteler les services publics.

Dans le même temps, François Mitterrand aura été l'artisan de la mise en place d'une Europe entièrement vouée aux intérêts d'un capitalisme de plus en plus essentiellement financier, à dominante rentière, et de l'« ajustement » français à ses « contraintes ».

Le tableau ne serait pas complet si l'on ne citait pas également l'extraordinaire corruption des mœurs politiques et financières, la poursuite et l'amplification de la mise en coupe réglée de l'Afrique, via la tentaculaire Elf (et le rôle direct de la famille Mitterrand qui vient de se révéler), mais aussi la crapuleuse participation du même à la Guerre du Golfe dont on sait aujourd'hui ce qu'elle recouvrait.

Lionel Jospin parachève l'œuvre mitterrandienne

Lionel Jospin aura accédé au pouvoir en opérant une rupture de façade au nom du fameux « droit d'inventaire », nécessaire rupture symbolique avec les aspects les plus manifestement pourris du règne précédent. Pour le reste, la presse économique anglo-saxonne résume sans précautions inutiles le principe essentiel de son action : « M. Jospin a un don pour parler comme un homme de gauche lorsque cela est nécessaire pour des raisons politiques [et le rédacteur en chef du Financial Times qui écrit ces mots lui pardonne évidemment ces concessions de pure forme !], tout en agissant tranquillement en faveur des intérêts des milieux d'affaire [ce qui, pour le même, est l'essentiel !] ». Quant au New York Times, il résume ainsi l'été dernier l'«œuvre jospinienne » : « Assurément, au cours des deux dernières années, le monde des entreprises françaises s'est secoué, s'est musclé, plus en profondeur et plus rapidement que beaucoup ne l'auraient cru possible. » Habile politique (c'est-à-dire habile à cacher sous un « discours » de gauche la nature de ses entreprises véritables), Jospin ne sera pris que rarement la main dans le pot de confiture, lorsqu'il avouera ne rien pouvoir faire contre la fermeture de Renault Vilvoorde ou contre les licenciements annoncés par Michelin le lendemain d'une autre annonce du même avouant des bénéfices considérables ...

Mais pour les salariés, ce bilan est d'une terrible clarté : salaires toujours bloqués, privatisations d'un volume qui dépasse celles réalisées par Balladur et Juppé, dénationalisation des services publics (à commencer par FranceTelecom, et une première amorce à la SNCF, à la Poste, etc.), approfondissement de l'Europe anti-ouvrière avec Maastricht et Nice, amplification de la fiscalisation des « charges sociales » (c'est-à-dire baisse des salaires), droit du travail encore rogné, etc. Exploit politique remarquable : au nom de la baisse du temps de travail (discours « de gauche »), la loi Aubry réalise ce que la « droite » et le patronat rêvaient de faire : l'introduction massive de la flexibilité et de l'annualisation, c'est-à-dire une aggravation massive des conditions d'exploitation (l'action « en faveur des intérêts des milieux d'affaire »).

Il ne manquait à ce tableau qu'une trahison morale, et ce sera le « tournant » sur la régularisation des « sans-papiers », trahison du « discours de gauche », parce que, pour ce qui est d'agir « en faveur des intérêts des milieux d'affaire », le compte y est : ceux-ci ont besoin de cette main d'œuvre terrorisée et fragile, ne serait-ce que pour faire tenir tranquille les salariés « nationaux »... N'oublions pas l'acte de bravoure qui a couronné l'alignement sur Blair et Clinton : la participation à cette nouvelle équipée honteuse en Yougoslavie, où l'on retrouve le « discours de gauche », dans sa composante humanitaire cette fois, et l'action « faveur des intérêts des milieux d'affaire », sous l'égide de l'OTAN à direction américaine.

