Citoyen, liberté individuelle, contrat : le miroir aux alouettes ?

Les libéraux n'ont à la bouche que les mots de responsabilité individuelle et de citoyens qui passent entre eux des contrats. Derrière ces bonnes paroles, il y a un paravent idéologique qui sert l'offensive des milieux capitalistes pour faire valoir leur tentative de refondation sociale et le règne sans partage de la loi du profit. Tentative de décryptage.

La société du Moyen-Age ne reconnaissait pas les individus. Chacun vivait dans un ordre, une corporation. Dans ces cadres, on ne pouvait pas bouger : les moindres étapes de la vie étaient codées depuis des siècles, de la vie à la mort. On les acceptait plus ou moins car ils étaient aussi protecteurs : on ne laissait pas seuls la veuve ou l'orphelin, il n'y avait pas de sans emploi. Chacun avait sa place… pourvu qu'il ne cherche pas à en changer, à faire bouger la pyramide de l'ordre social et du mépris.

Les bourgeois ont eu très tôt conscience qu'il fallait abolir ces cadres protecteurs : cela allait à l'encontre de leur volonté d'ascension sociale et surtout de leurs intérêts sonnants et trébuchants : pour qu'un travailleur soit prêt à se vendre à n'importe quel prix, il fallait qu'il ne soit protégé par aucun cadre collectif. La bourgeoisie a donc mené la lutte par les mots, le fer et le sang contre les corporations du Moyen-Age qui protégeaient les ouvriers. En 1791, la Loi Lechapelier, celle de la bourgeoisie libérale au pouvoir en France, interdit les corporations et la grève. Les bourgeois ont pu mener leur offensive aidés par le petit peuple, attiré par le goût de la liberté et surtout parce que la disparition des ordres était aussi la promesse de l'égalité entre les hommes : on ne serait plus sans cesse obligé de courber l'échine devant les grands de ce monde. Fin de la Révolution Française : amère déception. Babeuf, le premier communiste tire les conclusion du 1er acte : sans égalité sociale, l'égalité en droits promise par la grande Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen est complètement illusoire.

2ème acte : le XIXème siècle. La Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen fait le tour du monde. Partout elle sert aux nouveaux capitalistes à interdire …les droits des travailleurs. Pourquoi maintenir des droits collectifs ? Chacun est libre. Chacun est un citoyen. Les citoyens passent entre eux des contrats librement consentis, par exemple le patron propriétaire d'une mine et l'ouvrier(e) qui crève de faim qui passent entre eux un contrat de travail : 12 heures par jour pour 3 francs 6 sous… et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes bourgeois.

Les travailleurs n'ont pas tardé à réagir. Après avoir tenté vainement de réanimer les corporations du Moyen-Age, ils créent les syndicats. Si on veut plus de liberté et d'égalité, négocions en force, collectivement face au patron. Son capital, c'est une force collective, imposons lui la force collective du travail. Les patrons résistent pied à pied contre les syndicats, aidés par les Etats. En France, ils ne sont autorisés qu'en 1881, quand la bourgeoisie profitant de la surexploitation des 1ères colonies se décide à lâcher des miettes du festin. Mais ce n'est qu'en 1936 que les délégués d'entreprise sont autorisés ! Entre temps, il y a eu la gigantesque vague de grèves et d'occupations d'usines qui a menacé de mort le pouvoir du capital, et surtout, il y a eu la Révolution Russe.

3ème acte : sentant le vent tourner, les capitalistes, les libéraux mettent un peu de vin rouge dans leur eau. Il faut négocier, ou plutôt, faire semblant. L'intégration d'une partie des milieux syndicaux au monde bourgeois, les dirigeants, démarre très tôt. C'est un moyen de les corrompre et de les intégrer à la défense du système… comme les rois l'avaient fait des siècles plus tôt en anoblissant quelques bourgeois parvenus. Ca marche : une bonne partie de la 2ème Internationale socialiste, puis l'essentiel de la 3ème internationale communiste rallie leurs bourgeoisies après que Staline l'ait emporté en URSS, à la veille de la guerre. Cette logique sera portée à son comble au lendemain de la 2ème Guerre Mondiale. Après des années de souffrance, partout dans le monde ou presque, les opprimés veulent changer la vie, changer la société. Partout dans le monde, les syndicats sous contrôle des PC staliniens y mettent bon ordre, scellant la Sainte-Alliance entre bourgeois et bureaucrates. Même si c'est la guerre froide, les syndicats en France, sont encore plus intégrés à la gestion de la société capitaliste. Par exemple, dans les ports, l'embauche des dockers est sous le contrôle de la CGT, ce qui lui assure 100% d'adhérents ! Mais les syndicats sont intégrés aussi à la gestion de la toute nouvelle Sécurité Sociale : une manière de les tenir en laisse. Cette situation reflète le sorte de compromis entre les dirigeants du monde capitaliste et ceux du monde bureaucratique dans les 40 années qui ont suivi la 2ème Guerre Mondiale. La nécessité de maintenir l'ordre social pendant une période troublée (après-guerre, guerres coloniales) et l'existence de l'URSS ont imposé « l'Etat-Providence ». Les dirigeants syndicaux, devenus des avocats professionnels, négocient une amélioration du sort des classes populaires. Celles-ci se voient accorder des droits importants, mais qui sont des miettes au regard des profits gigantesques des trusts. Cette amélioration continuelle légitime les avocats… mais aussi l'ensemble du système : le réformisme fait ses choux gras. Au plus fort de la guerre d'Algérie, mais aussi de la croissance, De Gaulle rêve d'une réconciliation des classes et introduit le paritarisme : à la tête des organismes sociaux (UNEDIC, Sécu…), dirigeants syndicaux et patronaux gèrent à parité les profits de la croissance, un peu sur le modèle allemand de cogestion, mis en place par les USA, mais à la nuance qu'en France l'Etat joue un rôle d'arbitre pour équilibrer les éventuels conflits.