Le sens de la médiatisation des rapports entre Lionel Jospin et le baron Seillière

Et Alain Minc, qui exprime toujours avec beaucoup de clarté les choses du point de vue des intérêts du capital financier, explique dans le Figaro du 13 février qu'il faut voter Jospin (aux présidentielles, mais cela vaut pour tous les scrutins liés à celui-ci, qui est le plus important sous la Ve République), parce que Jospin, une fois président, règlera le problème des retraites, fera entrer EDF et les derniers services publics dans la concurrence grâce à la décentralisation (et à l'Europe !). Alain Minc voit dans l'affaire Corse une garantie que telle sera bien l'action à venir de Jospin.

Les rapprochements médiatisés des derniers mois Lionel Jospin et le baron Seillière sur le PARE et sur les retraites ne sont que les éléments visibles d'une situation dont il faut mesurer la portée. Aux côtés du MEDEF et sous une impulsion résolue de Lionel Jospin qui ne s'est pas démentie depuis ses prises de position dans l'affaire des licenciements chez Michelin, les dirigeants du PS et leurs alliés se sont faits les architectes et les stratèges de la politique « d'adaptation de la société française » à la mondialisation du capital et à toutes ses exigences et implications.

Sur l'allongement de l'age de la retraite (dont le sens est de faire en sorte que le moins grand nombre de salariés aient une retraite complète), le MEDEF a accepté de laisser passer les échéances électorales pour permettre à un gouvernement fort de s'installer. Mais il a rappelé ses devoirs : le démantèlement de la protection sociale et l'introduction de retraites par répartition (pour drainer les milliards de francs vers les banques et les sociétés d'assurances de Monsieur Denis Kessler, principal stratège du MEDEF).

Quant à l'école, si Claude Allègre a dû être écarté, car il agissait trop ouvertement « en faveur des intérêts des milieux d'affaire » et ne savait pas tenir un « discours de gauche », il faudra bien enfin l'ouvrir au grand marché de l'éducation que l'Europe met en place. Et après que Jack Lang, maître es « discours de gauche » et en pommade aura apaisé le milieu, réservoir de votes de « gauche », jusqu'aux élections, les affaires sérieuses reprendront.

Depuis trois ans, les salariés ont commencé à se heurter à la « gauche plurielle »

En somme, Lionel Jospin a, bon an mal an, accompli la tâche que les gouvernements de « gauche » ont accepté d'assumer : porter les coups dont les capitalistes rêvaient mais ne pouvaient porter eux-mêmes.

Cependant, des craquements inquiétants se sont fait entendre. La particularité des gouvernements de gauche a toujours été qu'ils sont capables d'anesthésier les ripostes ouvrières, de paralyser les résistances au nom du « ce serait pire avec la droite ». Or, les derniers mois ont été caractérisés par des résistances d'une ampleur qui montre que la recette ne fonctionne plus. Contre la « réforme de l'État », les salariés des Finances ont su imposer à leurs syndicats un mouvement d'une ampleur considérable, qui a abouti à la mise à l'écart de leur ministre, Christian Sauter. Plus grave peut-être, les plans de Claude Allègre, en particulier tout ce qui touchait au bouleversement des statuts des enseignants, d'abord de l'enseignement professionnel, puis de tous, ont suscité une riposte d'une force considérable : balayant tous les simagrées, bouleversant les plans concertés entre Alain Geismar et le responsable de leur principal syndicat, le SNETAA-FSU, les professeurs de Lycées Professionnels ont entraîné dans la grève reconductible des dizaines de milliers d'enseignants, contraignant Jospin à se séparer d'Allègre, à composer un gouvernement Jospin II, où il devait intégrer toutes les composantes du Parti socialiste, et en particulier son adversaire (trop évidemment dévoué aux « intérêts des milieux d'affaires »), Laurent Fabius.

Ces victoires des salariés, sont évidemment partielles et provisoires. Il va y avoir de nouvelles tentatives pour mettre les plans de Chritian Sautter et de Claude Allègre en œuvre, car c'est ce que veulent les « milieux d'affaire » ! Mais les reculs auxquels Lionel Jospin a été contraint l'an dernier doivent être appréciés à leur juste valeur : ils ont été obtenus par des salariés dans lesquels les gouvernements de gauche, ceux de la gauche « plurielle » et en particulier le Parti Socialiste, ont traditionnellement puisé leurs électeurs. Ceux-ci se sont dressés contre un gouvernement et un parti qui les piège depuis des décennies en prétendant les représenter.

Le mouvement pratique de secteurs comme les enseignants et les parents d'élèves (rappelons-nous de la grève des collèges en Seine-Saint-Denis et celle des écoles dans le Gard et dans l'Hérault), montre qu'à bien des égards, et dans des proportions considérables, ces salariés ne se sentent plus représentés par ce parti, par ce gouvernement, qu'ils en reviennent à l'essentiel : la défense de leurs statuts, de leurs droits de salariés et, au-delà, des services publics. C'est plus qu'une anecdote, c'est l'amorce d'une rupture.

La même rupture s'élargit lorsque les salariés refusent que leurs salaires soient toujours bloqués alors qu'éclate de toute part l'extraordinaire augmentation des profits des détenteurs de capitaux. Là encore, elle s'exprime dans les secteurs où l'État est l'employeur.

Et malgré tous les efforts des dirigeants syndicaux, qui tentent de désigner le seul MEDEF comme cible du refus des salariés de voir leurs retraites diminuées ou reculées, leur mobilisation menace de faire se déchirer le voile qui masque les manœuvres de Lionel Jospin en faveur du MEDEF, et que l'on a vues à l'occasion de la conclusion du PARE.

D'autres signes peuvent inquiéter les dirigeants du Parti socialiste  : un sondage de l'Expansion, dont on a fort peu parlé, a fait apparaître que si le gouvernement Jospin (qui a un « discours de gauche ») est toujours crédité d'une cote de sympathie importante, 58 % des français jugent « mauvaise » sa politique sociale (soit une augmentation de 10 % de mécontents en quelques mois). Parmi ces 58 %, une écrasante majorité de salariés du public et du privé. La réalité se fraye un chemin : tout le monde ne la formule pas aussi clairement que le Financial Times en comprenant que Jospin agit « en faveur des intérêts des milieux d'affaire », mais la conscience est plus nette que jamais.

Comment ce rejet va-t-il se traduire au moment du vote ?

Telle est l'une des questions qui préoccupe Lionel Jospin et les dirigeants du Parti socialiste. Ces signes de rejet vont-ils se traduire, comme aux élections européennes ou lors du référendum par une abstention massive, en particulier des salariés et des jeunes ? Vont-elles se porter sur les listes qui dénoncent avec une clarté plus ou moins grande la politique de plus en plus évidente de Lionel Jospin en faveur des « intérêts des milieux d'affaire », en déchirant le voile du « discours de gauche » qui tente de la masquer ? Combien vont encore porter leurs suffrages sur les candidats officiels du PCF, c'est-à-dire vont se laisser encore une fois piéger par l'apparence d'un « discours encore plus de gauche » ?

Et surtout, parmi ces « mécontents » de plus en plus nombreux, combien vont marquer leur colère au premier tour en votant pour des listes « contestataires, mais céder au second tour au piège classique : « l'essentiel, c'est de battre la droite ! » La question qui se pose aux dirigeants du Parti socialiste avec le plus d'acuité est bien celle-ci : le piège fonctionne-t-il encore ?

Il ne leur est pas indifférent que les listes de Lutte ouvrière, de la Ligue Communiste, du Parti des travailleurs et maintenant des membres dissidents du PCF, mais aussi dans ces élections municipales de listes autonomes comme celle d'Ivry, captent de plus en plus de voix au fil des scrutins. Car cela reflète une conscience au moins partielle de la réalité de sa politique. Il n'est pas indifférent à la direction du Parti socialiste que des listes de « citoyens » et de jeunes apparaissent, certes confuses, mais toutes signes de ce mécontentement, de cette envie de faire de la « politique autrement », c'est-à-dire de rompre avec le double langage, avec la confiscation de leurs votes au profit d'une politique qui leur est hostile.