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes… jusqu'aux années 70 environ.

4ème, et avant-dernier acte.

Crise économique, les profits sont en baisse. Solution patronale : rafler sur les salaires, rentabiliser dans la sphère financière les milliards de budgets sociaux. C'est la guerre à l'Etat-Providence et au paritarisme. Sous Mitterrand sont introduits entre autres les allocations ASSEDIC dégressives, le forfait hospitalier (chacun paie 70F par jour d'hospitalisation). L'effondrement de l'URSS, produit de la crise, offre un nouveau cadre à une concurrence effrénée des grands trusts qui jouent un vaste jeu de Monopoly, fusions-acquisitions, conquêtes de marchés, à coups de milliards, au-dessus de nos têtes. Plus question de laisser un centime de trop. D'autant que les syndicats, partis de gauche ont été malmenés par la crise, et par la disparition du mythe du « socialisme réellement existant ». C'est le sens de l'offensive actuelle du MEDEF. Les syndicats sont mal placés pour y faire face. En France, un chiffre témoigne de leur soumission : 20% de leurs ressources seulement leur viennent des syndiqués : c'est dire que le reste leur vient de leur participation à la mangeoire de l'Etat. Les bureaucrates en attachés-cases, s'adaptent à la nouvelle vision patronale, façon social-libérale complètement assumée (Notat) ou moins clairement revendiquée (Thibault).

La refondation sociale, c'est un slogan et une politique : mettre fin à l'Etat-Providence. La Sécu transformée en assurances privées, les retraites par capitalisation, l'assurance-chômage qui devient un contrat… tout cela décline le projet libéral. Une seule logique : vous n'avez plus de droits collectifs, vous êtes un client, au mieux un citoyen qui passe des contrats… avec la World Company. La boucle est bouclée et on revient au libéralisme du XIXème siècle. Fantastique retour en arrière, ce projet de contre-réformes déjà bien entamé avec l'aide des gouvernements de droite et de gauche, est une menace pour les droits de chacun. Faire valoir les droits de chacun et de tous, c'est une violation de la loi du marché qui ne connaît que peu de lois, celle de l'offre et de la demande, celle du profit maximum. La logique actuelle qui fait de chacun d'entre nous un client de la santé, de l'éducation… de la retraite, nous atomise. Elle fait du travailleur un simple « capital variable », une marchandise soumise à l'offre plus ou moins grande sur le « marché du travail ». C'est le sens du P.A.R.E., plan de retour à l'emploi, signé par le MEDEF, la CFDT, la CFTC : le chômeur « volontaire » pour signer un Contrat de Retour à l'Emploi, en l'échange d'une dégressivité moins forte de ses ASSEDIC, se voit proposer 3 offres d'emploi. Le 3ème refus équivaut à une rupture du contrat… et donc des ASSEDIC. Ca fera baisser les chiffres du chômage, et ce sera autant de gagner pour l'UNEDIC et les patrons. Car le P.A.R.E., c'est aussi un projet de baisse de 42 milliards des charges sociales : et oui, tout est lié !

5ème acte 

C'est celui que commencement à écrire ceux et celles qui refusent la soumission, la morale de la liberté individuelle des gagneurs, du profit. Elle s'exprime par bien des canaux, ceux des mobilisations, des syndicats, organisations politiques. Elle s'exprime par une exigence d'autres rapports humains, d'une autre société. Toutes ces résistances diverses pourraient trouver leur sens commun autour du refus de la marchandisation généralisée. Car derrière le refus des licenciements, de l'éducation ou de la santé libérale, derrière la lutte contre les dégradations de l'environnement, pour la liberté de disposer de son corps, de son temps, de l'air ou de l'eau, biens collectifs de l'humanité, il y a le projet humaniste que tout le domaine du vivant ne soit pas réduit à l'état de marchandise, instrument de la loi du profit. Les jeunes communistes révolutionnaires peuvent donc être très utiles au mouvement de masse, à « tous ceux qui disent non », en leur faisant réaliser leurs intérêts communs : prendre les bastilles du profit, pour un projet véritablement humaniste : mettre en pratique grâce aux acquis de la culture et de deux siècles de lutte les droits de l'homme du XXIème siècle.

Le 2 octobre 2000

Laurent

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