Mais tout cela n'est pas bien grave pour Lionel Jospin et la direction du Parti socialiste si, au deuxième tour, tous rentrent dans le rang en appelant, même avec des réserves, à se rassembler sur le candidat « de gauche » le mieux placé pour « faire échec à la droite ». Car alors l'essentiel est préservé : rien de net ni de clair n'émerge pour représenter et organiser ce « mécontentement » contre les partis de la « gauche plurielle », pour lui offrir une issue politique.

En ce sens, les municipales préparent les élections présidentielles de 2001. Les municipales ont en outre la vertu de pouvoir cacher cet enjeu fondamental sous le voile des « situations locales », dont nous avons d'emblée reconnu qu'elles ne sont pas indifférentes aux électeurs d'une commune.

Mais tous ceux qui pensent que le problème essentiel est de combattre le capitalisme si habilement et efficacement défendu par Lionel Jospin, de reconstruire une représentation politique et une issue politique aux salariés et aux jeunes doivent avoir comme but de déchirer ce voile, de refuser ce piège. Ils doivent en faire le guide de leur pratique dans les « situations locales ». Et à cet égard, ce test en grandeur nature semble devoir être, une fois de plus, une occasion manquée.

Mars 2001 sera une occasion manquée

L'occasion, au bout de quatre ans de gouvernement Jospin, était de dresser sans complaisance le bilan de son action. Ce bilan, où chacun pouvait apporter sa contribution, ouvrait à la libre discussion des mesures exigées par la préservation des salariés et des jeunes, des services publics, par la situation des travailleurs immigrés, pleinement membres des masses salariées, mais préfigurant le sort qui est réservé à ces dernières. Ce travail pouvait, et aurait dû se prolonger et se particulariser sur le terrain local. Les budgets municipaux sont en fait sous contrôle des préfectures (donc de l'État) en synergie avec quelques grands groupes capitalistes dans les secteurs qui les concernent (BTP, eau, transport, restauration scolaire, spéculation foncière...). Faire dans ces conditions « des propositions concrètes » et continuer à parler des « pouvoirs publics » qui devraient faire ci ou ça masque aux yeux des travailleurs la nature de l'État et de ses relais. C'est à mon avis une des carences gênantes de l'extrême gauche de ne pas assez mettre en évidence ce caractère de classe de l'État.

Si Lutte ouvrière, la Ligue Communiste, ou Parti des travailleurs avaient tout simplement pris l'initiative d'organiser, dans chaque commune, une discussion publique intense pour poser ces problèmes, établir ce bilan, formuler ces éléments de programme alternatif. Si elles avaient décidé d'aider les salariés/jeunes-citoyens à constituer des listes sur cette base, clairement anti-capitaliste, donc anti-gouvernementale, ces listes auraient alors pu opérer très largement la jonction avec des milliers de salariés, de syndicalistes, de dissidents du PCF ou même du Parti socialiste. En prenant ce type d'initiative, ces organisations auraient concrètement aidé à ce que se cristallise la force qui est « en bas », qui a émergé ces derniers mois dans de nombreuses manifestations et grèves, au caractère souvent très radical, et qui cherchent une issue politique.

Des jeux qui font fi de l'aspiration des salariés et des jeunes

Ces organisations ne l'ont pas fait, ou si peu. Dans certaines communes, il y aura trois listes d'extrême-gauche ! C'est au mieux une absurdité. Ce mouvement de regroupement, même imparfait, même incomplet, avait montré en partie son potentiel aux élections européennes. L'occasion a été gâchée. Non seulement il n'y a pas de listes communes LO-LCR aux municipales de 2001, mais dans un certain nombre de cas il y aura des listes concurrentes. Les municipales vont monter que l'extrême gauche n'est pas devenue vraiment une force politique à l'échelle du pays depuis 1995, en dépit du mouvement de rupture d'une partie de l'électorat ouvrier et salarié avec la « gauche plurielle » et en dépit de l'avancée des européennes.

Mais ce n'est pas tout. Lionel Jospin et les directions du PS et du PCF peuvent «faire avec » ces listes au premier tour, parce qu'il peut les considérer comme des exutoires gratuits, comme des occasions sans conséquence d'exprimer un « mécontentement ». Pourvu qu'au second tour... Et là encore, il y a tout lieu d'être inquiets.

Lutte ouvrière et le PT ont refusé toute idée d'une unité électorale au premier tour à la fois contre les listes de la droite et contre la « gauche plurielle ». Au second tour ils appellent à ne voter ni pour les uns ni pour les autres. Cette position de principe s'accompagne malheureusement d'un profond sectarisme et trouve sa justification, son « carburant » dans la confusion de la ligne de la LCR. Les listes « 100 % à gauche » de la LCR laissent entendre, par leur intitulé même, comme par les tracts dans une ville comme Paris, qu'elles se situent à la « gauche de la gauche », celle-ci continuant d'être en somme caractérisée comme « insuffisamment à gauche ». Faudra-t-il au second tour fusionner avec la « gauche plurielle » pour la « pousser plus à gauche » ? Combien de temps encore faudra-t-il se laisser abuser par le « discours » de gauche qui cherche à cacher cette réalité ?

Repli sur soi, confiscation de la politique, refus de faire droit à la demande qui vient « d'en bas », manque de clarté et de tranchant dans la caractérisation du gouvernement et des partis qui le composent : une occasion de plus d'ouvrir une issue politique, d'amorcer la construction d'une représentation politique nouvelle des salariés et des jeunes vient d'être gâchée. Car c'est là le sens du vote que des dizaines de milliers d'entre eux ont exprimé en faveur d'Arlette Laguiller en 1995 et surtout en faveur de la liste commune LO-LCR aux élections européennes : aller vers un « large parti des travailleurs ». Si les organisations qui se désignent elles-mêmes comme « révolutionnaires » s'obstinent à paraître aussi insaisissables, incontrôlables, aussi peu attentives aux besoins et aux demandes des salariés et jeunes que le sont et l'ont été les « grandes organisations » de gauche qui ont réclamé leurs suffrages pour les trahir, ces organisations n'auront bientôt plus aucun crédit. Et on sera fondé à se demander à quoi elles servent...

Pour ne plus gâcher d'occasions, chercher la clarté

Dans la caractérisation du PS, du PCF et Verts

Les « flottements » ne sont à cet égard plus possibles sans conséquences politiques dramatiques. Nous avons très longtemps pu caractériser le Parti socialiste comme un parti « ouvrier-bourgeois ». Nous devons aujourd'hui prendre acte d'une modification radicale. Le PS est un parti « capitaliste de gauche », dont toute l'action s'inscrit dans le cadre de la prise en charge complète de la gestion de l'État capitaliste français, dont les cadres sont aujourd'hui formés clairement à cette fonction, tant à la direction des grandes entreprises qu'en détachement à Bruxelles. Après une courte période d'incertitude, Jospin a pleinement adhéré à la fonction qui lui est confiée par la fraction de la bourgeoisie française la plus étroitement engagée dans la mondialisation du « capital » et la mondialisation financière. Tous ses choix s'inscrivent dans cette logique. Mieux : pour un certain nombre de raisons historiques, il assume mieux cette tâche que les partis « traditionnels » de la « droite », RPR et UDF.

Jospin est le Blair français, et quelle que soit son habileté à s'en distinguer en apparence (il manie mieux que Blair le « discours » de gauche), il l'assume. La logique de son engagement dans les faits laisseront de moins en moins de place au « discours de gauche ».

Pour les besoins de sa politique, Lionel Jospin est même devenu le premier défenseur de la Ve République, cherchant à lui « sa cohérence et sa logique » autoritaire, d'essence « bonapartiste », en s'appuyant sur Barre, Giscard et Bayrou. Grâce au Parti socialiste, et avec ces appuis, la possibilité même de cohabitation (et d'espaces de liberté qui lui sont liés) va disparaître avec la « remise en ordre » du calendrier électoral et l'instauration du quinquennat. La débâcle de la droite, la perspective raisonnable que son personnel politique sombre complètement avec la perte de Paris et la fin du Chiraquisme, vont mettre dans les mains du PS tous les leviers du pouvoir, des régions et grandes villes à la présidence de la République. Quatre ans de gouvernement Jospin nous disent clairement à quoi il entend les utiliser.

Loin d'être plus « à gauche », le PCF de Robert Hue ne doit plus sa survie qu'aux accords électoraux qu'il noue avec le PS. Son influence, ses moyens matériels sont sous perfusion. Déchiré à l'intérieur, ayant perdu les grands leviers qu'il détenait avec le contrôle de la CGT ou de la FSU (qui, quelle que soit leur politique, tout entière déterminée par le soutien à la « gauche plurielle », ne dépendent plus du PCF dont l'appareil a été pour l'essentiel démantelé), son sort se situe aussi « à gauche » que le Parti de la gauche démocratique de l'Italien D'Alema ! Le situer « à gauche » du PS relève d'une auto-suggestion qui appellerait un traitement  thérapeutique : alors que l'appareil n'est plus assez indépendant pour y croire, d'autres veulent continuer y croire pour lui et... pour eux-mêmes. Tout ce qu'ils font, c'est soutenir un cadavre politique ; c'est bloquer le mouvement de rupture de ceux qui engagent avec d'énormes difficultés la bataille contre un parti auquel ils se sont identifiés jusqu'à l'extrême limite.

Quant aux Verts, se demander s'ils peuvent mener une politique indépendante relève du comique le plus désespéré... Ils ont avec une grande constance même renoncé à agir dans le sens d'une protection de la nature contre les méfaits du capitalisme.

Nous avons affaire à des partis de « gauche plurielle » qui n'ont plus de « gauche » que les dernières précautions de langage dont ils recouvrent les orientations purement capitalistes qu'ils prennent sans cesse, qui sont dirigés par un « parti capitaliste de gauche » qui s'apparente toujours plus au Parti Démocrate des États-Unis.

Dans la caractérisation de la politique de la « gauche plurielle »

Les salariés, qu'ils soient en activité, au chômage, «nationaux » ou immigrés, sont contraints, pour se préserver, pour obtenir le respect de leurs droits (éducation, santé, travail, logement, etc.), d'affronter les représentants des intérêts capitalistes. Les mouvements dans lesquels ils se sont, ces derniers mois, engagés les ont portés naturellement contre le gouvernement de la « gauche plurielle », contre des dirigeants de groupes privés auxquels le gouvernement de la « gauche plurielle » a, au fil des années, donné des droits et des leviers pour aggraver l'exploitation.

Ne pas caractériser ce gouvernement comme « 100 % à droite », ne pas appeler à le battre, c'est affaiblir ces mouvements de résistance, c'est les désarmer.

Carré Rouge n'a jamais cédé au mythe de l'«autonomie du mouvement social ». Nous savons que grèves et manifestations, occupations et batailles des salariés ne peuvent atteindre leur pleine force sans qu'une issue politique soit dégagée, c'est-à-dire sans que soit répondu, dans le mouvement même de résistance, à la question du gouvernement et du programme capables de faire droits aux exigences vitales des salariés et de la jeunesse.

Les élections, même municipales (où pourtant, répétons-le, les problèmes locaux parviennent souvent à masquer les enjeux nationaux), sont des moments privilégiés de clarification, de discussion sur ces questions.

Il est essentiel que la série d'élections qui va s'ouvrir avec les municipales de mars 2001 soit l'occasion de dire clairement ce qu'est ce gouvernement, la direction qui est la sienne, la source de son inspiration. Laisser le moindre espoir quant à la possibilité de le réformer, de le faire aller « un peu plus à gauche », c'est obscurcir, c'est masquer la réalité, c'est entraver le mouvement qui porte naturellement les salariés à l'affronter parce qu'il est, en toute chose, le représentant de ceux qui les exploitent, les licencient, bloquent leurs salaires. De cette clarté nécessaire découle l'attitude à adopter lors de ces scrutins.

Dans les consigne de vote pour les  municipales

Là où LO, la LCR et le PT présentent des listes, de même que là où des listes anti-capitalistes et anti-gouvernementales ont été formées, il faut voter et appeler à voter pour elles au premier tour. Ce vote exprime ce besoin de regroupement dont il a été question – et cela même si de nombreux salariés et jeunes peuvent être amenés à boycotter ces élections complètement cette fois-ci.

Cet appel peut, et sans doute même doit dans des cas précis, s'accompagner d'un appel explicite à voter contre des listes conduites par des ministres qui ont mis en œuvre la flexibilité, l'annualisation (35 heures) la lutte contre les émigrés, le plan Allègre, les privatisations, etc.

Au second tour, une déclaration dénonçant la politique du gouvernement mais laissant libres les salariés qui ont voté pour les listes en rupture avec les partis de la « gauche plurielle » de décider s'il y a un avantage ou pas à voter au second tour pour la gauche semble l'attitude la plus claire, la plus simple. Ce qui est essentiel, c'est de dénoncer la politique gouvernementale et évidemment de réaffirmer que nous ne voterons pour aucune liste de droite. Pour le reste c'est aux salariés de choisir, de réfléchir en fonction des données locales.

Le second cas de figure est celui où la liste dépasse la barre des 5% et où elle a la possibilité de fusionner et donc de négocier sa fusion avec une autre liste de son choix. Là aussi, il nous semble que la clarté s'impose. Soit la liste de la « gauche plurielle » accepte les révolutionnaires, tels qu'ils sont : sur une déclaration anti-gouvernementale claire, sans concession et une fusion, un accord sont possibles. Sinon rien. Pas de magouilles.

Préparer l'avenir pour ne plus gâcher de nouvelles occasions

Il faut maintenant se tourner vers l'avenir. Pour nous, à Carré Rouge, il est clair qu'aux présidentielles comme aux législatives nous ne voterons jamais pour les candidats de la gauche capitaliste.

Des centaines de milliers de salariés et de jeunes feront le même choix. Beaucoup le diront au travers de l'abstention, du vote blanc ou nul. Ce sont ces salariés qu'il faut s'employer à rassembler pour les premiers tours de ces deux élections à venir, ce qui n'a pas été fait pour le premier tour des municipales.

Si l'on ne veut pas qu'une fois de plus se referme le piège dans lequel le Parti socialste, flanqué du PCF et des Verts, après avoir matraqué les salariés, enferment ces mêmes salariés, au nom de la nécessité de « battre la droite » ; si l'on ne veut pas que le seul choix soit entre la gauche capitaliste et la droite capitaliste ; si l'on veut travailler à la mise en place d'une alternative, n'est-il pas temps de lancer, rapidement, de véritables états généraux des salariés et des jeunes, des organisations de l'extrême gauche et des listes anti-capitalistes et anti-gouvernementales qui se sont formées quand même à ces élections, afin de tracer les grandes lignes d'un programme d'urgence anti-capitaliste, base d'un accord pour des candidats anti-capitalistes et anti-gouvernementaux à la présidentielle et aux législatives ?

C'est en tout cas cette proposition que Carré Rouge soumet à la discussion.

Le 25 février 2001

Carré Rouge

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